La Chronique de Philippe de Vigneulles. Tome troisième (de l'an 1473 à l'an 1499)

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Identifiant

Titre

La Chronique de Philippe de Vigneulles. Tome troisième (de l'an 1473 à l'an 1499)

Editeur

Société d'histoire et d'archéologie de la Lorraine (Metz)

Date de publication

1932

Langue

frm

Sujet

fre Metz (Moselle)
Chronique

Type

eng text
eng printed text
fre texte imprimé

Format

402 p.

Droits

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Reference

Titre alternatif

Edition de la chronique de Philippe de Vigneulles, t. 3 (1473-1499)

Document

extracted text

*

<

LA CHRONIQUE
DE

PHILIPPE DE VIGNEULLES

'

PUBLIÉ SOUS LES AUSPICES DE L’UNIVERSITÉ DE NANCY

LA CHRONIQUE
IDE

PHILIPPE

DE YIGNEULLES
ÉDITÉE PAR

Charles

BRUNEAU

Professeur à l’Université de Nancy

TOME TROISIÈME
(de l’an 1473 à l'an 1499)

METZ
SOCIÉTÉ D HISTOIRE ET D’ARCHÉOLOGIE DÉ LA
1932

AVANT-PROPOS

Nous avons été amené à apporter à notre édition un certain nombre
de modifications que nous indiquons brièvement ici.
Nos directives générales n’ont point changé. Le principal manuscrit
que nous utilisons est un manuscrit autographe. Nous nous étonnons
que M. Samaran, dans la Revue historique (t. CLXVII, P- 129). ali
émis des doutes à ce sujet sur la vue d’une simple reproduction d une
demi-page. Philippe a couvert d’innombrables feuillets de son écriture
élégante ; nous avons conservé des milliers de ces feuillets : tous les
érudits qui ont étudié les trois tomes de la Chronique, La translacion de
rime en prose du livre de la Belle Béatrice et celui de Garin le Lorrain
Le Journal (auquel nous préférons donner le nom de Mémoires) ont
unanimement considéré le manuscrit 88-90 de la Bibliothèque de la
ville de Metz comme entièrement écrit de la main de Philippe. Dans
ces conditions, nous devons reproduire ce manuscrit aussi fidèlement
que possible, avec son orthographe, et en tenant compte, dans a
mesure où elle est indiquée (par de fines barres obliques), de sa ponc­
tuation.
, ,
Il est un point particulier sur lequel nous nous sommes trouve très
embarrassé, c’est quand il s’agit de séparer les mots. Il n’est pas douteux
que Philippe, ignorant ou insouciant de l’étymologie, pourtant évi­
dente pour nous, du nom de Champ à Seille, ait « coupé » Champ
Passaille (comme Champ Némery). Il n’est pas douteux qu il ait
appelé la fête de VAnnonciation « la Noncialion », en messin la Nuncialle.
Corriger Champ à Seille, corriger VAnonciation, VAnuncialle, eut ete
trahir notre auteur et falsifier notre texte. Mais Philippe n’est pas un
grammairien ni un logicien. Il écrit, au hasard de sa plume, délia pour
de là, etc. Devions-nous rendre ses phrases inintelligibles pour repro­
duire de simples fantaisies ou même de simples distractions ? Nous ne
l’avons pas cru. Nous avons résolu, pour des raisons particulières,
chaque problème particulier. Dans tous les cas où une coupure de
mots extraordinaire nous a paru correspondre soit à l’usage commun
de Metz, soit à une étymologie populaire, nous l’avons conservée ou
signalée.

II

INTRODUCTION

Au point de vue matériel, nous avons adopté une nouvelle disposi­
tion des titres courants qui nous paraît propre à faciliter les recher­
ches.
Nous renonçons, à partir du t. III, à spécifier dans les notes critiques
que les formes signalées proviennent du ms. M, puisque ce manuscrit
est devenu notre unique manuscrit de base. Le ms. A nous a servi
seulement à combler quelques lacunes.
Pour le t. IV, le ms. M (90) sera notre seule source. Il semble que
Philippe ait renoncé à écrire un brouillon (A) qu’il recopiait ensuite (M) ;
il rédigeait du premier coup un texte définitif (M), auquel il n’a pas
toujours eu le temps de mettre la dernière main : les titres marginaux
manquent en effet dans toute la dernière partie du ms. 90.
Mais, depuis l’année 1473, date de la naissance de Philippe, nous
possédons un nouvel élément de comparaison avec les Mémoires ou le
Journal de Philippe de Vigneulles (Gedenkbuch des Melzer Bürgers
Philippe de Vigneulles aus den Jahren 1471..., von Dr. Heinrich Michelant, Stuttgart, auf Kosten des litterarischen Vereins, 1852).
Les Mémoires, fort copieux en ce qui concerne la vie personnelle de
Philippe (Philippe, chose assez curieuse, y parle de lui à la troisième
personne), sont d’ailleurs assez sommaires pour le reste. Ils sont le
plus souvent une maigre ressource pour combler les lacunes du manus­
crit M. Il est extrêmement regrettable que Michelant, qui utilisait
lui aussi un manuscrit autographe, ait cru devoir, pour la facilité de la
lecture, en rajeunir et en uniformiser l’orthographe. C’est une lourde
faute, qui enlève à sa publication, d’ailleurs soignée, et même, pour
l’époque, remarquable, une grande partie de sa valeur linguistique.
Pour nous, nous avons tenu à ce que notre édition pût rendre au lin­
guiste les mêmes services qu’une édition diplomatique.
Au point de vue historique, nous ne nous faisons aucune illusion
sur les graves déficiences de notre édition. Nous sommes grammairien
nous n’avons jamais eu la prétention de faire œuvre d’historien.
Nous avons toujours eu en vue, dans la rédaction de nos notes « histo­
riques », 1 « honnête homme », et non le scholar. Pour prendre des exem­
ples précis, on trouvera dans notre tome II (p. 321, n. 1), à propos de
Arques et de Chastillon, l’indication que Arques est dans la région de
Bordeaux, et que Chaslillon est Castillon en Périgord. Nous n’avons
pas voulu faire une savante identification ; nous avons simplement
voulu éviter que le lecteur ordinaire ne confondît cet Arques avec
celui que Henri IV a rendu célèbre, et ne prît Chastillon pour un des
nombreux Châlillon qui existent dans le nord de la France. Nous sou­
lignons simplement, t. III, p. 328, une distraction de Philippe, qui

INTRODUCTION

III

a écrit successivement : le Jeudi XVe jour de Janvier, le Jeudi XVIe
jour dudit moix. Nous n’aVons pas vérifié si le 16 janvier 1495 n. st.
était un jeudi ou un vendredi. Ce n’est point là notre affaire. T. III,
p. 373, Philippe hésite entre deux dates pour la mort du roi de France
Charles VIII, 12 avril, 7 avril. Nous ne prenons point parti, et nous
laissons systématiquement de côté tous les problèmes de ce genre.
Nous ne faisons pas l’histoire du monde, ni l’histoire de Metz ; nous
publions le texte de Philippe de Vigneulles, chaussetier et citain de
Metz.
De même, nous ne nous intéressons aux documents étrangers à la
Chronique de Philippe de Vigneulles que dans la mesure où ils nous
aident à établir notre texte. C est ainsi que nous avons ignoré volon­
tairement l’original du traité de paix signé entre la cité de Metz et
René de Lorraine le 22 juin 1490 (t. III, p. 180) : cet original est en
allemand, et Philippe ne savait pas l’allemand. Nous utilisons en note
une traduction française assez médiocre et peut-être inexacte. Mais
Philippe s’est servi d’une copie analogue, ou d’un archétype d’où déri­
vent les deux copies. Nous choisissons comme point de comparaison,
pour éclairer et rendre intelligible le texte de Philippe, non pas le meil­
leur document, le plus authentique aux yeux de l’historien, celui qui
contient la « vérité historique », mais celui qui se rapproche le plus du
texte de Philippe et qui a le plus de chance d’en être la source.
Insistons ici sur un point qui doit intéresser particulièrement les
historiens : Philippe, qui est un homme fort intelligent et un excellent
conteur (l’histoire de sa prise et de sa captivité, t. III, p. 194 et sqq.,
est d’une intensité de vie prodigieuse), est capable, quand il s’agit de
documents administratifs ou de traités, rédigés dans une langue assez
abstraite et difficile, de transcrire des phrases qui ne présentent aucun
sens : c’est ainsi qu’il lui arrive, dans le traité de paix signalé plus haut,
d’oublier, à plusieurs reprises (p. 182-183), la fin d’un paragraphe et
le début du paragraphe suivant, rendant ainsi deux articles complè­
tement inintelligibles. Philippe, dès qu’il sort, pour ainsi dire, de sa
sphère, compile, et compile parfois hâtivement, brouillant les dates et
écorchant les noms. Nous n’avons jamais eu la prétention de relever
en note toutes ces erreurs ; pour le moyen âge, il était indispensable d’en
signaler quelques-unes qui eussent pu tromper même un lecteur cul­
tivé ; quand il s’agit de faits et de noms du xve siècle, ce soin devient
à peu près inutile. Une nécessité matérielle est venue s’ajouter à cette
raison de principe : nous ne pouvons dépasser, pour le t. III et pour le
t. IV de la Chronique, un nombre de pages déterminé. Il nous a fallu
restreindre progressivement, jusqu’à les supprimer entièrement, les
notes de caractère historique, ne conservant que les notes linguisti­
ques absolument indispensables à l’intelligence du texte.

IV

INTRODU CTION

Il nous reste à indiquer le caractère nouveau que prend, vers le com­
mencement du t. III (et même à la fin du t. II), l’œuvre de Philippe de
Vigneulles. Au début de sa Chronique, Philippe recopie laborieusement
des documents qu’il ne comprend pas toujours. Puis la Chronique
prend un accent plus personnel : Philippe ne se contente plus de démar­
quer Aubrion, il parle en son propre nom. Il suit encore Aubrion, mais
il l’arrange, abrégeant par ci, allongeant par là, ajoutant un détail
ou une appréciation — remettant toujours en « beau style » le rude
dialecte de l’écrivain. On voit, au cours du t. III, Philippe prendre
peu à peu des libertés plus grandes avec le texte d’Aubrion, jusqu’à
le contredire purement et simplement. A partir de 1501, le Journal
d’Aubrion cesse et Philippe est tout à fait lui-même. C’est alors que
son œuvre présente, tant au point de vue historique qu’au point de vue
linguistique, le plus grand intérêt. Sans vouloir exagérer le mérite
de notre chroniqueur — qui fut un écrivain de valeur, sinon un très
grand écrivain — on peut dire que, si sa Chronique avait disparu, il
nous manquerait non seulement un document irremplaçable pour la
connaissance du français dialectal de Metz au début du xvie siècle,
mais un témoignage infiniment précieux sur l âme messine au moment
où naissait la Réforme, à la veille du jour où Metz allait devenir une
ville française.
Enfin, et c’est sans doute la partie la plus agréable de notre tâche,
nous devons remercier bien sincèrement M. Clément, Directeur des
Musées et de la Bibliothèque de la ville de Metz. Nous avons déjà dit
les services que nous avait rendus ce dévoué conservateur d’un magni­
fique dépôt : il a mis gracieusement à notre disposition, à Nancy, les
précieux manuscrits de la Chronique pendant tout le temps qui nous
a été nécessaire. Nous devons aujourd’hui faire l’éloge de l’artiste :
il s’est attaché, avec une sûreté de goût impeccable, au prix d’un tra­
vail de bénédictin, à reproduire la gravure en couleur qui figure en
tête de ce volume (1) ; grâce à M. Clément, les lecteurs de Philippe
de Vigneulles pourront se rendre compte de ce que fut jadis l’illustra­
tion (aujourd’hui en grande partie disparue) dont Philippe avait
décoré le manuscrit autographe de la Chronique.
Nancy, le 29 février 1932.
Charles Bruneau.

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dessins*1 avec îes dessfns originaux de Philippe qui ont submsté permet de
constater leur parfaite exactitude.

LIVRE

IV

EMTREPRINSE DU DUC NICOLAS DE LORAINNE POUR AVOIR METS
PAR EMBLÉE.

Louuange ° soit à Dieu le perre, qui tout fist et créa, et du limon de
la terre Adam et Eve fist et forma ! Soit son sainct nom sanctifiés et
bénis, quant il m’ait donnés celle graice d’avoir parfait et fornis les
trois premier livre de mon euvre. Rest maintenent à veoir que je puisse,
par son infinie graice, le quairt livre eschevir et parfaire.
Mil iiijc Ixxiij. — Et, premier, me convenrait dire cornent, en cest
présante année, corrant le milliair par mil quaitre cenc LXXIII, qui fut
en l’an XXXIIIIe de l’empire du devent dit Phéderich l’empereur,
fut alors fait et créés pour maistre eschevin de la noble cité de Mets le
sire Pierre le Gournaix, chevalier.
Et, en celle devent dicte année, avint des chose merveilleuse et
estrange, tant en la dicte cité de Mets corne aultre part.
Et, premier, avint en ycelle cité ung grant cas merveilleux et amirative, et une résistance faictes par le peuple d’icelle plus par miracle de
Dieu que par la force des hommes. Le cas fut tel que le devent dit
Nicollas, alors noviaulx duc en Loherenne, prepousait et déterminait de
voulloir prandre et supéditer la devent dicte cité de Mets par une
secrète amblée mallicieusement faicte et en couverte, ce que ces prédicesseur n’avoient peu faire à force d’arme. Ne n’avoit on alors ques­
tion à luy ne hayne aulcune. Et, de fait, pour mieulx couvrir son cas,
il mandait ses hommes féodal, c’est assavoir tous ceulx de la devent
dicte cité qui tenoient terre ou signourie en fîedz de luy. Et, sen deffier
la ville ne les habitans d’icelle, prepousait de la prandre et tout destruire,
femme et anfïans ; et ainssy l’avoit il comendés. O couraige mallin,
escorpion satanicque, cuer insaciable, plains d’envie et de mallice,
serait tu jamaix soullés ? Quant, pour ung peu de gloire vaine et mondaigne, veult et ais bien le couraige de ung cy noble peuple destruire
et mestre à fin ! Hélas ! quantez pouvre créature en fussent estés gectés
sus le pavés, mort et sanglans, femme grosse, vierge, pucelle et anfïans,

«. Ms, 839 [89], /° 155 r°.

2

1473, AVRIL. — LE DUC NICOLAS TENTE DE PRENDRE METZ

que jamaix mal ne te firent ! O ! quelle désolacion et quelle ruine fusse
estés ! Quant lairmes et hideux cris heussent estés ce jour gectés, ce le
benoît Créateur, par sa infinie bontés, ne les eust secourus et aydés !
Toutteffois, comme il pleut à sa miséricorde, il ne parmit pas que le
devent dit Nicollas eust joïssance de sa malvaise voulluntés.
Mais, pour revenir a prepos, ce le cas voullés sçavoir, escoutés et
retenés.
xviijc chevaulz et vj mil piéton. — Il est vray que, en la devent dicte
année, le jeudi devent la Florie Paicque, que nous disons les Paulme,
qui fut le VIIIe jour du moix d’apvril, ce partit le duc a plus secrète­
ment qu’il polt de sa ville de Nancy. Et, avec son armée, qui estoit
environ de XVI à XVIIIe chevaulx et de VI mil piéton, c’en vint le
plus couvertement qu’il fut possible jusques à sa ville du Pont, cen
ce que la plus part de ces gens sceussent là où il voulloit aller. Et alors,
en ce lieu, leur desclaira son couraige et intencion. Par quoy, après ce
que l’avuaine fut donnée au chevaulx, ce mirent de nuit en chemin,
en tirant droit à celle noble cité. Et tellement que, le vandredy, du
matin, IXe jour d’icelluy moix d’apvril, entre quaitre et sineqz heure,
vinrent abourder devent la dicte cité du cousté devers l’église de Sainct
Arnoult et là entour ; et tellement que, eulx estant bien sarrés, tenoient
jusques près de Sainct Laidre.
Les Lorains dedens Mets. — Et, alors que les deux portiers, avec le
chaitellain, ouvrirent la pourte Champenoise, lesdit Loherains, sen dire
mot, entrairent dedens avec deux cher, pour abuser les pourtiet. Dont
l’ung estoit chargiés de certains tonniaulx plains de martiaulx et de
tricquoise et aultre engiens et instrument de guerre ; et, dessus l’aultre,
y avoit ung engiens de bois bien subtillement et ingénieusement fait,
qui estoit couvers, affin c’on ne le vît. Et ce arestait et ce mist celluy
premier cher au dessoubz de la premier pourte, c’est assavoir du chaisteaulx et du dedans de la ville. Et là, tout à copt, dressairent les dit
Loherains qui à cest affaire estoient commis celluy engiens dessoubz les
gros paulx de la pourte collisse 1, affin que yceulx paulx ne cheissent
à l’avallée, et que l’on passait par dessoubz.
Le portier tués par les Lorains. — Quant l’ung d’iceulx portiés, qui ce
nommoit Pierson, vit tant de gens, et qu’il les vit ainssy arester, non
sçaichant qu’il faisoient, ce couroussait, disant : « Que faictes vous ?
Que ne tirés vous avent ? » Mais, incontinent après ce dit, fut ampoigniés ledit portiet, et tout roide fut tués en la plaice. Par quoylechaistellains, ce voiant, s’en fuyt a loing du baille 2, avec les clef du chaistiaulx, qu’il pourtoit dessus son bras.
Cy entrairent alors lesdit Loherains cen contredit. Et à hault ton ont
sonnés leur trompette ; puis desploiairent leur estandairt et guidon en

1. Porte coulisse est dans le roman de Renart. Coulis (vent coulis) est fait sur couler
comme levis (leveïs) sur lever.
2. Baile, enceinte retranhée.

1473, AVRIL. — LES MESSINS REPOUSSENT LES LORRAINS

3

escriant : « Ville gaingnié ! Tués tout, femmes et anffans ! N’espairgniés riens ! » Hélas ! quel piteuse sentance et piteux cris ! Bien peu
leur coustoient à les avoir nouris L
Mais Dieu, par sa pitiés et bontés, ne le voult permettre ne souffrir.
Ainsois, inspirant ung boulangier demourant après de celle porte,
lequelle, oyant le bruit, saillit dehors en la rue, et, voiant qu’il serchoient l’entrée pour monter hault on chasteaulx dessus la porte,
affin de mestre leur estandairt dessus ycelle et a plus hault de la tour,
et, pour ce qu’il ne sçavoient trouver l’entrée, celluy boullungier ce
avensait, faindant de les y mener. Puis, quant il fut au dedens de l’uys,
les emfermait dehors ; et, avec l’ayde d’aulcuns aultres, firent cheoir les
gros pal à l’avallée, et tellement que, en cheant, en y oit ung qui cousit 12
ledit angiens, et trespersait le cher tout parmy. Et cheurent tous,
réservés ung qui ne voult courir. Et alors, voiant que yceulx Loherains
n’avoient plus de suites, car les aultres de dehors ne pouuoient entrer
dedans, les voisins de là entour ce esmeurent. Et, comme gens esperdus,
s’en alloient parmi les rue de la cité braiant et à haulte voix criant :
« Alairme ! Ayde et secour à la porte Champenoise ! Car les Loherains
sont dedans ! » Et pour ce braioient et crioient ainssy haultement par
les rue pour la cause que il estoit encor cy matin que la plus part des
gens oysif, comme les seigneurs, les soldoieurs et plusieurs aultres
manier de gens estoient encor dessus le lit. Par quoy, tout incontinent,
le menus peuple se esmeust aux armes, et sortissoient de leur maison,
sen tenir ordre ne mesure ; et, comme gens de couraige, nus et deschaulx comme il estoient, avec palz et massue, et avec bêche et houues
ou aultre hutancille, telz que chacun les pouuoit trouver, ce mirent au
devant des annemis en deffandant leur corps et leur biens. Et tinrent
bon, et très virillement ce deffandirent jusques tant que aulcuns hom­
mes d’armes se fussent armés et venus.
Les Lorains repoulcés par ceulx de Mets. — Alors y oit belle escarmoche du dedens de la porte. Auquel lieu plusieurs d’iceulx Lorains
furent tués, et plusieurs aultres y furent griefment blessiet et navrés.
Aussy, durent ces entrefaicte, les bouchier de la Viez Boucherie ce
mirent en deffence ; et ruoient les aulcuns par leur fenestre palz, fuste,
chayr, tauble et trétiaulx, pour ampeschier la rue.
Et furent d’iceulx ennemis environ le nombre de Ve dedans la cité,
jusques tout dedans la Viez Boucherie, et encor plus avent. Mais,
quant il virent et aperseurent que leur gens ne venoient plus après, il
furent bien estonnés et esbays, et non sans cause, car ceulx de dehors
ne polloient entrer, comme dit est, par les palz ainssy cheus. Par quoy
bien viste retournairent arrier, et ce salvoit qui ce polloit salver. Et
à toutte paine passoient, les ung après les aultrez, par dessoubz ycelluy
palz qui estoit demourés à cheoir, ou par dessoubz le cher.

1. Philippe pense ici aux enfants : on voyait bien que ce n’étaient pas les leurs%. Coudre a ici la valeur de clouer.

4

1473

,

AVRIL. — LES MESSINS REPOUSSENT LES LORRAINS

Barlel Crantze, dit la Grant Bairbe, tués, avec plussieur aullre. — Et, à
celle folle et tampeste, en y eust heu daventaige plus de deux cenc des
tués, se se ne fust estés la vaillance et proesse d’ung très vaillant homme
d’armes allemans, nommés seigneur Barthtel Crance, grant conceillier
du Palsegrève, ou aultrement nommés la Grant Barbes, ad cause de la
bairbe qu’il pourtoit. Lequelle, ce jour, en salvait à plusieurs la vie ;
car il deffandoit le pas. Et pourtoit cellui le grant estandart, auquelle
y avoit ung sainct Mertin à cheval figurés dedans et brodés en rouge
soye, avec plusieurs devise et escripture en lettre d’or. Touteffois, à la
fin, luy meisme y fut tués ; car, quant il cuidait recullés, il ne polt.
Par quoy il fut gectés sus le pavés, et illec, tousjour criant : «Callabre ! »
jusques à la mort, fut asommés. Et avec luy plusieurs aultres, jusques
a nombre de XXXIII ou XXXV. Entre lesquelles fut encor tués ung
jantil homme qui ce appelloit Jaicob, grant maistre d’ostel d’icellui
seigneur Palsegrève, lequelle pourtoit ung pennon de fine soye sanguigne
et blanche. Paireillement, en celle escairmouche, en y oit plusieurs des
blessiez jusques à la mort. Et environ L en furent prins ; lesquelles
incontinent furent logiés et mis en l’hostel de ville, affin de les interroguer et sçavoir d’eulx plus à plains la vérité du fait. Puis, après que l’on
ce fut bien enquis, l’on les mist d’une part ; et en fist on comme on en
devoit faire. Les aultres qui furent tués en ycelluy effroy furent tous
recueillis dessus ung cher parmy la ville, et furent tous mis ensemble
en une fosse en terre prophane à Saint Loys. Gasper de Raville, mar­
chai de Loherenne, fut fort blessiés en celle escarmouche ; et y fut en
grand dangier de sa vie, car il fut rués à terre, et fut traynés par ces
serviteurs hors de la porte et par la teste et par les piedz ; et en furent
d’iceulx serviteur deux des tués dessus luy pour luy salver : car aultre­
ment, c’il n’eust estés bien secourus, il eust esté ou mort ou prins.
Et, en celle avanture, de ceulx de la cité, n’en y oit que deux des tués,
avec ung fol et ung porciaulx. Les Loherains, ainssy reboutés, retour­
naient en grant peur et crainte bien vistement hors de la cité ; et
furent bien joieulx ceulx qui polrent eschapper.
Le duc, avec son armée, devent Saint Fiacre. — Alors que ces chose se
faisoient, estoit le duc Nicollas en personne, bien acompaigniés de tous
les plus noble de sa court, devent la petitte église de Sainct Fiaicre,
moult noblement acoustrés et montés. Lequelle prepousoit et avoit
intencion de mettre ycelle noble cité en sa subjection, et, daventaige,
de tuer et murdrir tous les seigneurs et soldoieurs et tous ceulx qu’il
rencontrerait et trouvenroit en place et en défiance. Et disoient les
aulcuns, encor plus fort, qu’il avoit recomendés que l’on tuait tout,
sans nulz espairgnier, femme ny anffans. Maix Dieu, par sa grant
miséricorde et bénigne bonté, ne voult permestre que ung tel exécrable
et inhumains meschief fut faict ne perpétrés. Graice en ait il mil fois,
et son sainct nom en soit bénis et loués !
Et, alors que le duc estoit en ce heu, atendant, luy et les siens, avec
grosse puissance, c’on les fesît mairchier (et estoient bien esbaïs, puis

1473,

AVRIL. — LES MESSINS REPOUSSENT LES LORRAINS

5

que la porte estoit gaignié, qu’il faisoient tant illec c’on ne marchoit
avant), virent1 adoncquez les plusieurs c’en retourner fuyant, et moult
affrehéement 2, tant qu’il pouuoient, et à haulte vois c’en alloient
criant : « Fuyés, sire, fuyés ! Car tous vous gens qui entrés estoient
sont perdus et gaistés. » Et cuidoient yceulx, cy grant peur avoient il,
que toutte la cité fut en armes et chassait après (comme il heussent
fait, c’il n’eussent crains traïson, et qu’il eussent sceu la chose comme
elle estoit).
Le duc se retire aux Pont. — Les nouvelles oyees de celle avenue, fut
le duc merveilleusement couroussiet et dollans, et autant de la honte
que de la perde ; et tellement que, c’il n’enraigeoit, il n’en pouoit plus.
Et, en celle tritresse, rongeant ung batton qu’il tenoit, s’en sont bien
viste retournés le chemin du Pont ; ne jamaix ne laichirent le courre
jusques qu’il furent au lieu. Et heurent deux effroy en chemin, pour
lesquelles il s’aifoursoient de hastivement courir : car il cuydoient et a
vray que lesdit de Mets les eussent mis en chesse et courussent après
eulx.
Comendement de retirés les bien à la ville, avec aultre ordonnance. —
Mais il n’en fut rien fait. Ains furent les porte close ; et se sont les sei­
gneurs retirés en conseil pour sçavoir et déterminés qu’il estoit bon de
faire. Et, incontinent, furent mandés les bonnes gens que chacun ce
retirait avec ces biens en la cité. Et furent faictes plusieurs belle ordon­
nance touchant la gairde et la defïance d’icelle, tant aux pourte comme
sur la muraille.
Les guidon conquestés mys â la Grant Église. — Cecy fait, on assamblait les baniers, les estandart et guidons ; et fist on faire certaines
potance de fer sus lesquelles furent mise et estandue, essés hault,
encontre les gros pillés devent Nottre Damme la Reonde. Et, primier,
y avoit les deux estandairt devent dictez, que la Grand Bairbe et le
devent [dit] Jaicob portoient, l’une où estoit le sainct Mertin, etl’aultre
sanguigne et blan ; la tier estoit jalne, en laquelle du travers y avoit
une barre de guelle et trois aliénons d’ergent dedans ; la quaitriesme
estoit ung pennonciaulx de trois colleur, c’est assavoir de rouge soye,
perse et blanche ; quintement y avoit ung petit pennon blan, auquelle
en meilieu y avoit ung escus jalne, et en ycelluy escus y avoit du travers
une bairre de guelle avec les trois aliénons d’ergent dedans, et parmy
le champs d’icelluy penon y avoit plusieurs petitte croisette de sable,
et fut dit que c’estoit le pennon de Rousiers au dellà de Sainct Nicollas.
Et furent touttes lesdictes baniers, estendars et guidons mise en la dicte
Grant Église au lieu dessus nommés.
Responce de ceulx de Mets aux Lorains. ■— Tantost après, et a lundemains de celle aventureuse journée, les noble et jentilz hommes du
païs de Loheraine ont heu rescript au seigneurs et gouverneurs de la
1. Le sujet de virent est : le duc et les siens.
2. Esjreéement, tumultueusement.

6

1473

,

JUILLET. — TRÊVES ENTRE LES MESSINS ET LES LORRAINS

devent dicte cité, disant se il ce debvent garder d’eulx pour ycelle
devent dicte entreprinse que leur prinse leur avoit faictes. A yceulx
messaigier respondirent les seigneurs devent dit qu’il c’en retournissent
à leur maistres qui les avoient envoiés, et que, départ eulx, leur dissent
que, moyenant la graice de Dieu, il ce avoient du passés bien gouvernés,
et que, encor du tampts venant, moienant ycelle graice, ilz avoient
intencion de bien percévérer, et qu’il sçavoient bien qu’il en avoient
à faire a. Ne aultre responce n’eurent lesdit messagier ; et s’en retournirent avec ce qu’il avoient trouvés.
Puis, tout en ung instant, vint ung hérault d’arme on non dudit duc
Nicollas ; et demandoit cellui on nom de son maistre que on lui rendist
les prisonniers lesquelles à celle journée avoient estés prins. Mais il luy
fut respondus, par la bouche du seigneur Nicolle Roucel l’annés, qu’il
n’en avoient nulz. Et, alors, ledit hérault luy demanda et dit : « Sire,
à qui diray je que j’aye parlés ?» — « Dis luy que tu as parlés au fdz
sa merre ». Et puis, ce dit, luy comenda qu’il c’en aillait bien vistement
c’il ne voulloit perdre, et que plus il n’arestait en la cité. Adont s’en
retournait le dit hérault, et ne fïnait d’aïrer jusques il vint à son maistre.
Lequelle, oyant la responce, comme hors du sens, comenda à faire
toutte préparacions et tout tant qu’il estoit nécessaire à tenir sciège.
Et, de fait, le pains fut cuit ; et fist faire mentel \ artillerie, et tous
instrument d’aprouche ; et fist tirer toutte son artillerie hors des porte
de Nancey.
La mort du duc Nicolas âNancei. — Mais, ainssy comme il pleut à Dieu,
le lundemains qu’il ce cuidoit partir pour venir devent Mets, une
malladie le print, de laquelle bientost après il mourut à Nancey.
Tresves entre ceul[x] de Mets et de Loraine. — Alors les noble de
Loherenne, voiant l’accident, firent fermer les portes de la ville, et
tinrent la chose le plus secrette qu’il leur fut possible, et bien hastivement envoiairent devers messire George, évesque de Mets. Lequel,
on nom de tout le conseil de Loherenne, fut envoiés en la dicte cité.
Et en toutte diligence y vint, et tellement fist qu’il trouvait manier et
procurait tant qu’il obtint les tresves avec lesdit de Mets : car lesdit
Loherains ce craindoient fort, ad cause qu’il n’avoient point de chief.
Et firent celle chose ainssy secrètement avent que lesdit de Mets
sceussent riens de la malladie ne de la mort d’icelluy duc ; et furent les
tresves seellées et d’ung coustés et d’aultre. Mais, ce lesdit de Mets
eussent sceu l’avenue, et qu’il eussent estes advertis de la mort dudit
Nicollas, il en eust estés fait autrement, ne jay paix ny acord n’y fût
estés trouvés jusquez ad ce qu’il eussent estés vangiés et repairés de
leur perde et domaige.
Lesdit Loherains, à leurs despart de la cité, lassèrent plusieurs
instrument de guerre. Premier, leur engins, trois hacquebutte, plusieurs

a. M : affaire.
1. Mantelet, abri de madriers sous lequel les assaillants avancent à couvert.

1473. — MESURES DE DÉFENSE A METZ

7

tricquoize et martiaulx, et encor plusieurs aultres baston de defïance,
lesquelles furent tous prins et mis en la grainge de la ville avec les aultre
artillement.
ij cher chairgés de gens mors et navrés. ■—■ Aussy n’est point à oblier
qu’il fut depuis sceu, et a vray, que, à celle fuytte que firent lesdit
Loherains, il en remenairent avec eulx deux cher chargiez de leur gens,
tant des mors que des navrés.
Les seigneur des fiedz retourne à Mets. — Paireillement, devés sçavoir
cornent, durant celle antreprinse, les hommes d’armes de la cité qui
avoient estés envoiez en Loheraine pour deservir les fiedz de leur
seigneurs furent détenus en une petitte bonne ville entre Toul et Sainct
Nicollas, nommée Gondreville. Mais, quant il 1 virent qu’il avoient
faillis de leur entreprinse, il leur fut donnés congiez ; et retournirent en
Mets le dimenche de la Florye Paicque.
Emviron l prisonnier. — Aussy devés entandre que, à celle journée,
quant les Loherains virent que leur cas ce pourtoit mal, les aulcuns ce
mirent en fuyt hors de leur bande ; d’aultre furent trouvés quaichiez
en aulcuns gerdins ou lieu détournés hors de la ville ; et plusieurs furent
trouvés en Mets en des celliés et aultre lieu hors de voye. De tout les­
quelles en fut bien menés environ L en la maison de la ville.
Cy lairés de celle journée le parler, et vous dirés des aultres ordon­
nance que après ce tampts furent faictes en la cité.
Huchemenl. — Premier, tantost a mardi après celle journée, par
l’ordonnance de Justice et du Conseille, fut fait ung cris et ung huchement en la cité que nulz ne nulles, quel qu’il fussent, ne tenissent
plait ne parollez de nulle assemblée qui se feissent par dehors, ne aussy
de nulle armée que les Loherains ne aultres feissent. Et, encor, fut criés
que nulle femme ne enfïant ne saillissent hors de leur hostel ne ne feissent
cris ne noise, se nulz efïroys venoit. Et, paireillement, que nulz ne
feissent nulles assemblée pour aller dehors au champs à leur adventure,
sans le congiés et licence des Septz de la guerre. Et fut se fait pour tant
que les gens n’eussent nulles mutacion et qu’il fussent plus réconfortés.
Les arbres du grant Saulcis abatus. — Paireillement, et en celluy jour
meisme, on fist coupper et abbaistre tout le grant Saulcey, devent le
pont des Mors, et tous les arbres et tous les menoirs de tous les jardins
estant alors par devent les portes de la cité.
Offrande présentée par la cité. — Item, le jour du Grant Vendredi
ensuient, on fist apourter en Mets la fiertés du benoît sainct Clément,
premier apostolle et évesque de cest cité ; et fut révéramment mise et
pousée en la Grande Église kathédralles d’icelles cité. Et puis, de part
le Conseille, fut donnés deux sierges pour ardre et bruller devent Nostre
Damme la Ronde, chacun pesant XII livrez ; et, paireillement, au
benoît sainct Clément, deux sierges, chacun pesant de VI livrez. Et

1. Il représente ici les Lorrains.

8

1473

.

— MESURES DE DÉFENSE A METZ

furent yceulx sierges armoiez des armes de la dicte cité. Et fut ce fait
à l’onneur de Dieu, et en remerciant la bonne damme sa merre et le
benoît sainct Clément, moyennant lesquelles et par leurs intercession
ladicte cité avoit heu ayde et victoire, et estoit demourée en sa fran­
chise et libertés.
Aulcuns bannys de la ville. — Puis, au lundemains, qui fut le Grant
Samedi, l’on fist vuyder hors de Saincte Glossine damme Jehanne de
Lussy, nonnain dudit lieu, et niepce au seigneur Jehan de Toullon,
chevallier. Paireillement fist on a seigneurBerthemin, de Sainct Arnoult,
frère à la dicte damme Jehanne, et gouverneurs d’icellui monastère.
Et la cause pour quoy fut pour ce que on les tenoit suspect pour cause
dudit seigneur Jehan de Toullon, leur oncle, et de leurs aultres amis de
Loherenne.
Le dairier de Sainte Glodsine abatus par ordonance. — Et, avec ce,
fut comendé de abaistre et aruiner tout ce de menoirs d’icelle église
Saincte Glossine qui touchoit à la muraille de la cité.
Édict publiés pour assemblés le peuple. -— Item, le mairdi des festes de
Pasques ensuyvant, l’on fist commander par toute la cité que, dès
incontinant que l’on oyroit sonner une cloche en l’église de Saincte
Croix en Jurue, que chacun fust prest et embastonnés comme pour
entrer en baitaille. Et, avec ce, fut ordonnés par les banneret des
paroiche de une partie ce trouver on mairchief en Chambre, et les
aultres on Champs Paissaille, cellon qu’il leur fut dit et comendés.
Et fut ce fait pour tant et afïïn que, se le cas avenoit, de nuyt ne de
jours, que aulcuns effroy se fist, chacun fût ordonnés et avertis du lieu
là où il deveroit aller pour la défiance du puple et de toutte la
cité.
Ce jours meisme morrut ung gentil homme, appellé Évrard de Dulenge, lequel avoit estés prins à la devent dicte journée des Loherains ;
et y fut tellement navrés qu’il en mourut.
iiij contes en Mets. — Item, au lundemains, qui fut le maicredi des
festes de Pasques, il fut dit et rapourtés en Mets que à ycelle meslée,
c’est assavoir a jour que lesdit Loherains firent leur entreprinse, il y oit
dedans la cité quaitre contes à l’aide du duc de Loheranne, lesqueulx °
à grant meschief se salvairent à saillir dehors et le gaingnairent à la
fuyte. Lesdit conte estoient le conte de Salme, seigneur de Wivier, le
conte de Salverne et les deux contes de Dinange. Et y laissait le conte
de Salme sa banière.
Noirembercg quasy surprime; xviijc des tués. — Et, paireillement à ce
meisme jour, vinrent nouvelle en Mets que, au propre jour du vandredi
devent les Palme que yceulx Loherains firent leur entreprinse, le riche
duc d’Allemaigne voult tout en la meisme fasson prendre la cité de
Noiremberch d’emblée. Mais, comme on dit, les seigneurs et gouver­
neurs d’icelle en furent advertis par ung homme qui en ce meisme

a. M : lesqieeulx.

1473. — PAIX ENTRE LA CITÉ DE METZ ET LES CHANOINES

9

jours estoit sortis hors de la cité pour les attendre. Par quoy il fut
conclus et déterminés en leur conseil que l’on en laisseroit entrer dedans
la dicte cité ung nombre d’iceulx leur annemis, et puis que l’on frappe­
rait sur eulx par bonne fasson. Et ainssy en fut faict, tellement qu’il
en y oit bien XVIIIe des tués, desquelz il y avoit environ quaitre cenc
gentilz hommes.

[ÉVÉNEMENTS DIVERS AU PAYS DE METZ, EN FRANCE
ET A L'ÉTRANGER].

Item, en celle dicte année, le jour de sainct Marcque escheut au jour
du dimenche de Casimodo ; par quoy, à ce jour, ne fut faicte la porcession, ne abtinance aulcune, jusqu es au lundemains. Et, à ycelle porcession, l’on ne fut point hors des portes ; ains fut celle porcession tant
seullement faicte par dedans la cité, sans plus, pour les cause devent
dictes. Et, néanmoins, l’on fist une très belle porcession, et en laquelle
y avoit beacopt de gens et en belle ordonnance. Et, avec ce, estoient
embastonnez ; et touctes les portes bien gardées, comme il appertenoit.
Esclipse de soleil et de lune. — Biaulcopt d’aultre merveille avindrent
en celluy tamps. Entre lesquelles, le XXVIIe jour d’apvril, on vit la
lune et le soleil ensemble, environ l’heure de V heure du matin ; et
estoient de colleur non acoustumée, car le soilleil estoit blanc, et la
lune noir, en semblance d’ung visaige. Et disoient les aulcuns que
c’estoit éclipses ; et les aultres disoient que c’estoit la conjoinction de
la lune que se refaisoit à cellui jour ; et aulcuns aultres disoient que
c’estoit ung signe d’aulcune chose ad venir. Touteffois, ilz ne sçavoient
riens de la commette que s’avoit desmontrés on ciel en l’an LXXI ;
et sembloit qu’elle avoit aulcunement démonstrés son effect et sa
fasson, pour la guerre en laquelle alors estoient lesdit de Mets.
Plainne aliance des seigneur de Mets avec les chanoingne. —- Puis,
avint que, tantost après en la devent dicte année mil quaitre cent
LXXIII, le XIe jour de may, les chanonnes de la Grant Église d’icelle
cité de Mets furent ralliés et reconseilliés avec la dicte cité. Et, de fait,
ce monstrairent cy bons amis qu’il présentairent à la seigneurie d’icelle
ayde de tous leurs biens et de toucte leur puissance; de quoy l’on fut
bien joieulx.
Porcession généralle; el ordonnée de chacun ans faire ainsi. — En celle
meisme année, le vandredi XXIe jour d’icelluy moix de may, fut faictes
par l’ordonnance des seigneurs et recteurs de la chose publicquez une
porcession généralle à l’église de Sainct Vincent en Mets. Et, à ycelle
porcession, y furent pourtés le chief le glorieulx sainct Estienne, pre­
mier martir et paltron de la cité, la fierte sainct Clément, premier
apostolle et évesque d’icelle cité, et le corps, avec le chief, du benoît

10

1473

.

—■ PROCESSION COMMÉMORATIVE FONDÉE A METZ

sainct Levier, chevallier de Jhésu Crist, et yssus de noble sanc d’icelle
cité. Et fut ycelle porcession moult noblement ordonnée ; et, avec ce,
y fut ycelle ordonnance moult bien tenue et gardée, et sans faulcer.
Car, tout premièrement, les fiertés, avec les gens d’Église, furent mis
tout devent. Puis le chief sainct Estienne aprez, et touttes la seigneurie ;
et les hommez, bien embastonnés, après, sans ce qu’il ce y boutait fille
ne femmes. Puis, aprez les hommes, aboient les dammes ; et, après elles,
aboient touttes les aultres femme tout derrier, sans desmairchier les
une avent que les aultres. Et disoient les aulcuns qu’il y avoit en celle
porcession environ XVII mil parsonne, sans les anffans. Et, durant la
grant messe, qui fut sollenellement chantée et célébrée à Sainct Vincent,
y fut faictes une prédicacion par maistre Nicolle Classequin, qui alors
estoit ung vénérable docteur de l’Ordre des Frères Prescheur, moult
honnorable et scientificque personne, et qui bien soit déclairer le
miracle que le benoy Dieu y avoit monstrés, et qui avoit estés fait de la
victoire que la dicte cité avoit obtenue et heue : car, comme il dit, ce
avoit estés fait plus par miracle de Dieu que par la force des hommes.
Par quoy 0 , affin de l’en remercier, et en déjectant le péchiez d'ingrati­
tude, avoit estés ordonnée à tousjourmaix celle pourcession.
Messe et suffrage ordonnée et raniée pour tousjour. — Et aussy, à celle
occasion, furent plusieurs messes fondée, que les seigneurs de la cité
avoient arentés et ordonnés. Et furent ycelle messe dictes et célébrée
tous les jours, avent que la chappelle de la cité fut faicte, à l’autel de
a Magdallainne en la Grant Église d’icelle cité ; laquelle chappebe
ait depuis estés faictes à celle occasion. Dont la primier messe ce dit le
dimenche, et ce chante du jour et cellon le tampts ; le lundi sont deux
messes, l’une on non de sainct Jehan évengébste, à qui la cité fut
recomendée, et l’aultre messe pour les trespassés ; le mardi, une messe
on nom de sainct Clément, premier paltron de la cité ; le mécredi, une
messe on non de saincte Barbe, vierge et martire ; et, le jeudi, on nom
de mon seigneur sainct Estienne ; le vendredi, on nom de la vraye croix
de Jhésu Crist ; et, le samedi, on nom de l’Incarnacion de la glorieuse
Vierge Marie. Et ainssy le fut dit et publicquement preschiez par le
devent dit vénérable docteur maistre Nicolle Classequin.
Laquelle porcession annuelles, dont celle cy fut la premier, ait depuis
ce tamps estés transmuées et maintenue à telz jour que fut la victoire
de celle entrée, comme tous les ans il ce monstre, le vandredi devent la
Paisques Florie. Et ycelle messe fondées et ordonnées de dire tous les
jour sont à présent dictes et chantées, avec plusieurs aultres biaulx
service que l’on n’y ait*1 ajoustés, en la devent dicte chaipelle de la cité
devent la Grant Église, laquelle, comme dit est devent, ait depuis
à celle occasion estés faictes et fabricquée.
Les Rogacion, que nous appelions les Grant Croix, vinrent et furent

a. M. Philippe a écrit deux fois parquoy, au bas du /° 171 v° et au haut du /“ 172 r°.
1. Que l’on y a ajoutés.

1473, JUILLET. — TRÊVES ENTRE METZ ET LES LORRAINS

11

a jour qu’elle ont acoustumés d’estre. Mais, pour la guerre qui alors
estoit, l’on ne fut point hors de la cité, ains ce firent tous les trois jours
par dedent ycelle, sen nullement sortir dehors ; car, en celluy tampts,
l’on ce doubtoit tous jours de traïson.
Le guet renforsés. — Par quoy ce renforsoit le guet sus la muraille.
Et, paireillement, dessus les portes, y furent mis les gairdains à double
tour. Aussy fut renforciet le gait du Champaissaille ; tellement que,
pour une fois la semaigne que les seigneurs ou bourgeois sont tenus d’y
aller, il y convenoit aller trois fois.
Item, en celle dicte année, fut merveilleusement bel et chault le mois
d’apvril. Et paireillement, et daventaige, en moix de may : car celluy
moix fut cy chault que l’on ne pouoit durer. A l’ocausion de quoy les
biens de terre estoient cy treffort avenciet que c’estoit merveille. Et
tellement que, a jour de Quasymodo, on avoit le mirguet tout flory ; et,
au premier jour de may, on vendoit des frèses devent l’Église et au
plain merchief. Au mey may, on vendoit les serizes à la livre ; et, à la
fin du moix de may, toutes les vigne estoient en verjus ; et vandoit
on des pois nouviaulx à grant planté devent le Grant Moustiet.
Plussieur homme d'arme aux gaige de la cité. — On moix de jung après,
vindrent et arrivairent à Mets, pour estre au gaige de la cité, plusieurs
chevaliers et gentilz hommes allemans de dessus le Rin ; et, entre les
aultrez, y avoit environ XL chevaulx des gens du duc Loys. Et, en ce
meisme tamps, y vint aussy ung gentil homme appellé Henry Basquenac, lequel estoit Braibanson, de la ville de Nivelle ; et estoit celluy
très bien montés et en point.
Item, avint en ce meisme tempts que ung jantilz homme, nommés
seigneur Michiel de Cunehen, escuier, lequelle alors demourant 1 en la
cité (et y fut haultement mariés, tellement que depuis seigneur Ré­
gnault le Gournaix oit sa fille apossées), celluy seigneur Michiel, en
retournant de son pais et en passant parmy Loherenne, il fut arestés ;
et fut détenus par l’espaisse de XVI sepmaigne prisonniers.
Vin à une angevingne la quairle. — Puis avint, le Ve jour du moix de
juillet après, en l’an dessus dit, que on vandoit vin à Sainct Vincent
en Mets à deux angevigne la quairte ; et, à Saincte Glossine, l’on en
avoit pour une engevinne tant que on voulloit.
Grant chailleur. — Car, en celluy tampts, il faisoit cy grant challeur
et estoit le tamps cy biaulx que les biens amendoient à merveille. Et
fist cy grant challeur le IXe jour d’icelluy moix, et encor plusieurs
journée après, que plusieurs gens ce moroient de challeur. Et, de fait,
en celluy tempts, les souldoieurs de la cité c’en estoient allés courre
encontre les Lorains ; mais il eurent sy grant chault et furent cy estouffés qu’il en y oit plusieurs des mallades, et environ VIII chevaulx
mors.
Trêves entre les Lorains et ceulx de Mets. — Item, en ce meisme moix,

1. Il faut corriger : démolirait.

12

1473,

JUILLET. — TRÊVES ENTRE METZ ET LES LORRAINS

le XVIe jour, furent faicte tresves entre la cité et les devent dit Loherains. En tel manier qu’il fut huchiés sur la pier devent le Grant Mostier,
a lieu à ce faire acoustumés, que nulz des menans de la cité ne de la
terre et seigneurie d’icelle ne feissent course ne riblerie sur aulcuns du
pays de Loherainne ne de toutte la seigneurie d’icelle duchiez, ne
paireillement en tout le mairquisaige du Pont ; ne aussy que nulz
desdit subgectz de la cité ne partissent ne allissent ne ne venissent en la
dicte duchiez de Loherainne ne mairquisaige du Pont ; et, quilcuncques
aultrement le ferait, serait acquis de corps et de biens. Et ce fut fait
pour certains proparler qui estoient entre les parties, de gens essés
malz discrette, lesquelles ne faisoient que l’engaigier.
Et, à ce jour meisme que ce huchement fut fait, l’on vandoit vin
à Sainct Vincent à une angevigne la quairte. Et, tousteffois, par la
challeur que alors il faisoit, une grant partie des verjus cheoient, ou il
craitissoient aux septz 1 en plusieurs vigne.
Item, le XXIIe jour de juillet, morut et déviait de ce monde le
seigneurs Geoffroy de Warize, chevallier et eschevin du pallais de Mets.
Dont ce fut grant domaige de la mort d’ung telz parsonnaige.
Parpignan prinse par le roi d’Arragon. — Après ces chose ainssy
faictes et advenue, et durant ce tampts, le roy d’Arragon fist entreprinse sur la ville de Parpignan ; et, par le moien d’aulcuns traïstres,
la dicte ville luy fut baillée, et entra, luy et son filz, dedans. Mais, quant
le roy en fut advertis, il y fist tirer son armée ; et fut la ville asségiées.
Et y fut le sciège jusques a moix de jung ; durant lequelle y eut de
grandes escarmouches. Mais la chaleur qui alors estoit, et faulte de
vivres fut sy grande d’ung costé et d’aultre, qu’il furent constrains de
prendre tresves.
Le duc d’Alençon prisonier aux Louvre. — Et fut en ce tamps le duc
d’Alençon fait prisonnier, et amené au chasteau de Louvre, à Paris.
Paireillement, durant ce tamps, c’est assavoir le XXIIe jour de
juillet, retournait seigneurs George, évesque de Mets, de devers l’em­
pereur ; et avec luy estoit le conte de Virtenbecah. Et c’en aillait ledit
évesque, par le comendement de l’empereur, droit à Nencey, pour
sçavoir et dessentir 2 des Loherains c’il pouroient trouver acord entre
eulx et la cité de Mets : car à ce faire estoient yceulx seigneurs comis de
part ledit empereurs.
vijc Lumbair passe par devent la ville. — Paireillement, durant ce
tamps, passa par devent la cité de Mets environ VIIe Lombars, lesqueulx c’en alloient devers le duc Charles de Bourgongne, qui alors
estoit on pays de Gueldres, où il faisoit grant guerre.
Item, le XXVe jour dudit moix de juillet, furent ravenciées les tresves
entre lesdit Loherains et la cité jusques a premier jour de may. Par

1. Craitir au cep, se dessécher sur pied.
2. Desentir, pressentir.

1473, 31 JUILLET. — PAIX ENTRE METZ ET LES LORRAINS

13

quoy, le vendredi, pénultime jour du meisme moix de juillet, on fist en
Mets une porcession généralle à Sainct Arnoult, en louuant Dieu de la
paix et en luy priant de préserver la cité de mortallité (pour tant que
alors on ce morroit en Mets des esprinsons).
Le conte de Valdémont prisoniés. — En celluy tampts, on moix de
juillet, cellon la Mer des Istoire, ung conte d’Allemaigne, en la faveur
du duc de Bourgongne, print prisonnier le conte de Vauldémont, que,
comme on disoit, estoit héritier de la dicte duché de Loherainne. Et,
pour trouver moyen de l’avoir, fut prins pour marque ung jeusne
escolier à Paris, lequel estoit nepveu de l’empereur.
Le duc de Bourgongne à Lucembourg. — Le dit duc de Bourgoigne,
qui alors désiroit sur toutte choses à conquérir la dicte duché de Lohe­
rainne, tira son armée és marches. Par quoy le roy, voyant ce, envoia
grande armée és païs de Champaigne. Et, alors, le dit duc de Bour­
goigne vint à Lucembourg. Auquel lieu le furent veoir les seigneurs et
gouverneurs de la cité de Mets, comme il serait dit ycy après. Et,
comme le met l’acteur de la Mer des Istoire, ledit de Bourgongne se
assembla avecques l’empereurs et son filz, Maximillian. Auquel il fist
tant que ledit empereur vint jusques dedans la cité de Mets pour
ennorter les recteurs d’icelle qu’il y puît entrer avec sa puissance.
Et, de fait, y envoiait ces embassaide, comme je dirés après. Mais,
comme le met ledit acteur, comme saige et bien avisés 1, lesdit de Mets
n’en firent riens, et ne le voulurent recepvoir.
La contesse de Vauldémont à Nancei. — Mais, pour retourner à mon
prepos, les nouvelle vinrent à Mets (comme vray estoit) que la contesse
de Wauldémont, et fille a roy de Cecille, estoit à Nancey, et qu’elle avoit
prins pocession de la devent dicte duchez de Loherainne pour René,
son filz, conte de Wauldémont.
Apointemenl entre les Lorains et Metsains. — Item, ce jour meisme,
qui estoit le pénultime jour dudit moix de juillet, retornairent à Mets
Jehan Robert et Guéraird, ambeduy messaigier ; lesquelx avoient estés
prins et détenus à Nancey. Et, le lendemain, revint le devent dit Michiel
de Cuneshen, qui avoit estés prins à Parroye en Loherenne. Par quoy,
ledit jour, furent délivrés et mis en libertés environ L prisonnier de
Loherainne, lesquelle alors estoient en prison en l’ostel du doien de la
ville. Et fut celle délivrance faictes par les seigneurs ycy après nommés,
c’est assavoir par seigneur Michiel le Gournaix, seigneur Warey Roucel
et seigneur Pier Baudoiche, qui estoient à ce commis par le Conseil de la
cité.
Puis, au lundemain, qui fut le samedi et dernier jour de ce meisme
moix de juillet, fut le Conseil assemblé pour adviser cornent on se
maintanroit de ce jour en avent. Et fut déterminés par ledit Conseil
qu’on ne feroit plus double tour aux portes comme on faisoit par devent.
Puis furent recomencié plais et procès en leur premier estât ; et fut

1. Ce sont les gens de Metz qui agissent en gens sages et bien avisés.

14

1473

.

— ORDONNANCES AU ROYAUME DE FRANCE

donnés licence de sonner les cloiche, ce que on n’oisoit faire apardevent.
Et, fînallement, furent touctes choses reminses en telle sorte comme elle
estoient au jour du débatz acommenciez.
En la dicte année, furent faictes plusieurs assemblées pour traictier
des différentz entre le roy Loys et le dit Charles, duc de Bourgoigne.
Et, pour ce faire, furent envoyés à Senlis plusieurs grant parsonnaige.
Mais il ne firent riens.
Ordonnances faicle par le roy de France. — Pendant ledit tamps, le
roy françois, désirant à remédier aux pilleries que faisoient les gens
d’armes sur les villages et plat païs, ordonna que en chascune lance
n’avroit que six chevaulx, c’est assavoir l’homme d’armes, le coustillier,
deux archiers, qui avroyent ung seul varlet, et le page dudit homme
d’armes. En oultre, ordonna ledit roy Loys que ilz n’eussent plus de
penniers à porter leur harnois ; qu’ilz ne séjournassent point plus d’ung
jour en ung village ; que nul marchampt ne leur prestast ne vendist
draps de soye ne camelotz, sur paine de les perdre et confisquer ; et,
avec ce, qu’on ne leur vendist aulcuns draps de laine plus de XXXII sols
l’ane. — Et, cella fait, fist le roy mestre le grant blan à XI denier
tournoy, et l’escus d’or au coing de France à XXIIII sols III denier
tournoy.
Ung peu avent ce tamps, le conte de Sainct Pol, connestable de
France, qui moult estoit suspect au roy et au royaulme, print en sa
mains, de emblée, la ville de Sainct Quentin en Vermendois, et en mist
hors le sire de Curton, avec toutte la guernison d’ycelle.
Le coneslable est réconciliés aux roy. — Mais, essés tost après, le dit
connestable trouva fasson de ce réconcilier et appointer au roy ; par
quoy luy furent rendues la ville de Meaulx et aultres places qu’il tenoit
par avant.
Et, tantost après ce, furent prolonguées les tresves entre le roy et le
duc de Bourgoigne jusques en may ensuyvant.
On veull empoisonner le roy. — Durant lesquelles ledit de Bourgoingne
cuydait faire empoisonner le roy par ung marchamps, nommés Ytier
d’Aquitaine. Et, pour ce faire, en devoit avoir la somme de L mil escus.
Et, en ce voulloir délibérés, ce mist en voye avec son serviteur, nommé
Jehan Hardi. Mais son entreprinse fut rompue par le saulcier du roy,
et par Collinet, le cuisinier, auquelles il c’estoit descouvert a afïin qu’il
luy aydassent à parfaire son chief d’œuvre ; et il leur devoit baillier
XX mil escus.
Exécution faicle d’ung trahislre. — Par quoy, la chose congneue,
furent prins et mis en quaitre quairtiers, et yceulx quairtiers mis et
pandus à potences aux quaitre extrêmes régions du royaulmes, avec le
tiltre de la traïson. Et furent ces maison raiées, rompues et arachées de
fon. en fons, sans aulcuns espérances de restaublissement ; et en ce lieu
y fut escript la cause de la ruyne.

a. M : descovieert.

1473

.

—■ L’EMPEREUR FRÉDÉRIC A METZ

15

Les ambassade d'Aragon à Paris. — Et, en ce meisme tampts, vinrent
les ambassade de Arragon en la bonne ville de Paris ; auquelle on fist
grant honneurs.
Cy lairés de ces chose à pairler 0 pour retourner aux affaire de la cité
de Mets.

[visite de l’empereur a metz].
L’empereur veult venir à Mets. — Vous avés par cy devent oy cornent
l’empereurs Phéderich vint en celle année visiter la cité de Mets. En
laquelle le cuydoit venir veoir ledit duc Charles pour parlamenter à luy
de ces affaire ; car ledit de Bourgoigne désiroit fort et appétoit deux
chose, c’est assavoir qu’il peult parvenir à conquérir la duchiés de
Loheraine, et qu’il peult tant faire envers ledit empereurs de usurper
le nom de roy ; car il ce disoit aussy puissant, ou plus, que le roy Loys.
Cy devés sçavoir que, le samedi VIIe jour du moix d’aoust ensuyvant,
fut envoiés en ycelle cyté de Mets, de par le devent dit empereur, ung
Vénérable docteur, appellé maistre Martin. Lequelle, à celluy jour, vint
et arivait en ycelle ; et ce adressait aux seigneurs de la cité pour eulx
advertir que la voullunté dudit empereur, son seigneur, estoit de venir à
Mets. Mais, premier, il voulloit savoir, devent touttes choses, ce en
ycelle l’on ce moroit fort ; car il craindoit merveilleusement la mor­
talité. Et, incontinant, lesdit seigneurs et recteur de la cité firent
cordiallement et en toutte honneurs le responce audit docteur, disant qu’il
estoient très joieulx de sa venue, et que seurement il pouoit venir, car
leur désir estoit de luy faire telz honneurs comme à luy appertenoit.
Et, alors, manda ledit docteur quérir tous les curez de la cité, pour luy
a vray informer des gens mors en leur paroche. Et il trouvairent que,
depuis le jour de la sainct Jehan jusques en celluy tamps, où il y avoit
environ VI sepmainnes, il n’en y avoit heu des mors que VIIIXX en
toutte la cité, que grant que petit. Laquelle chose ledit doctour ait heu
incontinent rescript à l’empereur, son seigneur, pour luy en advertir,
et pour sçavoir s’il luy plaisoit de venir, ou non.
Maison et grainge brullée aux pont des Mors. — Item, en ce meisme
moix d’aoust, avint une fortune de feu en Mets. Car la grant grange,
avec tous les guerniet dessus ycelle, qui est scituées en la rue du pont
des Mors, appertenant aux dammes des Pucelles, fut toutte arse en feu
et en fiâmes. Et en ycelle grainge et guerniet y avoit moult de biens.
Car ung soldoieurs de la cité, demourant près de ce lieu, nommés
Wairgaire, y avoit environ XVIII millier de bois tout sec, et VI mil
faixin ; et le seigneur Wary Roucel, chevalier, avoit és guerniet dessus

a.

M:

pailer.

16

1473,

SEPTEMBRE. — LES MESSINS ET CHARLES LE TÉMÉRAIRE

environ trois mil et trois cenc quairte de bief. Lequel fut tout ars :
a moins, ce qui fut salvé ne vailloit comme rien pour maingier, et n’en
voulloient point les beste, car il santoit tropt fort la fumier ; et en fut
essés vandus, et du milleur, à deux blan la quairte. La dicte grange fut
arse tout de biau jour ; et ne sceit on dont le feu vint. Et estoit celle
grange scituée là où Jehan Douve, le revendeur, ait depuis fait faire sa
maison.
Grant chailleur. — Item, en la dicte année, fist sy très chault que
tous les anciens, ausquelx il souvenoit de LX ans et plus, disoient qu’il
n’avoient oncques veu faire la paireille chailleur. Et, paireillement,
ceulx qui venoient de Romme et de Lumbardie disoient qu’il faisoit
plus chault en cestuy païs que on païs d’Ytaillie. Et, de fait, pour la
grant challeur que alors il faisoit, il vint en celle année tant de ces
petitte noir bettelette (que nous appelions bauvelte r) és bief qui estoient
és greniers que l’on ne les en pouoit destruire ne nestoier. Et furent les
biens de terre sy avencé qu’il fallut fener les foin on moix de jung, la
moison on moix de juillet, et la vendange on moix d’aoust, qui est
appellé le moix de moisson ; et estoit la vandange causy faictes le
premier jour de septembre. Mais, en celle année, les jouttes, lé naviaulx,
les rassine et tous aultre masuaige 2* 1estoient cy très chier c’on n’en
pouuoit finer ; car ceulx qui en avoient lez vendoient à voulluntés.
Les seigneur de Mets à Lucembourg vers le duc de Bourgongne. — Puis,
après, vinrent nouvelle sertaine que le duc Charles de Bourgongne,
avec grant puissance, venoit à Lucembourg. Par quoy le Conseille de la
cité en fut ensemble ; et tellement que, le second jour de septembre,
furent envoiez en ambassaide “, on nom d’icelle cité, les seigneurs ycy
après nommés, c’est assavoir : seigneur Michiel le Gournaix, seigneur
Warey Roucel, chevalier, et seigneur Régnault le Gournaix, l’eschevin,
acompaigné de environ L chevalx. Et ce partirent le jour devent dit de
la cité, afïin de ce trouver à la venue dudit de Bourgongne, qui devoit
de brief estre au lieu de Lucembourch, pour tant que l’on ce doubtoit
que ledit seigneur ne voussist faire la guerre encontre la dicte cité ;
car il amenoit avec luy environ XXV mil combattans et quaitre cenc
chers d’artellerie. Par quoy lesdit seigneurs, embassadeurs de la cité,
ont tellement diligentés que, a tier jour dudit moix de septembre, il
arivairent à Lucembourg. Mais le dit de Bourgongne n’y estoit encor
point arivés ; et n’y vint jusques au lundi VIe jour dudit moix. Et,
à ce jour qu’il arivayt, les seigneurs devent dit s’en allirent perler à mon
seigneur de Humbercourt, qui alors estoit l’ung des bien venus de la
court ; et à celluy seigneur fut priés qu’il eust la cité pour recomandée ;
et, pour en avoir mémoire, luy ont donnés une douzaine de hanapt

a. M : abassaide.
1. Français beauvotte, patois bawatle (Zéliqzon) ; ce sont les charançons.
2. Les choux, les navets, les carottes et tous les autres légumes (mèswèje désigne
aujourd’hui, d’après Zéliqzon, le jardinage, ou le jardin potager),

1473,

SEPTEMBRE. — LES MESSINS ET CHARLES LE TÉMÉRAIRE

17

d’argent vaillant environ la somme de deux cenc florin d’or. Et, par
cella, leur fut promis que, le mairdi ensuient, lesdit de Metz dévoient
avoir audiance. Mais messire Ollivier de la Mairche, grant cappitainne
de la grant garde du corps de mon seigneur de Bourgongne, qui estoit
ordonné pour venir quérir lesdit seigneurs ambassaideurs, les obliait ;
de quoy il en furent bien esbays et couroussé. Touteffois, environ les
X heures à la nuyt, ledit messire Ollivier s’en vint en l’ostellerie où
yceulx seigneurs estoient logiez, et leur vint dire qu’ilz eussent la
passiance, et qu’il ne pouroient avoir audience pour ce jour, car mon
seigneur le duc s’en voulloit aller couchier ; et se excusa fort encontre
lesdit de Mets de ce qu’il les avoit obliés, et confessoit bien que c’estoit
sa faulte ; mais il leur promit que au lendemain il les menroit devent
mon seigneur le duc. Et ainssy en fut fait ; car luy meisme vint quérir
lesdit seigneurs de Mets, et les mena au chastiaulx afïin de parler à mon
seigneur le duc à son lever.
Harengue de ceulx de Mets aux duc de Bourgongne. — Et, incontinant
qu’il fut levé, les seigneurs devent dit vinrent devent luy, et se mirent
à genoul, ce prosternant jusques à terre en luy faisant honneur. Et,
alors, on nom de la cité, ce print à parler et pourta la parolle le sei­
gneurs Michiel le Gournaix. Et, tout premièrement, en luy disant qu’il
fût le très bien venus. Et puis, ce dit, print à prepouser sa hairangue,
disant et luy remonstrant cornent de tous tempts passé son feu perre,
et les aultres qui devent luy avoient estés ducz de Lucembourg, s’avoient
gracieusement entretenu avec la cité, et avoient estés leur bons amis,
avec beaucopt d’aultre parolle, que je lesse pour abrégier. Et, en con­
clusion, luy vint le dit seigneur Michiel à dire, en luy supliant, qu’il ce
volsist ainsy tenir et maintenir envers eulx comme avoit fait ledit son
perre, que Dieu absoulve !
Présent de cent lonneaulx de vin. — Et puis, ce dit, en mectant fin
à son prepos, luy présentaient lesdit seigneurs on nom de la cité cenc
cawe de vin qu’il avoient fait amener à Lucembourg pour luy donner.
Et quant ledit seigneur Michiel eust tout dict et préposés ce qu’il
voulloit dire, mon dit seigneur le duc respondit qu’il avoit bien la
congnoissance que la cité avoit fait plusieurs fois grant plaisir aux gens
de son perre et aux siens, et que les seigneurs de la cité luy avoyent
tousjours estés bon voisins, par quoy il n’avoient cause de entreprendre
contre ladicte cité, ne de leur faire aulcuns desplaisir ; ains estoit sa
voulunté que il voulloit le pays de Mets aidier à garder et à préserver
comme le sien propre. Et remercia fort lesdit seigneurs de Mets des dons
qu’il luy faisoient et qu’il luy avoient donnez, et receu le dit don moult
bénignement et agréablement. Et ordonna à messire Guillaume de
Biche, son grant maistre d’ostel, qu’il fit bonne chier audit seigneurs
ambassaide. Et aussy fist il, car il les pria au disner pour le lendemain,
qui fut le jeudi.
Et, cella fait, lesdit seigneurs s’en retournirent bien joieulx en leur
logis pour disner. Et, incontinant, mon seigneur le duc leur envoya
quaitre gros flaccon d’argent plains de vin de Beaulne, de celluy de sa

18

1473, SEPTEMBRE. —• L’EMPEREUR FRÉDÉRIC A METZ

propre bouche ; et leur fit dire que, tout le tamps qu’il seraient à la
court, qu’il envoiassent quérir dudit vin en l’ostel de mon dit seigneur
pour leur disner et soupper. Et puis envoia ses trois jueurs de leu1 jouer
devent la table desdit seigneurs, et, avec eulx, trois de ses trompettes.
Et yceulx seigneurs ambassaide donnairent, à ceulx qui aportairent le
vin, ung florin de Rin, aux trois jueurs de leu, trois florin au chat
(c’on dit martine), et, aux trois trompettes, deux florins au chat. Et,
alors, y oit plusieurs seigneurs de la court qui vinrent veoir et visiter
lesdit de Mets en leur hostellerie pour eulx faire honneurs.
Et, ledit jour, quant yceulx seigneurs ambassaide eurent disnés, il
s’en allirent à la court veoir disner mon dit seigneur de Bourgongne ;
et virent yceulx tout le mistère et touttes les triumphes que l’on y
faisoit. ■— Et puis, le lendemain, qui fut le jeudi, lesdit seigneurs de
Mets furent disner à la court, comme il leur avoit esté dit ; et firent la
grant chère. -— Et puis, après dîner, il priment congiet, et s’en retournirent bien joieulx à Mets.
Mais, durant ce tampts que lesdit ambassaide estoient à Lucembourg,
il y oit grant murmure en la cité. Car on rapourtait des nouvelle par
lesquelles l’on ce doubtoit fort ; et disoit on pour vray que les seigneurs
devent dit qui estoient en embassade, et tous leurs gens, estoient prins
et détenus, et que mon dit seigneur de Bourgongne voulloit asségier la
cité. Pour lesquelles nouvelle l’on fist incontinent venir touttes les gens
du pays de Mets dedans la cité ; mais, tantost le lundemains que lesdit
ambassaide furent retournés, et que l’on sceut la bonne responce que
mon dit seigneur le duc leur avoit faictes, l’on fut très joieulx, et fut
chacun réconfortés.
Préparation à recepvoir l’empereur. — Tantost après leur retour de
Lucembourg, c’est assavoir le vandredi Xe jour de ce meisme moix de
septembre, vinrent nouvelles certainnes que le devent dit empereur
Phéderich voulloit venir en la cité. Et, incontinent, l’on se préparait
pour le recepvoir au myeulx qu’il serait possible.
Plussieur bonne ordonnance. — Et, avec ce, pour la gairde et
deffence de la cité, fut ordonnés de cloire et de bairer sertaine rue
parmi la ville, pour et afïïn que les gens dudit empereur ne aultres ne
puissent aller ne eulx boutter que par les plainnes rues. Et puis l’on
fist venir environ quaitre mil hommes de la terre et subjeccion de
Mets, pour aydier à gairder la cité ; desquelles il en y avoit environ
deux mil tant collevreniers comme arbellestriers. Et en fut l’assamblée faictes en la grant court de Sainct Vincent. Et, alors, vinrent en
ce lieu quaitre des seigneurs de la cité ad ce comis, c’est assavoir
seigneur Andrieu de Rinnecque, chevalier, seigneur Wyriat Louve,
seigneur Renault le Gournaix et Philippe de Ragecourt, tous quaitre
eschevin, lesqueulx estoient cappitaines desdit quaitre mil hommes.

1. Luth.

1473, 18

SEPTEMBRE. — L’EMPEREUR FRÉDÉRIC ENTRE A METZ

19

Et, quant ilz furent tous assemblez, chacun des quaitre seigneurs
devent dit en print mil en sa chairge ; et les emmenait en certains
lieu ad ce ordonnés, auquelle il furent quaichiez, que nulz ne les
veoit : les ung furent mis en des granges et les aultres en des chaucqueur. Et fut leur ordonnance bien faictes : car chacun d’iceulx bons
hommes avoit deux escusson blanc et noir pour leur enseignes. Et
n’estoient mis en ces lieu sinon pour entendre et acouster c’il oyoient
quelque cris ou noize, affin d’estre prette et saillir hors pour garder la
cité.
Et, après ce fait et ordonnés, la commune de la ville furent mis à
aultre guet : c’est assavoir, les aulcuns furent toutte la nuit waillant
à faire le guet à chacun des carrefor de la ville, pour tousjours estre plus
prest, se aulcuns huttin ce esmouvoit ; les aultres, une cantités, furent
ordonnés à estre sur la muraille de nuyt et de jour ; puis les gens de
mestiet, chacun en leur tour, c’est assavoir que en chacune desdicte tour
y devoit avoir deux homme pour le jour, et de nuyt quaitre.
Après ce fait, fut encor ordonnés que les borgeois de la ville, comme
mairchans, clerc et gens oyseulx, de tous lesquelles en furent mis à
chacune portes XVI hommes pour chacun jour garder, les ung après les
aultres, et pour faire l’esairgaitte par nuyt.
Durant ce tampts, et que ces chose se faisoient par ceulx lesquelles
ad ce faire estoient commis, y avoit aulcuns aultres des seigneurs de la
cité qui estoient ordonnés pour faire aprester l’ostel de la Court 1 Évesque au mieulx qu’il seroit possible pour recepvoir ledit empereur et
pour y tenir sa court. Puis, a gros hostel parmy la ville, furent les ducz,
les contes, les évesques, les archevesques, les chevalliers et escuiers, et
aultres gens de dignités, prins les logis pour eulx.
L’empereur entre à Mets. — Et, durant ce tamps que ces préparacion
se faisoient, le dit empereurs se aprouchoit tousjour de la cité. Telle­
ment que, le samedi XVIIIe jour dudit moix de septembre, entra en
Mets, à l’heure de quaitre heure après midi. Et, dès qu’il aproichait et
que l’on sceut a vray sa venue, furent la porte Champenoise, la porte a
pont Tiefïroy et celle a pont Rémon cloizes, bairées et fermées, et les
paulx avallés ; et n’entroit hommes en Mets que par les aultres quaitre
portes, c’est assavoir par la porte des Allemans, par la porte Sainct
Thiébault, par la porte à Maizelle et par celle du pont des Mors.
Et, le jour devent dit, qui fut le XVIIIe dudit moix et jour de samedi,
le petit maire 1, c’est assavoir le maire de Portemuzelle, Poincignon
de la Haie, l’amant, acompaignié de seigneur Michiel le Gournaix,
chevalier, du sire Collignon Rémiat, l’amant, et de plusieurs des soldoieurs de la cité, s’en allirent, sellon que leur office le pourte, au devent
dudit seigneur empereurs avec les clef de la ville. Et furent en jusques
oultre l’église de Sainct Aignel de cost Flanville.
Harengue faicte à l’empereur de part la cité. — Et, quant il vinrent

1. Voyez t. I, p. 289 et n. 2.

20

1473, 18

SEPTEMBRE. — L’EMPEREUR FRÉDÉRIC ENTRE

A

METZ

devent ledit seigneur, ilz se gectairent à genoulz en ce prosternant tous
baix en terre. Puis préposait, pour ledit maire, ung très hélocquant
hommes, appellés maistre Guillaume Bernaird, docteur en décret,
lequelle alors estoit aux gaiges de la cité A Et, entres plusieurs aultres
parolles, ait dit en sa hairangue « que tous les cytoyens de la cité de
Mets estoient grandement joieulx de sa venue, et que le maire luy
apportoit lez cleif de la cité au devent, comme empereurs, comme il
estoit tenus de faire, luy priant de garder et conserver les previllaige et
liberté d’icelle cité, comme luy meisme et ses prédécesseurs empereurs
avoient tousjours fait ; et, au surplus, qu’il eust la dicte cité pour
recomandée ».
L’empereur rend les clefz aux seigneur. — Adont messire l’empereur
print les clefz, et, en les rebaillant, respondit : « Je sçay bien », dit il,
« que du temps passé vous avés bien gardés voustre cité, dont il me
plaît bien ; tenés, vêla vous clefz que je vous rebaille arrier. Se vous
avés bien gardés du passés, cy vous gardés encor bien, et myeulx, se
vous poués. Je vous feray comme ont fais mes prédécesseurs ». Et, en
disant ces parolle, ou semblable °, s’en venoit tousjours chevaulchant
sur ung puissant chevaulx auquelle il estoit montés, et sur cellui estoit
amenés. Et, ainssy en devisant, luy et sa compaignie sont aproichiez
de la cité.
vc chevalierz aux devent de Vempereur. — Et, incontinant que 1 on le
sceut venant, tous les seigneurs d’icelle, accompaigmés environ de
Ve chevaulx, tant soldoieurs comme verlet d’ostel, luy furent au devent
jusques à la faulce pourte des Allemans. Et, quant l’empereurs vint
entre ycelle faulce porte, les seigneurs se myrent à genoulx, se proster­
nant à terre, et luy firent le bien viengnant. Et, en les remerciant,
descendit le dit empereurs de son chevaulx, et montit sus une blanche
hacquenée.
Les chanoingne aux devent de l’empereur. — Puis c’en vint jusques
à l’endroit de Saincte Elizabeth ; et illec trouva les gens d’Église de
touttes la cité et du pays entours que luy estoient allés au devent :
c’est assavoir de la Grant Église, de Sainct Salvour, de Sainct Thiébault, de Sainct Arnoult, de Sainct Simphorien, de Sainct Clément, de
Sainct Vincent, de Sainct Mertin devent Mets, de Sainct Éloy, des
Chartreux, de la Trinité, de Notre Damme aux Champs, tous les curés
de Mets et du pays d’icelle, à belle porcession, pourtans croix et relicques, avec ancensier d’argent en leur mains, et la plus part vestus en
chappes, en tunicques et amaticque. Et avec celle compaignie y estoit
mon seigneur l’évesque de Mets en personne, vestus d’une chappe
rouge, et pourtant la vraye croix en sa mains. Et, en belle ordonnance,

a. Philippe avait écrit en disant ces mots. Il a eu des scrupules (Vempereur s’est
sans doute exprimé en latin ou en allemand) et il a ajouté : ou semblable.
1. C’est en latin que l’on harangue l’empereur.

1473, SEPTEMBRE. — L’EMPEREUR FRÉDÉRIC A METZ

21

y avoit deux cent jonne anfïans pourtant chacun en leur mains ung
pillés 1 de cire ardans.
L’empereur soubz ung ciel de draps d’or. — Et, quant le dit ampereur
vint en ce lieu, devant Saincte Élizabeth, il descendit de sa hacquenées ,
et ce mist à genoul, sur ung drap d’or qu’on luy avoit mis à terre, et
baisa la vraye croix que le dit révérand perre l’évesque de Mets pourtoit. Et, alors, fut eslevés en hault ung ciel de draps d’or, soubz lequelle
remonta sus son hacquenée. Car celluy ciel l’on luy avoit appareillié ; et
estoit pourtés par quaitre nottauble chevaliers, c est assavoir seigneur
Phelippe Dex l’anney, seigneur Andrieu de Rinecque, seigneur Michiel
le Gournay et seigneur Warry Roucel.
Et en telz ordre fut le dit empereurs amenés jusques à la Grant Eglise.
Premier alloient les soldoieurs de la ville ; après alloient yceulx jonnes
enffans avec leur pillés ardans ; puis, après, alloient les gens d Église,
tous 2 devent la personne de l’empereurs ; après lesquelles venoient les
archevesques, les évesques, les duc, les contes et tous les princes esliseurs ; puis venoient les marquis, les barons, les ballis, les chevahers
et escùiers, et tout le trayn dudit empereur, qu’il faisoit moult biaulx
veoir.
Les rue parée de maye vert. — Et estoient les rue parée de biaulx vert
may, d’ung costés et d’aultres, depuis la porte des Allemans jusques
à la Grant Église.
Et, quant ledit empereurs vint devent la dicte Grant Eglise, il descen­
dit à piedz, et entra en ycelle, avec la plus part de tout ces noble.
Et, tout premièrement, fit sa dévocion, et saluayt et se prosternait
devent l’imaige de la benoitte Vierge Nostre Damme la Ronde, et puis,
après, au grant autel, devent lequelle il trouva ung biaulx sciège appa­
reillé et moult honnorablement acoustrés ; et estoit celluy sciège de
coustier de l’autel. Et, daventaige, y avoit devent celluy grant autel
ung riche draps d’or, et deux coussins couvers de soye : l’ung estoit
sur terre, pour ses genoulx, et l’aultre sur une escraines, pour luy apoier
et mettre ses bras. Et, alors, estoit mellodie d’estre en celle église et de
veoir la triumphe : car l’armonie des orgues, avec les chantres qui chantoyent Te Deum laudamus, et avec le luminaire qui estoit tout empnns
et alumés parmy l’église, cella resjoyssoit tout lé cuer des hommes.
L’empereur logés à la Court VÉvesques. — Puis, quant ledit empereur
eust fait son orroison, il se partit ; et s’en alla en 1 ostel c on luy avoit
apareilliet, c’est assavoir en la court de révérand perre en Dieu mon
seigneur l’évesques ; et les seigneurs et gouverneurs de la cité tousjour
après.
Or, je vous veult ung peu desclairer et nommer une partie des princes
et seigneurs qui vinrent à Mets avec ledit empereurs. Premier y estoit
Maximien, qui estoit filz audit empereur, et lequelle, après la mort du

1. Pilet, bâton de sapin orné sur lequel on plaçait un cierge.
2. Tçut devant, immédiatement devant,

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1473,

SEPTEMBRE. — L’EMPEREUR FRÉDÉRIC

A

METZ

perre, ait tenus l’empire, et morut empereurs, comme cy après serait
dit ; l’archevesquez de Mayence, l’évesque de Mets, l’évesque d’Anstat,
le duc Albert, le duc de Bavières et le duc Loys, le merquis de Baulde,
le conte de Virtembourch, le conte de Esmenbourch, le conte de Bartanberch, le filz du Grant Turcque, le comte de Videmberch, le conte de
Biche, le patriarche d’Anthioche, le seigneur de Bollay, le conte Radolff
et Saltz 1, et plusieurs aultres princes et seigneurs, chevaliers et escuiers,
desquelles je ne sçay les nons.
Les dons et présans que l’en fist audit empereurs et à plusieurs aultres
de ces princes et seigneur.
Item, tout premièrement, fut donnés on non de la cité audit empe­
reurs ung présent de XXX buefz, puis XXX cawe de vin, trois cenc
chaittrons et VIIIe quairtes d’avaines. Après, luy fut encor donnés une
riche coppe d’or, qui vailloit bien trois cenc florin de Rin, dedens
laquelle y avoit XVIIe florin de Mets. Après, on donnait au filz dudit
empereurs X beuf, X cawe de vin, cent chattron et deux cenc quairtes
d’avaines. Puis luy fut encor donnés ung biaulx bichey d’argent, et en
ycelluy y avoit VI cenc florin de Rin. Item, on donna à l’archevesque
de Maiance, chancellier du Sainct Empire, une juste 2 pesant VI marc
et V once. Item, encor, tant à luy comme au duc de Bavières et au sei­
gneur de Virtemberch, au duc Loys, à chacun deux cawes de vin, deux
beuf et L quairtes d’avaines, et XXV chastrons. Puis, fut donné a
chancellier de mon seigneur de Maience ung bechey de XXX frant.
Et au conte de Videmberch ung buef, une cawe de vin, et XII châtron,
et XXV quairte d’avaine. Item, paireillement, fut donné a seigneur de
Nausowe, au seigneur de Monfort, à l’évesquez d’Awestat, au filz du
mairquis de Baude, autant à ung chacun que ceulx ycy devent nommés.
Et fut donnés a héraulx d’armes et au menestrés LX florin de Rin.
Et à faire les dit présant y estoient commis quaitre des seigneurs de la
cité, avec tous les sergent de messeigneurs lé trèzes jurez, lesquelles
sergens estoient tous vestus de noir et de blanc.
Fidélités jurée à l’empereur. — Et, alors, l’empereurs remist les sei­
gneurs de la cité en leur gouvernement, en leur franchises et libertés, et
tout ainsy comme il avoient estés on temps passé, devent sa venue,
parmi ce que lesdit seigneurs firent feaulté audit empereurs en la manier
corne ycy aprez il est escript.
« Nous, ly maistre eschevins et trèzes jurés de la cité de Mets, pour et
on nom de tous le corps d’icelle, à Vous, très souverain princes et sei­
gneurs, seigneur Phéderich, empereur des Romains, nostre droituriez et
très gracieux seigneurs, faisons feaultés, et jurons estres feaulx, loyaulx

1. Voyez Aubrion, éd. Lorédan Larchey, p. 59.
2. Juste, vase à couvercle, sorte d’aiguière.

1473,

SEPTEMBRE. — L’EMPEREUR FRÉDÉRIC A METZ

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et obéissant à Vous et à Voustre Saincte Empire, et faire tout ceu
comme loyal1 de Voustre Magistés somme tenus faire enver Voustre
Majestés, comme empereur, ad cause du Sainct Empire Romains, saufz
les libertés, previllaiges et drois à nous concédés, approuvés et confermés par les dignes empereurs et roy et Votre sacrées Majestés, et tout
sans malengin. »
Item, les devent dictes parolles furent escripte en latin, et translatéez
en françoy en la fasson et manier comme vous trouvés ycy escript.
Plussieur prince du duc de Bourgongne arivés à Mets. — Item, ce
meisme jour que l’empereurs entra en Mets, vinrent et arivairent en
ycelle pour embassade, de par mon seigneur de Bourgongne, vers ledit
empereurs, mon seigneur l’évesque de Trech2 , frère bastard au duc de
Bourgongne, mon seigneur le chancellier de Bourgongne, mon seigneur
de Merle, filz au conte de Sainct Pol, connestable de France, et le conte
de Nausowe. Et leur fist la cité présent de quaitre buef, quaitre cawe de
vin, L chattrons, et cent quairtes d’avoinne. Et venoit ycelle ambassade
pour le fait du mariage du filz l’empereurs et de la fille du duc de Bour­
gongne, et pour plusieurs cause lesquelles à présant je lesse.
Ce que monte les présent ycy devent donnés
Somme, touttes les sommes que monte les dons et présent ycy dessus
escriptz, tant à l’empereurs corne à ses subgetz et aux devent dit
embassades du duc Charles de Bourgongne, montent le tout à la somme
de deux mil quaitre cenc XXXVIII livrez X sols et IX deniers.
Pour venir à dire cornent ledit empereurs ce mainthint en Mets
durant le tempts qu’il y séjournait, premier, vous serait dit cornent,
le lundemain de sa venue, qui fut le dimenche, le dit empereurs fut à la
Grant Église, durant la grant messe, vestus d’une robbe rouge de
vellours figurés, toutte bourdée de grosse perles, ung collés d or on col,
que bien vailloit X mil florins de Rin. Là y avoit il grant noblesse et
grant feste d’orgues, de luminaire, de chantres, et de sa seigneurie,
avec les seigneurs de la cité, que moult noblement estoient vestus et
parrés, et tout le puple qui c’y avoit essemblés.
L'espée nue devent Vempereur. — Et oyt l’empereurs la grant messe
tout du loing ; et, devent luy, avoit ung chevaliers, qui estoit mareschal
dudit empereurs, qui tenoit l’espée toutte nue. De laquelle espée la
poingnié, la croisée et le pomel estoient d’or, et chergée de perles et de
pierres précieuses ; et la prisoit on bien deux mil florin de Rin. Et
tenoit ycelle espée la pointe au contremont. Et, quant ce vint a lever
Dieu, il bouttit la pointe sus terre, et ne la relevait jusques aux Agnus
Dei.

1. Suppléer : sujets. Avant comme, suppléer que,
ï, D’Utrecque (Aubrion, p. 59).

24

1473,

SEPTEMBRE. — L’EMPEREUR FRÉDÉRIC A METZ

Puis, le lundemains, qui fut lundi, ledit empereurs fut encor à la
grant messe à la devent dicte église, vestus d’une robbe de gris vellours
bourdée de perles par le collet et par la fente devant. Et, après dîner,
il fut on clochier de Meute et sur les woultes de la Grant Église tout au
loing. Et volt faire sonner Mutte : mais les seigneurs de la cité que avec
luy estoient luy dirent que on ne la sonnoit point sinon trois fois en l’an
(l’une fois estoit pour lire les droit de l’empereur, et l’aultre au faire le
maistre eschevin, et la dernier au faire les Trèzes), sinon doncques que ce
fût en cas de nécessités, pour mestre gens d’armes ensemble. Et, quant
il oyt ce, il la flst lesser, et ne voult point qu’on la sonnait. Et, toutefois,
il fit donner aux compaignon qui la gardoient ung florin de Rin, et
paireillement aux sonneur ung florin de Rin.
Item, le mardi après, qui fut le jour de la sainct Mathieu, fut erriers
l’empereur à la Grant Église, vestu d’une robbe de draps d’or avec ung
collet de perles, et ung gros fermillet pendant devent, du large d’une
main, qui bien valloit Ve florin de Rin.
Puis, a lundemain, qui fut le maicredi, il fist chanter une haulte
messe devent Nostre Damme la Ronde en la Grant Église. Et, pour oyr
la dicte messe, ledit empereurs monta sur les haulte allées qui sont
dessoubz et au plus près des haulte voltes de la Grant Église, par où
l’on vat autour de la dicte église du dedens, par devent les haultes
verriers ; et se tint ledit empereurs dedens ung pillé creux qui est en
l’englet de la partie de la Court l’Évesque, c’est assavoir celluy pillé à la
partie de l’autel de la Magdallainne. Et, quant il voulloit regarder
on cuer Nostre Damme la Ronde, il boutoit sa teste hors dudit piller,
et, quant il luy plaisoit, il se remectoit dedans son pillés qu’on ne le
veoit point.
Les embassade de Bourgongne demende entrée en la cité pour X mil
chevaulz. ■— Item, le vendredi après, mon seigneur du Trech 1 et les
aultres qui estoient venus en embassades pour mon seigneur de Bour­
gongne se partirent de la cité de Mets pour c’en retourner à Lucembourch vers ledit de Bourgongne, leur seigneur. Laquelle ambassaide
estoient venus vers l’empereur en Mets pour plusieurs raisons. Entre
lesquelles luy demandoient entrée pour mon seigneur de Bourgongne
atout X mil chevaulx. Et, quant l’empereur eust oy leur demande, ilz
les renvoia aux seigneurs et gouverneurs de la choses publicque de la
cité, et dit que c’estoit à eulx affaire. Alors ilz se adressairent aux dit
seigneurs, et leurs dirent et desclairairent leur voulluntés. De quoy le
Conseil en fut ensemble. Et à brief parler firent leurs responce, et dirent
qu’il feraient à mon seigneur de Bourgongne tous les plaisirs qu’il luy
pouîroient ne sçairoient faire, mais, au regairt qu’il venît à tel puis­
sance, il ne luy pourraient logier en Mets au plus hault de Ve chevaulx,
pour l’amour du puple 2 qui alors y estoit. Et, pour tant, s’il luy plaisoit

1. D’Utrecque (Aubrion, p. 60).
2. A cause de. Pour l’amour de n’a plus à cette époque qu’une valeur causale.

1473

,

SEPTEMBRE. — L’EMPEREUR FRÉDÉRIC QUITTE METZ

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à venir avec Ve chevaulx, ilz le recepveroient très volluntiers. Et,
quant lesdit ambassadeurs ouyrent ce, et qu’ilz virent que mon seigneur
de Bourgongne ne venroit mye avec toutte sa puissance, ilz avisairent
une aultre voye. Et dirent ausdit seigneurs que à tout le moins on luy
volsist donner une des porte de la cité pour y entrer et yssir à sa voluntés. Laquelle demande estoit une chose hors de raison, et que l’on ne
sçavoit présumer se c’estoit pour bien ou pour mal. Touteffois, les
seigneurs de la cité firent leur escuse a plus cortoisement qu’il estoit
possible ; et respondirent bien que ce ne feraient il point, mais, comme
il avoient jà respondu, s’il plaisoit audit seigneur de Bourgongne à venir
en la cité acompaignié de Ve chevaulx, qu’il en estoient contans, et
que plus n’en y pouroit on logier. Et, oultre plus, disoient plusieurs
raisons pour quoy bonnement il ne pouuoient ce faire. La premier fut
por tant que ledit seigneur empereurs estoit en ycelle cité de Mets avec
XVIIIe chevaulx ; secondement, il y avoit bien Ve soldoieurs au gaiges ;
et, thiercement, pour la guerre de Loherainne, la plus part des gens du
païs de Mets avoient amenés leurs biens et bestial à reffuge, par quoy
plusieurs logis, à celle occasion, en estoient empesché. Et ainssy, par les
raison devent dictes, n’estoit possible de luy pouoir logier au plus hault
de Ve chevaulx, avec ce que desjay y estoit. Et, oultre plus encor, s il
plaisoit audit duc de Bourgongne de y venir acompaigniés de Ve che­
vaulx, comme dit est, les seigneurs et gouverneurs de la cité se faisoient
fort de luy aller quérir jusques en son païs, c’est assavoir jusques à
Mondelange ou à Richemont, et de l’amener à Mets, et de le garder en
la cité comme eulx meisme ; et, quant il averoit besongniet avec 1 em­
pereur, de le reconduire en son pays jusques au lieu dessusdit sain et
saulfz. De laquelle chose lesdit ambassadeurs ne se volrent contenter ,
ains ce partirent de la cité très mal comptent et couroussé. Et bien le
monstrairent ; car, quant il vinrent à sortir hors de la porte, il trouvairent deux Bourguignons estraingier devent ycelle porte, lesquelles
on ne voulloit mye laissier entrer sans le congié et lisence des seigneurs
à qui il apartenoit de le dire. Et, alors, messire Pierre de Hacquebach,
ung desdit embassadeur, et le conte de Merle, encomensairent à villener
et à injurier les portiers et gardes desdictes porte, et très villainnement
les laidangèrent en les appellant villain, couquinaille et chenaille, et en
fort menassant la cité. De quoy plusieurs gens de la dicte cité, que illec.
estoient, furent très mal contans.
L’évesque Dutrech 1 reprenl de l’empereur. — Aussy, à ce meisme jour
de vendredi, au mattin, et devent que ledit évesque du Trecque se
partît de la cité, il vint devent l’empereur, où il sceoit en sciège impé­
rial, vestu d’une chappe et la courongne double en la teste ; et reprint
dudit empereur son éveschié du Trecque.
L’empereur pari de Mets. ■— Durant celluy tamps, ce faisoit tousjours
grant gait en la cité, et de nuit, et de jours. Et furent les seigneurs
1. D’Utrecque (Aubrion, p. 62).

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1473,

SEPTEMBRE. — L’EMPEREUR FRÉDÉRIC QUITTE METZ

d’icelle plusieurs fois visiter l’empereurs, tant ces jour passés corne le
samedi et le dimenche. Puis, quant ce vint le lundi ensuiant, XXVIIe
jour du dit moix de septembre, à l’heure de XII heure et demi après
midi, se partit de Mets l’emperreurs, luy et touttes ses gens, par la
porte du pont des Mors. Et fut ordonnés au portes que, pour ce jour
qu’il devoit partir, on ne laissait sortir ny entrer par ycelle portes nulz,
quel qu’il fût, sans enseigne ; et ainssy en fut fait que nulz ne sortist
qu’il ne fût du moins X heures passée. Et, alors, furent tous les souldoieurs et verlet d’ostel assemblés on Champpaissaille, moult bien
armé et em point ; desquelx on en envoiait VIXX pour conduire ledit
empereur, et les aultres demourairent on Champpaissaille jusques ad ce
qu’il polt estre une lue loing. Et, quant ce vint a partir, aulcuns des
seigneurs et des Trèzes de la cité ad ce commis priment yceulx VIXX soldoieurs qui estoient ordonnés pour conduire l’empereur, corne dit est,
et les amenairent en la Court l’Évesque, où ledit empereurs estoit.
Et, là, monta à son charriot (car il ne pouoit bonnement souffrir le
chevaulchier, pour la viellesse et descrépité de sa personne). Et sont les
nons d’iceulx Trèses et seigneurs qui furent à le conduire ycy après
nommés : premier, seigneur Pierre le Gournaix, maistre eschevin de
Mets pour l’année, seigneur Michiel le Gornaix, seigneur Andrieu de
Rinecque, seigneur Philippe Dex l’annés, seigneur Warry Roucel,
tous quaitre chevaliers ; seigneur Philippe Dex le josne, Mahu le
Gournaix, seigneur Wyriet Louve, seigneur Pier Baudouche, seigneur
Conraird de Serière, seigneur Jehan Paperel, Philippe de Ragecourt,
et François le Gournaix ; et, avec eulx, lepostimaire1. Et, quant l’empe­
reur fut monté en son charriot, il partit de la Court l’Évesque ; et les
seigneurs dessus dit, avec les soldoieurs, marchirent après. Cy sont
saillis de la Court l’Évesque par la pourte devent le Pallas, et puis sont
retournés par devent Sainct Salvour et par derrier le Pallaix, et dessandit par la Herdie Pier et sur le moyen pont des Mors.
L’empereur à Sainct Vincent. — Et, quant il vint devent les Pucelles,
il volt qu’on le menait à Sainct Vincent. Et, quant il vint là, il descendit
de son chariot et s’en allait en l’église, et avec luy son filz et plusieurs
des seigneurs de sa compaignie, telz comme l’archevesque de Maiance,
son chancelliers, le duc Loys, le filz du Turc et plusieur aultrez. Et,
quant il furent entrés en l’église, les novisse et petit moines d’icelle
église vinrent à l’entour du filz de l’emperreurs, qui estoit josne comme
de l’aige de XV ans, et le priment pour luy rensonner et luy faire paier
le vin, pour tant qu’il estoit entrés en l’église avec ces espérons chaulciez. Et, quant l’empereur son perre lez vit, il ce mist à rire, et dit à son
filz qu’il estoit prisonniers, et que vrayement il estoit raison qu’il
payait le vin. Adonc le filz l’empereur fit donner par ung de ses hommes
ausdit moynes deux florin de Rin. Et puis, ce fait, ledit empereurs s’en
allit devent saincte Lucie, et illec fist son oréson bien dévotement, et

1. Portimaire (Avbrion, p. 62). Voyez t. I, p. 289 et n. 2,

1473

,

SEPTEMBRE. — L’EMPEREUR FRÉDÉRIC QUITTE METZ

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mist sur l’autel saincte Lucie, pour son offrande, ung florin de Rin.
Et puis, en ce retournant devers les moines, adressa sa parolle au
seigneurs Jehan du Buney 1, relligieux dudit monastère, lequel alors
estoit gouverneurs pour mon seigneur le cardinal de Sainct Sixte, abbé
de la dicte église, et ait dit que l’on tenoit poc de conte de ma damme
saincte Lucie, et que l’on la devroit bien doubter et réclamer, car
c’estoit celle qui, sur touttes les aultres martir, avoit le don de grâce de
donner garison à ceulx qui estoient mallade d’une malladie que alors
courroit fort en la cité, appellée les esprinson. Et puis, ce dit, se partist
du lieu ledit empereur, et remonta en son chariot, et prinrent le chemin
à la porte a pont des Mors. Et, illec, a sortir hors, trova cenc collevreniers et cent arbellestriers des gens de villaige, que le seigneur
Régnault le Gournaix, lequelle à ycelluy jour estoit fait et ordonnés
cappitainne de la dicte porte du pont des Mors, y avoit mis et fait
venir. Et estoient lesdit collevreniers et arballétriers en moult belle
ordonnance, et tenoient de plesse depuis essés près de la porte des
Pucelles jusques à la dicte porte du pont des Mors d’ung costés et d’aultres.
Et en cest manière se partit l’empereur hors de la cité. Mais ce ne fut
pas que, à son despars, il ne resgairdait trefïort et efïectueusement le
chasteaulx du pont des Mors, la porte et les murailles de la ville. Et,
quant il vint devent le pont Thieffroy, ses gens qui le conduissoient le
voulloient mener à Thionville. Mais il leur détourna ; et leur fist prendre
ung aultre chemin, et les fist chevaulchier au loing de la rivier, tirant
pour passer a wey à Allexey et pour aller à Siercke. Et tousjours lez
seigneurs dessus dit, et les soldoieurs de la cité avec luy ; et le conduyrent environ une petitte lieus. Puis ont prins congiez de luy, et luy
d’eulx, moult amyablement, et très content de tous les seigneurs devent
dit et de toutte la cité.
Plussieur prisonnier délivrés à la requeste de l’empereur. — En ycelluy
jour meisme avent qu’il partist, il fist délivrer plusieurs prisonniers qui
estoient détenus en l’ostel du doyen de la ville ; et, pour l’amour de luy,
furent mis dehors tous frans et quictes. Les ung y estoient pour larressin,
les aultres pour coupz de couteaulx qu’il avoient frappés, et aulcuns
pour des parolles dictes, et les aultres pour aulcunes sommes d’argent
qu’il ne pouoyent payer.
Les previlèges de la cité confermés par Vempereur. — Et, avent son
despart, reconferma tous les drois, franchises, libertés, previllèges et
droictures anciennes de la cité, et promist de les tenir et garder comme
avoient faiz ses prédicesseurs. Et, là parmy, les seigneurs et gouver­
neurs de la chose publicque de la cité luy promirent de luy obéyr en
touttes choses licites et raisonnaubles, tout ainssy comme on avoit fait
à luy meisme et à ses prédécesseurs.

1. Jehan de Viviés (Aubrion, p. 63).

28

1473. — LES BOURGUIGNONS DANS LE VAL DE METZ

Or, avant que le dit empereur vînt en Mets, plusieurs gens disoient
de merveilleuse ferdaine. Car les ung disoient que le maire de Portemuselle, ad cause de ce qu’il luy portoit lez clef au devant, seroit maire
toute sa vie. Et, avec ce, qu’il averoit le chevaulx sur lequel l’empereurs
estoit montés ; mais il faulroit et seroit ledit maire tenus de le faire
ferrer de quaitre fers d’argent avec les cloz d’or. En après, disoient les
aulcuns que la porte par où il entreroit en Mets et celle par où il sortiroit, qu’il les failloit comdempner pour à jamais. Et, encor daventaige,
disoient qu’il fauldroit abbaistre tous les avent tictz 1 de la ville, ou ce
racheter en la mains de l’empereurs. Mais de tout ce il n’en fut riens ; et
demourairent touttes chose en leur estre comme auparavent.
Après que l’empereurs fut despartis, s’en retournairent touctes les
gens de villaige chacun en son lieu.
L’empereur à Treuve avec le duc de Bourgongne. — Item, après le
partement dudit empereurs, il s’en aillait à Trièves ; et y aryva le
mécredi. Puis, le jeudi ensuyvant, le duc Charles de Bourgongne y
entra en grant triumphe et magnificence, et à grant compaignie de
gens. Et illec se tint longuement ; et fist plusieurs demande à l’empereurs, sur lesquelles il n’eust pas tousjours responce à sa guyse.
Le duc de Bourgongne reprenl la duché de Gueldre de l’empereur. —
Entre les aultres choses, il reprint de l’empereurs la duchié de Gueldres.
Et fut grant nouvelle qu’il le debvoit faire corroner pour roy de Bour­
gongne et de Frize et de Honguerye. Car, comme j’ay desjay heu dit
devent, ledit de Bourgongne sur touttes choses désirait et appétoit de
avoir et husurper le nom de roy, se disant tenir autant de seigneurie,
ou plus, que le roy Loys de France, ou le roy d’Angleterre. Mais je ne
sçay qu’il avint entre deulx, ne qui rompait le conseil : car ledit empe­
reurs se despartit de Tresves secrètement, sans commender à Dieu le
duc de Bourgoingne ; et c’en alla à Collongne dessus le Rin.
Le duc de Bourgongne à Thionville. — Et le dit de Bourgongne,
voyant ce, s’en alla à Thionville, à quaitre lue de la cité de Mets. Et de
là se despartit, et c’en vint par la duchiez de Bar et par le pays de
Lohorenne pour c’en aller à la haulte Bourgongne ; et demoura grant
tamps à Dijon.
Les gens du duc de Bourgongne on Vaulx de Mets. — Item, en cellui
temps que le dit duc de Bourgongne passa par Thionville et par la
duchiez de Bar et de Loherainne, comme dit est, vinrent la plus part de
ces gens logié on Vaulx de Mets et on pays d’icelle cité ; et se y tinrent
longuement, et, avec ce, y firent de grant dommaige de ce qu’il y trouvairent : mais on avoit cy très fort foys et wuidiez en la cité que l’on
n’avoit comme rien lessiés au pays, sinon aulcun peu de vin. Et, à
l’occasion de ces chose, se faisoit errier grant gayt en la cité : car les
tour des pourte furent fait doubles (c’est à dire deux fois autant de
gairdans que les aultres fois) ; et, avec ce, se faisoit l’essairgaitte de

1. Avant-toits.

1474

n. St. — CORTÈGE FUNÈBRE A METZ

29

nuyt. Et fist on visitacion de tous les artillerie, et en fist on faire des
neuve. Car on craindoit fort lesdit Bourguignon, pour ce que l’on les
trouvoit de gros et malvaix langaige ; et menessoient fort la cité. Et
pour ces raison faisoit on telz gait, et se gairdoit on merveilleusement.
L’archevesque de Cologne d Mets. — Item, aussy en celle meisme année,
vint en Mets l’archevesque de Collongne, luy XXXe de chevaulx h
Et luy fist la cité présent de deux buef, deux cowe de vin et XL quairtes
d’avoine.
Fortune de feu. — Item, en la dicte année, le XVIIe jour de décembre,
avint ung grant trouble en Mets. Car le feu se print en l’ostel Mangin
Dinaire, à Poursailly, et y oit ung grant dompmaige. Et en furent les
seigneurs et toutte la commune troublés, à l’ocasion de ce qu’on crain­
doit fort yceulx Bourgongnon ; et se doubtoit 12 on que ce ne fût aulcune
traïson, pour ce qu’il estoient encor tout autour on pays.
En celle dicte année, il fist ung yver fort pluvieux, et ne gellait
comme point, et, avec ce, ne fist onequez froit.
Item, environ le XVIe de janvier, l’on vint demender passaige de part
les gens de mon seigneur de Bourgongne pour et affin qu’il pleust a
seigneur de Mets que lez corps du duc Phelippe et de sa femme, la
duchesse, qui de loing temps estoient mors, puissent passer par la cité,
affin de les mener à Dijon pour là les ensepvellir ; car en ce lieu estoit
ledit duc Charles, qui lez atendoit.
Les corps du duc Phelippe et sa femme conduict parmei Mets, avec
grosse compaignie. — Tantost deux jour après, qui fut le XVIIIe jour
dudit moix de janvier, vinrent en Mets Adolfz de Clevef, dit de Ravenstenne, frère au duc de Bourgongne, et messire Jacques de Lucembourg,
frère à mon seigneur de Sainct Pol, connestable de France, qui conduisoient les corps du duc Philippe et de sa femme pour les aller ensepvellir
a Dijon. Et estoient chacun desdit corps sur ung chériot, et dedens ung
sercueux de plonc ; et sur ung chacun desdit chériot y avoit ung grant
drap d’or armoiez en VI lieux, des armes du prince sur son chariot,
et des armes de la princesse sur le siens ; et estoient couvers tout lesdit
chariot c’on ne veoit ne roue ne riens. Et à chascun desdit chariot
estoient estellés 3 VI groz puissant ronsins couvert de noir vellours
jusques en piedz ; et furent yceulx ronssins prisiés mil escus d or. Et n y
avoit chartiers ne aultrez que tout ne fût vestus de noir et en dueil.
A la conduittes et gairde desdit corps, y avoit environ trois cenc hom­
mes d’armes à chevalx et deux cenc hommes de piedz, desquelles y
avoit environ cenc hommes qui portoient chacun ung pillier ardant ,
et estoient autour des dit deux corps XII Jacopins et XII Frère de
l’Observance. Et estoient lesdit seigneurs Adolfe et seigneur Jaicques

1. Comprendre : lui trentième de [gens] à cheval.
2. Douter a ici le sens de craindre.
3. Attelés.

30

1474

n. St. — CORTÈGE FUNÈBRE A METZ

tous vestus de noir velours et en dueul, comme il appartenoit a à telz
seigneurs ; et estoient montés sus blans chevaulx. Et pourtoit on devent
le corps dudit duc Phelippe son escus armoiés de ses armes, moult
richement ouvrés ; et disoit on que la duchesse, en son vivant, l’avoit
fait. Et le fourier pourtoit le heaulme (lequelle heaulme estoit groz et de
fin argent doré, et avoit une fleur de lis dessus a plus hault) ; et les
quaitres héraulx et roy d’armes, chacun une cotte d’armes et une
corronne d’or sur leur teste. Et y avoit deux aultres seigneurs, dont
l’ung pourtoit ung estandart et l’autre la bannier. Et estoit encor menés
devent ledit corps mort du feu duc Phelippe son chevaulx, couvers
d’une housseure corne il afïiert à ung tel prince ; et, en mey du front du
cheval, y avoit ung riche chanfïrain essis, couvers de noir vellour.
Lequel chevalx deux chevaliers le menoient par la bride ; et, derrier
ledit chevaulx, y avoit ung escuier qui levoit la couverte de quoy ledit
chevaulx estoit couvris.
Les colièges avec la seigneurie aux devent desdit ij corps. •—- Et alors,
quant l’on soit leur venue, fut ordonnés que tous les collièges de Mets
et touctes les Ordes mendiantes, avec tous les moines noir et tous les
curés et chappellains, yroient au devent en abit. Et ordonna le Conseil
pour y aller messire Wary Roucel, messire Jehan Boullay et messire
Jehan le Gournaix, tous trois chevaliers. Et, avec ce, y ordonna encor la
cité à y pourter quaitrexx torches ardantes et quaitre cenc cierges, tous
ardant, jusques à tant que lesdit deux corps furent en la grant église
cathédralle d’icelle cyté de Mets. Et, en telle ordonnances, entrirent
par la porte du pont des Mors en Mets ; mais, avent qu’il entrissent en
la Grand Église d’icelle cité, furent les deux chariot, avec touttes celle
belle pourcession, menés jusques on mairchiez en Chambre.
Ung ciel de drap d’or sur lesdit ij corps. — Et illec, au piedz des degrés
de la devent dicte Grant Église, furent quaitre noble hommes de leur
gens à ce commis et ordonnés, qui pourtoient sur lesdit deux corps ung
ciel de draps d’or. Et alors, ung évesque meisme de leurs gens, avec
l’abbé de Justemont, qui à ce faire fut ordonnés, s’en estoient venus
devent soy abillier *1 en la Grant Église en abit d’évesque, la crosse en la
main, et conduirent le chairiot jusques au dit lieu en Chambre. Et, là,
prinrent lesdit deux corps, c’est assavoir le corps du duc le premier,
et le portairent jusques à la Grant Église, les ciel d’or pourtés, comme
dit est, dessus luy ; et puis la duchesse a cas paireille. Et, là, les mirent
devent le grant autel. Et mirent lesdit draps d’or sur eulx ; et, sur le
serquelx du prince, on mist une corronne et son espée toutte nue,
laquelle fut prisée quaitre mil escus. En ycelle devent dicte église, y
avoit ung merveilleux luminaire : car, toutte en l’entour du grant cuer,
y avoit plus de IX cent cierge ardans, que les chainones y avoient fait
mestre, sans les torches et cierges de la cité ; et ardoit tout ce luminaire
a. A été ajouté postérieurement, par erreur, à la fin de la ligne, après appar- ; -tient
a subsisté au début de la ligne suivante.
1. Étaient venus auparavant s’habiller.

1474

n. St. — JOURNÉES TENUES A VIC

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jusques après la vigille chantée. Et estoit celluy cuer tout à l’entour
tandus de noir draps, auquellez estoient les armes dudit duc et de la
duchesse, sa femme, attachéez en plusieurs heu.
De la paille espandue parmei le ceur. ■— Et avoit on espendus de
l’estrains et de la paille parmy le cuer d’icelle église : car il fut dit que
c’est la coustume du pays baix de ainssy faire quant aulcuns prince est
mors ; et est signe de dueil. Et avoient apourté avec eulx ung taber­
nacle de bois (comme à présent il en y ait ung au Grant Moustier) qui fut
mis tout plain de luminaire sus les corps devent dit ; et y avoit, aux
quatres coing d’icelluy, quaitre bannières armoiez des quaitres principaulx pays dudit duc ; et son heaulme et son escus furent mis sus les
deux coing, tout devent, devers l’autel ; et tout devant fut mis son
estendart et sa principalle banière. Et là fut chantée vigille tout du
loing ; et- fut bien près des V heures quant tout fut fait. Et furent
données aux povres querans leur pains plusieurs aulmônes pour Dieu
par les gens dudit duc.
Et, le lendemain, on leur fist ung beaulx service, dont maistre Dediet
Noël chantait la messe, en abit épiscopalle ; et ne furent à l’offrande que
lesdit deux princes. Et, la messe dicte, on les remist sur leur chariot.
Et, en telz ordre comme devent, se prindrent à marchier le chemin de la
porte Sainct Thiébault ; et les conduiront la clergie, tout en telle ordre
qu’il avoient entrez en Mets, jusques au champs Bapanne, et les sei­
gneurs de la cité jusques à Verney. Et, dès lors, s’en allirent tousjours
cheminant jusques à Dijon.
Et fist la cité présent au dit seigneur Adolfî de trois buef, trois cawe de
vin, et IIIIXX quairtes d’avoines ; et, audit seigneur Jaicques, de deux
beufz, deux cawe de vin et XL quairtes d’avoines.
Plussieur service parmei la cité pour ledit prince et princesse. — Puis, le
lundi après ensuyvant, la cité fist faire par touttes les églises de Mets
services pour ledit duc Phelippe et sa femme.
Journée tenue à Vy. — Item, le XXVIe jour de ce meisme moix de
janvier, on tint une journée à Vy encontre les Lorrains pour la dissancion devent dictes. Et y furent, pour la cité, seigneur Michiel le Gournaix
et seigneur Pierre Baudoche ; et, pour la partie des Lorrains, seigneur
Jacques de Haracourt et Jehan Wisse. Maix on ne fist rien pour la
premier journée. — Et, au bout de trois sepmainnes après, y furent
encor lesdit seigneurs, tant d’une partie que d’aultre ; et ne firent
pareillement rien.
Ambassade du roi à Mets. — Item, en ce meisme tamps, vint en Mets
ung seigneur de France, lequelle estoit embassade pour le roy. Et luy fist
la cité ung présent de deux cawe de vin, de deux buef et de XL quairtes
d’avoine.
Ambassade du roi d’Angleterre à Mets. — Puis, tantost après, le
XIIIe jour de febvrier, vint en Mets ung embassaide du roy d’Angle­
terre, lesquelx alloient, comme on disoit, ver mon seigneur de Bourgongne. Et séjournaient environ XV jours en Mets. Et leur fist on

32

1474, 26

avril.

—■ paix entre metz et les lorrains

présent de par la cité de deux buefz, deux cawe de vin et de XL quairtes
d’avoine.
Ne aultre chose je ne saiche avoir esté fait en Mets pour celle année
qui soit digne de mémoire ne que à racompter faisse : par quoyjen en
dirés plus pour le présent, et retournerés a maistre eschevin d’icelle cité
et à diverse adventure qui avindrent durant son année.

[l’année

i474].

Mil iiijc Ixiiij. — Item, en l’an XXXVe de l’empire du devent dit
Phéderich l’empereurs, qui est l’an de nostre rédempcion mil quaitre
cenc et LXXIIII, fut alors essus, fait et créés pour maistre eschevin
de la cité de Mets le sire Michiel le Gronay, chevalier.
Le duc Chairle à Nomenei. — Et, en celle dicte année, le deusiesme
jour d’apvril, retournait le duc Charles de Bourgongne de Dijon. Et
couchait pour celle nuyt à Nomeny. Et, de là, vint à passer parmey la
ville de Bourney.
Présent par ceulx de Mets fait aux duc de Bourgongne. — Puis, pansant
les seigneurs qu’il s’en aillait à Sainte Barbe, comme l’on disoit, furent
commis pour y aller de par la cité messire Andrieu de Bineck, chevalier,
messire Pier Baudoche et messire Conrard de Serier, léquelles ce dé­
voient trouver audit lieu avec ung présant de quaitre cawe de vin,
de XVe miche, de cenc carpez et XXXVI beschatz, et de cenc quairtes
d’avoines. Lesquel présant furent menés à Saincte Barbe, y cuydant
trouver le prince, comme dit est : mais il n’y aillait point, ains print le
chemin de Thionville. Par quoy, voyant ce, les trois commis dessus dit
firent chevaulchier après luy jusques à la dicte Theonville ; et, là, on
non de la cité, firent le présant au duc des choses cy dessus escriptes.
Item, en celle année, le lundemain de Pasque florie, retournait en
Mets mon seigneur l’évesque d’icelle cité. Et ce y thint parmey la
grant sepmaines et parmy les feste de Pasques ; et fist ce que, passez
cenc ans, évesque n’avoit fait en Mets : car il fist le service en la Grant
Église le jeudi ensuiant, et aussy fit il le Grant Vendredi, et fist le
sainct Cresme, et paireillement, le jour de Paisques, fist le service.
Et, tantost après le Casimodo, il trouvait fasson et manier que une
journée fut errier prinse et essinée a lieu de Nominy entre la cité et
lesdit Loherains. Et tellement que, le XXVIe jour dudit moix d’apvril,
partirent de Mets pour aller tenir ycelle devent dicte journée à la dicte
Nomini c’est assavoir ledit seigneur George, évesque de Mets, et maistre
Olrei de Blamont, et, avec eulx, messire Michiel le Gronay, chevalier,
alors maistre eschevin de la cité, et messire Pier Baudoche, yceulx
comis de part le Conseil pour traicter et faire la paix entre les dit
Loherains et la cité.
Paix du tout conferméez entre ceulx de Mets et Lhorainne, el publiéez.

1474. — COURSES DES GÉNÉTAIRES

33

Et fut ycelle paix faictes et accordées et sceellée audit lieu de Nommeny ;
et le XXXe jour dudit moix, fut la dicte paix huchée et criéez devent la
Grant Église d’icelle cité. De quoy plusieurs gens furent bien joieulx.
Course des Génétaire. —- Item, en ce meisme tamps, il régnoit une
manier de malvaix guerson, appellés Génétaire, qui ce tenoient à Wauquelour. Lesquelz se disoient a estre au roy ; et faisoient tant de dopmaige que c’estoit chose merveilleuse ; et estoient de guerre à tout le
monde. Et, de fait, courraient jusques à Nomini et jusques au plus
près de Mets. Maix, touteffois, il ne faisoient guerre de dompmaige
audit de Mets.
Item, en celluy tamps, advint plusieurs adventure, tant en Mets
comme aultre part. Entre lesquelles en avint une en la dicte cité bien
estrainge et malvaixe, et de laquelles plusieurs gens furent bien esmerveilliés. Le cas fut telz que, en celluy tamps, en la dicte cité, y avoit
ung riche merchamps, lequelle alors demouroit en ycelle, entre la
plaisse c’on dit la plesse Xaipel et Fornerue. Et estoit à luy tout ce
biaulx menoir et celle haulte maison qui contient depuis celle dicte
plesse jusques en Fornerue ; et vait celle maison respondre du cousté
du derrier jusques en la rue c’on dit la Court de Raisier. Celluy merchamps se appelloit Dediet Baillot ; et tenoit grant gravités, car il
estoit fort cencés *1 et arantés ; et hantoit tousjourz la seigneurie. Et, pour
ce qu’il avoit four et mollins et plusieurs aultre héritaiges, il avoit
cotumièrement ung clerc du stille du Pallas en sa maison, qui le servoit
à touttes ces affaire. Cy avint qu’il en print ung qui estoit ung biaulx
jonne gallans, et bien stillés. Et, quant ledit Dediet alloit en quelque
part, fût de nuyt ou de jour, il le menoit avec luy pour le conduire,
puis retournoit ledit clerc à l’ostel. Or avoit celluy Dediet Baillot
apousés l’une des belle bourgeoise de la cité de Mets, et une femme
doulce, débonnaire et honnestes, et, avec ce, de bon pairaige, de bon
famé, et estimée femme de biens et de bonne réputacion de tous les
citains de Mets. Mais ledit Dediet, son mary, non comptent d’elle,
estoit nottés qu’il en entretenoit d’aultre ; et, de fait, il n en bougeoit
de nuyt ne de jour, ne le plus souvant ne retournoit à couchier en sa
maison qu’il ne fût mynuyt. Et tellement que le dyable ce y bouta et
tanta ledit clerc de l’amour de sa maîtresse. Et tant espia qu’il vit quel
geste et contenance son dit maistre faisoit quant il retournoit de nuyt
à l’ostel et que la maîtresse estoit couchée : car, alors, ledit Dediet ce
boutoit auprès d’elle au lit, et, sans mot dire, se couchoit. Par quoy
ledit clerc, corne moy, l’escripvains de ces présente, l’ais oy dire et
efïermer à ceulx qui journellement hantoient le dit clerc, et le dévoient
bien sçavoir, une nuyt qu’il sçavoit que son maistre ne retorneroit
point à l’ostel, s’en alla secrètement couchier de cost ladicte sa maî­
tresse ; et, après plusieurs chose, faindant qu’il fût ledit son maistre,

a. M : doisoient.
1. Censé : il recevait beaucoup de cens, de redevances.

34

1474

.

— ASSASSINAT DE DIDIER BAILLAT

oit la compaignie de sa maîtresse. Mais, comme il est à croire, essés
tost elle s’en aperseut. Néantmoins c’estoit tropts tairt ; et, comme le
clerc la humiliait de ces parolle en luy desclairant ° la vie que son
maistre menoit, et plusieurs aultre besoingne, et tellement que petit à
petit l’aprivoisa, et la mist du tout à sa cordelle.
Dedier Bâillât, riche merchans de Mets, tués de son clerc. — Et, après
plusieurs aultre chose faictes et dicte, non comptant de la vie qu’il
menoient et de la bonne chier qu’il faisoient, le dyable les tantait
d’omicide, et oit la dicte bourgeoise promesse avec le dit clerc d’estre
consentent de la mort dudit Dediet, son mary. Et tellement que, le
XVIIIe jour du moix de jung, celluy clerc, en alumant*1 2son maistre,
qui alloit a retrait, le tuait d’ung pétai 2 à quoy on s’aide à broyer
saulce ; et, ce fait, le vint dire à sa maîtresse. Et elle, voyant son mary
mort, fut fort triste etdollante. Touteffois, iln’yait remède; le copt est
fait. Cy l’ont quaichiez derrier dez planche jusques après minuit ; et,
à celle heure, fut prins et chargiés par ledit clerc, et le portait couchiez
estandus sus ung sciège devent l’ostel le Burton, qui est au debout de
la rue des Bons Anffans, essés près de la Teste d’or, afïîn qu’il fût cuydé
que aulcuns ces mal vueullent l’eussent illec despeschiez de nuyt.
Et, le lendemain, qu’estoit ung dimenche, fut trouvé. Par quoy incon­
tinent furent prins plusieurs, qui rien n’en sçavoient ; mais, à la fin,
ledit clerc fut suspeccionés ; et, la raison, car il alloit parmi la cité
et n’en faisoit quelque estime de deul ne de coroulx. Cy fut incontinent
prins et mis en l’ostel du doien de la ville ; et aussy fut la dicte sa maî­
tresse, laquelle tout nouvellement estoit relevée d’anffans, et avoit
délibérés de apouser ledit son clerc. Celluy clerc tenoit bon et estoit
bien délibérés de soubtenir son cas, ne jamaix ne voult confesser jusque
ad ce que Justice fist acroire à la dicte sa maîtresse que luy, qui estoit
en unne aultre prison, avoit tout dit et confessés. Et, alors, cuydant
qu’il fût vray, et aussy avec l’espérance que l’on luy donnoit de la
prandre à miséricorde, elle confessait le tout, et dit ainsy : « Hélas ! »,
dit-elle, « le vous ait il dit ? » Et incontinent fut amenés ledit clerc
devent elle; lequelle fut bien esbahis quant il oyt la confession de sa
maîtresse.
Le clerc exécutés par justices, et la feme dudit Dedier brullée. — Et
tantost en fut justice faictes ; et furent traynés sus la brouuette, et
menés a pont des Mors. Le clerc eust premier les deux mains coppées,
et puis la teste ; et fut le pétai duquel il avoit fait le copt pandus et
estaichiés en hault, contre la lance et a plus près d’icelle teste. Et la
bourjoise fut arse et brullée, néantmoins que moult piteusement prioit.
à Justice c’on luy voulcist copper la teste, pour la grant doubte du feu
qu’elle craindoit ; mais rien ne luy vallust sa prière. Et fut ce fait le

a. M : desclairait.

1. En éclairant.
2. Pesteil, pilon.

1474.

— BRIGANDAGE DES FRANÇAIS

35

jour de la sainct Éloy que celle justice fut acomplie. Pour laquelle
à veoir y oit autant de peuple que jamaix on heust veu en Mets à faire
justice : car touttes manier de gens fourains que à ce jour alloient ou
venoient à Sainct Éloy ce arestoient illec pour veoir l’esécussion.
Et sçaichiez, comme j’ai dit devent, que l’Annemy *1 y avoit bien
ouvrez : car la dicte femme estoit de bon paraige et de gens de bien, et
estoit la plus belle et amiable femme que l’on sceust trouver, et la plus
gracieuse des aultres, de laquelle on n’avoit jamaix ouy dire que tout
bien. Et eust on prins la moitiet de touctes les femme de Mets devent
que on l’eust heu suspect. Et n’y avoit que demi ans que cellui clerc
estoit léans ; et à la mal heure y vint il oncquez.
Cy vous souffice de ce que j’en ait dit, car je veult pairler d’aultre
besoingne.
Ung fouuétés 2 et banys. — En la dicte année, ung compaignon,
appellés d’Onville, fut mis quaitre heures on chercrant, et après fut
despoulliez tout nudz et fut menés bastant avec de grosse poignié de
verges jusques la croix on champs Bapanne ; et, là, fut revêtus, banis
et forjugiés. Et fut ce fait pour tant qu’il s’avoit mocquez d’une bonne
preude femme, comme ycy serait dit. Ung soir, de nuyt, que le mary
d’icelle femme n’estoit pas à la ville, ledit d’Onville vint à elle etluydit
qu’il estoit Roy des Ribaulx, et, se elle ne luy donnoit de l’argent, il la
publiroit pour ribaulde. La pouvres femme, laquelle n’avoit guerre
d’argent, et, toutefïois, craindant la deshonneur, fist le mieulx qu’elle
polt ; et fist tant qu’elle le contanta pour eschapper de ces mains.
Mais, quant son mary fut revenus, elle luy compta le tout. Et, alors,
ledit mary, oyent la malvistiet, le alla anonser à Justice. Par quoy,
tant pour cecy comme pour ce qu’il fut escusés que aultre fois avoit
batus son perre, il fut ainssy fouestés et banis, comme oy avés.
Vin à une angevingne le pot. — En celle dicte année, on oit grant
merchief de vin en Mets ; car on en vendoit à Sainct Vincent à deux
angevigne la quairte, et à Saincte Glossine à une angevinne.
vj homme de Mairange tués par les François. ■—- En celle meisme
année, furent tués à Sainct Laidre, devent Mets, VI compaignon de la
ville de Marenge ; et le VIIe fut merveilleusement navrés, et tellement
qu’il empourtait ses trippes sus ses bras. Et a fut ce fait par les Fran­
çois qui se tenoient à Gorze en garnison. Et estoient environ XXXIII
chevaulx desdit Fransoy, et, de ceulx de Mairange, estoient XII com­
paignon, lesquelle se avoient loués à conduire des merchamps de la
haulte Bourgongne. De laquelle advenue on fut bien esbahis, comme
d’avoir fait ung tel délis cy près de Mets.
Les monstre d Paris. — En celle année, le roy Loys, en sa présance,

a. En marge, on a ajouté, à une époque récente : garnison de Françoys à Gorze.
1. L’Ennemi, le démon.
2. Fouetté.

36

1474,

OCTOBRE. — GUERRE ENTRE L’ANGLETERRE ET LA FRANCE

fist faire les monstres hors de la porte Sainct Anthonne à Paris, où
furent comptés et nombrés bien cenc mil hommes, tous d’une livrée,
c’est assavoir de hocqueton rouges et une croix blanches. Et à ycelle
monstrez estoient en présence le roy, l’embassade d’Arragon, le conte
de Dampmartin, Phelippe de Savoye, conte de Bresse, le conte du
Perche, et plusieurs aultres, en grans pompes et triumphe.
L’embassade de Bavière et d’Espaingne en France. *— Et, en ce tamps,
y arivait le duc de Bavière, allemans, en embassade pour l’empereurs ;
aussy fist l’embassade d’Espaigne.
Le roi pardonne au conestable. ■— Puis s’en tirait le roy vers Compiègne et Noyon. Et là, en ung village sur une rivier, vint parler à luy le
connestable ; et furent leur parolle sur ung pont auquel y avoit une
barrière entre eulx. Et luy fut tout pardonnés les faultes passées,
moyennant ce qu’il promist et jura dès lors en avant luy estre bon
et loyal.
Et, en ce temps, furent derechief faictes une trêves entre le roy et le
duc de Bourgongne, durantz jusques au premier jour d’apvril de l’en
après.
Le sciège devenl Nusse par le duc de Bourgongne. — En ycelle meisme
année, le dit de Bourgongne c’en alla mettre le sciège devent la ville
de Nusse, au dessoubz de Collongne. Et y fut causy ung ans ; et n’y
fit riens. Car l’empereur la voult deffandre, et voult lever le sciège ;
et, pour ce faire, manda ses gens et assambla une grosse armée. Et y
fut envoyés de part la cité de Mets plusieurs compaignon de guerre,
desquelles fut fait capitaine le seigneur Michiel le Gronay, alors
maistre eschevin de Mets ; et y alla, de quoy plusieurs gens furent
esbays.
vj ou vij mil Bourguignon tués. — Et fut tellement la ville defïendue
par les Allemans qu’il fut constrainct de s’en partir : car yceulx Alle­
mans rompirent ses navires qui estoient sur la rivier du Bin. Dont
morurent de six à VII mil hommes : de quoy ce luy fut une acomencement de sa fortune et une perte irrécuparable.
Verdun prime par les Bourguignon. — Et, en ce meisme temps,
prinrent lesdit Bourguignon la cité de Verdum. Et aussy firent une
ville en Nivernois, nommée Molins en Gibers.
Sommation aux roi de France de rendre la Normendie. —• Durant ces
chose, Édouard, roy d’Angleterre, envoia sommer par ses héraulx le
roy de France qu’il luy voulsist rendre les duchez de Normandie et de
Guyenne, qu’il disoit luy appartenir ; aultrement, il estoit délibéré de
les venir conquerre à l’espée. Ausquelz le roy fist response qu’il n’estoit
pas conseillé de ce faire. Puis leur fist de grans dons ; et s’en retour­
naient. Et, tantost, vinrent nouvelles que l’armée d’Angleterre estoit
desjay sur mer vers le Mont Sainct Michiel. Par quoi hastivement y
envoia de ses gens de guerre.
L’yver de cest année fut fort moytte et plevieulx, et ne gellait point
VI jour en ung tenant. Et estoit le temps fort variables, car, le XVe jour
de mars, il tonnait tout le jour.

1475.

— GUERRE ENTRE FRANCE, ANGLETERRE ET BOURGOGNE

37

[l’année 1^5].
Mil iiijc et Ixxv.— L’an après, que le milliair courrait par mil IIIIC et
LXXV, qui fut en l’an XXXVIe de l’empire du devent dit Phéderich
l’empereur, fut alors fait et créés maistre eschevin de la cité de Mets le
sire Phelippe de Ragecourt, chevalier.
L’acomencement de cest année fut fort tempérée, car les raisins des
vigne estoient desjay en fleur on moix de may.
Item, le lundi après le Sainct Sacrement, ung compaignon, qui ce
appelloit Tropt Tost Marié, pour ces desméritte fut rués en la xuppe.
Et, en ce meisme temps, vinrent courrir devent Mets les Loherains
et les Barisiens, avec les gens du seigneur George, évesque d’icelle cité.
Et prindrent plusieurs bestial, et en plusieurs villaige, sur les terre des
abbé et abbesses de Mets. Et, alors, les dit de Mets en firent requeste.
Et firent tant que lesdite bestes leur furent rendues franc et quicte.
Aussy, en cellui temps, furent faillies les trêves entre le roy et le duc
de Bourgongne. Par quoy l’on se doubtoit fort en Mets et on païs
entour. Et pairellement l’on doubtoit le bastart de Loheraine, pour tant
que l’on avoit gaigiet et prins ung hommes de ces gens. Et fut ce fait
à la requeste du seigneur Phelippe Dex, chevalier.
En celle meisme année, on moix de may, le roy tint conseil pour
donner ordre et ce pourveoir à la deffance du pays de Normandie et à la
descente des Anglois. Et en bailla la charge a bastard de Bourbon,
admirai de France, et à plusieurs aultres chiefz de guerre, lesquelles
firent leurs armée et s’en aillirent audis païs à eulx commis.
Les Bourguignon en PicaircLie. — Durant ce tamps, plusieurs bande
des Bourguignon corroient et ribloient en destruisant le pays de Picardie.
Et, de fait, mirent le sciège devent Arras.
Menée du conestable. — Par quoy le roy y voult aller avec une grosse
armée. Maix le traystre connestauble, afïin de faire despartir les armée
du roy, luy manda qu’il ne se soubciait de celle contrée, qu’il en ferait
bien, et qu’il menait ses gens en Normendie afïin de defïande la contrée
encontre les Anglois que illec dessandoient avec une merveilleuse
puissance ; laquelle chose n’estoit pas vraye. Puis, fut trouvés, par
lettres signées de son propre signet, qu’il sollicitoit le duc de Bourbon
afiïn qu’il abandonnait l’abance du roy pour tenir le party de Bour­
gongne. De rechief, quant le roy vint en Normendie avec son armée,
luy manda le traïstre que les Anglois dessandoient à Callas. Et faisoit
ces chose affin de donner occasion a duc de Bourgongne de joyr de sa
voullountés.
Le seigneur de Cran logés en Vall. — Aussy, en la dicte année, le
XIIIe jour de jung, vinrent logiez on pays de Mets, en ung villaige
nommés Vaulx, le seigneur de Cran, lieutenant du devent dit conestable
de France.

38

1475.

— LES FRANÇAIS PILLENT LE PAYS DE METZ

Le duc de Lorainne à Ays. — Et, en ces meisme jours, le duc de
Loherainne se vint lougier à Ars sur Mezelle. Et, alors, y furent envoiés
aulcuns des seigneurs de Mets pour leur présenter des biens de la cité. Et
estoit ordonné de donner audit seigneur de Cran quaitre cawe de vin,
deux cenc quairte d’avoine, XXV chattron et XVe miche de pain cuit.
Lesquelles présent ledit de Cran refïusait, et n’en voult nul recepvoir
fort que la chair. Et ung tout paireille et samblable présent on menait
à mon seigneur de Loheraine à la ville d’Airs, luy1 cuidant trouver ;
mais, quant le présent y vint, il estoit desjay party ; et ne l’ost point.
Par quoy le présent fut ramenés entre les deux portes de Sainct Thiébault.
Escarmouche des Lorains et Meisains. — Or, il fut nouvelle, corne
vray estoit, que aulcuns les voulloient ruer jus. Et, à celle occasion,
l’on mist et fut ordonnés aulcuns soldoieurs pour faire le guet. Et, de
fait, vinrent les lairons ; et se combaitirent très bien, tellement qu’il
y eust ung desdit soldoieurs, appellés Jehan l’Ardenoy, qui fut tué,
et aussy fut ung clerc de Sainct Arnoult ; et y fut navré ung aultre
soldoieurs, nommé Anthonne de Malline. Mais, toutefïois, les présant
demourairent audit de Mets, et n’en fut rien prins.
Plussieur pillerie on paiis de Mets. —Item, au lundemain, passèrent
ycelle compaignie par devent les Pontz, et s’en allirent à la ville de
Mairenge, où il firent moult de mal et de dopmaige ; et aussy firent
il en tous les aultres villaiges où ilz estoient logiés. Et, tantost, retournairent arrier ; et s’en vint ledit seigneur de Cran, avec sa compaignie,
logier en son meisme logis en Vaulx, et mon seigneur de Lorraine à
Mollin. Et firant tant de mal et de domaige que l’on n’en sçaroit raconter
la moitiet. Et firent pis que c’il fussent estés de guerre ouverte, car il
laissoient aller les vins, brulloient quewe et tonniaulx ; et baitoient les
aulcuns leur hoste, et, de fait, les tuoient ce en riens ce defïendoient ;
et prenoient tout ce qu’il trouvoient de bon, waiche, wiaulx, chièvre
et brebis. Et estoient yceulx satallitte environ VIII mil, par quoy l’on
n’y pouuoit résister. Et tant que force fut de tout faire venir à refïuge
à Mets. Et fut faictes ordonnance que chacun fût ambâtonnés et sus sa
gairde, et que nulz ne rapourtait nouvelle c’elle n’estoient vraye et
qu’il les voussist maintenir.
Les François Entre ij Yawe. — Le lundi après, lesdit Fransoy s’en
allirent lougiés Entre deux Yawe. Et venoient journellement à grant
puissance chargier les vin par les ville du Vaulx de Mets, et les menoient
en leurs lougis.
Le pont de Mollin rompus. — Adoncquez, voyant ce, les seigneur de
la cité ordonnairent environ deux cenc compaignon qui s’en allirent
rompre le pont de Mollin. Par quoy yceulx Françoy furent très couroussés et desplaisant ; et tellement que, en despit de ce, il voulrent
asségier le chaitel de Mollin. Et ne pouoit on tenir les bonne gens du

1. L’y pensant trouver.

1475

.



TKAITÉ DE PECQUIGNY

39

pais qu’il ne voussisent aller courre sus lesdit Fransoy, ce Justice ne
leur eust deffandus.
Or, avint en ce tamps, le XXIIIe jour de jung, que ung citains de
Mets, nommés Waultherin Clément, morut. Et furent ses armes mises
et pandues devent Nostre Damme la Ronde, comme la coustume est en
Mets d’y mestre celle des gentilz hommes. Maix aulcuns en murmuroient, disant qu’elle n’y dévoient point estre. Et, au bout de VI jours,
elle furent ostéez de nuyt ; may je ne sçay cornent.
Le seigneur de Cran hors du paiis de Mets. —Item, le XXVe jour de
ce meisme moix de jung, se partirent mon seigneur de Cran avec toutte
son armée ; et vinrent à passer par le pont à Mollin ; puis s’en allirent
lougier à Gouxe et on païs entour ; et de là a ce partirent, et s’en aillirent autour de la cité de Toul.
Embûche mynse devent Arras par les François. — Peu de tamps après,
fut par les Françoys mise une ambûche devent Arras ; par quoy saillirent
dehors la garnison et les bourjois d’icelle ville. Et en fut tués plus
de XVe, tant d’icelle garnison comme desdit de la ville.
Les gallée du roy d’Angleterre devent Calais. — Paireillement durans ce
tamps, arrivairent devent Callas les gallées de Édouard, roy d’Angle­
terre, avec XX mil combatans. Avec lequelle le duc Charles de Bourgoingne c’en aillait joindre ; et le resseust le roy d’Angleterre bénigne­
ment, car Charles avoit espousé sa suer. Mais, après ce que le dit
Édouard oit illecques estés par plusieurs journée, et il vit que le connestable ne luy tenoit point ceu qu’il luy avoit promis (qui estoit que,
quant ledit Édouard serait venus en Arthoys, ilz le recepveroit en
quelque fortes places, en laquelles il pouroit logier et estre à surté,
luy et son armée), de ces choses despité, manda Édouard a roy Loys
qu’il avoit à luy dire quelque secret, lequel il désirait luy comuniquer.
Par quoy, ces chose entendue, fut journée mise et essignée, et lieu pour
ce faire ; et fut à Piquigni, au diocèse de Amiens.
Journée tenue des roi de France et d’Angleterre à Piquigny. — Or, pour
vous desclairer et afïin que puissiés mieulx entendre à quel fin vint le
devent dit conte de Sainct Pol, connestauble de France, premier devés
sçavoir que, quant les deux roy se trouvairent à la journée devent dictes
et a lieu assigné, il eurent plusieurs parolles ensemble, présent tous les
assistens ; et puis firent tout le monde reculer, et, alors, parlèrent eux
deux à secret.
Trêves de vij ans. — Tellement qu’ilz firent appointement ensemble ;
et ne fut la paix longuement différée ; et jurèrent trêves de sept ans.
Et fut ce fait le jour de la sainct Simon et sainct Jude, le XXVIIIe jour
d’octobre.
Lectre du conestable aux roi d’Angleterre et du roi d’Angleterre aux roi
Loys. — Et, ainsy comme le roy d’Angleterre s’en retournoit en son

a. M : délia.

40

1475. — ARRESTATION DU COMTE DE SAINT-POL

pays, Loys de Lucembourg, connestable de France, à qui desplaisoit
l’acord que les roys avoient ensamble, envoya ung messagier garny de
lettre audit Édouard, en le reprenant et disant qu’il estoit bien laiche
de couraige et imbécille de avoir appointé avec le roy Loys, et que le
dit Loys le tromperoit. Et, incontinant que Édouard oit veu ces lettres,
il les envoya au roy Loys ; et par ycelles vit et congneut l’infidélité et
maulvais vouloir dudit connestable.
Trêves de ix ans entre le roi, Bourgongne et Brelaingne.— Peu de jour
après, vinrent a roy les ambassade du duc de Bourgongne ; et, pareille­
ment, celle au duc de Bretaigne. Et fut paix jurées entre les partie, et
trêves de IX ans. Et, en ce faisant, promit le duc de Bourgongne randre
et livrer Loys de Lucembourg, qui vers luy c’en estoit fouy.
Le coneslable constitué prisonnier du roy. — Alors on envoya à Perronne le bastard de Bourbon, admirai, paireillement le seigneur de
Sainct Pier et Guillaume Cerisay, avec bonne compaignie de gens
d’armes. Lesquelles ampoignairent le connestable et l’amenairent à
Paris. Et, de prime venue, le menairent prisonnier dedans la bastille
Sainct Anthoine, où il trouvairent le chancellier, les présidentz et
plusieurs conseilliers de la court de Parlement qui là estoient venus.
Auxquelz ledit seigneur admirai dit telles ou semblables parolles :
« Messeigneurs », dit-il, « veez cy mon seigneur de Sainct Pol, lequel le
roy me avoit donné charge d’aller quérir par devers le duc de Bourgoingne, qui le me a fait délivrer ; je l’ay amené à seurté jusques ycy.
Je m’en descharge et le metz et baille en voz mains pour luy faire son
procès sus les cas dont il est chargé. Et ainsy », dit-il, « le m’a chargé le
roy le vous dire ». Et, ce dit, print congié et s’en alla.
Mais, avant que plus je dye de son procès ne de sa mort, je retournerés à pairler quel chose fist le duc de Bourgoingne se tamps durant,
et quel aventure avindrent en ce païs de Mets et de Loherenne, avec la
disposicion du tamps et de plusieurs aultres choses digne de mémoire.
Durant celluy tempts et que ces choses se faisoient ainssy en France,
furent plusieurs chose faictes en la cité de Mets et és pays joindant.
Les eawe hors de ryve. — Et, premier, serait dit de la disposicion du
tampts. Vous devés sçavoir que en celle année, on moix de juillet, il fist
le plus terrible temps de pluye de jamaix : car il pleut XII ou XIII jours
sans cesser. Et tellement que les eawes en furent merveilleusement
grande et hors de rive : car, de trois ans devent, n’avoient estés cy
grande, tant fut yver 1. De quoy les plusieurs en estoient esbays.
En celle meisme année, le XVIe jour d’aoust, fist son entrée en Mets
damme Bonne, jai ditte, femme au seigneur Pier Baudoche et seur à
messire Robert de la Marche. Et oit le dit seigneur Pier d’icelle damme
une belle lignié, tant de filz comme de fille.
Les Bourguignon à Gondrecourt. — Paireillement, en ce meisme moix

1. Aussi pluvieux qu’avait pu être l’hiver.

1475.

— CHARLES LE TÉMÉRAIRE CONQUIERT LA LORRAINE

41

d’aoust vinrent environ X mil Bourguignon lougier en la duché de Bar.
Et, premier, vindrent à Gondrecourt et à Landre, la cause pour quoy
que lesdit de Landre et de Gondrecourt avoyent aydiet à prendre
Danvilley, que les François avoient heu prins. Et puis s’en allirent
mettre le siège devant Conflan. Et prinrent vivre en la terre de Mets,
en le paiant.
Moinne chaingé d’office. — En celluy temps, y eust ung moine de
Belpré, nommés damps Jaicques, lequelle abandonna son ordre et ce fist
noir moine à Sainct Clément. Et, ce fait, s’en allait à Rome, et fut abbé
de Sainct Martin devent Metz. Et, tantost après, en fut despousé ; et
fut fait gouverneur de Sainct Clément ; et puis, après, en fut mis hors
du gouvernement, et se fist prieur de Sainct Andrieu. Et puis, de rechief,
retournait à Romme, et impétrait l’abaye de Saint Simphoriens contre
dampt Thirion Bairet, qui alors estoit esleu pour abbé dudit heu.
De quoy moult de maulx en avinrent en plait et en procès l’ung contre
l’aultre ; lesquelle je laisse ad cause de briesté. Car yceulx moine firent
une grant plaie en ladicte abbaye ; et n’en joïrent jamaix guerre ne l’ung
ne l’aultre. Et, que tout dire vouldroit, se seroit un procès tropt loing
à racompter ; et, pour ce, m’en passe L
Brieg prime. — Item, en celle dicte année, le duc Charles de Bourgoingne, au retour de devent Callas, luy et son armée, vinrent logier et
geoir à Sollieuvre ; et, le lundemain, à Gouxe. Puis, de là, s’en allirent
mettre le siège devent Briey, qui est une petitte bonne ville en Bairroy ;
et la prindrent par composision. Et, durant ledit sciège, y oit ung
gentilz homme de Loherenne, nommé Géraird d’Auviller, lequelle,
estant sur la muraille, oit la mains coppée et ampourtée toutte nette
d’ung copt de serpantine. Et fut la dicte ville de Briey ranssonnée à
XII mil florin.
viijxx Suysse pendus. — Et trouva le dit de Bourgoingne dedans la
dicte Briei VIIIXX Suisse, qu’il fist tout pandre et estrangler.
Et puis s’en aiJlirent devant Confiant, et la prindrent.
Le Pont rendus au duc de Bourgongne, et plussieur aultre places en
Lorainne. — Et puis, de là, s’en allirent devant le Pont à Mousson.
Et lesdit du Pont, voyant leur puissance, se rendirent, et les lessèrent
paisiblement entrer dedens ; et y furent trois jours. Et puis s’en allirent
devent Charmes ; laquelles fut tantost prinse, et mist garnisson dedens.
Et puis devant Espinal, laquelle paireillement se rendist. Mais, luy
estant à ladicte Espinal, ceulx de la ville de Charmes nouvellement
prinse rebellèrent, et tuairent les Bourguignon qui dedans estoient.
Et, tantost, ledit duc y renvoya de ses gens ; et la prinrent de rechief
par force d’arme ; et fit le duc pendre aulcuns des gentilz hommes de
léans, et bouttirent le feu en la ville, et abbaitirent lé murs, et la destruirent touctes.
Petit vin. — Item, en ce meisme moix d’aoust et en cellui de septem-

1. Aubrion, p. 77-78, est plus complet.

42

1475, 27

novembre.

— Charles

le téméraire prend nancy

bre, fist tant de pluye que les raisins ne polrent mûrir ; et furent les vins
de petitte boisson.
Monsseigneur de Romont à Mets. — Et, en ce meisme moix de septem­
bre, vint en Mets monsseigneur de Romont, frère de la royne de France
et fîlz au duc de Savoye. Et avoit charge de deux cenc lance des gens
du duc de Bourgoingne. Et luy fist la cité présent de deux cawe de vin,
deux gras buefz, XII chattrons et XL quairtes d’avoines.
Ung légat à Mets. — Et, en ce meisme moix de septembre, vint ung
légat en Mets. Auquel la cité fist ung paireille présant que cellui de
monsseigneur de Romont.
Vauldémont rendue. — Item, tousjours durans ce tamps, continuait
monsseigneur de Bourgoingne la guerre en Lorraine. Et, de fait, s’en
aillait devant Wauldémont ; et, quant yl y oit esté trois jours, se ren­
dirent.
Et, pour ces chose et plusieurs aultres, on se doubtoit fort en Mets ;
et faisoit on grant gait, toutte l’année durant, par les porte et sus les
murs. Et journellement passoit parmy ycelle cité tant de Bourgongnon
c’on n’en sçavoit le nombre.
Nancei rendue et le duc de Bourgongne dedens. — Item, tantost après,
le XXIIIIe d’octobre, en l’an dessus dit, le duc Charles de Bourgongne
mist le sciège devent Nancy. Et, le XXVIIe jour de novembre, ceulx de
dedens se rendirent audit duc Charles par traictié. Et dès incontinant
y entrait la gairde dudit Charles. Et puis, deux ou trois jours après, y
entrait le duc luy meisme.
Et, alors, manda tous les nobles de Lorrainne pour luy faire obéis­
sance ; et fist tout nouviaulx officiers ; et, là, fist ces ordonnances telles
qu’il luy pleust. Et, alors, ceulx de Cierque se vinrent appatier 1 à luy ;
et aussy fist tout le pays de Loherainne, réservé Prégny, que ung gentilz
homme, cappitainne d’icelle, nommés messire Gracien de Guerre,
tenoit ; ne jamaix ne la voult randre.
Les seigneur de Mets vers le duc de Bourgongne. — Aussy ne fait
à oblier que, durans ce tamps que mon seigneur de Bourgongne estoit
à Nancey, seigneur Andrieu de Rineck et seigneur Phelippe Dex, tous
deux chevaliers, furent envoiés on non de la cité à la dicte Nancy par
devers le duc ; et luy portèrent une coppe de fin or plainne de pièce d’or
vielles. Lequel don ledit de Bourgongne receut bien bénignement, et en
soit bon grey à la cité ; et fist faire ung collet des propres pièces d’or qui
estoient en la coppe, comme il fut dit après.
Et ne demoura guère depuis qu’il ce despartit de Nancey. Et s’en alla,
luy et partie de son armée, vers la conté de Férat, excepté mon seigneur
de Bièvre et messire Jehan Hamiliton °, anglois, qu’il laissait pour ses
gouverneurs on païs de Loherainne. Et par touttes les bonnes villes et
chasteau de Lorainne et de Bar mist garnison.
a. M : Militon. Ha a été ajouté ensuite, d’une encre beaucoup plus pâle, peut-être par
Philippe lui-même.
1. Apatir, livrer à discrétion.

1475.

— CONDAMNATION DU COMTE DE SAINT-POL

43

Cy en lairés quelque peu le parler pour vous dire cornent le devent dit
conte de Sainct Pol, connestable de France, fut essécutés et décapités
en la ville de Paris.
Vous avés par cy devent oy et entandus la manier cornent Loys,
conte de Sainct Pol et connestauble de France, fut du Bourguignon
délivrés, prins et amenés à Paris. Et puis fut mis prisonnier en la bastille
Sainct Anthonne. En laquelle ne fut pas longuement que vers luy furent
envoiez et desputés Pierre d’Oriole, chancellier, et deux présidens de
parlement, avecques aultres conseilliers, pour interroguer ledit connes­
table. Par quoy, incontinent, confessait son cas ; et dit que en plusieurs
manier avoit encontre le roy délinqué. Et, après longue prison, fut
envoy[éJ quérir par le sire de Sainct Pier, et fut amené au palais en la
cour de parlement. Et, en le menant, il ce trouva moult grant multi­
tude de populaire par les rues, qui estoit une chose que ledit connestable
craingnoit fort. Puis, quant il fut là, on le mena en la chambre de la
tournelle criminelle, où il trouva monsseigneur le chancellier, qui, après
la salutacion, luy dist : « Monsseigneur de Sainct Pol, vous avés par cy
devant esté tenu et réputé ung saige et constant chevalier ; mais il est à
présent mieulx requis que jamais que ayés ferme constance. »
L’ordre du coneslab[le] déposée. — Et, après ce, lui dit : « Monssei­
gneur, il fault que ostiez de vostre col le collier de l’ordre du roy, ayant
1 imaige sainct Michiel, que y avés mise. » Et il respondit : « Voulentiers », et, en disant, l’osta et la baisa, puis la bailla audit chancellier.
Lequelle, après, luy demanda où estoit l’espée que luy avoit estés
baillée quant il fut fait connestable : « Car il fault », dit il, « que vous la
rendés ». Et il respondit qu’il ne sairoit, et que tout luy avoit esté osté
quant il fut mis en arrest ; dont il fut tenus pour excusé. Et, ce dit, s’en
partit ledit chancelier.
Et, tantost, l’ung des présidens de la dicte court de parlement,
nommés Jehan de Poupaincourt, vint à luy, et, après plusieurs parolles
par luy dictes, luy desclaira la sentence envoiée de part la court de
parlement : « laquelle », dit il, « on ait encontre toy prononcée ; et te
desclaire que à cejourd’huy tu mourras en Grève, devant l’hostel
publicque de la cité, et que tes terres, possessions et tous tes biens sont
desclairés a roy confisqués ». A quoy respondit le connestable en joindant les mains au ciel : « O très bon et grant Dieu, combien dure est cest
sentence ! » Et le dit ainsy par deux fois ; puis ait dit : « Mon Dieu, je te
supplie me donner sain entendement et nette pansée pour te congnoistre ». Et, en disant ces parolles, quaitre docteurs en théologie,
homme de grant non, vindrent au condenné, ainsy qu’il avoit esté
ordonné, pour le consoler en bonne parrolle salutaires. Et, après qu’il ce
fut confessé, il demanda le sacrement du précieux corps de Jésu Crist
luy estre baillé ; mais on luy refusa. Toutesvoys, on célébra la messe
devant luy, et luy offrit on pain bénist, lequel dévotement il mengea.
Puis, ce fait, on le menait hors du palas.
Le conestable de France décapité. — Et, parmy grand et innumérable

44

1475, 19 DÉCEMBRE. — EXÉCUTION DU COMTE DE SAINT POL

multitude du populaire, fut mené en Grève, où il monta dessus ung
eschauffault ; puis ce tourna devers l’église cathédralle de Nostre
Damme de Paris, duquel lieu il la veoit appertement. Et, après que
plourant il eust fait son oroison, qui fut assez longuette, le bourreau
de Paris, nommés Jehan Cousin, d’ung seul coupt de glesve luy coppa le
col. Son corps prinrent les Cordeliers, et l’ensevelirent en leur église.
Et fut ce fait ledit ans, le dixneufiesme jour du mois de décembre.
De ses crimes et de sa mort furent escript plusieurs épithaphes en
françoys et en latin.
Et, tantost après ces choses ainssy faictes, le roy c’en alla en dévocion
visiter la glorieuse damme du Puy, en Auvergne.
Murtre commys en France près Dordan. — En ces meismes jours, en
France, près de Dordan, advint ung murtre plain de crualté et pitié.
Car Loys, filz de Brésay, sénéchal de Normandie, avoit à femme et
espouse Charlotte, fille de la belle Agnès, laquelles Agnès, en son vivant,
pour sa beaultés l’antretenoit le roy Charles septiesme, père de ce roy
Loys (et creoit on la dicte Charlotte estre sa fille) ; car celle Agnès,
mère de ladicte Charlotte, avoit estés la plus belle crestienne que pour
leur *
1 d’adoncque fut sur la terre. Et, ainssy comme cestuy Loys, par
recréacion, fust allé à la chasse avec sa femme en une forest, quant ce
vint la nuict, il retourna en sa maison, et, pour ce qu’il ce sentoit lasse
et travaillé, lessa la chambre de sa femme et s’en alla couchier en une
aultre chambre à part. Charlotte a, se voyant pour ung temps délivré
de son mary, incontinent mena coucher avec soy Jehan Lavergne,
poytevin, qu’elle maintenoit en adultère et paillardie. Laquelle chose
congneue par Jehan, l’apotiquaire, proviseur et despencier de la maison
du sénéchal, annoncea b le crime à son maistre. Par quoy le sénéchal,
touché de moult grant fureur, sen plus dire, tira son glesve hors du
fourreau, et soudainnement rompit et brisa l’uys de la chambre, et
occist l’adultère, qu’il trouva tant seullement vestu de sa chemise.
Puis, ce fait, print sa femme par la main, laquelle jà estoit mucée et
retirée par devers ses anfïans, en la prochainne chambre, couverte de la
coutre 2 du lit. Et la prosterna et jecta contre terre, et, nonobstant
qu’elle fust fléchie devant soy à genoulx et requérant miséricorde en
moult grant pleurs et gémissemens féminins c, suppliant la miséricorde
maritalle, meurtrit sa femme de son glesve, duquelle il luy transpercea
la poitrine.
Cy lairés de ces chose le parler pour venir au affaire de la cité de Mets
et du pays entour.

a. M : Carlotte.
b. M : annocea.
c. M : feminis.
1. Pour l’heure.
2. Coûte, couverture (aujourd’hui déformé dans conrte-pointe, exactement : cou­
verture piquée).

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1475,

DÉCEMBRE. — LES BOURGUIGNONS AU PAYS DE METZ

45

Item, ung peu devant Noël, monsseigneur le bastard Baudouuin
passait parmy Mets ; et l’emmenoit on pardevers monsseigneur de
Bourgongne prisonnier, car il estoit sus ung chevaulx 1, et disoit on
qu’il avoit méfiait audit duc. Mais, touteffois, depuis il oit sa paix.
Le légat passe arrier parmei Mets. — Et, en ce meisme tamps, passait
arrier par Mets le légal sy devent dit, que jay y avoit passés. Et fut à
Noé a vespre à la Grant Église ; et aussy fut il à la grant messe. Et
pourtoit on la crois devant luy, et estoit au dessus de seigneur George,
évesque de Mets ; lequelle seigneur George luy allait au devent tout
revêtus.
Les Bourguignon on Haull Chemin. — Et, en ce meisme tamps, és
feste de Noël après, vinrent logier à l’environ de la cité de Mets plu­
sieurs compaignie d’iceulx Bourguignon, c’est assavoir on Hault Chemin
et Entre deux Yawes ; et y firent de moult grant dompmaige. Et,
quant les seigneurs virent et congneurent les mal qu’il faisoient, y
envoièrent Jehan Dex, leur secrétaire ; et parla à mon seigneur de
Bourgongne, luy remonstrant le cas. De quoy aulcuns des seigneur
bourguignon en furent très mal comptant. Et, nonobstant leur courrous,
envoiait ledit duc ung de ses secrétaire pour les faire deslogier, ce que
bien tost firent.
Le filz du conestable déjedés. — Et, tantost, vinrent nouvelle en Mets
que le roy avoit despousés le filz du devent dit connestauble de sa
dignités épiscopalle : car il estoit évesque de Lan en Lanoy ; et le roy
l’en desgecta. Et passait ledit évesque le jour des Roys parmi la cité ;
et c’en aillait à Nencey devers monsseigneur de Bourgoingne.
Grant neige. — L’yver de cest année fut fort froit et de merveilleuse
gellée ; car il gellait depuis VIII jours devant la sainct AndrieU jusques
a mardi devant la Chandelleur. Et y avoit tant de neige sur terre que,
quant le temps se deffit, les maison furent playnes d’yawe ; par quoy
elle fit grant dompmaige aux bief des guerniet, pour ce que les glaces
avoient emply les chenalz, et ne pouoit ycelle yawe wuidier.
iij homme du Valz de Mets pendus. ■— En ce meisme tamps, le samedi
devant la sainct Vincent, furent pendus à la justice de Mets trois
homme d’ung villaige on Vaulx de Mets nommés Juxey. Lesquelles,
avec trois aultres, avoient tuez ung Bourguignon et son paige, et prinrent son argent en son lict où ilz gisoit, à la dicte Juxey.
Aussy, en celluy temps, en la sepmainne devant la Chandellour, fut
prins ung orphèvre, appellés Balthazar. Lequelle, avec deux aultres
compaignon allemans, avoient tandus sur le Hault Chemin, entre
Theonville et Hucange. Et, quant il fut sus l’eschielle liez, le chevestre
au col, et tout prestz à le bouttés bas, une jonsne fille le demandait ;
et on luy donnait, de quoy le povre Balthazar eust grant joie. Les aultres
deux ses compaignon eschappairent en la Grant Église. De quoy il en
avmt aulcune question : car la Justice lez voulloient avoir, disant qu’ilz

1. Aubrion, p. 80 : sus cherriat (sur un chariot).

46

1475. — CHARLES LE TÉMÉRAIRE DÉFAIT A GRANSON

ne debvoient point avoir de franchise, ad cause qu’il estoient meurdreurs et tandeurs de hault chemin. Maix on leur fit Voye ; et furent
tantost perdus, ne ne soit on qu’il devindrent.
L’artillerie de Lorenne enmenée en Bourgongne. — Paireillement, en
ce mesme tamps, c’est assavoir la sepmainne après la Chandelleur,
monsseigneur de Bourgongne print et levait touttes l’artellerie du pays
de Loherainne. Et la fist mener en son pais baix ; et y avoit environ
IIIIXX chers chairgiés ; et paissait toutte ycelle artillerie parmy la cité
de Mets. Entre lesquelles piesse y fut amenée la grosse bombarde de
Nancy, qu’il avoient fait faire en l’an LXXIII, la cuydant amener
devent Mets ; et pesoit la dicte bombarde XIX mil livrez. De laquelle
chose lesdit Loherains n’estoient pas tropt joieulx. Aulcuns des maistre
meisme la conduisoient, et veoient cornent les Messains l’alloient veoir
et la regardoient.
Et alors, en ce tamps, se despartirent tous les Bourguignon du pais
de Mets.
Joste aux Champs â Saille. — Item, en celle dicte année, le jour du
gras lundi, fut faictes en Mets une belle jouste on Champs Paissaille.
En laquelle joustairent les seigneurs ycy après nommés : c’est assavoir
le seigneur Michiel le Gornaix, seigneurs Andrieu de Rineck, seigneur
Régnault le Gournaix, et le seigneur Françoy le Gournaix, son frère,
seigneur Conraird de Serrier, Jehan Chaverson, Collignon Dex, Collignon Rémyat, Gérard Perpignant, Philippe de Bribra. Et fut la dicte
joutte merveilleusement honnorable. Toutefïois, y oit du trouble : car
seigneur Régnait le Gournaix y fut féru d’ugne lance en la cuisse, tout
parmy la selle ; et fit le copt Collignon Dex. De quoy ledit seigneur
Régnault en fut en grant adventure de morir. Et, depuis, se entrehayrent luy et ledit Collignon Dex longuement, en partie pour celle
joste.
xijc homme du duc de Bourgongne dedens Nancei. — Or, revenons à
parler des adventure et fortune merveilleuse d’icelluy duc Charles de
Bourgongne. Vous devés sçavoir et entandre que, après ce qu’il eust
tout subjugués et gaigniez le pays de Loheraine, et qu’il eust mis bonne
gairnisson de XIIe homme dedans Nencey, et perreillement par touttes
les aultrez bonne ville et forteresse, comme cy devent avés oy, il s’en
allait, avec grosse armée de ses gens, en la conté de Férat. Et, aprez,
mist le sciège devent Gransson, sur le païs d’Aussay ; laquelle il print
et gaingnait.
Le duc de Bourgongne desconfis vers Fribourg. — Et, après se fait,
s’en volt aller devant Fribourch. Mais les Suisses vinrent au devant à
grant compaignie et à grant puissance. Et se lansairent et vinrent à
frapper sur le parc et sur les gens dudit de Bourgoingne ; et tellement
qu’il y oit grant murdre et grant desconfiture desdit Bourguignon : car,
à celle journée, comme l’on dit, y oit d’iceux Bourguignon mors jusques
au nombre de VI cenc hommes de bonne maison, sans les aultres, que
moult en y oit, entre lesquelles y oit plusieurs grant seigneurs. Et, encor

1475. — NANCY

reconquise par le duc rené

47

daventaige, y perdit ledit de Bourgongne son artillerie, sa waissaille,
ses robes, sez baihus, ses saielz et son trésor, laquelle perde on estimoit
en tout à trois cenc mil escus. Et fut ce ung acomancement de sa fortune
et malleureuseté.
Néantmoins, comme ung lion fier et orguilleux, délibérait de ranforcier son armée et de la faire plus grande que devant. Et, pour ce faire,
envoia quérir gens nouviaulx en la conté de Namurs et en la duchiez de
Brabant. Et, avec yceulx, ce vint tenir grant piesse devent Sallin en
Bourgongne, en ung chasteaulx nommés Bracon.
Le duc René pourchasse à recouvrir son paiis.— Ce tampts durant que
le duc Charles estoit ainssy empeschiez, comme avés oy, le duc Régné
de Loherainne ne dormoit pas, ains estoit à pourchaisser ° ses bons amis,
tant en France comme on pays de Venise et aultre part ; et fist grant
assemblée de gens.
Et, en ce meisme tamps, estoit tousjour le duc de Bourgoingne sus le
pays d’Allemaigne, là où il atandoit des gens nouviaulx, qui luy venoient de tout cousté. Et, de fait, en paissait plus de quaitre mil compaignon de piedz, tant parmy la cité de Mets comme par devent ycelle,
tout vestus d’une livrée, d’une robbe perse et blanche. Et, avec ce,
l’on menoit audit duc grant finance d’or et d’argent pour paier ses gens
d’armes ; et disoit on que le trésor qui estoit menés montoit à plus de
XVIIIe mil escus.
Le duc de Bourgongne de rechief déconfit devent Moral. — Et, ainsy
renforciés de gens et de finance, c’en alla mestre le sciège devent Morat
contre les Suysses. En laquelle alors est venus le devent dit Régné, duc
de Loherainne, à qui le Bourguignon avoit osté Nancy. Et amena puis­
sante armée avec luy pour donner secours aux Suysses ; lesquelles,
avec l’ayde dudit Régné, sormontairent de rechief leur annemis. Et fut
le conte de Romon, capitaine d’icelle armée, mis en fuyte ; et furent
arrier touttes leur tantes pillées et la plus part des Bourguignon occis et
chassés. Et y perdit son artillerie, chariot, bahus, vaisselle et aultre
biens ; et donnairent touttes la despoilles audit de Loherainne, leur
conduicteur, en récompense du bénéfice.
xvij mil Bourguignon occis. — Le nombre dé Bourguignon occis en
cest baitaille fut de XVII mil hommes.
Et, après celle desconfiture, s’en retirait ledit de Bourgoingne jusques
a Dijon. Et illec ce thint plusieurs jours, et ralliait de ces gens ce qu’il
en polt avoir.
Nancei reconquestée par le duc René. — Or, en ycelluy tampts, tenoit
tousjour ledit Charles grosse garnison dedans la ville de Nancy, corne
cy devent ait esté dit. Par quoy ledit René, voyant sa bonne fortune,
renforsa son armée à Argentine, c’on dit Strasbourg, avec laquelles il
■vint arrier mestre le sciège devent Nancy. Et, là, firent tant qu’il regai-

M. pourchaissant i Philippe avait écrit estoit pourchaissant ; il a ajouté a entre
Ignés, oubliant de corriger pourchaissant.

48

1475,

OCTOBRE. — CHARLES LE TÉMÉRAIRE EN LORRAINE

gnairent la ville, et en déjectairent la garnison de Bourgongne. Et,
durant celluy sciège de Nancy, le seigneur de Bièvre, qui la tenoit pour
le duc Charles, fut de sy près tenus et sy destroit que, de force de famine,
il ne mengeoit, par l’espace de trois sepmainnes, que char de chevaulx,
de chiens, de chatz et d’aultres bestes. Et furent tellemant constrains,
comme dit est, qu’il faillit qu’il rendît la ville audit duc René.
Le seigneur de Bieuvre marris em l’encontre du conte de Cambesasse. ■—
Et, néantmoins, il en vindrent dehors, leur vie et leur biens salves.
Et, incontinant qu’il furent à delivre, priment le chemins devers Mets.
Et illec, à demi lues près de la cité, en ung villaige nommés Maigney,
vinrent à rancontrer le conte de Campebasse, qui lez devoit secorir ;
maix il luy faillit et ne le secourut pas. Par quoy ledit seigneur de
Bièvre, en ce coursant treffor à luy, l’appellait trois ou quaitre foix
traïstre (comme bien il se monstrait depuis). Et fist ledit conte de
Campebasse plusieurs mal et grant dompmaige parmi le Hault Chemin
et on païs de Mets.
Tantost après ce fait et advenus, le dit duc de Bourgoingne, à qui
tous maleurs et adversités luy courroye sus, merveilleusement ce despita
de ainssy estre vaincu par ung petit prince. Et, comme en grant fureur
et en ce complaindant, restablit de rechief son armée, puis ce partit de
Dijon et s’en alla mestre le sciège à Grançon devent Sallin.
Le duc de Bourgongne déconfit devent Granceon. — Et, le deusiesme de
mars, fut rebatus par les Suisse ; et y perdit de rechief des plus grant
de ces capitaine, et à grant paine en eschappa. Et, luy Ve, chevaulchait
bien XV lue sans dessandre.
Le duc de Bourgongne retourne en Lorainne. — Puis ce partit des
salline, et rasamblait arrier ses gens, et s’en vint de rechief en Loherainne, en intencion de reconquester Nancy. Car, quant il parloit de
René, tropt peu de chose l’estimoit, comme ce il fût ung géant et René
ung nayn. Et, durant ce qu’il venoit, le conte de Campebasse, le conte
de Sinay et monsseigneur du Fayt se tirairent vers luy, à grant puis­
sance de gens. Et, quant yceulx conte furent assamblés, il eslirent entre
touttes leur gens quaitre mil hommes des mieulx em point ; et ces
quaitre mil priment en charge le conte de Campbasse, monsseigneur
du Fayt et monsseigneur de Bieuvre. Et les emmenairent vers la cité de
Toul pour aller au devent de leur prinse monsseigneur de Bourgongne,
qui revenoit en Loherainne, comme dit est. Et, là, le trouvairent qui
retournoit avec le rest de ses gens, en intencion de reconquester Nancy.
Et le rest dez gens que les conte devent dit avoient heu amenés furent
bailliés en la chairge du conte de Sinay, qui les enmena repairier devers
Thionville.
Item, tantost après, environ le XVe jour d’octobre, vint ledit de
Bourgongne, acompaigniés de environ X mil homme. Et, avec cest
armée, vint mettre son parc sur la montaigne de Saincte Genevire,
assés près de Mousson. Et, alors qu’il arivait, estoit le duc René, luy et
ses gens, dedans sa bonne ville du Pont ; et thint bon contre le Bour-

1476.

— GUERRE ENTRE RENÉ II ET CHARLES LE TÉMÉRAIRE

49

guignon environ deux ou trois jour. Mais, ce temps durant, vinrent et
arivairent à l’ayde dudit de Bourgoingne environ X mil tant Flamans,
Anglois, Hanouuiez comme Gantoys ; par quoy son armée fut fort
renforciéez, et de gens frèche et nouviaulx. Et, alors, volt assaillir le
Pont.
Le duc René se retire en Suysses pour assembler gens. — Maix ledit
René, voyant qu’il n’estoit pas essés puissant pour résister à sy grant
multitude de gens, s’en partit de nuit, luy et les siens. Et, à son despart,
les Allemans qui avec luy estoient fouraigèrent fort la ville, espéciallement és bestes. Et, incontinant qu’il furent partis, le duc de Bourgongne entrait dedens. Et le duc Régné s’en tirait devers Toul. Puis ait
tellement esploitiet qu’il vint au pays dez Suisses ; et avec yceulx
reformait ces alliances plus fort que devant ; et y fut loing tempts.
L’yver de cest année passée avoit estés de diverse manier. Car il
faisoit biaulx temps et chault tout l’iver a durans ; et, quant ce vint
à Paicquez aprez, il fist froit, et gellait en apvrilz treffort, et tellement
qu’il y oit bien la mitté des vigne engellée ; et en furent les vin renchéris.
Mais on avoit bon bief pour YI sols et l’avuaine pour III sols.

[l’année 1476. MORT DE CHARLES LE TÉMÉRAIRE].

Mil iiij° Ixxvj. — Après ces chose ainsy advenue en la manier que
avés oy, et que le milliair courrait par mil quaitre cenc et LXXVI, qui
estoit l’an XXXVIIe de l’empire du devent dit Phéderich l’empereur,
fut alors en cest année fait, créés et essus pour maistre eschevin de la
cité de Mets le seigneur Jehan Chaverson.
Les Bourguignon chassés de Lorainne. — Et, en celluy temps, vinrent
nouvelle à Mets cornent le seigneur Gracian de Guerre, qui avoit estés
capitaine de Perney, comme dit est, acompaigniez de plusieurs aultres
a la faveurs du 1 duc René de Loheraine, avoient heu prins Wauldémont, et avoient heu mis à mort tous les Bourguignon qui dedans es­
toient en garnison. Et, de fait, le dit messire Gracien, acompaigniés du
conte de Biche et du seigneur Dediet de Lande, avec plusieurs aultres
capitaine pour le dit duc René, ce boutairent en Loherainne à grant
force. Et, nonostant les Bourguignon, prinrent et réduirent plusieurs

a- M : ivrer.

L Partisans du duc René.

50

1476.

— NOBLES LORRAINS RÉFUGIÉS A METZ

places et bonne villes que les Bourguignon tenoient à force ; et en furent
yceulx Bourguignon espulcé et deschaissiés.
Item, en celluy temps, vint à Mets ung grant capitaine, natif de la
cité de Neaples, nommé Jaicquez Galliot ; et y amenait une jonne fille
qu’il avoit, laquelle il laissait en gairde, pour la nourir, en la maison de
Wuide Boutaille auprès de Saint Vincent.
La fille du conte de Campesasse à Mets. — Paireillement, en ces
meisme jours, le conte de Campbasse y vint; et amenait sa fille, et la
mist avec gens de bien en l’ostel Jaicomin Loxy. Et à celluy conte fist la
cité présant, qu’il print fort en grey.
Grosse gresle, vignes tempestée. — En celle meisme année, la vigille
de l’Ascenssion, vint ung orraige, et fist le plus terrible temps de gresle
et de tonnoire que de loing temps devent il eust point fait ; ne n’estoit
mémoire que le paireille eust esté veu.Et cheust séjours tant de gresle
et cy grosse et à sy grant abondance que, en touttes les fins du Vault de
Mets, comme à Jeuxei, Sainte Bafïine, Chastel, Lessei, Bouserieulle,
Mollin, Sciey, Chaizelle, Longeville, Pleppeville, Thinonmont, Lorey,
Vignuelle, la mitté de Salney, Wappey, et la moitiet de la ville d’Airs
sus Muzelle, touttes les fins d’iceulx villaiges furent tellement tempestées
que, en chacun journaulx de vigne, l’on n’y eust sceu pranre une hottée
de raisin. Et fut la non paireille pitié que jamais on heust veu de grelle.
Et, après ce fouldre, il fist bien chault ; mais, non ostant la challeur,
encor au bout de trois jours après, on trouvoit de la grelle sur terre en
plusieurs lieu. Le rest de celluy estés fut sy très chault et sy secquez
qu’il sembloit de la terre, en d’aulcuns lieu, espéciallement de l’isle du
Pont des Mors devent Mets, que se fût terre labourée, tant estoit arse
et rouge.
Copt de fortune aux tires de l’arbeleite. -— Item, on dit ans, environ la
sainct Jehan Baptiste, ung citains de Mets, nommés Jehan de Villés,
l’amans, homme de lignaige, demourant en ycelle cité, en ung biaulx
manoirs Dessus le Murs, cellui Jehan tiroit de l’arbellestre en une maison
Oultre Saille avec plusieurs seigneurs et soldoieurs ; maix, par ung
copt a de fortune, advint qu’il couchait mal son arbellestre, et tirait ung
soldoieurs, nommés Arnoult de Fénestrange *1, tout parmy la teste,
tellement que a vray l’on cuydoit qu’il fût mort. Toutefïois, il fust sy
bien secourus qu’il ne morut point ; maix il perdit la veue. De quoy fut
ledit Jehan constrainct de luy paier pour sa vie et gouvernance quaitre
cent et LX frans.
Plussieur seigneur de Lorenne a refuge à Mets. — Item, aussy en ce
meisme temps, vinrent en Mets plusieurs seigneur de Loheraine à
refuge, qui ne se ossoient tenir en Loheraine : c’est assavoir monsseigneur de Mairnai, seigneur Jehan de Toullon, seigneur de Taixei,

a. M : corpt.
1. Arnoulz de Puttellange (Aubrion, p. 85.)

1476.

—- FAITS MERVEILLEUX D’UN AVEUGLE DU PAYS DE METZ

51

Rodât Bayer, et plusieurs aultres. Et y furent aulcuns d’eulx que se y
tinrent toutte leur vie. Et firent les seigneur devent dit le “ serment de
fidélités à la dicte cité.
Et, en ce meisme tampts, Liébault d’Aulboncourt print la plaisse de
Taixei, et l’aruynait tout et mit à terre.
Mais de lui vous lairés ung peu le parler, pour vous dire des fait mer­
veilleux d’ung aveugle du païs de Mets, et de ce qu’il faisoit.
Merveille d’ung aveugle en trois ans, estant aux paiis de Mets.— En ce
meisme temps, y avoit on pays de Mets, en ung villaige nommés Vignuelle, ung aveugles nommés Jehan Burtault, lequelle dès l’eaige de
trois ans n’avoit veu goutte, car, par une mallaidie qui se nomme
proprieulle, il avoit heu perdus la veue. Celluy aveugles faisoit chose
merveilleuse et incrédible à gens qui ne l’aroye veu, et ne seroit point
à dire ne à relater hors du pays et en lieu où la chose ne se peust prouver :
mais tropt de gens de ce pays ycy l’ont veu et congneus et sont bien
avertis des merveille qu’il faisoit. Et, premier, ledit Jehan Burtault se
melloit de chanter au moustier, avec des aultres ou tout seullet. Oultre
plus, il aprenoit des jonne anfïans à l’escolle, comme de leur abc, de
leur heures, sept seaulme et vigille. En après, il estoit bon treselleur de
cloche ; et, de fait, il mourut en exsersant cest office à Saint Mertin
devent Mets. Il estoit ung grant venoir et l’ung des bon braconnier de
tout le pays ; et, au tamps d’iver, il estoit journellement à la chesse à
tandre au cerf, au biche et aultrez salvaigine ; et congnoissoit bien la
passée desdicte beste, voir quant on luy faisoit santir a mains. Daventaiges, il faisoit les hernaix et les pannel à pranre ycelle beste ; et aussy
faisoit bien des retz à peschier ; oultre plus, il faisoit hottez et chairpaigne. Il ouvroit essés bien en la vigne à plusieurs ouvraige. Et encor
faisoit il plus fort : car, par des fois, il se melloit de cueillir des serise
sus dez serisiés, laissoit les blanche et cuylloit les meurs. A sourplus,
c’estoit l’ung des bon tandeur au bret qui fût en tout le païs, c’est
à dire qu’il estoit le supélatifïe ouvrier de prandre grives, merles et
aultres oysiaulx avec ung huchet et ung bret*1 qu’il en y eust point en
tout le pays ; et les congnoissoit tout sus le doy, et sçavoit mieulx ou
aussy bien retrouver ses louge 2 parmi les champs comme eust fait ung
qui eust veu bien cler. Paireillement, il tandoit bien aux gluns 3, au
saulterelle et à plusieurs aultre angiens à pranre voullaige 4 ou voinesson 5. Oultre plus, il ce melloit de guider et conduire les gens de

a. M : le le (à la fin d’une ligne et au début de la ligne suivante).
1. Sorte de piège formé de deux branches qui forment ressort. — Le huchet est un
appeau.
2. Loge, abri de feuillage d’où sortait le bret.
3. Gluon, gluau.
4. Volage, gibier de plume.
5. Venaison, gros gibier. Ici, gibier en général ("Zéliqzon, art. tyèneson).

52

1476.

—■ GUERRE ENTRE RENÉ II ET CHARLES LE TÉMÉRAIRE

nuyt. Et, qu’il soit vray, je m’en croy : car, en celle devent dicte année,
que tout le païs de Loherairie et de Bar estoit triboullés pour les guerres
devent dictes, moy, l’escripvains et composeur de ces présentes cronicquez, estant jonnes, avec plusieurs aultres femmes et anffans,
fûmes conduit et menés de nuit plus d’une grosse lues parmi les bois
par le dit Jehan Burtault, qui estoit en l’eaige de XL ans ; et fûmes
ainsy menés en ce boix auquelle se estoient retirés les homme, en ung
grant part 1, avec le bestial, de peur d’iceulx Bourguignon qui ne faisoient que aller et venir. Car, pour cellui tampts, je, l’escripvain dessus
dit, demouroient en ycellui villaige de Vignuelle ; et ait veu faire audit
Jehan la plus pairt de touttes les merveilles que j’ai dessus escript.
Ung faulx tesmoing pendus. — Item, en ce meisme tamps, l’on fist
justice en Mets, et fut pandus ung compaignon de Maigni. La raison
fut pour ce qu’il avoit fait et produict des faulx tesmoing et des faulx
sermens. Et l’homme, avec sa femme, qui luy avoient fait faire, en
olrent les oreille couppée.
Clémerei prinze. — Item, en la sepmaigne de la Magdellaine, le
devent dit Liébault d’Aubocourt, au partir de Mets, s’en vint devant
Clémery, et la print par force ; dont la cité luy en rescript. Maix, deux
jour après, cellui Liébault fut ranconstrés de plusieurs compaignon,
entre lesquelles estoit Henry de Ricourt 2, chastellain de mon seigneur
l’évesque de Mets au lieu de Nominy, par qui fut ampoigniés ledit
Liébault ; et fut tellement batus et navré qu’il oit XII playe mor­
telles ; et, avec ce, fut prins et menés à Nominy en prison.
Le conte de Campesasse s’en retourne vers le duc de Bourgongne. — Puis,
en la sepmaigne de la sainct Jehan Décollaitte après, paissait le devent
dit conte de Campbasse avec belle compaignye de environ trois mil
homme de guerre qu’il menoit encor devers le duc de Bourgongne pour
luy aydier à reconquérir le pays de Loherainne. Et ne passait celluy
conte point plus près de la cité que de trois lues ; et se fist il en récompance du présant que lesdit de Mets luy avoyent n’ait guerre heu fait,
corne cy devent est dit, et pour ce mena il ses gens loing de la cité,
afïîn qu’il ne feissent dopmaige audit de Mets.
Pouvre vendenge. — Item, en celle devent dicte année, on eust une
très pouvre vandange, pour la raison devent dictes de la fouldres et
tempeste. Et n’y oit point en chacun journal de vigne, l’ung parmy
l’aultre, une demy cawe de vin.
En cellui tamps, et encor après la vandange, il venoit journellement
sy grande multitude de gens en Mets, d’iceulx Bourguignons et de
plusieurs aultres nassion, desquelles l’on se doubtoit fort et n’en estoit
on pas tropt esseur 3, par quoy il fut ordonnés que tous estrangiers
vuydaissent hors de la cité.

1. Parc.
2. Hanry d’Orioncourt (Aubrion, p. 85).
3. Asseür, assuré.

1476.

— ARRIVÉE EN LORRAINE DU DUC RENÉ ET DES SUISSES

53

Et, aussy en celluy temps, pour cause d’icelle guerre et de la grant
multitude de peuple que journellement y venoient et empourtoient les
vivres, et aussy à l’ocausion de la fouldre et tempeste qu’il avoit fait,
furent les vivres sy ranchéris que se fut merveilles ; et meismement les
œufz, fromaige et aultrez menue victuaille. Et avoyent faillis les fruyt,
par quoy rien n’estoit pour ce tamps à bon merchief.
Le duc de Bourgongne mande vivre à Mets. — Et, de fait, mon seigneur
de Bourgoingne envoiait prier à la cité qu’il peust avoir certaine quan­
tités de quairte de bief et de vin pour son argent, car alors il voulloit
aller mestre le sciège devent Nancy. Mais il en fut renfusés, et n’en eust
point que une gracieuse responce.
Cy vous lairés de cez chose le parler ; et vous serait dit cornent,
durant celluy sciège, fut le duc de Bourgoingne desconfis.
Vous avés par cy devent oy, et vous ay bien amplement estés contés
cornent le duc Charles de Bourgongne oit plusieurs fortune, tant à
Moret comme à Gransson et aultre part, par son obstinacion et orgueille.
Puis avés de rechief oy cornent il rassambla ses gens et fist arrier une
grosse armée, avec laquelles il antrait en Loheraine, et déjecta le duc
René de sa ville du Pont et l’occupa. Conséquamment, vous ait estés
dit cornent ledit René, droit hoirs de la duchiez de Loherainne, c’en
allait en Suysse ; et, là, reforma ces alliance, et assambla d’iceulx
Suisse une grosse armée pour et en intencion de venir reconquérir son
pays. Rest maintenant à veoir cornent, durant le tamps que ledit René
estoit a pays de Suisse et faisoit ses armée, comme dit est, le devent dit
Charles, duc de Bourgongne, se ramforsoit tous les jours de gens.
Le scièges devent Nancei par le duc de Bourgongne. — Et fist pareille­
ment une grosse armée, avec laquelles il s’en ailla de rechief mettre le
sciège devant Nancy, qui alors tenoit pour le dit René, et délibéra ne
s’en partir, et cy l’airoit prinse tout à sa voulluntés. Mais moult remaint
de ce que fol pance.
Le duc Bené avec xv mil Suysse. — Car alors ledit René ne dormoit pas.
Ains se mist en chemin, luy et son armée, qui estoit de XIIII ou XV
mille Suisse, et ce prinrent à mairchier en intencion de venir lever le
sciège. Et, combien que ledit de Bourgongne fust assés avertis de leur
venue, et que alors faisoit ung merveilleux et froit yver, et aussy,
voyant que luy et ses gens eussent grande faulte de vivres, par quoy
il fut conseilliet par plusieurs de ses capitaines de soy lever dudit
siège, néantmoins, comme homme furieux et obstinés, il n’en voulut
riens faire.
Le conte de Campesasse délaisse le duc de Bourgongne. — Par quoy le
conte de Campbasse, et Féderich, prince de Tharente, filz du roy Farrando de Neaples, qui estoient avec luy a campe, l’abandonnèrent. Et
s’en alla ledit de Campbasse avec IXxx hommes d’armes devers le dit
René, duc de Loherainne, auquel il manifesta tout le conseille du duc de
Bourgongne.
Aussy ne fait à oblier cornent, durant se tamps, le roy Loys, consi-

54

4477 n. st., 5

janvier.

— la bataille de nangy

dérant que alors il avoit trêves avec le roy d’Angleterre et audit de
Bourgongne, et que tropt grant quantité de gens d’armes et souldoyer
mengeoient le royaulme, désirant que son puple en fût deschargiés,
en cassa une grand partie ; lesquelz, se voyans sans gaiges ne soldées, et
sachans la guerre entre les ducz dessus dit, s’en allèrent pour servir et
ayder ledit duc de Loherainne ; et il les recueillist.
Le duc Nicolas (sic) à Varengéville. — Et, alors, estoient les dit
asségiez de Nancy presque defïaillans de famine, et en désespérance du
secours ; par quoy il délibéroient de soy randre a duc de Bourgongne,
se le secour ne fût venus. Mais le dit René, espédiant la besoingne, ait
tellement chevalchiez, luy et les siens, qu’il sont arrivés à Sainct Nicollas de Wairangéville. Et d’icelle ville, en belle ordonnance, se sont
partis le dimanche au matin, Ve jour de janvier, qui est la vigille des
grant Roys ; et sont venus arrivés en ung villaige devent Nancy,
nommés Laneufville.
La bataille donnée entre le duc de Bourgongne et le duc Régné. — Et,
assés près de là, dessus ung petit lac ou une estang, acoustra le duc ses
armées, et fut ordonné de la bataille et de l’ordre qu’on y devoit tenir.
Lesdit Suisses se mirent en deux bandes, dont le conte d’Abstain et les
gouverneurs de Fribourg et Suric en menairent a et furent conducteur
de l’une ; l’autres bandes menèrent ceulx de Berne et ceulx de Terne.
Et par ainssy furent les bandes desparties. Tellement que, environ le
midi, marchèrent tous à une fois : c’est assavoir les ungs cheminèrent
selon la rivière, et les autres, en bon ordre, parmi le grant chemin, en
tirant droit à Nancy.
Mais il n’y sceurent cy tost venir que pour lors ne fût desjà le dit
Bourguignon mis hors de son parc en bataille. Et, entre les deux armée,
y avoit ung petit russeau on millieu de deux fortes hayes. Et avoit ledit
de Bourgongne fait asseoir le plus fort de son artillerie sur le grant
chemin par où venoient l’une d’icelle bande de Suisses ; et se hastoit de
la faire tirer contre yceulx Suisses qui venoient. Par quoy les capitaines
de l’armée se destournèrent à senestre vers la prochainne montaigne.
Contre lesquelles le dit de Bourgongne envoya en deux bandes Jacques
Galliot, neapolitains, et Josse Lalain, premier juges de Flandres ; et
comanda qu’il fissent deux esles et que yceulx hommes d’armes don­
nassent l’assault aux annemis. Après lesquelz s’ensuyrent grant nombre
de piétons et archiers.
Desconfdure des Bourguignon. — Néantmoins, incontinant que
yceulx Suisses se trouvairent sus la montaigne, retournairent leur face
aux Bourguignons, par impétuosité à paine incrédible, et le plus fière­
ment que jamais firent gens, et, en cest sorte, s’en vinrent à ruer dessus
leur annemys. Et, à l’approcher, deschargèrent leurs coulevrines à
mains. A laquelle descharge tous lesditz piétons se mirent en fuyte.

a.

M :

menairaint.

1477 n. st., 5

janvier.

— la déroute des bourguignons

55

Davantaige, ceulx qui cheminoient vers le fleuve, faisant leur course
contre ledit capitaine Galliot, prosternèrent toutte sa bande et la
deffirent. L’aultre esle desditz Bourguignons tourna pareillement sur
l’aultre bande desdit Suisses, desquelles il furent sy bien recueillis qu’il
prindrent la fuites.
Auprès de Nancy, y ait ung pont par lequelle on va à Bouxier a
Damme, ou pour tirer à Mets ; et est environ à demi lues de ladite
Nancy. Celluy pont avoit le conte de Campbasse occupé, et mis dessus
et empesché de chariotz qui estoient au travers, tant sus ledit pont
comme en tout le chemin tirant à Nancy. Par quoy, après que yceulx
Bourguignon qui s’enfuyoient furent arivés, et trouvant yceulx empeschement et embusche, et voiant que par derrier estoient pressé et
chaissiet, estoient constrainctz d’eux gecter aux guez de la rivier ;
dont les plusieurs moroient à force de boire yaue. Et de touttes pars
on les tuoit parmi les champs ; les aultres fuioient és forest, et estoient
chassiez et sans miséricorde mis à mort par les paysains du païs. Et fut
celle desconfiture plus grande la moitié que on champs de la bataille.
Et, encor, ne cessa le duc de Loherainne à poursuir son annemis jusques
à ce qu’il fust arresté par la ténébroisité de la nuit. Et, encor au lundemain et trois jour après, les paysans tuoient yceulx fuyans jusques
à Mets ; et tellement que, à V ou à VI lues en tirant devers Mets, on ne
trouvoit que gens tués et despouilliés par les chemins. Et gelloit alors,
et faisoit la plus orrible froidure de jamaix ; car assés en morurent, qui
c’estoient quaichiez, de fain, de froit et de messaise.
Misère de l’armée des Bourguignon. — Plusieurs furent qui vinrent
jusques à Mets, qu’il estoit plus des deux ou trois heure après minuit ;
et ce vinrent à lancier tout dedans les foussés entre la tour Commoufle
et la porte Saint Thiébault, et estoit le heu tout plains de nège. Mais il
estoient cy esperdus qu’il leur sambloit tousjour que l’on les chaissoit ;
et aussy il avoient les mambre sy perdus de froidure qu’il n’eussent heu
quelque puissance de ce deffandre. Iceulx fuyant, et à grant nombre,
prioient aux gait desus la muraille, on non de la sainte Passion de Dieu,
que l’on lez laissait dedans ; et crioient que c’estoit pitiet de a les oyr.
Et tellement qu’il le vinrent à dire à la pourte Saint Thiébault, à
laquelle alors gairdoit seigneur Andrieu de Rineck, chevallier, lequelle,
non créant leur parolle, touteffois ce levait. Et lui et Maithieu Bay, le
merchamps, qui alors estoit avec luy, vinrent sur la muraille avec les
guet, en l’endret de Sainte Glossine ; et, de ce lieu, les interrougait le dit
seigneur Andrieu. Mais, pour ce qu’il ne sçavoient pas du tout bien
responde à sa demande, il les laissa ; et, jay ce que moult piteusement
il requiert à joincte mains estre mis dedans, il s’en retournait couchier,
et ne voult croire à leur parolle, disant que ce n estoient que coquinaille
qui avoient heu quelque effroy et s’en estoient venus fuiant.
Ne demoura pas granment que lesdite guette vinrent arrier à la porte,

a. M : des.

56

1477 n. st., 5

janvier.

— mort de Charles le téméraire

et dirent que tout estoit plains de gens nouviaulx sus les foussés, les­
quelle merveilleusement se complaindoient, priant pour Dieu que l’on
les laissait dedans. Par quoy ledit seigneur Andrieu y restourna. Et
adressait sa parolle à ung noble jantilz homme et de grant maison ;
lequelle respondit audit seigneur Andrieu sy proprement de tout ce de
quoy il le interroga qu’il sambloit qu’il les veit à l’oueil, comme cellui
qui avoit veu le plus fort de la journée. Alors le dit seigneur Andrieu
fut bien esmerveilliet d’oyr les nouvelle. Et interrogait celluy qui il
estoit, car il ne le veoit point pour l’obcurité de la nuyt. Et celluy se
nomma. Mais, incontinant que ledit seigneur Andrieu l’oyt nommer, il
fût voulluntiet dessandus pour le baiser et acoller ; et l’aultre, voyant
qu’il luy faisoit cy grant samblan d’amour, luy demanda son non, et il se
nomma. Alors ledit Bourgongnon tendit les mains en hault et, comme
en plorant, ait dit : « Ha ! seigneur Andrieu, franc chevalier, aujourd’ui
je vous requier, on nom de la sainte Passion de Dieu, que salvés la vie
à se pouvre misérable chevalier voustre amis ». — « Hélas! » ait dit
seigneur Andrieu, « vécy des piteuse nouvelle ! Et fault premier aller a
Conseille, que je vous puisse laissier entrer ». — « Hé ! pour Dieu »,
dit-il, « que vous hastés ! » Et, après plusieurs aultres parolle, s’en vint
le dit seigneur Andrieu au Conseil ; et fut toutte la cité esmeute.
vij ou viijxx Bourguignon mort à l’ospitalt. — Mais, en lassant plu­
sieurs aultres prepos, quant se vint à ouvrir les portes, avec grant
mistère, comme en ung tel cas il est requis, lesdit Bourguignon, quant il
eurent passés la premier porte, cuidant desjay estre dedans, ce vinrent
à lansier par sy grande impétuosité entre la barier et la premier porte
qu’il se laissoient causy cheoir dedans les fousés. Et en morut bien
VII ou VIIIXX à l’ospital ; car il estoient tout morfondus et engellés,
et les aulcuns de fains, ou de plaie qu’il avoient. Et en y avoit en la cité
sans nombre des blessiet et affollés.
Mais je vous en lairés le parler, pour revenir [à] la journée devent dicte,
et cornent le duc de Bourgongne fut trouvés.
La mort du duc Charles de Bourgongne. — Or, retournons à la journée
devent dicte, en laquelles morut le duc de Bourgoingne, et la manier
cornent il fut trouvés.
Vous devés savoir que, après la fuistes d’iceulx Bourgongnon, ne
cessa encor le duc de Loheraine à poursuire son annemis, comme dit
est devent, jusques à ce qu’il fust arresté par la ténébrosité de la nuict.
Et, encor au lundemain et trois jour après, les païsant tuoyent yceulx
fuyant jusques tout après de la cité de Mets et és villaige entours.
Lors, le duc René, soigneux de enquérir se le dit de Bourgongne estoit
mort ou s’il vivoit, pour ce qu’il n’avoit receu aulcune nouvelles de luy,
hastivement envoia aux habitans de la cité de Mets pour ce enquérir
s’il estoit eschappé par leur cité. Adoncque il trouva qu’il n’estoit
point passé, à cause que les passages estoient tous empeschez et bien
gardez. Et fut trouvé que, comme il se cuyda salver, trébucha et cheut
le cheval sur lequel il estoit monté, au moyen de quoy il fut batu de

1477 n. st., 5

janvier.

— mort de Charles le téméraire

57

grandes piques par aucuns Suisses qui ne le congnoyssoient, par quoy
il tomba et fut tués.
Et, pour ce, le lundemain, qui fut lundi, jour des Roys, fut interrogué
son paiges, nommé Baptiste, natif de Romme, de la maisons des Coulones, jonne adolescenc, qui avoit estés prins à celle journée, et lequelle
très familièrement et amyablement servoit le duc son seigneur, et
moustra de luy signes très aparens. Par quoy, après ce qu’il eust estés
bien interrogué, il fut mené au lieu où ledit de Bourgongne gisoit,
tout nud, entre les mors, en ung fossé, le visage à demi en l’eaue, laquelle
eaue estoit tellement engellée que, en le tirant dehors, on luy arracha
la peau d’ung costé dudit visage. Et à l’entour de luy estoient XIIII aultrez hommes, tous nudz comme luy, assés loing les ungz des autres.
Il fut trouvés qu’il avoit trois merveilleuses playes : l’une estoit d’une
halebarde en la teste, par dessus l’oreille, touchant jusques aux dens,
la seconde estoit ung coup de picque au travers dez cuysses, la tierce
par dedans le fondement, respondant jusques au cuer.
Et ainssy fut son corps prins et chairgiés et pourté dedans la ville
de Nancy ; et fut mis en l’ostel d’ung appellé George Maircque ; et, là,
fut mis sus une tauble, couvert d’ung draps noir, et quaitre sierge
ardant autour de luy. Et y fut quaitre ou V jours, durans lesquelles il
fut visités tout à loisir. Et fut principallement congneu à six chose. La
premier fut aux dentz de dessus, qu’il avoit autreffois perdues par une
cheute ; la deusiesme fut d’ugne cicatrice à cause de la plaie qu’il eut
en la journée de Montlhéry on cousté dextre de la gourge ; la troisiesme aux ongles, qu’il portoit plus grandes que nul autre homme de
sa court ; la quaitriesme fut pour une playe qu’il avoit en une espaule,
à cause d’une escharboucle que autrefois y avoit ehue ; la Ve fut à une
fistule qu’il avoit au bas du ventre, du costé dextre ; et la VIe fut
d’ung oncle que il avoit retraict en l’ortoeil. Aux dictes enseignes fut
le duc cognus. Et à cella se consentit et acorda et donna son jugement
pour tout vray ung sien médecin, nommé maistre Mathieu, portingaloys ; et aussy le dirent ses varletz de chambre ; et pareillement
firent ces deux frères bastard, lesquelles à celle journée furent prins,
c’est assavoir le sire Anthonne et Baudouuin ; et paireillement son
chapellain, messire Ollivier de la Marche, et plusieurs aultres.
Le duc de Bourgongne ensepvelis à Nancei. ■— Et, alors, fut prins le
corps et portés en l’église de Sainct George de Nancy. Et en ce lieu fut
honnorablement ensevely. Et à ses obsèques porta le dit René le doeil,
luy et toutes ses gens. Et depuis y ait le devent dit duc René fait faire
une riche sépulture, comme à présant chacun peult veoir. Et, pareille­
ment, fist dresser une croix de pier au lieu là où le duc de Bourgongne
fut trouvés mors et tués.
Plussieuv prince lues et prins à ladite journée. — A la dicte journée
et desconfiture gaigna le duc de Loherainne grant honneur et grant
chevance : car il gaigna or et argent, artillerie, vivre et aultres bagues.
Et, avec ce, y eut plusieurs grans personnages prisonniers ; entre

58

1477.

— CHAPELLE COMMÉMORATIVE ÉLEVÉE PAR LE DUC RENÉ

lesquelles y furent les devent dit deux frères bastardz audit de Bourgongne, c’est assavoir Anthoine et Baudouin, lesquelz le roy Loys
achapta, et fist paier leur renson et les amener devers luy. En celle
baitaille, y fut tué mon seigneur de Beuvre, et tant d’aultre de grant
noblesse que se fut pitiet et domaige. Et plusieurs aultres s’en fuyrent
en grant désarroy, tel que mon seigneur de Nausowe, mon seigneur de
Romont, et mon seigneur du Neufchastel, et plusieurs aultres ; et
tellement que, encor trois jours après, ne faisoient que passer par
devent Mets yceulx fuyant.
x ou xij mil Bourguignon tués. — Le nombre des tués, cellon les
cronicques de Loherainne, est de diverses oppinions : car les ung met­
tent VIII ou X mil, et les aultres en mette X ou XII mil. Touteffois,
cornent qu’il en soit, au lundemain des Roys, qui fut le deusiesme jour
après la dicte baitailles, le duc René fit recueillir tous yceulx corps mors
qui furent trouvés là entour de Nancy et à demi lue près ; et furent
tous enterré en une fousse.
Lieu dédiés en mémoire de la vicloire. — Et, en ce beu, ait depuis
le dit René fait faire une très belle chapelle, laquelle on voit à présant ;
et en ycelle assigna rantes et revenue pour la vie de ung prebstre qui
perpétuellement aurait mémoire des trespassez.
Or fut celle journée une piteuse adventure pour ledit de Bourgongne,
luy qui alors estoit le plus craint et redouttés prinse de quoy l’on sceût
parler, et, avec ce, le mieulx amés de ses subject. Et en cella se monstrait bien, d’aultant qu’il ne voulloient croire à sa mort, souveraine­
ment les Arthoysiens et aultre plusieurs d’iceulx Bourguignon. Car
follement et opinastrement affermoient que de la baitaille estoit
eschappé en Germanie, et illec avoit woué pénitence de VII ans, après
laquelle pénitence acomplie reviendroit avecques moult grant puis­
sance et vengeroit toutes ses injures et inimitiez.
Plussieur gaigière faicte croiant le duc n’estre point mort. — Et, qu’il
soit ainsy, ces subjecgz y estoient cy très bouttés en cest follie que
plusieurs en ay cogneu qui, en cest crédulité moult obstinez, mectoient
en vente robbe et hernaix, chevaulx et pier précieuses et aultres plu­
sieurs merchandise, et, se aulcuns les achetoit, il les vandoient à creance
oultre le juste pris (et deux ou trois fois autant que ycelle merchandise
valloient), le payement délayé jusques à se que leur prince Charle fût
revenus après l’achèvement de sa pénitence. Et, qu’il soit vray, je le
sçay : car moy, l’escripvain et composeur de ces présente, en ay aydier
à escripre plusieurs contrac et merchief fait d’iceulx vandauge, moy
estant jonne et demorant à Mets chief Jennat de Hainonville l’ament.
Et y oit ung citains d’icelle cité, nommés Jehan le Taubourin, demourant en Viéseneuf, que y vandit la plus part de tout le sien ; aussy
firent plusieurs aultres, dont il en furent pouvre à la fin et mendiant.
Et la chose qui plus les abusoit et leur augmentoit leur folle creance,
fut que en celluy tamps on trouva ung homme en la ville de Brucelle,
menant vie austère, et faisoit grant pénitance, lequelle resembloit
audit Charles en voix et en stature ; et ne se monstroit guerre souvant,

1477.

— CONQUÊTE DE L’ARTOIS PAR LES FRANÇAIS

59

ains faisoit grant pénitence, semblant à ung homme triste ; par quoy le
populaire facilement le tenoit pour Charles, jusques à ce que par signes
plus évidens fut la vérité cogneue.
Cy vous soufice de ce que j’en ait dit, car à plusieurs aultres guerres
qui s’en ensuirent veult retourner.
Le duc René en Bourgongne. — Puis, après ses chose ainssy advenue,
mena le dit René son armée en Bourgongne.
Plussieur ville réduicle en la main du roi par le duc René. — Et, on non
du roy Loys, reconquesta tout le païs appartenant à l’appenage de la
couronne de France : c’est assavoir qu’il remist en l’obéissance dudit
roy la ville de Noyon, Mondedier, Péronne, Abbeville et Monstreul,
Roye, Sanlis, Compiengne, et tout le païs du loing de la rivier de Somme,
jusques à Arras.
Le sciège devent Arras. — Mais lesdit d’[A]rras ne voullurent le roy
recepvoir en leur ville ; ains, on nom de Marie, fille audit duc Charles,
y ressurent la garnison de Flandres. Par quoy le roy assambla une
grosse armée, et mist le sciège devent la ville. Mais, ainssy comme
ung jour fut prins pour traicter de paix, et les condicion crantées on
monastère de Saint Yaast, soudainement les mutins ce ellevairent
parmy la ville et à haulte vois prindrent à crier : « Tuez ! Tuez ! »
Toutefïoys on ne toucha aux ambassadeurs du roy, car soubdainement
se retirèrent et ce salvarent avec les leurs. Car celle nassion estoient cy
très obstinés que en plusieurs lieu pourtraioient et gravicient des crois
blanches contre les pairois et lieu publicque, et les pandoient à ung
gibet, escrivant le roy et tous les Françoys estre digne d’estre pandus.
Et, avec ce, des dessus la muraille, monstroient le derrier au gens du
roy en les mocquant et dérisant.
Mais, après plusieurs chose faicte et dictes, que je laisse, le roy ce
partit de ce lieu, en tirant à Théroueinne. Et, en ce voyaige, fut Hesdin
prinse.
Mais le sciège demora tousjour devant Arras. Et y fut plusieurs jour ;
lesquelle durans se firent plusieurs malvistiet et trayson desdit de la
ville, qui demandoient salconduit pour aller parler a roy, et c’estoit
pour aller devers Marie, fille au défunct Charles, laquelle alors estoit en
Flandre. De quoy mal leur en print, comme ycy après vous serait dit
quant tampts serait.
Mais de ces chose je lairés quelque peu le pairler, pour vous dire et
conter plusieurs aultres avanture qui advindrent en diverse aultre lieu
parmi le monde durant ces guerres.
Vous debvés sçavoir et antandre que, durans les guerres devant
dictes, tant à Nancy comme aultre part, avindrent encor plusieurs
aultres grant merveilles et chose digne de mémoire en diverse lieu et
contrée parmy le monde, et desquelles j’en veult ycy dire et réciter
aulcune.
Murlre commys dedens Millan. — Premier, dirés comment, en celle

60

1477.

—• MEURTRE PERPÉTRÉ A FLORENCE

meisme année, bien peu devent que le devent dit Charles morut devent
Nancy, c’est assavoir on moix de décembre, és teste de Noé, jour de la
sainct Estienne ou de la sainct Jehan l’évangéliste, avint en la cité de
Millan ung cas de murtre merveilleux. Car, à celluy jour, le duc d’ycelle
cyté de Millan, qui avoit espousé la suer de la royne de France et fille
au duc de Savoye, fut tué en la Grande Église de la dicte Milain, ainsy
qu’il s’en vouloit sortir de la dicte église. Et fut ce fait par ung gentil
homme de son pays, nommé Jehan André de Lampugnano, qui luy
frappa d’ung Cousteau dedans le petit ventre trois ou quaitre coups en
faignant vouloir à luy parler. Et la cause fut pour ce qu’il luy entretenoit a et détenoit sa femme oultre son gré ; et aussy qu’il empeschoit
et constraignoit que justice ne luy fût faicte touchant une abbaye qu’il
avoit fait donner à son parent, pour laquelle il avoit jà payé le vacant
à Romme, et ledit duc vouloit que ung aultre l’eust.
Pugnicions faide dudit murtreux. — Lequelle murdre ainsy fait,
fut ledit murdrier incontinent mysà mort dedans la dicte Grande Église.
En oultre, pour punicion dudit cas, fut dit et sentencié par tous les
nobles juges et graves personnes dudit duché que tous les hommes et
femmes et enffans du costé et ligne d’icelluy murdrier fussent mys à
mort, et leurs seigneurie et maisons démolues et abatues à terre. Et,
mesmement, en détestacion dudit murdres, les arbres portans fruyctz
appartenans à yceulx seraient desracinez, et les racines gecttez contre
mont.
Les aulcuns dient que ceulx qui firent ce murtres estoient d’ung *1
gentilz hommes dudit pays, dont à l’ung il retenoit sa femme, et à
l’aultre il tenoit l’injustice de la dicte abbaye, comme dit est.
Murtre perpétré à Florence. — Tantost aprez ce fait et causy en ung
tamps, ung puissant homme en richesse de la cité de Florence, nommé
Julian Cosme Médicis, fut meismement frappé d’ung glaive en l’église
de Saincte Reparate de la dite Florence, cependant qu’on chantoit la
messe. Tellement qu’il en mourut ; et son frère Laurens y fut pareille­
ment navré, combien qu’il n’en morut point. Celuy qui fit Je cas estoit
ung des noblez de la dicte cité, appellés Francischinus de Paccis. Pour
laquelle cause mon seigneur Nicollas, cardinal du tiltre de Sainct
Grégoire, nepveu du conte Jeronime, fut détenu prisonnier en la dicte
cité ; et messire Francisque Salinatus, archevesque de Pise, en fut
pendu, en habit épiscopal, on palais des Florentins ; et plusieurs aultres
familiers desdictz cardinal et archevesque furent les ungs tués et les
autres pendus. Pour lequel cas le Sainct Père, du conseil des cardinaulx,
gecta sentence d’excommuniment et de interdict sur lesdict Florentins.
Dont sourdit cruelle guerre par toute Lombardie ; laquelle fut finale­
ment abatue moyennent l’ayde des Vénitiens, qui firent délivrer ledit

a. M : entrenoît.
1. Il faut corriger : deux gentilshommes.

1477.

— FONDATION DE LA CHAPELLE DES LORRAINS

61

cardinal de prison et accordèrent à l’Église avec lesdictz Florentins»
Le Palssegrawe tués d’ung singlier. — Plusieurs aultres merveilles
avindrent encor durans ce tamps. Entre lesquelles fut rapourtés nou­
velle en Mets que, en ses jours, environ la sainct Vincent, le Pailssegraive avoit esté tués d’ung portz sanglez au boix.
Ceulx qui avoie prins le chaistel de Pontoi pendus. — Paireillement,
avint encor en celle meisme année que, en l’antrée du karesme après,
vinrent une quantité d’aventuriers se bouter on chastel de Ponthoy,
au territoire de la dicte cité de Mets. Et, de fait, le voulloient yceulx
gallans tenir à force ; et se disoient estre au bastard de Loherainne.
Et, incontinant c’on en sceust la vérité, les seigneurs et gouverneurs
de la cité de Mets leur mandirent qu’il se voulcissent despartir du lieu.
Maix il déterminairent entre eulx de n’en riens faire. Par quoy tantost
la cité se mist en armes, et à grant puissance vinrent à donner ung
assaulx à la dicte plasse. A celluy assaulx estoient seigneur Andrieu de
Rineck, seigneur Michiel le Gronnay, ambdeux chevaliers, seigneur
Nicolle Dex, chevaliers, et plusieurs aultres. Et fut sy vivement et
vertueusement assaillis que en peu d’espasse fut la dictes plaisse prinse,
et yceulx gallans saisis ; desquelles en y oit ung des tués à celluy assault,
et les aultrez furent amenés à Mets. Et, sans en faire loingue gairdes, en
y oit IX des pendus et estranglés au gibet de la dicte cité tout en ung
jour : car leur procès estoit desjay tout fait.
Cy lairés le parler de leur fait et de toutte aultre besoingne pour celle
année et retournerés au maistre eschevin de la cité de Mets.

[l’année i4’j’j]-

L’an mil iiijc Ixxvij. — L’an après, de la nativité de Jhésu Crist
mil quaitre cenc LXXVII, qui est la XXXVIIIe année de l’empire
dudit Phéderich, fut alors fait, créés et essus pour maistre eschevin de
Mets le seigneur Gérard Perpignant.
La chapelle c’on dit « la Chapelle des Lorains » commencée. — Et, en celle
année, le sire Jehan Baudoche, le sire Andrieu de Rineck, chevalier,
et le seigneur Jehan le Gronaix furent commis de part le conseil de la
cité de Mets pour faire édifier la chapelle de victoire c’on dit la Chapelle
des Loherains, qu’est scituéez et essutte on moustier Sainct Pier, devent
la Grant Église d’icelle cité.
Et, en faisant et wuydant les fondement dudit ouvraige, c’est assa­
voir devant, là où à présant est le portai de la dicte chapelle, en ce lieu,
le XXIXe jours de mars, en l’an dessus dit, fut trouvé en yceulx fonde­
ment ung corps mort dedens ung serculz de mabre, onquel il y avoit

1477. — RUSE DES HABITANTS D’ARRAS

une croix de plomb vielles. En laquelle croix estoient escriptez pareille
lettres comme vous les voyez ycy et en telle forme.

m

r

i3oX
ÙO-

JPS

SojS

Et disoient les aulcuns que c’estoit le père sainct Gorgonne que
gisoit en ce lieu ; mais il n’est à croire que einssy en fut. Ainssois est à
croire que c’estoit le prebstre ou le pasteur de l’église dudit Sainct
Gorgone 1.
Fallace de ceulx d’Arras ; et, pour ceu, décapité. — Or, pour retorner
a prepos ycy devent acomenciet, là où je vous ait heu parlés des guerres
de France et de Bourgongne, vous devés savoir que, durant se tamps,
se tenoit tousjours le sciège des François devent la ville d’Arras. Durant
lequelle sciège, les habitans d’icelle ville d’Arras, faignans faire a roy
ambassade, vindrent parler à l’amiral de France, qui estoit a campe,
affin que par son congiés puissent salvement leur messaigier vers Loys
envoyer ; et seurent sy bien dire que il obtindrent lettres de sault
conduit pour XVIII parsonnaiges de leurs gens. Et, soubz la conduicte
de Odard Bucy, qui estoit procureur de la communalté d’Arras, sortirent
de la ville. Mais ledit amiral, pour obvier à leur mallice, avoit envoyé
aulcuns des siens pour espier quel chemins il tiendroient. Et fut trouvés
qu’il s’en alloient le chemin vers Flandres affin qu’il parlassent à Marie,
fille de Charles de Bourgongne ; par quoy il furent prins et empoigniez.
Et, après leur cas cognus, en furent tous décapitez ; et à Oudard, pour
1. Le savant archiviste de Meurthe-et-Moselle, M. Pierre Marot, interprète ainsi
cette inscription que Philippe semble avoir assez fidèlement reproduite :
TERTIO KALENDAS SEPTEMBRIS OBIIT OTELO PRESBYTER 3ANCTI
GORGONIS

1477. — ARRAS RENDUE AUX FRANÇAIS

63

ce qu’il estoit procureur, on luy affubla ung chaperon fourré, selon la
mode des advocatz, et fut sa teste ainssy enchaperonnée mise au bout
d’ung baston avecques celle inscription : « C’est la teste Oudard ».
Arras rendue. — Et, en despit de celle traïson \ fist le roy asségier la
ville ; et à force d’artillerie furent les murailles abatue ; et, à la fin,
furent cy contrains qu’il envoiairent devers le roy requérir pardon et
miséricorde ; laquelle il obtindrent. Et furent mise grosse garnison en
leur cité. Et néantmoins ne se abstenoient de injures : car ilz avoyent
cy fichiés leur pansée à Marie, héritière de Charles de Bourgongne, qu’il
la révéroient à peu près autant que Dieu. Et tellement que, en ce tampts,
en y oit plusieurs que, pour leur desloyaulté et pour aulcune malvistiez
qu’il avoient pourchassé a préjudice du roy, furent condannez à estre
décapitez. Et, combien que, la coignée desjà levée dessus leur chief, il
eussent peu eschapper et ce salver la vie pour seullement dire une
parolle, toutesvoys il estoient cy obstinés qu’il amoyent mieulx à morir
que de dire : « Vive le roy ! ».
Nouveaulx habitans à Arras. — Et, pour ces raison et plusieurs
aultre, le roy fist transmuer la plus part des habitans és plus parfond
lieu de France ; et y mist demourer nouviaulx habitans du royaulme,
lesquelz il establit en la place des aultres.
Mariage fait de Maximilian à la fille de Flandres. — Tantost après
furent faictes les alliance de mariage entre Maximilian et la devent
dicte Marie, héritier de Flandres. Par quoy le roy, pansant destorner la
chose, envoia secrètement à Collogne ung nommés Hanry Hisbuc,
Colonoys. Lequelle ce adressa au conte de Jullet, duquelle il estoit
bien cognus. Mais, après plusieurs aultres parolles, luy fut dit qu’il
avoit tropt tard demourés, et que jà par foy et par serment estoit la
damme obligée audit Maximilian, le filz l’ampereurs, de laquelle foy
sans deshonneur ne ce pourrait despartir. Par quoy le dit Hanry Hisbuc
c’en retourna en France devers le roy sans aultre chose faire.
Le duc de Gueldre tués. — Item, après plusieurs aultres guerres et
ribleriez, et plusieurs aultres cronicques, lesquellez je laisse pour
abrégier, avint, pour ce meisme ans, que le duc de Gueldres, acompaigniés de XVe Allemans, avoit délibérés de brûler les faulxbourg de
Toumay. Mais, à la premier rancontre, fut tués des Tournaisiens , et fut
son corps pourtés en la ville.
Plussieur défaicle par les François. — Derechief, les hommes d armes
françoys, faisans courses sus les Allemans avec aulcuns dez habitans
de la ville, en occirent deux mil, et en furent VIIe des prins prisonniers.
Et, encor en ce tamps, furent quaitre mil Flamans que mort que prins
par les Françoys devent Blanche Fosse, là où les dit Flamans avoyent
mis le sciège.
Plussieur bande de François lués par le prince d’Orenge.
Mais lesdit
Françoys ressurent en ce tamps ung groz dommaige de leur gens tués et

1. Furieux de cette trahison, poussé par le dépit que lui avait inspiré cette traîtrise.

64

1477.

— TREMBLEMENT DE TERRE A METZ

desconfis par le princes d’Orenge en la Haulte Bourgongne. Lequelle
prince estoit acompaigniez du capitaine Claude Wauldre et plusieurs
aultres vaillant hommes de guerre. Car, durans que les armée estoient
sus les mairche de Flandres, comme dit est, estoient aultres armée
fransoise en ycelle partie de la Haulte Bourgongne et Franche Conté.
Esquelles pays lez chose devent dictes furent faictes, avec plusieurs
aultres, que je lesse pour abrégiés.
Jaicques de Nemours décapité. — Aussy, en ce tamps, Jacques, duc
de Nemours, fut condanné de morir ; et oit la teste tranchée és Halles
à Paris.
Le frère du roy Édouuart noiés en de la malvoisie par sentence._Item,
aussy en celluy tamps, avindrent plusieurs aultres merveilles. Entre
lesquelles Édouard, alors roy d’Angleterre, donna très griefve santance
contre son frère, le duc de Clarence. Et la cause fut que celluy duc,
oultre le grez de Édouard, avoit délibéré de donner ayde et secours à sa
suera, laquelle solloit estre femme au duc Charles de Bourgongne, et
ledit Édouard voulloit donner et avoit promis ayde a roy Loys de
France. Pour raison de quoy empoigné fut et mis en prison. Et puis,
loing temps après, le Conseil, en la présence de Édouard, donna telle
santance : c est assavoir que ledit duc, frère du roy, seroit mené au
gibet, et en ce lieu luy seraient tirées les antrailles du ventre, et les
verrait brusler devent luy ; puis averoit la teste coupée et le corps mis en
quaitre parties. Mais, à la prières et requestes de la merre, fut celle
tant ygnominyeuse condampnacion modérée ; toutefois il n’eschappa
pas, car il luy fut demandés de quel mort il voulloit morir, et il demanda
à estre noyés en de la malvoysie. Et ainssy en fut fait : car il fut boutés
tout vif en ung tonneau de vin de Malvoysie, et fut ainsy noyés. Et,
après ce qu’il fut mort, le fist le roy son frère décapiter. Mais les Anglois
disent qu’il voulloit bouter Édouard hors du royaulme d’Angleterre.
Tramblement de terre. — Item, en la dicte année, le jour de la sainct
Pier et sainct Pol, qui alors fut le dimenche, fist en Mets ung tram­
blement de terre sy fort et sy merveilleux que les clochier des église
branloient a et crolloient. Espésiallement lez cloichier de Sainct Arnoult
et de Sainct Vincent tramblirent tellement que les cloches qui estoient
dedans yceulx clochier se branloient ; qui fut une chose merveilleuse.
Deux solleil en l’air. — Paireillement furent veu aultres signe : car,
en ycelle meisme semaigne, on vit deux soilleil en l’air ; et les virent
plusieurs gens ; qui estoit chose admirative.
Aussy, en celle année, la saison ce porta mal par la diversité et
chaingement du tamps. Espéciallement on moix de juillet : car il pleut
tellement et sy abondamment en ce dit moix que les fromens ne aultres
semence ne vaillurent que ung bien peu, ne ne vinrent à bonne perfec­
tion. Et pour ycelle pluye se pourissoient lez foings au champs, et ne les
pouoit on séchier.
a. M : blanloient,

1478. — JOUTE FAITE SUR LA PLACE DE CHANGE

65

Pouvre vynée. — Et, au resgairt des vigne, elle se pourtoient très
mal : car il n’y avoit guerre de résin, et, encor, ce qui estoit ne mûrissoit
point, ne ne veoit on l’apérance 1 de meurir au mey aoust. Et, encor
de pis venir, se qui estoit fut fondus et gastés : car, le jours delasainct
Michiel, furent les raisins engellez au sappe, lesquelles n’estoient encor
pas mûrs ; et, néanmoins, force fut de vendengier. Par quoy on heust
pouvre vinée.
Et ne fit en celle année comme point d’yver, fors que de pluye, sans
geller ne négier.
Plussieur pillair par les champs. — Et, avec ce, fut celle dicte année
bien dangereuse et périlleuse de malvais gairsons, qui, en ce temps,
régnoient par les pays. Et tellement que l’on n’osoit aller ne venir, qui
n’estoit bien acompaigniet. Et, qu’il soit vray, pour celluy tampts
furent prins auprez d’Ars sur Muselle ung marchamps de Metz, nommez
maistre Hanequin, et ung clerc, recepvoir de Sainct Vincent, riche
bourgeois de Metz, nommé Louuiat Estienne. Et fut ce fait par aulcuns
laironnaille, que on appelloit les Génétaire. Paireillement furent prins,
auprès de Richemont, ung jantil rustre de la cité, nommés Cherdat,
clerc et serviteurs au seigneur Pierre Baudoche ; et, avec luy, fut prins
ung soldoieur, nommé Morfontaine.
Joste faicie en Chainge par les seigneur de Mets. — En celle meisme
année, le lundi XIXe jour de janvier, fut faicte en Mets une jouste
en la plaisse de Change, à lisse ; où il y joustait quaitre gentilz hommes
d’honneur et d’armes de la cité et de la compaignie de derrier Sainct
Saulveur, c’est assavoir seigneur Phelippe de Ragecourt, seigneur
Jehan Chaverson, seigneur François le Gornaix et Collignon Rémiat.
Lesqueulx quaitre seigneur avoient mis sus la dite joustes à tous allans
gentilz hommes ; et estoient yceulx devent dit inventeur de ce faire.
Et à celle jouste ce y trouvaient Phelippe de Briba, seigneur Jehan de
Resancourt, seigneur Jehan d’Apremont, et plusieurs aultres.
Plussieur seigneur aux voiage de Jhérusalem. — Le moix après, qui fut
de febvrier, le XXVIIe, partirent de Metz pour aller en Jhérusalem
seigneur Régnault le Gournaix, seigneur Phelippe de Ragecourt,
Poincignon de la Haye, amant, Jaspar Bouck, cappitaine des souldoieurs, et seigneur Jehan, arsediacre de Mets. Et, le XVe jour après,
seigneur Wiriat Louve partit d’icelle cité pour aller audit sainct voyaige :
mais fortune de malladie luy courrut sus, et ne poult souffrir la marine,
par quoy ycelle malladie se agrèva, et morut. Dont se fut dommaige.
Celluy yver, comme j’ai dit devent, fut fort pluvieulx ; et ne gellait ne
négeait chose que à compter fasse.
Cy me tairés de ces chose et de toutte aultres pour retourner a maistre
eschevin de la cité de Mets et de plusieurs aultre adventure advenue,
tant en ycelle corne aultre part.
1. L’espérance. — A la mi-août, il n’y avait encore aucun espoir, aucun signe de
maturité.

66

1478.

— ÉVÉNEMENTS DIVERS EN FRANCE

[l’année

i4^8].

_ Mil Uiic Ixxviij. — En l’an de l’ampire du devant dit Phéderich
1 empereur la XXXIXe année, qui est de Jésu Christ mil quaitre cens
et LXXVIII, fut alors fait, créés et essus pour maistre eschevin de la
cité de Mets le seigneur Wyriat Roucel.
Et, en celle année, furent pour une espasse de tamps trêves faictes
entre le roy et ledit Maximilian, duc d’Austriche.
Plussieur dons fait par le roy de France aux église. — Durant lesquelles
le roy s’en alla en voyaige à Nostre Damme de la Victoirt ; et y donna
plusieurs grosse lampe d’argent, que coustèrent deux mil livre tournoy.
Et, pareillement en ce tamps, fist faire la châsse de Sainct Fiacre en
Brye, toutte couverte d’argent, où furent employez de VII à VIIIXX
marcz d’argent. Puis s’en alla en Touraine ; et, là, fist forger la châsse
de Sainct Mertin de Tours, de pur argent, et ordonna que les treilliz
de fer, qui estoient autour pour la defïance et seureté d’icelle châsse
en laquelle est le corps sainct, fussent ostée et refïait toutte d’argent
macif. Ce qui fut fait, et en brief, et aussy grosse comme estoient celle
de fer ; et pessoient V mil VII cenc LXXVI marcz et deux onces ;
et cousta cest ouvraige, comme on dit, dix cens mil livres tournois.
Ung moinne ayant les ij sexe. — Durans ces jours, avindrent plu­
sieurs adventure parmy le monde. Entre lesquelles advint une adventure on païs d’Auvergne, au monastère d’Issoyre, et chose bien estrange :
car, en ycelluy monastère, y avoit en ce tamps ung moine qui estoit
homme et femme, et avoit l’üne et l’aultre nature, c’est assavoir mascu­
line et fémenine. Celluy moyne fut gros et ensainct d’anfant ; par quoy
on le garda jusques à ce qu’il enfanta.
Aulcun personnaige dévourés par ung lion. — Daventaige, advint que,
en celle meisme région, que ung seigneur jantilz hommes d’icelluy pays
avoit aprivoisieza ung lion, lequelles estoit domesticque envers son
maistre ; et le tenoit enclos. Or avint ung jour qu’il eschapa de la
maison de son maistre, et dévora plusieurs hommes et femmes. Et ne le
pouoit on ravoir, jusques ad ce qu'il vit ledit seigneur son maistre,
vers lequel le lion vint. Et, incontinant, à force de trayctz fut le lion
occis.
Canom rumpus par fortune.— Aussy, en ce meysmes tamps, le roy,
luy estant à Tours, fist fondre une grosse bombarde, laquelle de ce lieu
fut amenée à Paris. Et, ainssy comme elle fust afûtée *1 par les maistres
du mestier à la porte Sainct Anthoyne, hors les muraille, chargée de
pouldre et acoustrée, et2 après que la pier de fer,du poys de cinq cens
livres, fut dévalée au font d’icelle bombarde, on y mist le feu. Par
lequelle la bombarde rompist, et tellement qu’elle tua son propre maistre
a. M : aprovoisiez.
1. Affûter : disposer sur un affût.
2. Et doit être supprimé pour la construction de la phrase.

1478.

— SEIGNEURS EN GUERRE AVEC LA CITÉ DE METZ

67

fondeur, et, après, tua encor quaitorse homme à l’entour, lesquelles
tellement dissipa que leurs membres, portés en l’aer, à paine peurent
estre trouvés et recueilliz. Et tuait la pier ung oyseleux qui tandoit bien
loing de ce lieu en mey les champs avec ces rethz pour prandre des
oyseaulx. Et, avec yceulx tués, en y oit encor plusieurs, du vent et de la
puanteur du soulphe, qui en morurent ; et d’aultres en furent fort
mallade.
Beaulcoupl de ville réduicle aux roy. — En ce tamps furent réduicte
en la mains du roy plusieurs ville, que par avant s’estoyent retournées
au duc et à la duchesse d’Austriche, telz comme Verdon, Monsanson,
Semur en l’Auxoys, Chastillon sur Saine, Bar sur Saine, Bar sur Aulbe.
Puis fut par les François mis le sciège devant la ville de Beaulne,
laquelle fïnablement fut prinse. Et ainsy, en se tamps, se faisoient
plusieurs course et riblerye.
Toutefïois, après plusieurs chose faictes et achevye, estant le roy à
Arras et és marches de Picardie, vinrent devers luy aulcunes embassades
de part ledit Maximian et Marie, sa femme, avec les Flamans, pour
traicter d’appointement. Et aussy y ala ung légat de par le pape, qui
fist remonstrance au roy, et pareillement au duc d’Austriche, les advertissant des grans maulx que alors faisoient les Turcz infidelles à la
crestienneté ; par quoy ledit légat les admonétoit de faire paix ensemble
et les aller aydier à faire la guerre audit Turcz a. Maix l’on n’y polt
trouver apointement, combien qu’il ne thient pas à la partie du roy
de y parvenir L
Le prinstemps de celle année fut froyt et moyte, par quoy toutte
fleur en furent bien tardive ; et ne fist jamaix chailleur qu’il ne fut le
moix de jung. Puis se réchauffait le tampts, tellement que, la mitté
d’ycelluy moyx de jung, celluy de jullet et d’aoust, il fist grand chailleur.
Par quoy les biens de terre amandairent et vinrent à bonne parfection,
et fist on de bon bief et de bon foins.
Le seigneur de Bourcette contre la cité. — Item, en celle année, se
esmeust aulcuns desbat entre le seigneur de Boursette et la cité ,
maix on y trouvait ung accord.
Et, pareillement, on avoit desbat à mon seigneur de la Laye. Par
quoy furent prins aulcuns merchans de Metz, telz que Pierresson
Thiédry, Jehan le Clerc, Guénin Berguet et Hannés de Collongne,
lesquelx venoient de Francfort. Mais, toutefïois, il furent relaichiez,
sur une journée qui fut prinse, parmy seuretey qu’il tornairent.
Aussy, en cest présante année, seigneur Wiriat Boucel, pour leur 2* 1
maistre eschevin de Mets, ce partit d’icelle cité pour s’en aller en
Jhérusalem, en partie affin qu’il peult sçavoir la vérité de la mort du

o. M : Tourcz.
1. Cette phrase obscure signifie que les obstacles à l’accord ne provinrent pas du roi
de France.
2. Pour l’heure.

68

1478.

— BÉNÉDICTION DE LA CHAPELLE DES LORRAINS

devent dit seigneur Wyriat Louve (pour ce que audit des Roucel avoit
escheut l’eschevinaige du Pallas d’ycelluy seigneur Wyriat Louve).
Le comencemerd du clochiés de Mulle corne ilz est à présent. —- Item,
aussy en celle année, environ la mitté du moix de juillet, fut acomencié
ung magnificque et triumphant ouvraige en la cité de Mets : c’est assa­
voir le grant cloichier de la cité, auquelle est pandue la cloche de Mutte.
Et fut de cest ouvraige le maistre principal ouvriés ung jantilz compaignon, masson de la cité, nommés maistre Hannés de Renconvaulx.
Et fut mis environ trois ans pour le parfaire : car moy, l’escripvain de
cest, il m en souvient bien. Et fus en ce tamps mis demourer en l’abbaye
de Sainct Mertin devent Mets, auquel lieu je alloie à l’escolle ; et sçay
a vray que, on moix d’octobre, l’an mil quaitre cens IIIIXX et ung, fut
cest ouvraige exquis ainsy triumphamment faict et eschevis comme
chacun le peult veoir. Et y oit ledit maistre Hannés louuange et hon­
neurs : car, entre mil clochiez, c’est une belle piesse d’euvre. Celluy
maistre Hannés estoit grant géométriciens, et espert en chiffre et
argorime, et grant ouvriet “ de son mestiet ; et ainssy est il à croire,
car à l’ouvraige congnoit on l’ouvriet. Et n’y ait parsonne qui sceût
croire le plonc et le fers qui est dedans cellui clochiet : car touttes les
pier du dedans de celluy ouvraige sont touttes encramponnée en fers et
en plonc ; et est dedans enclos, que on n’en voit riens.
Bruit de guerre en Mets. — Item, en ce meisme moix de juillet, estoit
nouvelles que messire Gracien de Guerre, seigneur Dediet de Landre,
avec grant compaignie de gens de guerre, voulloient venir faire une
course on Vaulx de Mets. Par quoy, incontinant, on flst ordonnance en
la cité de mettre le puple ensemble. Et, avec environ trois cens souldoieurs à chevalx et mil homme de piedz, c’en allirent jusqucs és bois de
Salney et près de Saincte Marie au Chesne. Maix il ne vinrent pas, et ne
fut rien trouvés pour celle fois.
La chappelle devent la Grant Esglise béneicle.— Aussy, en celle meisme
année, le jour de la sainct Michiel, fut dédiées et bénictes la chapelle
de victoire scituée devent la Grant Eglise d’icelle cité, c’on dit la
Chappelle des Lorains. A laquelle dédicaisse y fut faictes par les sei­
gneur d’icelle une merveilleuse triumphe, et que tropt longue seroit
à raconter, tant en offrande, en chantre, en trompette, ménestrés et
tanbourin. Et fut belle chose à veoir et resjoissantes à oyr. Dieu en
soit louués et bénis *1 !
La vandange de celle année fut assés bonne, et les vins bons.
Et, alors, furent apourtées nouvelle en Mets des devent dictes trêves
faictes entre les prinse. Par quoy furent cassés des gaige d’icelle cité
XXX soldoieurs tout à une fois.
Ordonnances d’office en la cité. — Paireillement, en celle dicte année,
fut faicte en Mets une nouvelle institucion et ordonnance, et ce que
jamaix n’avoit estés fait : car, alors, fut ordonnés et décrétés par le
a.

M : owiet.

1. Aubrion, p. 93, décrit tout le détail de la cérémonie.

1479.

— GUERRE ENTRE LA FRANCE ET L’EMPIRE

69

Conseille d’icelle cité que, dès lors en avant, nulz n’entreroit en nulzdez
pairaige pour estre Trèses, trésoriers, Sept, ou samblable office, ne
n’y seroit escript ne ressus, se son perre ou le perre de sa merre n’y
avoit estés, et non aultrement.
Les florin de Mets à xviij solz et les gro de Mets à xviij deniers. —- Aussy,
en la devent dicte année, l’on fist faire nouvelle monnoye. Et furent
criés les groz de Mets à XVIII denier, et les florins de Mets à XVIII Sols.
Et fut Weillaume Collet fait chaingeur de la cité.
Huchemenl. — Pareillement, l’on fist en celle année ung huchement
que nulz ne menait vivre hors du pays et jurediccion de Mets. Car, en
celluy temps, on avoit grant chier temps, souverainement en chair.
Et vailloit la quarte de froment X sols de la dicte monnoie, qui estoit
environ XVIII sols de maintenant ; la quairte de poix, autant ; les
febves, XIIII sols ; le cent de pomme coustoit VI sols, et une bonne
poire vailloit II deniers et plus. Qui estoit alors grant chier tamps,
comme dit est, sellon la monnoie qui court maintenant.

[l’ANNÉE 1479].

Mil iiijc txxix. — Item, en l’an après, quant le milliair courrait par
mil quaitre cenc et LXXIX, qui estoit alors la XL[e]année du devant dit
Phéderich l’empereur, fut fait, créés et essus maistre eschevin de Mets
pour l’anné le seigneur François le Gournaix, que depuis fut chevalier.
Guerre entre Maximilian et les François. — Et, en celluy tamps, ceulx
de Cambray et plusieurs aultres ressurent les garnisson des Flamans,
et boutairent hors les Françoys ; desquelles plusieurs furent occis et
à mort mis. Et, en vangense de ce, le roy envoya Charles d’Amboise,
avec nouvelle armée et grant nombre d’artillerie, en la Haulte Bourgongne ; lequelle Charles print le chasteau de Rochefort, et, à Dole,
fist de grant domaige : car il l’abatit et raza par terre.
Et, alors, c’en vint Maximilian avec son armée Thérouenne assaillir.
En laquelle y avoit trefïorte garnison des Françoys ; desquelles estoit
capitaine ung chevallier très vaillant en armes, nommés de Sainct
André, par l’industrie et force duquel fut la ville deffandue.
xvj mil homme tués, que François, que Bourguignon. — Et, après que
les compaignie des Françoys ce furent assamblés, Phelippe d’Esquerdes,
capitaine d’iceulx, donna signe de batailles. Et, après plusieurs copts
donnés et ressus, ce mirent les Flamans en fuytes. Par quoy les francs
archiers, cuydans avoir jà gaigné la victoire, ce pandant qu’il ce arrestoient au pillaige, furent encloz par le conte de Romont, occis et assom­
mez. Et fut ce fait à Guynegaste. Touteffois, l’on trouve que, des
Bourgongnon, morurent à celle journée XI mil homme, et, des FranÇoys, cinq mil. Entre lesquelles estoient le baillif de Beaulne et le viconte
de Rouen. Et entre les mains des François tombèrent prisonnier de

70

1479, 24

MARS. — GRACIEN de guerre défie la CITÉ DE METZ

guerre environ neuf cens Bourguignons ; entre lesquelz fut le filz du
roy de Polaine.
Après ce fait, Maximilian print d’assault le chasteau de Malannoy,
duquelle estoit capitaine un Gascon, nommés cadet Rémonnet ; lequelle,
combien qu’il eust receu la foy de deux qui l’avoie prins, néantmoins,
par le comendement de Maximilian, fut pendu et estranglé. Pour
laquelle inhumanité à vanger le roy Loys, despité, fist choysir L des
prisonnier que les Françoys tenoient prins, et les fist punir de pareille
peine : c’est assavoir, X en furent pendus et mis au propre lieu où Cadet
avoit estés mis, X devent la porte de Douay, autant près de Lisle, et
à Sainct Homer X, et les aultres X au plus près d’Arras.
Ixx navire revenant de Pruce prinse et pillée. — Encor, avec ce, avint
a Flamans de grand domaige : car LXX navires retournant de Prusse
chargée de plusieurs marchandise et victuaille furent surmontée et
despouillez de Collon, normant ; de quoy il acquist ung groz buttin.
Les Juif crucifie ung enfant. — Item, cellon aulcuns, se fut en celle
année que lez Juifz desrobèrent ung anfîant en la cité Tridentina,
appellé Simon, lequelle enffant il crucifièrent, et luy firent souffrir
semblables mistères comme Nostre Seigneur Jhésu Crist eust en sa
Passion. Dont ilz furent accusez miraculeusement, et puniz selon leurs
démérites. Et le dit enfant fut apourté en la Grande Église de la dicte
cité, où le peuple se trouva en grant nombre ; et, là, plusieurs miracle
ce font de jour en jours par les mérites de la passion Nostre Seigneur
et Salvour Jhésu Crist. Toutefïois, aulcuns die que ce fut fait loing
temps devent.
Gracien de Guerre deffie la cité et courre le paiis. — Or, avint en celle
meisme année, le XXIIIIe jour de mars, que le capitainne Gracien de
Guerre, lequelle alors se tenoit à Danviller, deffiait la cité de Mets.
Et, ainsy que l’on apourtoit celle defïiance, et le jour meisme, il courrust
à Airs sur Muselle et à Ancy ; et y boutait le feu, et tuait aulcuns de la
ville, puis print et pillait tout ce qu’il en peurent porter, et enmenairent
une partie des vaches ; et, ce fait, s’en retournèrent incontinant.
Par quoy, tantost aprez, furent mis nouviaulx gens d’armes au gaige,
à piedz et à chevaulx : entre lesquelles y fut mis la Hurte, le conte de
Biche, et plusieurs aultres gentilz hommes d’Allemaigne ; et, avec ce,
fut ordonnée et mise sus la chevaulchié.
Monstre et reveue de ceulx de Mets. — Et, tantost, furent faictes mons­
tre et reveue du puple de la cité. Et, pour ce faire, furent assamblés
tous les mettiers et aultres gens à la grand court de Sainct Vincent,
pour eslire les plus gentilz compaignons pour aller aux champs, quant
besoing en seroit.
Item, à l’ocausion d’icelle guerre, je, l’escripvain et composeur de ses
présantes, fut en celle année mis à demourer à Mets, en la grant rue de
la porte Champenoise, chiez ung nottaire nommés Jehan Jennat. Et
fut envoiez à l’escolle à la Trinité ; et y fus environ ung demi ans.
En celle année, le moix de mars se pourtait bien ; et fist chault environ

1479.

— LA MUTTE FONDUE DE NOUVEAU

71

la mitté, et paireillement le moix d’apvril, avec une pluye qui durait
deux jours. Par quoy les vigne se prinrent à croistre ; et tellement se
avansairent que, à la sainct Marc, l’on xawoultroit en plaine vigne, ce
que de loing temps n’avoit estes veu. Et, à celle cause, les bief, les
vins et les avuaines furent ravallée de pris, et en oit on à compétant
merchief. Celle année fut doncques fort tempérée en toutte chose ; car
les vigne furent touttes xawoultrée on moix d’apvril, et le soille floris.
Paireillement, en ce moix, on vandoit desjay des frèzes ; et trouvoit
on en plusieurs lieu le raisins floris. Mais il faisoit sy très chault que
plusieurs se moroient subittement.
Ceulx de Mets veuille a asseiger Dampviller. — Item, le premier jour
de may, vint en Mets ung messaigier d’icelluy capitainne Gracien de
Guerre. Et on le fist lougier en l’ostel de Jehan Husson, et luy fist on
faire la bonne chier. Et, a lundemain, Jehan Dex, secrétaire de la cité,
fut envoyé chieu ledit Jehan Husson, et, on non de la cité, paiait tout
ce que ledit messaigier, avec trois aultres de ces gens, avoient despandus. Et leur dit ledit Jehan Dex qu’il s’en retournaissent dever leur
maistre Gracien, et que, on non de la cité, luy woucissent dire que
hardiement il leur fesist bonne guerre, et qu’il se haistait de ce faire et
bien tost, car véritaublement, c’il ne venoit, ilz l’yroient veoir de plus
près. Et, ce dit, donna au messagier ung florin mertinez, puis s’en alla.
Et, tantost le mécredi après, se partirent de Mets seigneur Michiel le
Gournaix, seigneur Phelippe de Ragecourt, tous deux chevaliers,
acompaigniez de deux cenc chevaulx et environ deux mil hommes
piétons, tant de la cité comme du pays d’icelle ; et avec eulx menairent
plusieurs petittes piesse d’artillerie légier, de laquelle, avec les vivre
et aultre chose nécessaire, furent chairgiez XVIII chers. Et s’en allirent
de bonne tire jusques à Belley, et, là, séjournaient. Et, dès incontinant,
ont envoyés La Hurte et le conte de Biche, avec leurs gens, devers
Danviller, pour veoir et congnoistre par quel manier on y metteroit le
sciège. Et, quant ilz vinrent devant la porte de Dainviller, trouvairent
ung des serviteur de Gracien, qui estoit mulletier de léans, et yssoit
dehors sur ung mullet. Cy l’ont prins et saisis, et l’enmenèrent à Billey
de cost les seigneurs. Et alors fut ce gallans interrogués et mis à raison.
Mais, entre plusieurs aultre chose, il leur dit que le dit Gracien estoit
fort sur sa garde, et qu’il estoit desjay tout advertis de leur venue ; et, de
fait, leur dit telles choses que yceulx seigneurs trouvarent en conseil de
retourner. Et, de fait, s’en sont retournés arrier à Mets. Et, en venant,
trouvairent encor en leur chemin deux des gens dudit Gracien ; et
furent yceulx amenés avec ledit mullethier à Mets.
Et toutefïois, quelque guerre qu’il y eust, on ne laissait point à
pourter les Grant Croix à Sainct Quantin ne à Blery, comme l’on fait
les aultre année.
La grosse cloche de Mutte fondue, et pendue on neufz clochiés. — En
celle meisme année fut refaictes et refondue sus le hault de Saint Maire,
a. M : veiulle.

72

1479. —

PAIX ENTRE GRACIEN DE GUERRE ET LA CITÉ DE METZ

là où à présent est fait le cloistre Saint Siphorien, la grosse cloche appellée Mulle. Et fut ce fait par ung maistre ouvrier appellés Jehan Lam­
bert, d’Anvers. Et, tantost ung poc après, fut celle cloche mise au
devantdit neuf clochiers, auquelles elle est encor à présant.
Celle devent dicte année fut merveilleusement de grant chailleur,
espéciallement on moix de jung, de juillet, d’aoust et de septembre ;
et ne pleuyt, en tous yceulx quaitre moix, que deux jours. Et, touteffois,
les biens de terre n’en laissirent pas le croistre, car on oit de bon foing
et de très bon bief, de bonnes avoiennes et de bon vin, et à plantés ;
par quoy il furent à bon merchiez. Dieu en soit louués et bénis !
Granl recueil a du roi de France aux seigneur de Mets. — Or, avint,
durant ces jour, que plusieurs des seigneurs de la cité furent mandés
du roy Loys de France ; et en fist l’embassaude ung conte, qui les vint
quérir. Et, eulx venus en France, leur fist le roy merveilleusement
grant chière, et qui tropt loing seroit à raconter *1. Et, pour ce voilloir
monstrer leur amis, donnait à aulcuns d’iceulx grant pancion annuelle,
comme de XIIe livre tournois et plus. Car, alors, le dit Loys prétendoit
à venir prandre possession de la duchiez de Lucembourg ; et pour ce
leur faisoit de grans dons, à tous les seigneurs devent dit, car il luy
sembloit qu’il aroit besoing de leur ayde. Et fist paireillement plusieurs
dons à leur serviteur et famille ; et à leur chappellains donna de grant
bénéfice.
Ung des seigneur de la cité se rend Observanlin. — Item, en celle
meisme année, le jour de la sainct Luc, seigneurs Jehan le Gournaix,
chevalier, l’annés, et citains de Mets, esmeu en dévocion, s’en allit
rendre aux Frères de l’Observance, et renonsa à tous biens mundains
et terriens et à touttes honneurs et seigneurie. Et moy, l’escripvain,
luy ay plusieurs fois veu pourter le bisac dessus son col et demender
devent les huys, comme les aultres Frères.
La paix faicle entre Gracien de Guerre et la cité. — Item, aussy en
celle meisme année, furent envoiés devers le roy en France, pour faire
la paix dudit Gracien de Guerre, seigneurs Warin Roucel, seigneur
Phelippe de Ragecourt et le seigneur Nicolle Rémiat ; et avec eulx
s’en aillait Jaicomin de Bouxier. Et, en ce voyaige, en fut la paix faictes
et scellées d’une part et d’aultre.
Course entre Françoi et Bourguignon. — En ce meisme tamps, les
Bourguignon, en despit des Fransoy, ont bouté le feu en la ville de
Gourse. Et les Fransoy, voyant ce, vinrent lougier et se mettre en
garnison en la dite Gourse ; et courroient et ribloient tout le pays
jusques tout devent Thionville, et y faisoient de grant dommaiges,
tant en allant comme en venant.
L’yver de cest année fut doulx et atrampés ; et ne gellait, ne ne
cheut point de nège, jusques à la Ghandelleur. Maix, après, il fist ung
merveilleux temps de nège et de gellées : car, tout du loing de la kaa. M : recuiel.
1. Aubrion, qui lut du voyage, Ta longuement raconté (p. 100-103).

1480,.

— GUERRE ENTRE LA FRANCE ET L’EMPIRE

73

resme, la plus part du tamps, il ne fist que néger et ployvoir. Et, à celle
occasion, fut le poisson et les harens fort chiers, pour les grandes yawes
qu’il faisoit ; par quoy on n’en pouoit finer.
La ville de Boullai prinze. -— Le XXe jour du moix de mars aprez,
fut prinse la ville de Boullay de mon seigneur de Murs, lequelle alors
estoit à Mets. Et, dès incontinant que ledit conte en ouyt les nouvelle,
il se partit de Mets pour y aller.
Cy vous lairés de ces chose le parler, car au maistre eschevin de
Mets et à plusieurs aultre merveilles veult retourner.

[l’année i48o ; le siège de rhodes pàr les turcs ;
INONDATIONS EN LORRAINE ET DANS LA

VALLÉE DU

RHIN].

Mil iiijc iiijxx. — Puis, en l’an après, qui fut de l’incarnacion Nostre
Seigneur mil quaitre cenc et quaitre vincz, qui alors fut la XLIe année
de l’empire du devent dit Phédrich, fut fait et créés maistre eschevins
de la cité de Mets pour celle année le seigneur Parin Roucel.
Ung moinne espouze ij femme. ■— Et, en celle année, fut trouvés ung
notaire, demourant à Mets, nommés Morellet, lequelle estoit moine.
Mais l’on n’en savoit rien : car il avoit heu lessiez sa religion ; et se
maria, et avoit desjay la seconde femme. Maix il fut acusés ; par quoy
il fut prins et comdampné en chartre parpétuelle.
En celle meisme année, le jour de la sainct Salvour, vinrent nouvelle
en Mets que le duc d’Octeriche devoit estre à Lucembourg dedans deux
jours ou trois après, et amenoit grande compaignie de gens de guerre
pour combaitre les Françoys. Et manda le dit d’Octeriche en la cité
de Mets que, c’il y avoit aulcuns jantil escuier qui eust désir de se faire
chevaliers, qu’il se trouva, dedans ung jour dit, au lieu de Lucembourg,
et là luy serait donnée chevallerie.
Tréferdange prinze. — Maix tantost après se sont les Françoy retirés ;
et sont allés mettre le sciège devent Bovigne, qui est scituée auprès de
Dignant. Et ont yceulx François laissiez garnison dedens Tréferdange
et dedans plusieurs aultres places, appertenant au damoisiaux de
Rodemach, qu’il avoit en la duchié de Lucembourg. Et la cause de celle
gairnisson estoit pour ce que ledit damoisiaux estoit devenus françoy.
Et, néantmoins que gairnison y fût mise, les Bourguignons a s’en aillirent donner l’assaulx à la fort maison de Tréferdange ; et fut prinse,
avec environ VIX x Françoy qui estoient dedans en garnison, lesquelles
furent menés à Lucembourg et à Herlon. Et, ce fait, s’en aillirent
yceulx Bourgongnon mettre le sciège devant Hesperange, appartenant
audit de Rodemach. Par quoy, luy voyant ainsy attains de toutcousté,
s en vint a seurté ce tenir à Mets ; puis, peu de tamps après, s’en aillait
devers le roy.
“• M : Bourguigons.

74

1480.

—■ CONSTRUCTION DU COUVENT DES SŒURS COLETTE

Fouldre et tempesle. — En celle année, le XXVIe jour du moix de
may, devers les neuf heures du matin, vint ung temps le plus mer­
veilleux et espoventable que de loing tamps on vit ; et sambloit visi­
blement que, du jour, et à l’eur qu’il estoit, que il fût nuyt. Et cheust
le plus fort de se tamps entre les deux rivier, en tirant a Pont à Mouson ;
tellement que tout y fut foudroiez et tempesté. Et y fist se tamps ung
merveilleux domaige, tant là comme aultre part ; et, avec ce, fit encor
en ce tamps sy grant froideur et gellée que toutter les vignes du Vaulx
de Mets et de plusieurs aultres lieu furent à peu près toutte engellées.
Par quoy alors furent tous vivres restrains et ranchéris ; et ce acomensa
une famine et ung chier temps lequelle durait prez de trois ans
anthier.
Le couvent des Seurs Collette en Mets édifié. — Item, environ ce
tamps, damme Nicolle, femme du seigneur Wiriat Louve, vendit tout
le sien à biaulx denier comptent ; et, de yceulx denier, fist faire une
religion en Metz, scituéez en Grant Mèze, auprès des Frère, nouvelle­
ment fondé, de l’Observance. Et est celle religion fondée dez Suer de
saincte Claire renformée, c’on dit les Suer Collette. Et puis, 1 euvre
parfaicte et eschevie, celle damme se fist religieuse en se meisme couvans ; mais, peu de tamps après, affîn de éviter vaine gloire, fut de ce
lieu transmuée, et fut dez souverains de l’Ordre envoiéez à l’Ave Maria
à Paris, là où elle ait sainctement finés ses jours. Dieu luy doing graice
d’avoir acquis part en son sainct paradis ! Et nous soions tous participans en ses bienfait ! Amen.
En ce meisme tamps, ung citains de Mets, nommés Fransquin de
Tallange, gendre à Thillement le chaudroniers, s’en alloit à Bovigne
enprès Dignant en sa marchandise. Mais il fut arestés et prins, en
allant, par ung appellé Jehan d’Étrival. Et, quant les nouvelles en
vinrent et que le fait fut cognus, la cité en fist requeste. Tellement que
ledit Fransequin revint, jusques à une journée qui fut prinse ; en laquelle
on oit accord, et fut ledit Fransequin délivrés franc et quicte.
Ung des seigneur de Mets s’absente de la ville. — Item, en celluy
tampts, ung noctauble chevalier, nassionés de la cité de Metz et dez
pairaige d’icelle, appelles seigneurs Phelippe de Ragecourt, oit aulcuns
regret à la cité. Et tellement qu’il se mist hors de la saulvegarde d’icelle,
et renonsait à son pairaige, c’est assavoir a pairaige de la cité, et s’en
alla randre Lourains. Mais, néantmoins, il vint morir à Mets.
Rhodes asseigiéez et nom rendue. — En celle devent dicte année, y oit
de merveilleuse fortune et plusieurs grant adventure parmy le monde.
Entre leequellez avint que, le XXIIIe jour de may, le Grant Turcz,
annemis de nostre foy, envoya devent la cité de Rhodes une mer­
veilleuse armée de cent voelles 1 ou environ, c’est assavoir galères,
fustes, grosse nauve, pallangrées, gapperies, galbas et bergantines,
chargées de gens et d’artilleries et aultre chose nécessaire pour sciège
1. Voiles.

1480.

— SIÈGE DE RHODES PAR LES TURCS

75

tenir. Lequelle fut mis et essus devent ycelle cité en plusieurs lieu à
l’environ. Et durans lequelle sciège y furent donnés plusieurs assault ;
et y furent de grant fait d’arme fait et acomplis ; et fut, durans celluy
sciège, la dicte cité merveilleusement batue d’artillerie. Et tousjour
leur venoit vivre et gens nouviaulx du port de Fusto, lequelle est
à XVIII mil de la dicte cité de Rhodes, scitués en Turquie.
Entre yceulx Turc et Sarrasins, y avoit ung crestiens renoyés, nommés
maître George, bon bombardiez, et nassionés de Germanie. Celluy
maistre George, faindant se griefment repantir de se qu’il avoit renonciet à nostre foy, se vint randre a grant maistre des chevalier de Rhodes
pour le servir ; mais le dit seigneur y ouvray prudentement, et thint
cellui maistre George par plusieurs jour. Et, son fait congneus, le flst
pandre et estrangler tout au meylieu du merchief de Rhodes. Celluy
maistre George estoit hommes cault et mallicieulx ; et avoit estés
bombardiez de Venise : mais, pour aulcune chose que l’on ne fist pas à sa
guise, il s’en allait randre turcz, comme dit ait. Et devoit avoir grant
argent pour trahir la cité de Rhodes ; mais il en oit son paiement.
Le bassal du Turcz fut devent celle ville longuement. Et, comme les
vraye cronicque que de ses chose en sont faictes le tesmoigne, y oit
plusieurs escarmouche et grant basterie faictes, et d’ung cousté et
d’aultre, esquelles y oit plusieurs grans tuerie. Et furent les muraille sy
démollue en aulcuns lieu, par force de leur grosse artillerie, qu’elle
furent à peu près arasée à fleur de terre. Et y oit de merveilleux assault
donnés, ausquelles fut vaillamment deffandus et résisté par les vaillans
chevaliers qui alors estoient en la dicte cité.
Mais, toutefïois, il fault croire que celle cité fut plus préservées et
deffandues par miracle et opéracion divine que par la force humaine,
attendue la grande et excessive puissance de yceulx Turcz au regaird
des dit chevaliers de Rhodes. Car le nombre d’iceulx Turcz estoit de
cenc et LXX mil hommes, de toutes manières et condicions de gens
(car je croy qu’il n’y avoit de nacion au monde qu’il n’en y eust).
Dez bombardes et aultres baston à feu, en y avoit sans compte et sans
mesure ; entre lesquelles en y avoit XVI grosses pièces qui avoient
XXII piedz de longueur et ung piedz et quaitre doys d’espesseur,
lesquelles gectoient la pierre de neuf à unze paulmes de rondeur. Et,
avec ce, avoient yceulx mauldis chiens VI gros mortiers qui gectoyent
la pierre aussy grosse, ou plus, que lesdictes bombardes.
Chose merveilleuse et incrédible se fasoient durant celluy sciège,
et qui tropt loingue seroient à raconter. Car yceulx Turcz maldis firent
tous devoir de anichiller celle tant triumphante cité. Et, pour ce faire,
y perdirent plusieurs de leurs gens, que misérablement y furent tués.
Entre lesquelles furent tués le capitaine dez galiaces du Turcz ; aussy
fut le capitaine des nateliés, et paireillement le gendre du filz du Grant
Turcz, nommés Merlabay , gens entre eulx de grant estime et réputacion ; et plusieurs aultres de grant noblesse, sans les comuns qui ne
retournairent pas pour en dire les nouvelles. Mais, néantmoins touttes
ces chose, comme j’ai dit devent, celle tant noble cité fut gardée et

76

1480

.

— LES TURCS ABANDONNENT LE SIÈGE DE RHODES

préservée plus par miracle de Dieu que par la force des homme. Comme
évidentement il se monstra par ung jour que yceulx Turcz avoient
donnés sy fier essault qu’il avoient desjay gaingnié et occupés grant
partie de la muraille et mis a plus hault leur bannier : mais, ainssy
comme le grant maistre d’icelle cité vindrent en ce lieu pour reconquester leur muraille, et que il fist desploier leurs banniers, en laquelle
estoit painct le Cruxefiz, les Turcz, comme il congneurent et confessairent depuis, virent en l’air, sur la dicte banières, une grande croix
de couleur d’or ; et, d’aultre part, sus la dicte muraille, virent, comme
il leur fut advis, une belle pucelle vestue de blanc, que tenoit en l’une
de ses mains une lance et en l’autre ung escus blanc ; auprez, virent
ung homme moult povrement vestu, lequel estoit acompaignié de
beaucopt de belles gens. Lesquelles choses firent sy grant paour et
frayeur à yceulx maldictz Turcz, annemis de la religion crestienne,
qu’il ne solrent que faire, sinon de fouyr et de retourner arrier ; et
n’avoient puissance de eulx deffandre, ains comme beste ce laissoient
tuer. De tout cecy ne virent riens les Crestiens, sinon que, troys jour
après que yceulx Turcz olrent mis le sciège devent la dicte cité, virent
une estoille qui s’apparut en l’air, moult grande et merveilleuse, figurée
en manière d’une croix. Et celle estoille ce monstroit touttes les nuyt,
jusques à trois jours devent que les Turcz se partissent de devant la
dicte ville ; qui fut bien tost aprez la Nostre Damme a mey aoust.
Par quoy il fault bien dire et croire que la victoire vint de la graice de
Dieu, qui combatit pour la ville, et defïandit de mort honteuse et
cruelles tous les habitans d’icelle.
Avent le despart d’iceulx maldit Turcz, vinrent et arivairent en
Rhodes deux grosses naves que le roy Ferrand, roy de Naples, y envoioit
pour le secours a d’icelle, chargiées de gens et de victuailles. Et se
appelloit l’une d’icelle la naves saincte Marie, en laquelle je, l’escripvains de ces présantes, ay puis estés plusieurs journée. Icelle naves
donnairent grant réfreschissement à touttes la ville. Maix, comme dit
est devent, les mauldis chiens Sarrasins s’en retournairent tantost après
en leur pays. Et devés croire qu’il ne menoient pas tant de bruit à leur
retour corne il avoient fait à kur venir.
La cité d’Otranle prinse des Turcqz. — Par quoy le bachal, qui est lr
représantant du Grant Turcz, desplaisant et ayant honte de ce qu’il
avoit faillis à son entreprinse, et pour recouvrir son honneurs, envoya
partie de ses gens au pays de Pouelle, on royaulme de Neaple, dessus
ledit Ferrand, roy d’icelle. Et, à force d’armes, après plusieurs grant
tuerie, prindrent la cité de Octrante. De laquelle il mirent à mort tous
les chrestiens. Et, entre les aultres, il scièrent de une scie par le millieu
l’archevesque d’icelle cité, pour la foy de Jésu Crist. Et firent encor
yceulx chiens maldis tant d’aultre mal à leurs retours, en diverse lieu
parmi la chrestientés, que se fut choses merveilleuse. Dieu, par sa

a, M : scours.

1480

.

— GRAVES INONDATIONS-EN LORRAINE ET AILLEURS

77

bonté, y vueulle mettre sa graice et les convertir en bien, et donner
graice de se réduyre à nostre foy ! Amen.
Les oizon prins et repourtés à Sainct Clément. — Item, en la dicte
année, le XIe jour du moix de jung, furent prins aulcuns compaignon de
Mets, et menés en la maisons de la ville ; et aulcuns en y oit qui en
eschappirent. La cause pour quoy fut pour aulcuns oyson qu’il avoyent
desrobés à l’abaye de Sainct Clément. Et ung appellé Jehan Mangin,
fîlz à Mangin, le tailleur, de derrier Sainct Salvour, qui estoit du fait,
s’en aillait fuyant à Rouzerieulle : car celluy Jehan Mangin estoit l’ung
des fins et grant fairseur que l’on sceût au monde trouver, et estoit en
toutte finesse ung second maistre Françoy Villon de Paris, comme ycy
après en aultre lieu il serait dit. Et, tantost après, furent condempnés
les compaignons devent dit de repourter leur lairsin, c’est assavoir
yceulx oyson de Sainct Clément. Et à les conduyre furent commis
deux sergent devent eulx, qui les menoient, et deux après ; et furent
ainsy conduit jusques a lieu où il les avoient prins. Et furent chacun
à LX sols d’amande, et banis trois moix ; et ceulx qui ne les volrent
point repourter furent chacun à VIII livrez, et bannis demy ans.
Ceulx qui les repourtairent furent Jehan Mangin et Jehan Prévost ;
maix le fîlz Jehan de Viller et le Jolly ne les volurent point repourter,
et paièrent l’amende dessus dictes, et furent bannis 1.
Item, en cellui tamps, fut comendés au subject du pays de Mets
qu’il s’en vinsent tous à refuge en la cité, pour les François, qui venoient
à grant puissance, de environ L mil, et estoient desjay autour de Ver­
dun. Maix audit Françoys vinrent aultre nouvelle, par quoy ilretournirent.
Yvoix prime par les François, et Verton. — Tantost après, en la
semaine de la Feste Dieu, yceulx Françoy prindrent la ville d’Yvoix ;
et abatirent les muraille. Et furent en celle meisme année desdit Fran­
çoy prinse la ville de Verton, et Monquaintin.
Et, en ce meisme temps, furent prinse et arrestée plusieurs merchandise apartenant à ceulx de Mets : c’est assavoir quaitre chair et deux
charette ; et furent menés à Sainct Vy en Ardenne.
Grant pluye par les paiis. — Item, aussy en celle année, environ la
mytté du moix de juyllet, se mist le tamps à pluye. Et pleut tant et sy
longuement que les yawes devindrent sy grande et sy orriblement
haulte que de loing tamps l’on ne les avoit veu pareille ne sy grande ;
et se renfoursoit encor de jour en jour. Par quoy l’on ne pouuoit fener
lez foingz ne recueillir les blefz ; et en y oit assés des perdus per au loing
des ripvière. Et fit celle pluye plusieurs grant dopmaige en aulcune
ville scituées dessus les rivaige, tant és maison comme és bief, lesquelles
furent à demi gastez et de petitte vallue. Et, espéciallement, firent ces
yawe ung merveilleux dopmaige au loing de la rivier du Rin, depuis
Baille jusques à Collongne : car il n’y demourait, au loing du rivaige,
ne poix ne febves ne aultre biens que tout ne fut enmenés et desrayés.

1. Pour plus de détails, voyez Aubrion, p. 107 et 110-111.

78

1480.

— RÉFECTION DE LA PORTE SAINT-THIÉBAULT

Et, avec ce, firent ces yawe grant dopmaige aux murailles d’Estrabourg
et de Covellance. Et, encor plus fort, au dessus d’icelle cité d’Astrabourgh, y oit ung villaige pardus et desmollus, et une partie des maisons
enmenéez.
Ung enffant trouvés flotanl en ung berceau sus l’eau. — Or, escoutés
ung biaulx miracle que Dieu, par sa bonté, y monstra. Avint, ainsy que
l’yawe enmenoit tout, fut trouvé bien loing d’icellui villaige ung anffans
en ung berciaux négeant et flotant par dessus l’yaue au loing du Rin.
Alors ung homme, qui estoit en une petitte naicelle, le vit venir ainssy
négeant aval le Rin ; par quoy, incontinant, se tirait celle part, et print
l’enffent avec le bercellet, et le mist en son batteau. Mais, dès tantost
qu’il le descouvrit pour le resgairder, l’enffant ce print à rire. La Justice,
advertie du grant miracle, voulloient constrandre cellui homme d’avoir
l’enffant pour le faire norir. Maix le bon homme s’en deffendit, et dit
qu’il devoit estre siens. Et fut trouvé par conseil qu’il luy debvoit
demourer, et que, sellon raison, il en devoit estre le perre.
Porcession à Saind Clément. — Item, le lundi ensuyant, que fut la
vigille de l’asomption Nostre Damme à mey aoust, fut faictes en Mets
une porcession généralle à Sainct Clément ; et y fut portée la fiertés
sainct Estienne, paltron d’ycelle cité, avec toutes les aultre fiertés,
corne se fust1 esté le jour de la sainct Marc, ce que l’on n’avoit de
grant tamps veu. Et fut cella fait pour horrible tamps que alors faisoit,
tant de pluye et de tempeste, comme cy devent ait esté dit, et aussy
pour impétrer paix en l’encontre des grant guerre et tribulacion qui en
ce tamps régnoient.
En ce meisme moix d’aoust, fut fait par les seigneur d’Allemaigne
ung tornoy en la cité de Mayence. Auquelle y oit grant feste et grant
nombre de seigneurs et dammes ; et en y oit des très bien batus.
Trêves pour vj moix entre le roi et Maximilian. — Pareillement, en ce
meisme moix d’aoust, fut faictes une trêves entre le roy Loys de France
et le devent dit Maximilien, duc d’Austriche, durant VI moix : dont les
trois doyvent estre marchans, et les trois aultres d’abtinance de guerre,
et le VIIe de repantailles 2. Et fut ce fait soubz conseil de décevoir
l’ung l’autre plus que de avoir bonne paix : car chacun désiroit à trom­
per son compaignon et à avoir honneur et la victoire.
Le roy malade. — Maix, durant ce temps, le roy Loys cheust en
grand malladie ; par quoy luy, qui estoit le plus désirant de vivre et de
régner que fut au monde, se woua en plusieurs veu. Entre lesquelles il
fut à Sainct Claude, avec grant compaignie de gens d’armes ; et y fist
des biens.
La pourle Sainct Thiébault et celle des Alemans racoltrée. — Item, en
celluy tamps, l’on fist la porte Sainct Thiébault, à Mets, plus belle,
1. Corne se ce fust : comme si c’eût été...
2. Repentaille, dédit. Pendant le septième mois, la trêve devait être dénoncée
(ou prorogée ?).

1480

.

— LE MYSTÈRE DE SAINT MICHEL JOUÉ A METZ

79

plus forte, plus manificque et d’aultre fasson qu’elle ne soilloit estre.
Et pairellement, la dicte année, fut refaicte la pourte des Allemans,
beaucopt plus forte et plus magnificque qu’elle n’estoit auparavant.
Le duc d’Ostriche à Lucembourg ; et les seigneur de Mets, avec présent.—
Item, aussy en celle année, le jour de la sainct Michiel l’ange, vint et
arivait à Lucembourg mon seigneur le duc d’Olteriche. Et, le jeudi
après, furent de part le conseil de la cité envoiez vers luy en ambassade
aulcuns seigneurs de la dicte cité, c’est assavoir seigneur Andrieu de
Rineck, seigneur Pier Baudoche, seigneur François le Goumaix, et
Jehan Dex, secrétaire. Et, là, les dit seigneurs se présentaient devent
le prinse, disant qu’il fût le très bien venus ; puis, on non de la cité,
luy ont présentés et donnés une coppe d’or pesant IX marc et toutte
plaine de florin de Mets. Et, ce fait, il furent moult honnorablement
ressus ; et les veit on voulluntier.
ijc Suysse que tués que prins, pour s’avoir absentes]. — Et, alors,
estoient à Lucembourgz deux cenc Suisse, léquelles, désirant estre
françoi, prindrent congiez, disant qu’il s’en voulloient aller à Trièves.
Et le prinse leur fit donner congiez. Mais il se doubtait de la tromperie ;
par quoy il fit mettre gairde et espier se le contraire se trouvoit. Maix,
quant il vinrent aux champs, et virent qu’ilz se voulloient boutter à
Rodemach et estre franç.ois, sy frappèrent dessus ; et en tuairent environ
cenc et X, et les aultres furent prins et menés à Lucembourg. Et fut dit
qu’il en seraient tous pandus et estrangléc.
Jeu par personaiges. ■— Item, le jour de la sainct Berthemeu devent,
avoib esté jué en Mets, en la plaiese de Chambre, le jeu sainct Michiel.
Et fut le sainct Michiel Michiel le tinturier, qui estoit ung aussy biaulx
jonne filz qu’il estoit possible de trouver, car il avoit les cheveulx
crespé et blon comme or ; et le faisoit moult biaulx veoir.
Aussy, en ce meisme ans, le XVIIIe jour de septambre, print femme
en Mets le seigneur Régnault le Gournaix. Auquelle on fist une mer­
veilleuse feste ; car, à ycelle nopce, y oit XXXIII que ménétrés, trom­
pettes et tabourin. Et, pour plus resjoyr la feste, fut faictes une jotte en
la neve saille. Et, avec ce, y fut jués une très bonne fairse devent les
dammes ; et fut ce fait par aulcuns gentilz ruste de la ville. Lesquelles,
au lundemains, donnairent un brevet audit seigneur Régnault, dont la
tenour s’ensuyt :
« Très chier et honnouré signeurs,
Dieu vous doinct liesse et santé,
Acroissement de tout honneurs,
Tousjour vivre en prospérité !
Les compaignon qui ont jousté.
Au nopces par joyeulx compas,
Vous prye en toutte humilité.
Que vous ne les obliés pas. »
Et aussy ne fist-il, car il leur bailla deux florin.
Le pape amoneste les prince. — En ce meisme moix de septambre, le
pape envoya ses ambassade en France ; c’est assavoir le cardinal de

80

1480.

— MARCHANDS DE METZ DÉTROUSSÉS

Sainct Piere ad vincula. Auquelle fut faicte ung grant recueil, et en tout
honneurs il fut ressus. Et venoit ledit cardinal pour admonester les
prinse christiens de ce concorder et pacifier ensemble, et de envoier leur
armée dessus les Sarrassins, annemis de nostre saincte foy catholicquez.
Maix, jà ce que le roy fut très content, il 1 ne fist rien de son proffit.
Le cardinalz Balue délivres. — Sinon qu’il fist délivrer le cardinal
Ballue, qui de loing temps estoit détenus prisonnier en France pour
aulcuns cas à luy impousés, comme cy devent ait estez dit.
Franc archier cassés. — Aussy, en ce tamps, le roy fist casser la plus
part des franequez archier. Et fist nouvelle ordonnance de picquair et
harbairdiés 2, 3 avec quaitre mil Suisse qu’il rethint continuellement
à ses gaige.
Item, la vandange de cest année durait jusques bien près de la
sainct Mertin. Par quoy lez vins furent sy fiers, ad cause qu’il n’estoient
pas de bonne meurson 8, que à paine en pouoit on boire. Et, avec ce,
en y avoit bien peu.
Gellée forte et de grant durée. — Puis, tantost après, l’yver acomensait,
cy très aispre et sy très froy que à paine le pouoit on endurer. Et, de la
grant froidure qu’il faisoit, les vins engelloient és caves et és cellier.
Et fandoient les harbes 4 aux champz, tellement que de loing l’on les
oyoit despetter et rompre. Et encor, que pis est, furent les vigne toutte
engellée, tellement que force fut de les trapper. Par quoy furent les
vins fort renchéris ; et aussy furent touttes aultre victuailles. Espéciallement en France, y oit une merveilleuse famine, et en Bourgongne
pareillement, de laquelles morurent plusieurs parsonne ; et principallement furent tourmentés de celle famine les Lyonnoys, les Auvergnoys et Bourbonnoys. Ne jamaix ne fut trouvés, ne n’estoit mémoire
d’homme vivent qui eust veu les grosse rivier de France, telz comme
Saine, Loire, le Ronne, la Gironde, et plusieurs aultres, aussy fort
engellée comme à présant estoient. Et firent de grant dompmaige a
desjeller.
Marchamps détroussés. — Item, la vigille de la sainct Nicollas d’yver
de celle présante année, retournoyent de la foire à Bergue aulcuns
citains de Mets, telz comme Jehan de Lorey, Jehan Abrion et Perrin de
Bourgongne. Cy furent rancontrés de VIII malvais lairon ; et furent
prins et emmenez en la Lefïe, à Harestainne, et en ce lieu furent lon­
guement détenus. Et, néantmoins que l’on fist tout devoir de les poursuire et réclamer, lez cuydant ravoir franc et quictes, force fut de paier
ranson ; et furent ransonnés à mil florin d’or. Lesquelle, jay ce que mon
seigneur de Trièves, mon seigneur du Faiey 5, avec les seigneur de la
cité et plusieurs aultres, en eussent heu rescript et requestés, ce néant-

1. H représente le cardinal légat.
2. Piquards, hallebardiers, soldats armés de piques, de hallebardes.
3. Maturité (exactement meurisson).
4. Arbres.
5. Gouverneur du duché de Luxembourg.

1481.

— ORDONNANCES SUR LA VENTE DU VIN A METZ

81

moins force fut de paier la devent dicte somme. Et leur fut pourtée
par le clerc des Sept de la guerre, avec aulcuns soldoieur, jusques audit
lieu de Hartelstynne.
Constrainte du duc René contre ceulx de Mets. — Or, avint encor en
celle année que le duc René de Loherainne faisoit vuydier les fossés de
la ville du Pont, par quoy il voulloit constraindre les villaiges qui
estoient du fiedz de y estre à crouuée. Ce que yceulx féodal1, qui
estoient aulcuns des seigneur de Metz, ne volrent point souffrir. Et,
pour ce fait, en furent gaigiez les ung sur les aultres.
L’empereur requiert ayde à ceulx de Mets. — Paireillement il avint que,
en ces meisme jours, l’empereur Phéderich demandoit une grosse ayde
à la cité, tant de gens à chevaulx comme à piedz, affin de faire une
grosse armée pour les mener contre les Turcz. Et, alors, les seigneurs de
la cité mandairent devent eulx touttes les église collégialle, avec lez
curé, et tous les aultrez qui thienne et possède bénéfice, affin de y
contrybuer et aydier à deffandre nostre sainct foy chatolicquez.
Le moix de mars de celle année fut aussy froit, et gellait aussy destroittement comme il avoit fait de toutte l’année.
Cy vous lairés de ces chose le parler pour retourner a maistre eschevin
de Mets et à plusieurs aultres besoingne.

[l’année

1481 J.

Mil iiijc iiijxx et ung. — Après ses chose ainssy advenue, et que le
milliair courroit par mil quaitre cent et IIIIXX et ung, qui alors estoit
l’an XLIIe de l’empire du devent dit Phéderich, fut pour celle année
fait, créés et essus pour maistre eschevin de la cité de Mets le seigneur
Nicolle Rémyat.
Huchement fait contre les cabaret et aultre. — En celle année, fut
ordonnés et criez en Mets, pour ce que les vins estoient fort chier,
à l’ocausion que l’on n’en avoit guerre heu, et que de nouviaulx les
vigne estoient engellée d’yver, que nulz routisseur, cuyseniers, cabaretz
ne boulangier ne soustenissent parsonne, fors au déjunon, depuis le
matin jusques à X heures. Et, avec ce, qu’il ne vendissent nulz vin que
a pris des aultre gens, avec le sècle pandus à l’huys 2.
Tantost après, on fist encor ung aultre huchement, que nulz ne
malgréait ne reniait Dieu, sa mère, ne ses sainctz, sur grosse amende.

1. Le mot n’est pas sûr. Est-ce le mot féodaire (feudataire) que Philippe a voulu
employer ?
2. Il s’agit de limiter la consommation (interdiction de vendre du vin avant dix
heures) et de restreindre les prix (voyez Aübrion, p. 118). — Le sècle, l’enseigne qui
jiidique le débit de boissons.

82

1481. —

CONSTRUCTION DE L’ÉGLISE SAINT-SYMPHORIEN

Et, pareillement, que nulz ne juait à quelque jeux de quairte, ne de dez,
ne aultre jeux deffandus.
L’évesque fait la porcession à Sainct Arnoult. — Item, en la dicte
année, le jour de la florye Pacque, monsseigneur George, évesque de
Mets, fîst la grant porcession à Sainct Arnoult ; et luy meisme en per­
sonne y bénist les paulmes; et à ce faire furent tous les chanonnes, tous les
religieulx et touttes les paroiche de la cité de Mets. Et fut fait le sermont en la grant crouuée dudit Sainct Arnoult par frère Jehan Phi­
lippe, général de l’Ordre des Frères de l’Observance. Et puis, ce fait,
on en vint à la porte Serpenoise, qui alors estoit close ; laquelle rompit
monsseigneur l’évesque en la manier accoustumée du jour des Paulmes.
Et les dammes de Saincte Glossine, de Saincte Marie et de Sainct Pierre,
estant alors sur la dicte porte, chantoyent Gloria taux, etc. Et fut ung
moult biaulx mistère, et bien dévolt, et qui pleust à beaucopt de gens.
Et en celle porcession faisant fut faictes de très belle ordonnance ; et
furent les portes et les muraille très bien gairdez et fornis de compaignon
armés et ambâtonnés ; et aussy paireillement furent les baille, pour
tant que tousjour l’on ce doubtoit de trayson et que les Loherains,
ou aultres, n’eussent conspirés aulcune malle voulluntés sur la cité.
Huchement sur le vendaige des besie. — Paireillement, en cest année,
fut errier fait ung aultres huchement et édit nouviaulx : ce fut que nulz
n’achettait nulle bestes à cornes, berbis ne moutons, ne aultres, fors
en plain merchiez. Et, encor, que nul bouchiez n’achetait esdit merchief
qu’il ne fût X heures sonnée a groz orlouge de la cité.
Celle année se continuoit tousjour en froidure, et ne se pouoit le
tamps réchauffer. Et tellement fit froit on moix d’apvril que, le premier
jour de may, à paine ce trouvoit nul fleur és harbes. Et ce vandoient
desjay les vin à XII deniers la quairte ; et fut ce jour le premier qu’i fut
mis à ce pris.
L’église de Sainct Siphorien édifiée. — Item, en celle année, le Xe jour
d icelluy mois de may, fut acomencié l’église de Sainct Siphoriens sur
Sainct Hillair an Xalleu. Et en présance y estoit seigneur George de
Baulde, évesque de Mets, lequelle mist et esseut la premier pier au
fondement ; et, dessus ycelle pier, y mist trois piesse de métal, c’est
assavoir or, argent et couvre 1. Et estoit le maistre masson de cest
ouvraige maistre Henry de Ranconvaulx. Car, aparavant que cest
église y fût faictes, y avoit en ce lieu une vielle et laide église, en laquelle
y avoit ung viez clochier de bois, que estoit une très laide chose à veoir.
Et avoit cest ouvraige estés ordonnés de faire par Jaicomin Pichon, le
merchamps ; lequelle n’en fîst rien, mais il ordonna par devise à ses
V mainbours, c’est assavoir à Collignon d’Aulocourt2, à Jehan Abrion,
à Warin 1 Escuier, à Thévenin Hainzellin et à Jehan de Bonne, l’orfèvre,
de le faire ; comme il firent.

1. Cuivre.
2. Colignon d’Abocourt (Avbrion, p. 120).

1481. — FAMINE AU PAYS DE METZ ET AILLEURS

83

Et, en celle année meisme, l’on faisoit la devent dicte égliae et monas­
tère des Suers Collettes. Laquelle église, comme j’ay dit devent, la
faisoit faire damme Nicolle, femme que fut au seigneur Wiriat Louve,
chevalier. Laquelle dicte damme, depuis que celluy édiffice fut achevy,
affin de éviter vaine gloire, s’en alla demourer et se randre à l’Ave Maria
à Paris L
Grani faminne. — Et fut en celluy tamps que comança la grant
famine, tant de vin comme de bief et aultres biens. Et dura celle famine
deux ans et plus, tant en ce pays comme aultre part.
Et, en celle année, on moix d’octobre, fut du tout eschevis le clochier
de Meutte, et y fut esseutte la pomme.
Comendemenl fait par Vèvesque. — Item, aussy en celle année, ledit
évesque George voult faire visitacion par touttes les paroiche de la cité.
Et, de fait, en fut en aulcune, telz comme à Sainct Jaicque, qui fut la
premier. Et avoit ordonnés ledit évesque que les eschevins se trou­
vassent à la dicte visitacion à faire “. Lesquelles n’en firent rien. Et, ce
voyant, les mandait quérir. Et il y furent, par lisance de Justice , mais
il leur fut dit et ordonnés qu’il ne dissent ne ne respondissent à chose
que ledit évesque leur demandait, et que de rechief il retournaissenb en
justice, pour savoir 2* tout
1
ce que ledit évesque leur avoit dit et com­
mandés.
Trêves rompue. — En celle année, pour ce que les gens du duc d Au­
triche firent aulcunes entreprîmes sur les François és mairche de Picar­
die et rompirent les trêves, lesditz gens de guerre, d’ung party et d’aultre, recommencèrent à faire une guerre mortelle. Que fut fort estrange
et cruelle : car nulz n’y estoit prins à rensson, mais faisoient tous pandre
ceulx qui estoient prins prisonniers, sans nulle rémission.
Le Grant Turc mor[t]. — Aussy, ondit ans, et on meisme moix de
maye, Mahuait, granc turcz des Sarrazins, qui, par l’espace de trente
ans, avoyt sy cruellement persécuté la crestienté, et, en l’année précé­
dente, avoit heu assiégé la cité de Rhodes, mourut misérablement,
selon sa misérable et mauldicte vie. Et, après sa mort, y eut grande
sédicion à Constantinoble. Car le peuple vouloit avoir pour empereur
le filz aisné dudit Turc, appellé Baisset ; et les barons vouloient avoir
le maisné 3, appellé Zaliab. Mais, touttefïois, le peuple fut maistre.
Et, pour ce que ledit Baisset estoit absent de la dicte cité, on constitua
son filz en son lieu, jusques au XXVe de jung, qu’il retourna. Et,
ce pendant, son frère Zaliab fist tout son effort de voulloir régner ; et ce
esmeut une grant guerre entre eulx deux. Mais, quant il vit qu’il n en
pouroit joyr, il se vint randre aux chevaliers de Rhodes, qui le ressurent
en grant honneurs ; et de là fut amené en France, pour estre en plus
grande seureté.
a. M : affaire.
1. Voyez p. 74.
2. Afin que la Justice sût... Pour plus de détails, voyez Aubrion, p. 120-121.
3. Le mains né, le puîné.

84

1481. -5—

ACCORD ENTRE LE DUC RENÉ ET LA CITÉ DE METZ

Item, tout le devent dit moix de may fut fort froit et pluvyeulx.
Toutefïois, les arbres furent assés bien floris ; maix il pluyt tant tout au
loing du moix de jung, et fit sy froit, que touttes les fleurs cheurent,
par quoy on n’olt nulz fruictz. Et, en juillet, il n’estoit encor nouvelle
de veoir nulz raisins floris.
Sorcière brullée. — Et, pour la diversité du tamps, disoient les auleuns
que se faisoient les sorcières 1. Et, de fait, en furent plusieurs dez prinse,
airses et brullées. Entre lesquelles seigneur Régnault le Gournaix en
fist pranre une, appellées Mergueritte, femme Jehan Willemin, en son
ban, à Sciey ; et fut arse sur Sainct Quentin. Paireillement furent prinse
celle ycy après desclairées : premier, on en print une à Bouxier, une à
Rémeilley, une à Chaistel, une à Mairenge, une à Salney, deux à Wappey, une à Vignuelle, qui morut en prison ; encor deux à Marenges,
sans celle devent dictes, desquelles l’une fut brullée, et l’aultre se estranglait en la prison.
Ung chanoinne noiés. — Item, par ung vandredi, XXe jour de juil­
let, fut noyé on Saulcy, on lieu c’on dit la Raïz l’Évesque, ung jonne
chanoinne de Sainct Salveur, appellés maistre Giraird Sapientis, qui,
à ce jour, s’estoit allé baignier pour le chault avec deux aultres chainonnes dudit Sainct Saulveur. Mais ce n’est pas noviaultés que celluy
rays y print sa proie ; car plusieur, de mon tamps, y ont estés péris.
Pour ce, gairde s’en qui veult : car c’est ung très dangereux lieu.
Conceilz du duc de Lorenne avec ses noble.—Puis, après, le XXIIIe jour
du moix d’aoust ensuiant, le duc René de Loherainne manda ses trois
estas. Et tinrent journée à Nancy, pour plusieurs raison, que je laisse.
Entre lesquelles l’une des principalle fut qu’il demenda conseil à ces
nobles, assavoir mon cornent il pouroit faire de résister à la fureur du
roy Loys de France pour et ad cause du païs de Provence.— Aussy se
conseillait à eulx, disant qu’il estoit délibérés de envoier à Rommes pour
impétrer du pappe que nulz cortissains 2 de Romme ne nul cardinal ne
puissent impétrer auleuns bénéfice on païs de Loherainne ; et que, tout
bénéfice où il apparthient élection, que le dit duc les peût donner, et
celle des collacion au collateur.
Le duc Régné remariés à une aultre femme. — Et encor se conseillait
le duc d’une chose, qui estoit la principaille cause de cest journée :
c’estoit qu’il voulloit impétrer qu’il ce peult remarier et pranre une
aultre femmes que celle qu’il avoit, laquelle estoit contrefaicte et non
convenable pour avoir lignié. Et ainssy le fist : car il fust remariés,
estant sa premier femme vivent.— Et fist mettre ledit duc pollice sus les
monnoie ; et les fist mettre à pris compétant.
Convenances entre le duc René et ceulx de Mets. — Paireillement, en
cest semaine fut faictes paix et acort entre messeigneur de la cité de
Mets et monsseigneur de Loheraine touchant les aydes que ledit de

1. Que ce faisoient les sorcières, que cela était l’œuvre des sorcières.
2. Courtissain, forme francisée du mot italien cortigiano, courtisan.

1481.---- MAUVAISE RÉCOLTE DE VIN

85

Loheraine demandoit aux subgectz des seigneurs de la cité qui tenoient
terre et seigneurie en fiedz de mon dit seigneur de Loheraine. Et, paireillement, fut faicte la paix des borjoisie que ceulx de la terre de Mets
prenoient à Villey devant Nancey, et de plusieurs gaigiers que avoient
esté faictes d’ung costé et d’aultre. Et, pareillement, de plusieurs
aultrez difïérans. Et, pour ce faire, oit monsseigneur de Loheraine
grant somme d’argent, que la cité luy presta ; et, avec ycelle somme,
il mist encor trois mil florin que son grant perre debvoit à la cité ;
et vendit à la dicte cité cent et VIII meudz de sel à prandre chacun ans
à tousjourmaix aux sallines de Chastel Sallin, jusques à rachat, et ce
obligea le duc de faire conduire les chers qui méneroient ledit sel en ses
péril et fortune jusques en la cité de Mets.
Farce et mommerie. — Item, en celle année, le dimenche devent la
saint Luc, print femme et espousait le seigneur Wairin Roucel, cheva­
liers. Et fut celle nopces la non paireille de toutte les aultres que jamaix
je veisse en Mets. Car, aprez la bonne chier faictes au dînés, furent les
jouste à lisse, en Chainge ; auquelles joustairent tout le jour plusieurs
gentilz ruste, tant de Mets que de Loherainne. Car il y avoit à celle
nopces grant noblesse de Loheraine, ad cause que l’apousée en estoit ;
laquelles il faisoit moult biaulx veoir. Et estoit, durant les joste, en la
compaignie de plusieurs dammes et damoiselle, en la gallerie du sei­
gneur Perrin Roucel, auprès de la monstre a drapz. Et tout le tamps
durans d’icelle jouste cornoyent et juoyent plus de XXXVI tant
ménétrés que tabourin. Et, avec ce, y avoit tant d aultre déguisserie et
joieusetés que c’estoit merveille. Et, à ycelle nopces, on y beut demi
cawe d’ypocras.
Faulte de vin. — Et, néantmoins que en cellui tamps estoit le vin cy
chier que à paine en pouoit on finer pour argent, et que n y eust nusa
provision, il eust monté de pris hors de mesure. Car, la vandange
ensuyant, l’on ne trouvoit nulz° vins : dont c estoit pitiet d oyr le
plains dez pouvres gens. Et pourtoit ung vandangeur la vandange de
deux ou de trois journaulx de vigne en ung tandellin *1. Et puis le bief
estoit oriblement chier. Par quoy c’estoit une malheureuse année pour
pouvre gens. Et durait celle vandange jusques a la Toussains.
Ung destrousseurs pendus. — Et, en cellui tamps, fut prins et pendus
ung tandeur de hault chemin, pour ce qu’il avoit esté à ruer jus aulcuns
marchamps de la cité.— Et, pareillement en ce tamps, en fut prins ung
aultre qui avoit destroussés des bouchier de la boucherie de Portsailly,
à Mets ; et fut celluy jugiez à estre pandue et estranglés. Maix l’évesque
d’Oxeburg, qui alors estoit à Mets, le demandait ; et on luy donnait.
L’yver ensuiant ne fut pas de grant gellée, maix fut tout convertis
en pluye, sinon à la fin.

a. M : mis, milz ?
1. Le tendelin (Zéliqzon, tandelin) est une hotte de sapin de la contenance de
quarante litres.

86

4482.

—■ MORT DE MARIE DE FLANDRES

Journée de nulle valleur. — Item, en celluy tamps, vinrent plusieurs
ambaissade en Mets, tant de la part le roy Loys de France comme on
non du duc d’Osteriche. Et y avoit de grant parsonnaige à ce commis ;
et avoient les partie, par acort, elleu ce lieu, en Mets, pour tenir journée
et pour concorder les prince ensemble. Mais il ne firent rien de leur
proffit, pour ce que les souverains ambaissaide du roy n’y estoient point.
Par quoy les commis de la part du duc d’Osteriche envoiairent deux
docteur devers le roy, pour savoir la cause pour quoy leur ambaissaide
n’estoit venuee.
Et, durant ce tamps, en la semaigne de la sainct Vincent, les Françoy
prinrent la ville de Verton. Mais monsseigneur d’Autel, qui estoit
Bourguignon, lez voult aller aydier et secourir. Et, en ces entrefaictes,
il vit aulcuns François qui emmenoient des Bourguignon prisonniet ;
par quoy il les voult délivrer et aydier, et à force d’asperon, lui et ces
gens, coururent après. Mais son chevaulx, qui estoit fort en bouche,
l’empourtait malgrey lui entre ces annemis ; par quoy il fut tués.
Dont ce fut domaige de sa mort. Mais d’icelle mort en vint plusieurs mal,
et fut chièrement compairées.
Et, tantost après, se partirent de la cité les devent dicte ambassaide,
sans aultre chose faire. C’est assavoir, de la partie du roy, y estoit
monsseigneur de Sainct Denis en France, et monsseigneur de la Rouche. Auquelles la cité avoit heu fait de biaulx présant ; et, à leur despairt, leur recommandirent leur cité, avec tout le pays. Et paireillement
se partirent ceulx a duc d’Osteriche. Et retournait chacun en son lieu.
Cy vous lairés de ces chose le pairler pour retourner a maistre eschevin
de Mets et au diverse adventure qui avindrent en son annéez.

[l’année 1482].
Mil iiijc iiijxx et deux. — L’année après, que le milliair courroit par
mil IIIP IIIIXX et deux, et qui fut l’an XLIII® de l’empire du devent
dit Phiederich l’empereur, fut alors fait, créés et essus pour maistre
eschevin de Mets le seigneur Régnault le Gournaix.
Le Irespas de Marie de Flandre. — Et, en celle année, alla de vie
à trespas damme Marie, comtesse de Flandres, et femme dudit Maximilian, duc d’Austriche, que fille avoit esté du feu duc Charles de Bourgoigne. Laquelle laissa deux enfans, ung filz et une fille. Le filz, nommé
Philippe, luy succéda à la conté de Flandres et aultres grandes terrez
et seigneuries. Et la fille estoit nommées Margueritte. Que tous deux
demourèrent en la garde des Flamantz en la ville de Gant.
Borgeois de Mets banys. — En celle année, avindrent plusieurs petitte
avanture en la cité de Mets et on pais à l’entour. Premier, avint que ung
citains d’icelle, nommés Mertin Carel, l’ament, fut banis et forjugiez
à tousjourmaix d’icelle cité, pour tant qu’il estoit acusé d avoir enforcier

1482.-----

MORTALITÉ EN METZ

87

et despuceller une jonne fillette de l’eaige de IX ans, et que il ne s’en
vint point escuser après le huchement qui en fut faitz. Par quoy ces
biens en furent confisqués à la ville. Mais, pour l’amour de sa femme et
de ses anfïans, chacun en oit sa part.
Mortalités subite. — Item, en celle année, on moix d’apvril, on commensait fort à ce mourir en Mets et en plusieurs aultre contrée, tant en
France comme aultre part ; et venoit ce d’une chaude maladie, ou de
fièvre et raige de testez. Par quoy les aulcuns en devenoient sot et à
demi hors de leurs entendemant ; et, a debout de quaitre ou de V jour,
estoient lez aulcuns reguéris, saincts et embon point; et les aultres et la
plus part s’en moroient tout roide, souverainement dedans Paris, là où
il morurent de celle maladie plusieurs scientificque parsonne et grant
parsonnaige, tant en biens comme en science.
Celle année ce monstroit fort estrampée 1 et hattive : car on vandoit
desjay de la verdeur devent le Grant Moustiet de Mets dès le XXVIe jour
de mars. Mais ce tamps ne durait guerre qu’il ce rechaingeait, environ
le mys apvril, et négeait et grellait.
L’église de Sainct Pier brullée. — Et tellement que, de celluy tamps,
fut l’église de Sainct Pier 2 tout arse et brullée par force de fouldre et de
tempeste. Et y oit grant partie des terres touttes gastées.
Justice d’ung compaignon. — Item, le quaitriesme jour de may, fut
mis on pillorys de Mets ung malvais guerson, puis traynés aux champs,
et oit la teste coppée. La cause fut pour ce qu’il avoit advertis Liébault
d’Abocourt, lequelle alors estoit de guerre à la cité, que on envoioit à
Romme grant finance par aulcuns serviteur de l’abbé de Sainct Arnoult ;
laquelle il ruait jus et destroussait. Et en debvoit avoir cellui malvaix
guernement la moitiet ; mais il luy fut bien chier vendues, comme vous
oyés.
Et, en ce meisme tampts, je, Phelippe dessus dit, compouseur de ses
présantes, demouroient ung peu du tamps chief3 mon perre, à Vignuelle
devent Mets. Mais, tantost après, fus mis à demourer en Allemaigne, en
ung villaige au pays de Waistriche Lande, nommés Amange, à X lue de
Mets. Et fut cause de celle allée ung malvaix loups qui courroit on pais
de Mets, et qui estranglait plusieurs anfïans, comme cy après il serait
dit.
Combat de ij home d’armes à oultrance. — Item, en celle année, le
VIe jour du moix de may, ung soldoieur de Mets, allemans, nommes
Broiche, luy et ung aultres homme d’armes fourains, nommés Dediet
de Liverdum, avoient par avant heu grant question ensemble, par
quoy il ce estoient defïier et donnés gaigez de combaitre en champs cloz
à oultrance. Et tellement que, au jour devent dit, se sont trovés armés
et bien am point on Champassaille. Auquelle lieu, par lisance de Justice*

1. Atemprée, tempérée.
2. Saint Pièremont dans Aubrion, p. 134.
3. Chez mon père.

88

1482.----

RÉFECTION DE LA PORTE DES ALLEMANDS

on leur avoit préparés le parque. Et en ycelluy entraient les deux
champion devent dit avec leur deux capitaines ; et avec yceulx sont
seulement entrés aulcuns qui estoient commis de part la cité pour la
gairde d’icellui champs. Et tout à l’entour dudit parcque estoient aultre
gens armés et embastonnés pour gairder et defïandre que aulcuns ne
fesist quelque folle entreprinse. Et, dès incontinant que les devent dit
champion furent entrés on dit parcque, l’on fist ung huchement à son
de trompe, sur cenc livre et au regaird de Justice, que nulz n’entrait on
dit parcque fors les commis. Et, tantost la trompette sonnée et le cris
fait, les deux mirent leur lance en l’arrest, et donnèrent dedens. Et
faillirent la premier fois ; la seconde, il se hurtirent tellement que leur
lances cheurent à terre. Et, incontinent, mirent la mains aux espées ; et
se frappirent fort et ferme, et tant et sy longuement qu’il se blessirent
en plusieurs lieu. Puis ont prins les baicque de falcon \ et, après, lez
masse de plomb : car il avoient de plusieurs maniers de baston, et tout
samblables ; et d’iceulx se sont tellement féreus que audit Broiche fut
abatue la bavier 2.
* 1Et, alors, ledit Dediet print son grant poisson 3
tranchant et quairés, environ de trois piedz de loing ; et, avec cellui, le
sairchoit à son pouoir, et le voulloit engorgier. Mais le dit Broiche
tenoit la teste en bas, et ne l’ousoit nullement lever ; et fut en grant
dangier de sa vie, car il tenoit la courroie au dendz de la dicte bavier,
affin qu’il n’eust le col nudz et descouvert. Et, alors, les seigneurs ad ce
commis se sont bouttés entre deux ; et, après plusieurs grant copt
donnés et ressus, les ont despartis. Et furent aulcuns chairgiés du
difïérans estant a entre eulx deux pour les apaisanter. Et combaitirent
deux grosse heures ; puis, se fait, s’en retournait chacun en son lieu.
Et, à celle baitaille, y avoit tant de gens hors b des lisse que l’on ne c’y
pouuoit tourner.
Le tamps de alors continuoit tousjour en belz et chault. Et tellement
que tous les biens de terre amandoient ; et vandoit on desjay dez
frèses au plains merchief le XVIIe jour de may ; et, le XXIIIIe ensuiant,
on veoit desjay du verjus en plaine vigne. Mais, néantmoins, les bief
et vins, la char et le poisson estoient tousjours chiers.
Les ij grosse tour aux Alemans parfaide. — Item, en celle année,
furent refïait nouviaulx fondemens on billovart de la porte des Ale­
mans. Cellui billovart estoit fondez à plaine terre ; et, en l’an devent,
on y avoit fait et vuidés les grant foussés, et avoit on de noviaulx fait
la muraille, du curement d’iceulx foussés. Par quoy les grosse tour
d’icelluy billevart versoient du cousté de Saincte Élisabeth ; et fussent
cheuttes, qui n’eust fait celluy fondement. Avec ce, furent faictez lez

a. M : eutant.
b. Le mot est peu lisible.
1. Bec de faucon.
2. Bavière, bavette, pièce d’armure qui protège !e cou et le menton.
3. Poinçon.

1482. —ASSASSINAT DE LOUIS DE BOURBON, ÉVÊQUE DE LIÈGE

89

bouttée et pillés sur quoy alors fut fondés le pont levis de bois qu’i
soilloit estre. Mais, depuis, en l’an mil Ve et IX, je l’ay veu reffaire à
arche, comme il est maintenant.
Or oyés une petitte follie qui avint en celle année, laquelle estoit
cause de joye et de tristesse. Il est vray que ung homme de la cité oit sa
femme morte. Et, le dimenche ensuiant, ainsy comme la femme qui est
acoustumée de prier les servise prioit1 en la paroiche dont il estoit,
comme en Mets en est la coustume, à celle meisme heure, le curé,
estant au loitriés, luy faisoit une semonte 2 pour avoir et apouser une
aultre femme. Par quoy celle parolles donnairent à aulcuns cause de
rire, et aux aultres de plorer.
Emviron iiijxx cabaret ostés. — Item, en ce meisme tamps, 1 on fist en
Mets une ordonnance jusques à provision que il n’y eust que une
quantités d’ostelliers et de cabaret. Et fut ce fait pour la chierté du
tamps ; et en furent environ IIIIXX des ostés.
Procès ordonnés d’oyr aprez mydi. — Paireillement, en celle année,
l’on fist en Mets une aultre ordonnance : ce fut que le maistre eschevin
pouroit faire semondre son conseil et les parties à deux heures après
midi, ce que jamais n’avoit estez fait. Et fut cecy ordonnés pour tant
c’on ne pouoit eschevir les plaintif dé déterminez.
Tempeste. — Item, aussy en celle meisme année, le jour de la Feste
Dieu, qui est le sainct sacrement de l’aultel, il fist une merveilleuse
tempeste de tonnoire, pluye, vent et gresle. Tellement que tout le petit
Vault fut tempesté, avec plusieurs aultrez fins atour.
Guillame de la Merche tue l’évesque de Liège. — En celluy tamps, avint
malvaise fortune à Loys de Bourbon, esvesque du Liège. Car messire
Guillaume de la Marche, que les Liégeois appelaient le sanglier d’Ardaine, se mist en ambûche ; et assaillit celluy Loys, lequelle alors, cen
ce point donner en gairde de personne, sortissoit hors de la ville avec
petitte compaignie. Par quoy il ne ce poult defîandre, et fut dudit
Guillaume occis. Puis innumainement le despoueilla, et le corps nud
mist devent les portes de la Grant Église, affin qu il fût du puple regardé.
Et voulloit on dire que le roy Loys avoit aydé à faire cest entreprinse,
pour ce que celluy évesque estoit de la partie de Maximilian.
Et, en ce meisme tampts, lez gens du roy prinrent aulcuns chaistiaulx sus lez pays de Flandre, et firent grant désarroys en la contrée.
Par quoy lesdit Flamans furent plus enclins à faire paix, et envoiairent
leur embassaide en France devers le roy. Lequelle fut bien d’acort que
une journée fût prinse ; en laquelles il envoiait ses embassaide, comme
cy après serait dit quant tempts serait.
La maladie du roi empire. — En ce meisme tampts, la malladie du
roy cressoit de jour en jour ; et n’avoit aulcuns repos. Par quoy il,

1. Je comprends : invitait les gens à l’enterrement.
2. Semonce.

90

1482;-----

PAIX ENTRE LA FRANCE ET L’EMPIRE

pourvoiant à sa fin, se fist porter à Amboise pour luy recréer 1 : car nu]
n’estoit de vivre plus convoiteux que luy. Et, quant il fut à Amboise,
il ce print à amonester son filz Charles de plusieurs biaulx enseignement.
Entre lesquelles luy remonstroit de ce mieulx et plus saigement gou­
verner qu’il2 n’avoit fait, et qu’il espairgnait plus ces subjecg qu’il2
n’avoit fait. « Ains », dit il, « soulaige le puple, que j’ay foullés par tailles
et imposicion nouvelles. » De rechief, lui dit qu’il ne voulloit point qu’il
ostît nul des office qu’il avoit donnés à ces gens, ains leur confermait
à tousjoursmaix. Et, souverainement, qu’il creût le Conseil de trois ou
quaitre qu’il luy nomma.
Passe temps pour adoulcir la maladie du roi. — Et, aprez ces parolles
dictes et plusieurs aultres, retourna Loys à Tours. Auquelle lieu, pour
allègement de sa maladie, fist assambler plusieurs jueurs d’instrument
de musicque, a nombre de VIXX ; entre lesquelz y furent plusieurs
pasteurs de brebis qui, par plusieurs journée, continuellement juoient
non pas loing de la chambre du roy pour le consoller et endormir.
Après ces manier de gens en fist Loys venir d’aultre sortes : car tous
hermite qui vivoient sainctement et solitairement comenda à soy venir ;
et, avec ce, fist venir de Tours femmes d’exellentes dévocion, auquelles
fut comandé de incessanment Dieu prier qu’il rendist au roy santé,
affin que longuement il vesquist. Car jamaix n’en fut point 3 plus con­
voiteux de longuement vivre que fut Loys, ne qui désirait plus à
resgner.
Paix acourdée entre les Fransois et Flamens.— Et alors, en ycelluy
tamps, revindrent les ambassadeur de Frances du païs de Flandres ;
et, avec eulx, vinrent les ambassade des Flamans, Brébansons et
Hannoyers. Lesquelles, finablement, après plusieurs parolles, traictèrent et acordèrent de paix en telle manier que Margueritte, fille de
Maximilian, aagées de deux ans, seroit donnée en mariaige à Charles,
le filz du roy Loys. Et fut celle paix preschéez et publiéez à Paris ; et
en fist on pourcession et feu de joie. Aus ambassadeur furent fait de
grant et riche dons, montant à la somme de XXX mil escus d’or, sans
la vaiselle d’argent ouvrée que le roy avoit fait de nouviaulx forger
pour cest cause. Et alors prinrent congier yceulx ambassadeurs, et s’en
retoumirent en Flandres.
Guerre entre le roi d’Angleterre et ceulx d’Escosse. — Et, en celle devent
dicte année, y eust grant guerre et grant discort entre le roy d’Angle­
terre et d’Escosse. Et tellement que yceulx Escossois entrèrent on
royaulme d’Angleterre, et le dommagèrent beaucop. Leur discord
estoit à cause du duc d’Albaine, frère dudit roy d’Escosse, que disoit
que son dit frère usurpoit le royaulme sur luy, et que à luy appertenoit,
en tant qu’ilz estoient tous deux d’une vantrée, et qu’il estoit venus

1. Recréer, ranimer par un spectacle agréable.
2. Il désigne le roi Louis XI, qui parle.
3. Car jamais il ne fut d’homme plus désireux, etc.

1482.

— LA CITÉ EST DÉFIÉE PAR DE MAUVAIS GARÇONS ''

91

sur terre devent son dit frère, en quoy il avoit acquis droit d’estre le
premier nez.
Le roi d’Angleterre mort. — Item, on moix d’apvril ensuyant, mourut
le roy Édouard d’Angleterre d’une appoplexie qui soudainement le
surprint. Combien que aulcuns dient qu’il fut empoisonné.
Aussy, en ce meisme tamps, furent faictes plusieurs processions
à cause du vent marin, qui estoit fort et causoit plusieurs malladie au
gens, et nuysoit fort au biens de terrez, corne le disoient les médecins.
Ung compaignon pendus. — Item, en celle meisme année, le XVe jour
de jung, fut pendu au gibet de Mets ung grandement réputés gentil
ruste, et de grant renommée pour ung compaignon de villaige. Et ne
sçay, moy, son propre nom, mais comunément on ne l’appelloit autre­
ment sinon Fouttin ; et estoit de la duchié de Bar, et de la garnison de
Goze pour les François. Et avoit celluy Fouttin plusieurs fois corru sur
ceulx de Mets, sans cause et sans defïier ; et estoit cy oultrecuidiet, et
pansoit, pour ce qu’il estoit au roy, que 1 on ne luy osait rien faire,
tellement que, en celle fiance, heust bien la hardiesse, après ce qu il eust
fait plusieurs dompmaige, de oiser entrer en Mets sans assurément ;
maix il fut incontinant prins, jugié et mener pendre. Et, lui qui estoit
biaulx, gallant et bien accoustrés entrez ung milliers, car il avoit le
biaulx pourpoint de soie, chausse bandée et escartelléez, descoupées et
deschicquetéez, avec esguillette de soie ferrée d’argent, le petit bonnet
sus l’oreille, comme alors il se pourtoie, descoppé, et laisseis 1 à biaulx
las de soie, et, en cest estât, en biaulx pourpoint et en belle panthoffle,
fut mené a gibet. Mais encor, de sa follie et de son outrecuidance, ne
cuidoit pas morir ; et ce esmerveilloit, disant qu il n eust point cuidé
qu’on eust pendu les gens du roy. Toutefïois il fist ung terrible tour et
malvais : car, luy estant sur l’eschielle, délia ses mains ; et eust bien
bouttés le bouriaux à l’avallée, c’il eust cuidés morir. Dont le boureau,
appellé maistre Jehan, fut bien esbahy. Toutefïois, il fut pendus et
estranglé ; et fut comandé au bouriaux que l’on ne luy ostait riens de
ses abillemens.
Défiance contre la cité. — Et, dès incontinant après, son frère, nom­
més le grant Taion, qui vailloit pis c’ung escorpion, luy IXe de malvais
guerson, deffiairent la cité, le XXVe jour de jung. Maix, à la fin, il n en
gaignairent rien, combien que à plusieurs gens firent grant domaige.
En la dicte année, la vigille de la sainct Jehan Baptiste, on vandoit
en Mets en plains merchief des gros verjus, et devent la Grant Église.
Banière desrobée. — Item, le premier jour de juillet, furent prinses,
desrobbées et despandues les bannières devent dictes, avec les guidons
et estandart, lesquelles en ce tamps pandoient contre les gros pillés à la
Grand Église de Mets, devent Nostre Damme la Reonde. Et ycelle
baniers avoient heu les Loherains laissiés en Mets à la journées que le

l. Lacé.

92

1482.-----

COURSE DANS LA RÉGION DE NOMENY

duc Nicollas cuydait trahyr et prandre la citée d’amblée, comme dit est
devent. Et furent à cellui jour bien subtillement prinse, de nuyt, par
ung gallans avanturiez qui ce quaichait dedans l’église ; puis avoit
mis une plombée au bout d’ung cordiaulx, laquelle il ruait en hault à
force de bras, et tenoit l’aultre bout du cordiaulx en sa mains, et telle­
ment qu’il fist passer cellui cordiaulx par dessus la lance qui tenoit la
banniers ; et puis, de celle corde ainssy doublée, tirait les lance à l’avallée.
Course vers Nomynei. — Le second jour d’icelluy moix de juillet,
plusieurs avanturiers qui se tenoient à Gorze furent courir on ban de
Desme et de Nomeny ; et prindrent beaucopt de beste. Et, en les
amenant1, ceulx du païs s’asemblairent par grant troupiaulx, hommez
et femmes, et coururent après, les cuydant rescovrez et ravoir ; et
tellement qu’il les trouvirent entre Selleney et Louville sur Saille.
Et estoient tropt plus fort que les François, car il estoient dix fois plus
de gens qu’il n’estoient. Mais, pour tant qu’il ne se attendoient point
qu’ilz fussent tous ensemble, et que, sans discrécions, les premier venus,
sans conduictes quelconque, se lanssirent entres leurs annemis et
frappirent à eulx, par quoy, incontinant, furent tuez, rués jus et
murtris. Et les aultres hommes et femmes qui venoient après, sans
aulcunes ordonnance, voiant leur gens mors, s’en fuyrent espars de
tous coustés parmi les champs corne brebis, et, en criant « A l’airme !
A murtre !», se salvirent. Et, des mors, en y oit XXVIII en la place, et
plusieurs en furent des navrez, et aulcuns dez noiez, qui sallirent en
Saille, ce cuidant salver ; entre lesquelles y oit de gens de biens, de quoy
se fut domaige de leur mort. Et, incontinant, mon seigneur de Loheraine, avec ses gens, vindrent à grant puissance devent Gouze pour
assaillir yceulx Fransois. Mais les cappitainne, en soy escusant, respondirent qu’il n’avouoient point leur compaignon ne le fait qu’il avoient
fait : et, qu’il fût vray, il avoient deschaissiet yceulx lairons, et n’avoient
voullus soubstenir eulx ne leur prinse.
Butin rescous par ceulx de Lorenne. — Et, tantost, lesdit de Loherainne, congnoissant le lieu par où il s’en alloient, chaissirent après
pour ravoir celle proie qu’il enmenoient en France. Et tellement les ont
chaissiet qu’i les rataindirent au Saulcys ; et illec ont rescous leurs
prisonniers avec le bestial. Et mirent tout à mort yceulx François qui
enmenoient cellui buttin.
Item, en ce tampts, on moix de jung, morut frère Jehan le Gournaix,
chevalier, qui ce avoit randus au Frère de l’Observance, comme cy
devent est dit.
Et, tantost après, le XIIIIe jour de juillet, morut Claude Guer de Fer,
l’eschevin, et jonne escuier, qui fut filz au seigneur Geoffroy Cuer de
Fer, l’eschevin, et ledit seigneur Geoffroy fut filz au seigneur Geoffroy
Cuer de Fer l’annez, chevalier. Lequelle Claude se marioit et devoit

1. Pendant qu’ils [les aventuriers] les emmenaient.

1482.----

LES LOUPS DANS LA RÉGION DE METZ

93

espouser, le mairdi devent sa mort, Fransoise, fille Matheu le Gournaix.
Et estoient touttes lez préparacions faictes ; par quoy on y oit grant
dompmaige.Et fut ensepvelly auPiedz rieschault, et fut pourté en terre
en abit de frère Baude ; et fut ce fait moult richement et triumphamment de luminaire a et draps d’or mis sur luy. Et, alors, furent les armés
dez Cuer de Fer attaichée sur luy, et pandant aux cierges et aux torches.
Et fut présantés devent Sainct Salvour, et après à Sainct Jaicques,
puis, après, à Sainct Mercel, et après fut pourtés à yceulx Frères de
l’Observance. Et fut bien minuit devent et ainsois qu’il fut ensevellis.
Course de loups enraigés. — Item, en celluy tamps régnoient plusieurs
malvaix loupz dangereux et anraigiez, comme vous oyrés. Et, premier,
en l’an devent, en avoit régnés ung qui estranglait plusieur anffans.
Entre lesquelles le premier fut à Waipey, devent Mets ; et puis en print
encor et estranglait trois ou quaitre aultre en diverse lieu par lez villaige. Après, avint qu’il entrait en une maison à Pletteville, devent
Mets, et fut en courant après ung anffans, et là fut ce loupz enclos et
prins.
xxx ou xl enfans estranglés de loups enraigiés. — Mais, en celle années
présante, en fut et suscitait ung aultres, de pire sorte que le premier de
quoy j’ay pairlés. Et, paireillement comme avoit fait 1 aultre, il print
son premier anffans à la ville de Wappy ; puis en print deux à Lorey
devent Mets, desquelles le dernier fut prins tout devent leur maison,
lequelles estoit menés d’ung aultres anffans qui le tenoit par la mains.
Après, à Vignuelle devent Mets, print se loups deux jonne fille en l’eaige
de XIII ou XIIII ans ; et l’une d’icelle fille fut prinse à la fontaine, qui
estoit une très jantil gairse, belle et saige ; mais cest traïstre beste la
vint prandre et saisir par la gorge, et l’estrangla, et, de fait, luy pellait
tellement la teste que, au londemains, furent trouvés auprès d icelle
fontaine, en ung gerdin, lez grande piesse de sa piaulx, avec les cheveulx
pandant. Et moy, l’escripvains de ces présante, je la vis morir en grant
pitiez : car, depuis qu’elle fut rapourtée à l’ostel, comme morte, encor
pairlait ; et, en demendant pardon aux asistant, rendit l’esperit ; et
fist pleurer plusieurs parsonne. La seconde fille que celle anraigée
beste print à Vignuelle estoit plus eaigée, mais non pas sy saige. Et
estoit alors en une vigne derrier leur maison, qui chantoit à haulte
vois ; et a plus près d’elle estoit ung jonne filz sus ung serisiez qui
cuilloit des serise. Et prenoit grant plaisir à l’oyr chanter ; par quoy,
quant plus il ne l’oyt, il resgairdait en terre, en disant : « Ysabeau, tu ne
chante plus ? » Et, alors, vit cest maldicte beste enraigéez qui la mengeoit. Et avoit celle coustume qu’il ampoignoit les gens par la gourge,
tellement qu’il n’avoient l’espasse de dire ung mot ne de parler. Aprez,
print encor cest maldicte beste deux anffans à Lessey. Aussy en print
il deux à Salney ; et à Chaistel Sainct Germains, deux ou trois. Et tant

a. M : il manque un jambage de l’m.

94

1482.-----

LES LOUPS DANS LA RÉGION DE METZ

en print que il en furent trouvés dez mors jusques a nombre de XXXV
ou XL que celle maldicte beste estrangla, sen ceulx et celle que du
dangiers furent eschappés. Par quoy, durant que celles maldictes beste
régnoit, les merre, quant elle alloient a champs, enfermoient leur
anffans en la maison. Et, à celle occasion, furent plusieurs édit fait par
lez villaige en diverse lieu ; et avoient les bonhommes telz ordonnance
que, tout incontinant qu’il estoit veu, l’on crioit après, puis ce assambloient de toutte pars au cris, avec palz et massue, et avec picques,
arboullettre, collevrine et espées et aultrez baston, comme se se fût pour
aller en la guerre. Ne n’alloient yceulx bonhommes aux champs ou en
la vigne, par commendement fait, qu’il ne fussent ambastonnés. Et,
avec ce, plusieurs villaige promectoient de donner, lez ung XX sols, lez
aultres XXX sols, et d’aultres XL sols, à celluy qui ledit loups tueroit ;
et, meismement, lez seigneurs de la cité promirent de donner grant
chose à ceulx qui en feroient la fin. Par quoy, pour ces chose et plu­
sieurs aultres, chacun se parforsoit de l’avoir, lez ung avec corde et
filiez, lez aultres à le tuer ; et sambloit par le pais qu’il fût guerre
ouvertes. Et fut celle maldictes beste plusieurs fois souprins et enclos
entre lez cordez et fillés et entre plusieurs personnes, et tellement qu’il
sambloit qu’il n’en deust jamaix eschapper ; mais, quant il cuidoient le
tenir, il estoit desjay bien loing. Et dessiroit leur rectz et fillés au dent
comme se fût estés ung filz de soye ; et passoit oultre, sen en rien faire
cheoir lez fillés. Par quoy yceulx bonhomme disoient que c’estoit ung
esperit mallin, ou qu’il avoit le dyable au corps.
Le loups enragés tués. — Toutteffois, à la fin, quant il eust tant courus
et fait de mal, ung hardi compaignon, nommés Pierson, natif de la
duchiez de Bar, voyant le pris que l’on donnoit à celluy qui le loupz
tueroit, comme dit est, ce avanturait de ce faire. Et tellement que,
ung jour, s’en vint couchier à Pletteville devent Mets ; et là, hors la
ville, en ung presseur à vin ce allait mestre toutte la nuit en ambûche.
Or avoit ledit Pierson amenés ung chevaulx nouvellement mort auprès
dudit presseur, et avoit fait ung trouz au mur à l’endroit d’icelle chairoigne ; et, avec la bonne arboullette bandée et le trait dessus, atandait
sa proie. Et tellement que, bien tairt en la nuit, s’en vint se satallitte
enraigiez ce lancier à celle charoigne (car, à l’ocasion de ce que chacun
estoit sus sa gairde, il n’avoit de loing tamps mangiez, et estoit tout
morant de fain ; par quoy il se print à la chairongne devent dictes).
Et, alors, à la clarté de la lune, ledit Pierson print sa visée cy bien à
point qu’il le tirait au coustés, entre la jambe de derrier et le petit
vantre ; et venoit le trait du travers, en acomensant derrier et en venant
vers le cuer. Et alors saillit dehors ledit Pierson, avec un bon espiet de
chaisse en la main et l’espéez au coustés. Mais, ce nonobstant que celle
maldictes beste fut blessiez jusques à la mors, ce combaitirent encor
longuement ensemble avent qu’il en peult venir à bout. Car ledit loupz
venoit encontre luy, la guelle bée, le cuidant mordre et desvorer.
Toutefïois, à la fin, ledit Pierson luy bouttait son espiedz cy très par­
font en la gourge qu’il l’acullait en terre ; ne jamaix ne laichait

1482.

— ORDONNANCE SUR LA VENTE DU BLÉ A METZ

95

jusques à tant qu’il en fut maistre et qu’il fut mors. Et fut ce fait ledit
ans, le 1111e jour du moix d’aoust.
Alors fut ledit Pierson bien joieulx. Et, le matin venus, il appellait
ces compaignon; et prinrent celle mauldicte beste,et le pourtairenttout
parmy la cité de Mets, et chacun courroit après pour le veoir. Puis l’ont
pourtés par lez villaige; Et leurs furent donnés de grans dons, tant en
la cité comme dehors. Et puis, ce fait, le pandirent à ung groz viez
ormes qui alors estoit en la couste Sainct Quaintin, entre Lessei et
Pletteville, là où à présant est une crois et une petitte chaippelle ; et y
fut loing tamps aprez. Et pour celle vaillance ainssy faictes fut par la cité
donnés audit Pierson ce que l’on luy avoit promis. Et, avec ce, fut mis
au gaige à chevaulx pour estre souldoieur. Et y fut toutte sa vie, et fut
dez ce jour en avant appellés Pierson le Loups.
Et, en cellui tamps, fut faictes la paix entre la duchiez de Lucembourg
et le seigneur de Rodemach, et avec le conte de Wemembourg.
Vous avés par cy devent oy et vous ay heu dit et comptés cornent
messire Loys, évesque de Liège, fut traihis et dessus 1 et piteusement
et innumainement murtris par les propre mains de messire Guillaume de
la Mairche, acompaigniez en cest affaire de messire Avray de la Mairche
et de messire Robert de la Marche. Lesquelles trois dessus nommez
entrirent en Liège avec le corps dudit messire Loys de Bourbon, comme
j’ay dit devent ; et tuairent encor plusieurs prebstre et gens d’église
qui tenoient la partie dudit seigneur Loys. Et prinrent tout le païs de
Liège, Heu, Sainct Tron, Tongre, Hesse, et toutte les aultres places ;
de quoy grant mal en avint. Par quoy, tantost après ce fait et en ce
tamps, pour la grant cruaulté desdit seigneurs de la Marche, les frères
dudit évesque, c’est assavoir monsseigneur de Bourbon, monsseigneur
de Biaujeu, genre au roy Loys de France, monsseigneur de Lion et
l’admirai de la mer furent très mal contens, et queroient vengence
desdit seigneurs de la Mairche.
Hesse destruide. — Touteffois, le duc d’Austriche et le prince d’Orrange mirent le sciège devent Hesse, et la destruirent tellement qu’il
n’y avoit quelque apparance de ville. Et, après, mirent le sciège devent
Heu et devant Tongrez ; maix il se rendirent. Puis, après, avec XXX mil
combatans, c’en allirent mettre le sciège devant la dicte cité de Liège.
Item, en celle devent dicte année, il fist la plus belle saison de bief
et de vins ; et estoient fort bon, mais il n’estoient mye à grant plantés.
Toutteffois, il descheurent quelque peu de leur pris.
Huchemeni d’amener les bled en la Halle. — Item, aussy en ce meisme
tamps, pour ce que le bief estoit tousjour chier, il fut ordonnés et
institués, et avec ce il fut huchié et criez que tous ceulx qui amèneroient bief en Mets pour vendre ne fussent deschargiés en nulle maison,
«non en la Halle, sus Chainge, ou en la Halle a cuir, en Chambre ; et que

1. Déçu.

96

1482.-----RETRAIT

DE L’ORDONNANCE SUR LA VENTE DU BLÉ

nulz n’en achetait, pour chacun merchief, que une quairte, affin que
pouvres gens en puissant avoir. Laquelle ordonnance et institucion fut
très bien et saigement fait.
Ung qui se faindoit estre le duc de Bourgongne. — Paireillement, avint
en cest année qu’il y oit ung homme, appellés Jehan d’Abeville, lequelle
faindoit estre le duc Charles de Bourgongne. Et, affin que l’on pansait
que ce fût il, sans lui nommer, il disoit et sertifioit que le duc n’estoit
pas mort, et qu’il n’estoit point le gros d’ung cheveulx de teste plus
hault ne plus groz que luy. Et tant en dit qu’il fut prins et arestés à
La Garde ; et fut mené à la ville de Vy. Et illec fut détenu XII sepmainne, jusques à la revenue de mon seigneur l’évesque de Mets, lequelle
alors estoit allé en Braibant de cost le duc d’Austriche. Et, quant ledit
évesque fut revenus, cellui Jehan d’Aubeville le vit bien venir, mais il
n’en fist oncques chier ne samblant. Et, bien tost après, ledit monsseigneur l’évesque parla à luy à part. Et, depuis qu’il l’oyt parler, luy fist
bonne chier, et le faisoit très bien traicter en son chaistiaulx de Vy.
Et tellement que, pour l’amour qu’il luy monstroit et pour la bonne
chier qu’il luy faisoit, et aussy pour ce qu’il le soustenoit sy longuement,
chacun creoit que se fût le duc Charles de Bourgongne.
Or avés ycy devent oy l’ordonnance faicte en Mets touchant pouf le
fait du bief. Pour laquelle ordonnance les laboureux ce despitoient ; et
tellement qu’il n’aimenoient ne bief ny orge en Mets, la cause pour
quoy qu’il ne le voulloient pas mener és Halles, et aussy pour ce qu’il
ne le vandoient pas à leur plaisir. Par quoy incontinent fut retournés
l’esdit, et fut arrier fait ung nouvel huchement, auquelle fut criés et
anoncer que chacun deschairgea son bledz où il voulloit, et le vendît
ce qu’il poulroit. Et, dès tantost, on heust bledz à plantey ; mais il se
vandoit XVI solz la quairte.
Le conte de Vernenbourg aux gaige de la cité. — Item, en celle année,
le XVe jour de nouvembre, fut mis a gaige et ressus pancionaire de la
cité de Mets le conte de Wernambourg, parmy ce qu’il devoit servir la
dicte cité en touttes ses affaires. Et fut passés pour trois ans.
L’évesques de Verdun délivrés de prison. — Puis, après, le dernier jour
de ce meisme moix de nouvembre, vint à Mets monsseigneur l’évesque
de Verdun. Lequelle venoit des prison de France, comme cy devent ait
esté dit, où il avoit estés bien destroictement tenus par l’espace de
XIIII ans et trois mois, avec le cardinal Balleu. — Item, le thier jour
de décembre, l’on fist ung présant de par la cité audit seigneur évesque
de Verdun, de deux cawe de vin, de deux beuf, de L quairte d’avoine et
une belle escuielle de poisson ; et firent ledit présent pour la cité seigneur
Régnault le Gournaix, seigneur Michiel le Goumaix et seigneur Nicolle
Dex, tous trois chevaliers.
Item, aussy fut en ce meisme jour que les nouvelles vinrent en Mets
cornent la paix estoit faictes entre Loys, roy dez François, et le duc
d’Osteriche, parmi le mariaige faisant comme cy devent est dit. Et, la
Ve sepmaigne après, fut celle paix criée à Lucembourg et en Brabant ;
dont ce fut grant joie. Et, pour celle cause, fut comandez aulx bonne

1482. ----- ACHAT DE PORCS EN FRANCE POUR LE PAYS DE METZ

97

gens de villaige de amener leurbienà reffuge,pour l’amourde ce que les
armée ce despartirent, et ne sçavoit on où elle deussent aller.
Ung chanoingne se rend aux Frère de l’Observance. — Item, aussy en
celle meisme année, ung grant parsonnaige de Mets, tant en science
corne en richesse, homme de bon estime et de grant réputacion, nommés
maistre Dediet Noël, esmeu de dévocion, despartit ces biens en trois
partie. Et, le premier thier, le donna aux pouvres pour l’amour de
Dieu ; et, à ces amis, ung thier ; et l’aultre thier à l’Église. Et renonça
à tous ces bénéfice ; puis ce randit aux Frère de l’Observance.
L’yver de cest année fut sy biaulx qu’il ne gellait point, et luysoit le
solleil tous les jours depuis Noël jusques a Xe jour de janvier, corne
se ce fût estés à la sainct Jehan.
Mandement de l’empereur Phiedrike. — Item, par cy devent avés oy
cornent l’empereur Phéderich faisoit demende à la cité de avoir gens
pour aller contre les Infidelles, et cornent ledit ampereurs manda ausdit
de Mets qu’il ce trouvaissent à la journée. A laquelle seigneur Andrieu
de Rineck et seigneur Wary Roucel, qui estoient à ce commis pour la
cité, ne c’y trouvairent point. Par quoy ledit empereur en demandoit
à la cité grant somme d’argent pour la cotumasse et désobéissance.
Pour laquelle chose la cité envoiait devers ledit empereur maistre
Guillaume Bernard, docteur en loy, qui estoit a.gaige de la cité, et
Mertin d’Inguenem, alors clerc dez Septz de la guerre ; et, depuis,
maistre Géraird, des Augustins, docteur en théologie. Et furent en celle
commission environ V mois ; puis revindrent entour la sainct Jehan
Baptiste. Et, à leur retour, firent relacion aux seigneurs et gouverneurs
de la cité de leurs explois : lequelle estoit qu’il failloit retourner. Et,
à celle cause, l’on doubtoit treffort ledit empereur ; car il avoit gectez
une amonucion sur la cité de satiffaire dedans certain jour pour la
contumasse et de fornir sa demende, sur paine impérialle. Toutefïois,
on y renvoiait ledit maistre Géraird et ledit Mertin, accompaigniez de
six que messaigiers que souldoieur ; et partirent on moix de novembre.
Et rapourtirent bonne nouvelles, comme cy après serait dit.
Provisions de chair à la ville. — Item, aussy en celle meisme année,
pour ce, comme j’ay dit devent, que la chair estoit tousjour chier et
n’en pouoit on fmer, les seigneurs de la cité ordonnairent c on achéteroit
des porcz venant de France, et que l’on les vanderoit à ceulx de Mets
et du pays à créance. Et ainssy en fut fait. Et en fut achetés environ
quaitre mil ; et furent vandus'à créance à qui en voulloit avoir, jusques
à la saint Jehan Baptiste ensuiant, en tournant bonne seurtés. Et ad ce
faire fut commis Grant Jehan, d’Appremont, le bouchier.
Course contre ceulx de Gouxe. — Et, en celle meisme année, le thier
jour de febvrier, corurent à Gouxe les gens du conte de Wernambourg.
Et y prindrent, tant en vaissellement d’argent comme en corroie 1 et

1. Conroi, mot très général qui désigne peut-être ici des armes, des équipements
militaires, etc.

98

1483. — PAIX ENTRE L’EMPEREUR ET CEUX DE METZ

aultre baigues, la vaillue de VI mil frant. Et, alors que la course fut
faictes, estoit le dit conte en Mets, faisant la grant chier.
Le prins tamps de cest année, encomença à faire cy biaulx temps et cy
chault que, on moix de febvrier, il sambloit desjay que l’on fût en estey.
Et tellement que, le XIIIIe jour de mars, on veoit desjay des raisins en
vignes, et veoit on sortir la paulme dé bledz. Mais, touttefois, en celle
année, on gras temps, on ne donnoit que ung œufz ou deux au blanc.
Guerre contre les chanoingne de Mets. — Item, encor en celle année, le
devent dit conte de Wernembourg, lequelle alors estoit pencionaire de
la cité, comme avés oy, print guerre encontre lez chanoinnes de la
Grant Église de Metz, à l’instance d’ung nommés Hannès Hernaix h
Et, de fait, bouttait les feu en la ville de Ponthois. Et, depuis, corrust
tant que meisme il print sur la cité, et y fist plusieurs mal et grant
dopmaige. Et la cause estoit que celluy Hannès Hernex demandoit
à avoir les biens d’ung sien frère trespassé, qui, en son vivant, estoit
chainongne de la Grant Église d’icelle cité, lequelle, par son testament,
les avoit donnés et despartis c’est assavoir la moitiet au devent dit
chainoigne pour leur église, et l’aultre moitiez au fîlz dudit son frère.
Par quoy l’on congnoissoit évidamment que celle demande estoit une
querelle d’Allemant. Et, touttefïois, pour avoir paix, ledit Hannès et
ledit conte en eurent desdit chainoinnes et de leurs subgectz la
valleurde plus de trois mil florins d’or,jayce que les biens qu’il avoient
heu d’icellui chanoinnes ne valloient point plus hault de XX frans.
Et, à la fin, morut meschanment et fut tués cellui Hannès en Mets ;
et audit conte furent touttes ses places et fort maison prinse, airse
et brûllée et touttes destruictes, comme cy après oyrés.
Mais, avant que plus j’en die, je retournerés au maistre eschevin de
Mets et à plusieurs aultres besoingne.

[l’année i483 ; siège de richemont et de rodemack].

Mil iiijc iiijxx trois. — Puis, en l’an après, que le milliair courroit
par mil quaitre cent IIIIXI et trois, qui fut la XLIIIIe année de l’em­
pire du devent dit Phéderich l’ampereur, fut fait, créés et constitués
maistre eschevin de Mets pour celle année le seigneur Nicolle Dex,
chevaliers.
Paix entre l’empereur et ceulx de Mets. — Et, en celle année, on moix
d’apvril, revindrent de devers l’ampereur, pour les affaire de la cité,
maistre Géraird, des Augustins, et Mertin, le clerc dez Septz de la

1. Jehanne$ Ernest dans Aubrion, p. 142-143.

1483.

— MARGUERITE D’AUTRICHE ENTRE A PARIS

99

guerre. Lesquelles ont rapourtés paix et accort de ce que l’empereur
demandoit à la cité, comme cy devent est dit x.
Paix entre le duc d’Ostriche et les Liégeois. — Et paireillement en
celluy tamps fut la paix faictes entre monsseigneur le duc d’Austeriche et les Liégeois.
Combat à oullrance. — Item, en la devant dicte année, le XIIIIe jour
du moix d’apvril, se combatirent à oultrance en la devent dicte cité de
Mets, on Champs Passaille, Jehan, de Sainct Myhiel, et ung appellé
Hurtal, escuier, et serviteur de messire Claude de Wauldrez. Et se
trouvairent à la journée au Champs ; et firent très bien leur devoir,
car il se donnairent plusieurs grant copt de lance, et puis, après, de la
masse de fer, du bec de falcon et de l’espée. Et, de faict, se eussent
heu fort grevez, ou, par aventure, tuez, se n’eust esté seigneur Régnault
le Goumaix, seigneur Jehan Chaverson et seigneur François le Gournaix, qui se mirent entre deux, et les accordairent ensamble. Et en
firent la paix, tellement qu’il touchairent en main l’ung l’aultrez.
Et bien voulluntier le firent, car il estoient à la grosse alaine *1, et n’y
avoit celluy qui ne fût las et travailliés.
Marguerite de Flandre dedens Paris. — En celle devant dicte année
se préparoient les Flagmans, à leur pouoir, pour mener damme Mergueritte en France. Et paireillement faisoient les François ; car le roy
se parforça de la recepvoir en toutte honneurs. Et, pour ce faire, envoya
au devant d’elle plusieurs seigneurs du sanc de France, aussy plusieurs
dammes et damoyselle, pour la recepvoir. Entre lesquelles estoit damme
Anne, suer du roy Loys et femme à mon seigneur de Beaujeu, acompaigniez de mes dammes de Dunois, de Thouars, et de l’admiralle, et
plusieurs aultres, que touttes, à la requeste et comandemant du roy,
allirent au devent de la nouvelles princesse, damme Margueritte de
Flandres, jusques à la ville de Hesdin. Et tellement que, pour ce faire,
se mirent en chemin le XIXe jour du moix d’apvril ; et tant esplettairent que, le Ve jour du moix de jung, entra la pucelle Margueritte dedans
Paris. Auquelle lieu on avoit fait de merveilleux appareille pour la
recepvoir ; et furent touttes la compagnie moult honoraublement
ressus. Et, à son antrée, y furent fait plusieurs jeux et esbattemens ;
et fist ung maistre de chacun mestier comme l’ancienne coustume est de
faire. Et, bien tost après, fut en grande pompe et triumphe menée a roy
Loys à Amboise. Auquelle lieu on célébra la feste des espousailles
a moix de juillet ensuiant. Et, de ces jour en avant, fut appellées
daulphine.
Plussieur mislère célébrés pour la santé du roi. — Puis, ce fait, et la
feste passée, voyant le roy qu’il ampiroit tousjour de sa malladie, et que
touttes médecine luy estoient contraire, comanda qu’on luy aportast de
Rains à Tours la sacrée et saincte liqueur de laquelles on sacre les roy

1. P. 81 et 97.
1. Ils étaient hors d’haleine.

100

1483.

— SIÈGE DE RODEMACK ET DE RICHEMONT

de France. Et, non obstantque, dès l’an Ve après l’incarnacion deNostre
Seigneur, c’est assavoir depuis et au tamps de Clovis, premier roy
crestiens, fut envoyée du ciel par une colombe blanche à saint Remy,
archevesque dudit lieu, auquelle elle avoit esté l’espace de IX cens
quaitre vingtz et trois ans sans jamaix avoir estés transportée en aultre
lieu, toutteffois, à la requeste dudit roy, elle fut à celle fois transportée
audit lieu de Tours. Oultre plus, se fist le roy aporter de la Sainte
Chapelle de Paris la verge du grant presbtre Aaron, avec la crois de
victoire qui piéça fut donnée par l’empereur de Constantinoble au
grant empereur Charlemaigne. Et fut tout ce pourtés en son hostel du
Plessis du Parc, auprès de Tours, où il les fist moult révéramment
garder. Et, voyant que tous ce ne luy profitoit de rien, néantmoins,
désirans de tousjour esloingnier sa vie, car véhémentement espéroit à
acquérir santé, ce fist apourter du sang humain de quelques petit
enfans, duquel il beut et huma. Mais son termes estoit venus. Par quoy,
le XXIIIIe jour du moix d’aoust, il fut tellement opressé de sa malladie
qu’il ne remuoit ne piedz ne mains ; et fut une espasse de tamps que on
cuidoit sertainement qu’il fût mort. Et telle en estoit le commun
bruyt en la dicte ville de Tours ; et en furent incontinant les nouvelle
semée et espandue par le païs. Toutteffois nature se évertua aucune­
ment en luy, tant que la parolle luy revint ; et appelle emprès soy
plusieurs des nobles et de ces plus fiables de son royaulme, auquelles
sur tout il recomanda le jonne daulphin son filz.
La morl du roi de France. — Et, après plusieurs aultres chose par luy
dictes, il ampirait tellement de sa malladie que, le pénultisme jour
dudit moix d’aoust, il morut. Et fut ensepvely à Notre Dame de Cléry.
Aliance de ceulx de Mets avec ceulx de Lucembourg et de Lhorainne. —
En celle meisme année fut fait par ceulx du duchié de Lucembourg,
ceulx de Loheraine et de Bar, et aussy par le Conseil et touttes la
comunaultés de la cité de Mets, alliance ensamble ; tellement qu’ilz
heurent accort de aller abbattre et aruyner les places et fortes maisons
auquelles le conte de Wernambourg se tenoit. Et, toutte incontinant
après celle conclusion faictes, les Loherains et Barisiens asségèrent
Rodemach, apartenant audit conte. Et le mareschal de Lucembourg,
avec la puissance d’icelle duchié, vinrent mestre leur sciège à la forte
places de Richemont, c’on disoit Ornelle. Et fut ce fait hastivement,
afïïn que l’on n’y menait aulcuns vivre, artillerie ny aultres choses à
eulx nécessaire, en actendant que la puissance desdit de Mets fût
venue. Lesquelles amenoient grant foison d’arteillerie, tant grosse
bombardes comme aultres ; entre lesquelles y fut menée la grosse
bombardes, nommée la Redoublée, et une aultre moyenne, moins grosse
que la premier, et une plus petitte, qui est nommée Commercy, et, avec
ce, y fut mené ung groz courtau, que touttez soulloient estre, en celluy
tamps, on pallas de Mets ; avec trois grosse serpentines et plusieurs
aultre hacquebuch, avec moult d’aultrez artillement servant au fais de
guerre. Et y estoient pour chief comis de part le Conseil de la cité,

1483. — SIÈGE DE RODEMACK ET DE RICHEMONT

101

c’est assavoir pour l’artellerie, seigneur Michiel le Gournaix, chevalier,
pour les gens à chevaulx, seigneur Andrieu de Rineck, chevalier, et,
pour les piétons, seigneur Conraird de Serrier.
Item, en celluy tamps, je, l’escripvain de ces présantes, retournait des
Allemaigne. Et fut mis à demourer à Mets, en Rampoult, chiez ung
nommés Stefïe, au Rouge Lion ; et y fut demi ans. Puis fut mis à demou­
rer chiez ung prestre, a villaige de Salney devent Mets ; et alloie à
l’escolle. Et, là, me print une malladie, d’une fièvre quairte, qui me dura
XIIII sepmaine. Et fut en celluy villaige ung ans enthier.
Mais, pour revenir à mon prepos, durant ce tamps que je demouroie
à Mets, en Rampol, et en l’an devent dit, la vigille de la Feste Dieu,
que nous disons le Saint Sacrement, XXVIIIe jour de may, ce partirent
les dit de Mets pour aller à celluy sciège de Richemont. Et, avec belle
compaignie de gens de piedz, tant de ceulx de la cité comme du païs
subgect, furent à celluy jour conduict et menés au sciège par les trois
seigneurs devent dit, avec d’aultres, telz comme le seigneur Nicolle
Dex, seigneur Régnault le Gornaix, seigneur Nicolle Rémiat, et le
seigneur Jehan Papperel, avec tous les soldoieurs et verlet d’ostel ;
et, ainsy bien acoustrés et em point, s’en allirent au dit sciège. Et ceulx
qui demouroient en leur maison, tant à Mets comme a pays, estoient
gectés et tailliés, chacun sellon sa puissance, de paier les frais et lez
journée des présant qui estoient au sciège.
Item, quant les seigneurs et capitaines du sciège de devent Rodemach et Richemont sceurent que l’airmée de ceulx de Mets estoit en
chemin pour aller audit sciège, il les vinrent veoir : c’est assavoir mon
seigneur du Fayt, alors gouverneurs général de la dite duchié de Lucembourg, mon seigneur Dompmairiens, cappitainne du chastel dudit
Lucembourg, Jehan de Vy, cappitainne des armées et prévosté de
Thionville, seigneur Gille de Raville *, merchal de Lucembourg, et le
seigneur Simon des Armoize, chevalier, bailly de Saint Mihiel. Les­
quelles, tous emsambles, estoient chief des devent dit sciège de Rodemach et Richemont pour leur partie, c’est à dire pour la duchié de
Lucembourg, pour la duchié de Rar et pour la duchié de Loherainne.
Et passirent yceulx seigneurs la ripvier de Mezelle, pour tant que les dit
de Mets c’en alloient par la partie d’Ennery. Et se mirent les dit sei­
gneurs en ordonnance pour veoir passer nous gens. Et, quant la com­
paignie aproichait d’eulx, il leur vinrent a devent ; et leur firent grant
honneur et hault requeulle 2, et merveilleusement prisoient et louoient
les artillerie de la cité, avec l’ordonnance et les compaignie d’icelle ;
et disoient que tropt mieulx vailloit l’airtillerie et l’armée de la cité,
et estoient mieulx em point que les trois aultres païs : c’est assavoir
Lucembourg, Bar et Loherenne. Et, par ce, réputoient grant honneur

1. Guillaume de Raville (Aubrion, p. 150).
1. Recueil, accueil.

102

1483. — SIÈGE DE RODEMACK ET DE RICHEMONT

et grant puissance à la cité. Et, touteffois, à veoir à la dicte cité, il
sambloit qu’il ne fût nouvelle d’icellui scièges L
Pugnicion d’ung trahistre. ■— Item, durant lesdit sciège, et tout au
premier, y oit ung de ceulx de Rodemach qui saillit secrètement dehors,
et se vint bouter au sciège, avec certaine poinsons qu’il avoit aportés,
cuydant sceeller 12 les bombardes et aultres bastons à feu, afïin qu’il ne
puissant tirer à eulx, pour et afïin que, après ce fait, puissent venir
à leur aventaige frapper sur le dit sciège, ou aultrement. Toutefois
on en fut advertis. Et fut ycellui qui ce voulloit faire prins et ampoigniés ; et, pour son paiement, il fut loyez d’une chesne de fer parmy le
corps, et ycelle chesne ataichié à une des pier de la grosse bombarde,
et ycelle pier bouttée dedans la dicte bombardes, et chairgée. Et ainssy
fut tirés et renvoié dedans Rodemach, dont il venoit.
Puis ne demoura pas longuement, après ce fait, que la dicte grosse
bombarde de Lucembourg fut rompue. Par quoy les Loherains en
envoiairent quérir une plus grosse à Nancey, laquelle fut amenée audit
sciège.
Et, en ce tamps, vint et arivait au sciège de Richemont ung compaignon, mal acoustrés et abilliés, qui estoit serviteur d’ung mougnier.
Lequelle se mist à tirer des gros bastons, par le consentement dez
seigneurs ; et tiroit celluy verlet par tout où il voloit. De quoy beaucopt de gens furent bien esbahis, disant que c’estoit chose merveilleuse.
Item, pour vous desclairer quel nombre de gens pouoient estre
dedans Richemont, en tout, il n’estoient que environ XL personnes,
dont il en y avoit XXX bien délibérés et corrageux compaignon. Et
bien le monstrirent à l’acomancement du sciège. Car, en dérision,
quant la grosse bombarde de Mets oit tirer ung cop contre la grosse
tour d’icelle forteresse, comme en ce mocquant, ilz prindrent ung
covrechief et essuèrent la place là où la pier avoit frappés, pour tant
qu’il leur sembloit que ce cop n’avoit point fait de mal. Et, incontinant,
les seigneurs et gouverneurs de l’artillerie, voiant leur couraige, firent
arrier chairgier la dicte bombardes, avec plusieurs cortaulz et serpantine, jusques au nombre de VIII piesse, et touttes ensembles les
firent tirer. Et à ycelluy cop on fist ung trou on murs d’icelle tours
environ de VIII piedz de lairge. De quoy yceulx compaignon se tinrent
bien de rire. Et n’orent depuis cure ne voulluntés d’essuer le copt ne de
faire dérision.
Ung présent envoi[és] aux scièges. — Item, le vandredi VIe jours du
moix de jung, messeigneurs de la Grant Église de Mets envoyairent aux
seigneurs d’icelle estant au sciège ung présant de VI cawe de vin, de
cinquante quartes d’avoine. Et fut ce présent conduit par l’airchediaicre de Marxal, maistre Hanry de Morfontaine, maistre Pierre
Loxey, et par le seigneur Arnoult de Cléry, tous seigneurs et chainnonnes

1. C’est-à-dire que la vie, à Metz, continuait comme s’il n’y avait pas eu de guerre.
2. Enclouer.

1483.

— PRISE DE RODEMACK ET DE RICHEMONT

103

d’icelle Grant Église. Et furent, eulx et leurs présant, ressus bénigne­
ment des seigneur devent dit estant aux sciège. Et, au despartire,
donnairent encor yceulx chainnongnes au bombardier deux florin
de Rin, et au menestré ung florins.
Durant ce tamps estoient les vivres à bon merchiez au sciège et
aultre part ; et y tenoit on ung biaulx merchief, et y venoient vivre de
tout cousté. Puis donnoient lez comis pour la cité, à chacun piettons,
deux pains pour chacun jour, de environ quaitre denier les deux ,
maix, au surplus, s’ilz voloient vin, chair ne aultres chose, il leur failloit
paier.
Et, touttes les semaignes, seigneur Nicolle Dex, alors maistre eschevin
de Mets, s’en ailloit deux ou trois fois veoir a sciège ; et se mectoit en
une nefz garnie de gens d’armes, de trompette et de cléron,et faisoit
mestre son pennon sur le mast de la dicte nefz.
Ceulx de Rodemack rendus. — Or, avint que, quant ycelle places
furent bien batue de tout coustés, et que ceulx de dedans virent que
nullement ilz ne pouuoient résister, alors, le Ve jour de juillet, ceulx de
Rodemach se rendirent les premiers. Et les receurent les Loherams
et lez Bourguygnons, par le consantement de ceulx de Mets. Et, pour
ce faire, y furent envoyés le seigneur Michiel le Gornaix et le seigneur
Conraird de Sérier. Et fut l’apointement fait en telle manier que ceulx
de dedans c’en debvoient aller leur vie salve, chacun ung blan baston
en sa « mains. Et, encor, par telz condicion que l’on debvoit abbattre le
chastel, et la ville perreillement. Touteffois, quant ilz furent dehors,
on leur donnait chevaulx et harnaix d avantaige .
Richemont rendue. — Puis, tantost après, le VIIIe jour d icellui
meisme moix de juillet, se rendirent ceulx de Richemont aux seigneur
comis de la cité de Metz. Et pour celluy jour meysme y entnrent; et
mirent les bannières d’icelle cité tout a plus hault de la maîtresse tour.
Et, tantost après, c’est assavoir environ la mey aoust, furent les
dictes deux places minée et boutées sus tanson 2* 1de bois ; puis 1 on
boutaist le feu dedans. Et furent en cest manier arasée et destruictes :
c’est assavoir Rodemak par les Loherains, et Richemont, c on dit
Ornelle, par ceulx de Mets. Et, d’icelle places de Richemont, en furent
partie des pieres de taille amenéez à Mets pour ouvrer aux pourte.
Car celluy chaitiaulx de Richemont avoit estés richement fait, et
fabriqués de pier de tailles tout par dehors, corne encor il ce monstre
par le pan qui est demeurés droit. Et n’y avoit justement que cenc ans
que premiers il avoit estés fait et fondés. Par quoy c’estoit 1 ung des
biaulx fort et bien devisés qui alors fût à XX lues à l’entour. Maix, par
les iesmérittes de son seigneur, il fut aminés et mis à destruiction.
Grant pluye. — Item, le XXVIIe jour de ce meisme moix de juillet,

a. Sa est une correction (postérieure ?) de leur.
1. D'avantage, en pur don, par grâce.
2. Étançon.

104

1483. — DEUX VENDANGES EN UNE ANNÉE

il pleut sy très fort à Mets, et fit ung tel eslavay que l’yaue allant parmi
les rue corroit en d’aulcuns lieu par les fenestres és cauve et és celliers.
Et tellement se eslevait celle yaue qu’elle desvailla en ung cellier d’ung
tixerant de toille en fasson telle qu’elle enmenait des lexel de filiez *1
aval le cellier. Et ledit tixerant, qui alors estoit audit cellier, n’ot
aultre lésir 2 que de ce salver ; et s’en vint fouyant à l’huys, cryant :
« A l’armes !» ; et cuydoit bien estre noyez.
En celle meisme année fut grant mortalité en la cité de Mets et on
païs entour ; et aussy fut en plusieurs aultres païs ; et tellement que
d’icelle morurent plusieurs seigneurs et dammes, et aultres bons parsonnaiges parmy la cité.
ij vendange en une année. — Et pleut encor tant, environ le moix
d’aoust et de septembre, que les vins ne furent pas sy bons comme on
cuydoit. Mais il en y oit en abondance et à grant plantés, et autant ou
plus qu’il en y avoit heu dès XX ans devant pour une année. Mais ce fut,
la Dieu mercy, par une adventure qui avint, assés estranges, et qui
guerre souvant n’avient. Car, après ce que les chaulcus ou presoire®
à vin furent du tout clos, et environ VIII jour après la saint Remey, il
revint des revenures és vignes, tellement qu’il convint vendengier
encor une fois, par le chault tamps qu’il fist aprez la saint Remey.
Item, aussy se fut en celle année que René, duc de Loheraine, fut et
alla aidier à secourir les Véniciens contre Nostre Sainct Perre le Pape et
plusieurs aultrez.
Item, en celle année, la mercy à Dieu, tout ce qui avoit estés longue­
ment chier redevint à bon merchiez. Car on donnoit la cawe de vin pour
XVIII et pour XX sols, la quairte de bledz pour IIII sols et demi, et les
aultres grainnes à l’advenant.
Bouveaux pugnys. — En celle meisme année, maistre Collinet, bourriau de Mets, frappait ung homme d’ung coutteau. Et, pour ce qu’il
n’avoit de quoy paier l’amande, le XVe jour de novembre, oit ledit
maistre Collinet le poing coppé, devant le Grant Moustiet de Metz, par
ung nouviaulx bourreau, qui fut créés pour cest office.
Item, le tamps se continuoit tousjours de plus en plus en pluye,
en vent et en tonnoire. Et tellementque,lepremierjourdenovambre,il
acomansa à plovoir ; et durait celle pluie jusque au XVIIe jour dudit
moix. Puis commensait à venter par l’espasse de V jour et V nuyttout
entier. Et faisoit le plus terrible et oribles temps, qu’il sambloit que le
monde deust finer.
Paireillement, avint encor plusieurs merveillez en celle année.
Jugement de maistre eschevins. — Entre lesquelles une femme d’ung
de la cité, nommés Bellesebonne, fist ung serment contre ung rnair-

a. Presoioire. Philippe a été visiblement embarrassé par la transcription de ce terme
français.
1. Echeveaux de fil (lehhê dans Zéliqzon, Dictionnaire des patois romans de la
Moselle). L’ancien mot filé, fil, subsiste encore au nord de la région lorraine.
2. Loisir : il n’eut que le temps de se sauver.

1484 N. ST. — DISSENSION ENTRE LA VILLE DE METZ ET L’ÉVÊQUE 105

champs de Mets nommés Jehan de Haittange.La Justice fut advertie
qu’elle sç’avoit parjurer. Par quoy elle eust estés prinse ; maix elle
s’en fouyt ; et croy qu’elle dit que ung nommés Jehan d’Anowe luy
avoit fait faire. Et tout incontinant fut ledit Jehan d’Anowe prins et
mis en l’ostel de la ville. De laquelle prinse ses amis se plaindirent au
maistre eschevin ; par quoy le maistre eschevin, luy meisme, s en aillait
chieu le doien avec aulcuns sergent, et deffandit que nullement on ne le
géhainnait. Toutteffois, à la fin, après la chose bien desbattue, fut
randue la santance : et fut dit par jugement que c’estoit une demande
sans escript et sans exploit, par quoy, cellon le droit et husaige de la
cité, la femme en debvoit avoir la loy. Et en ce cas fut ledit Jehan
d’Anowe ung peu aidier de ses amis et de plusieurs aultres qui en ce cas
le favorisoient. Et tellement que à son honneur fut mis dehors ; car le
maistre eschevin, c’est assavoir le seigneur Nicolle Dex, luy meisme,
dit en l’aitte Sainct Gorgonne, sur la pier, devant le Moustiet, que à tort
et sans cause on l’avoit heu prins. Et y oit encor pour cellui fait plu­
sieurs aultres chose faictes et dictes, que je laisse ad cause de briesveté *1.
Les grant pardon affin d’édifier le couvanl des Aguslin à Genèwe.
Item, en cellui tamps furent les grans pardons en Mets,lesquelx estaient
donné et impétrés pour tous ceulx et celles qui donroie de leur biens
pour aidier à faire ung couvant des Augustins à la cité de Genèviez en
Sçavoie. Et se appelle cellui couvant Nostre Damme de Graice, hors de
la ville, sur la rivier d’Airve ; lequelle aparavent estoit ung armitaige,
là où la doulce Vierge faisoit et fait encor de grant miracle.
L’yver de cest présante année fut grant et [de] grande froidure, et
cheust de grande neiges, tellement que, le 1111e jour de mars, l’on
n’eust® sceu appercepvoir quelque verdeur au champs.
Trouble en Mds ad cause de la création des Tr'ezes. — Item, en celle
année, à la Chandelleur,y oit ung grant trouble en Metz. La cause fut
pour ce que, de tous lez seigneurs qui debvoient estre 1 rèses, il ne s en
trouvoit nulz devent le Moustiet à l’heure acoustumée pour faire le
serment en la main des officiers de mon seigneur l’évesque, fors que
Jehan Travault et Jennot de Hannonville. Touteffois, lesdit officiers
l’évesquez, en toutte humilité, se mirent en debvoir de faire leur office
et de recepvoir lez sermant. Et, de fait, priairent biens affectueusement
audit Jehan et audit Jennot de faire le serment devant dit. Lesquelles
de ce furent reffusant, et n’en volurent rien faire, pour ce que leur
compaignons, à qui il se debvoie espoiez 2, et qui estaient les souve­
rains de la ville, n’y estaient point. Par quoy lesdit officiers en furent
malz comptans. Et'en print le bailly de l’éveschiez instrument de no-

a. Von eust.
, ...
1. Aubrion raconte la chose tout au long et beaucoup plus clairement (p. 158-159,
161-162).
. , ,
...
2. Appuyer. Ils devaient se ranger a l’avis de leurs collègues.

106

1484. — RENÉ II DEVIENT DUC DE LORRAINE

taire, et puis en fist sa relacion devers l’évesque son seigneur. Et à
l’occasion de ce ne fut la cloche de Meutte point sonnée pour celle fois,
car il n’y avoit point de nouvelle Justice. Et ne reffit on point les aultres
offices au lendemain de la Chandelleur, comme on ait de coustume de
tous les ans faire ; ne pareillement ne furent les contes a point fait le
dimenche après. Par quoy grant mal en deust venir ; mais, de cella, je
m’en passe et n’en dis plus, pour abrégiés, sinon que pour ce fait en
furent tenuees plusieurs journée. Et, avant que la paix en fût faictes,
covint à yceulx en mettre tous leur amis en paine, car le dit évesque n’y
volloit nullement entendre. Touttefïois, à la fin, accord en fut fait.
Et furent yceulx Trèses fait et créés à la sainct Benoy après, comme jay
tantost il serait dit.
Cy vous en lairés quelque peu le parler pour retourner au maistre
eschevin et à plusieurs aultres besoigne.

[l’année

i484].

Mil iiijc iiijxx et iiij.— Item,en l’an XLVe de l’ampire du devent dit
Phéderich l’empereur, qui est de Jésu Crist l’an mil quaitre cent IIIIXX
et quaitre, fut alors fait, créés et essus pour maistre eschevin de Mets le
seigneur Jehan le Gournaix.
Et, pour tant que les Trèses avoient amprimes *1 estés fait le jour
devent, vigille de la sainct Benoy, et le maistre eschevin ledit jour, l’on
sonnait Mutte VI cop de routte, pour les deux fois. Et advint que, pour
celle disancion qui avoit estés entre le dit évesque et yceulx Trèzes
pour lez cause devant dictes, et que encor n’estoient pas du tout pacifiés,
messire Nicolle Dex, comme wouez de Montigni, pencionaire et
officier dudit évesque, tenoit la maison et court dudit évesque close ;
et, avec aulcuns de ses gens, se avoit mis dedans ; et tellement que, la
vigille saint Benoy et le jour meisme, quant on faisoit le maistre eschevin
et yceulx Trèses, pour et ad cause des différans devent dit, et pour la
créacion d’iceulx Trèzes, qui n’avoient point estés fait à la Chandelleur,
comme estre deussent, le dit seigneur Nicolle, tout le jour, ne faisoit que
tirer de hocquebuch, de colleverines, et faisoit merveille de tirer et
gecter fusée parmi la place devant le Grant Moustier ; et sembloit que
se fût ung sciège, et tellement que à painne les gens se ossoient tenir
en celle plaice.
Le duc René se mest en pocession de la duchié de Bar. — Item, ce fut
en celluy tamps que le duc René de Loherainne print la pocession de
la duchey de Bar. Par quoy les seigneurs et gouverneurs de la chose

a. Correction de Philippe, qui avait écrit d'abord : les comptes.
1. En primes, seulement.

1484.

— CHARLES VII SACRÉ ROI DE FRANCE

107

publicque en Mets, par 1 tout le Conseille, firent faire une belle côppe
de fin or, pesant VII marc, laquelle on non de la dicte cité luy fut
portée et présantée. Et en furent les commis2 seigneur Warey Roucel,
seigneur Michiel le Gournaix et le seigneur Conraird de Serrier. Et, en
présantant ycelle coppe, les trois dessus nommés ont essantés 3 le duc,
luy priant qu’il eust la cité pour recommendéez ; et, davantaige, luy
mirent au devent qu’il eust mémoire comment de toutte enciennetés ilz
avoient tousjours estés sy bons amis à ces prédicesseurs les conte de
Wauldémont. Et le duc print ce don fort agréable 4 ; et, en les remer­
ciant, leur fist beaucopt d’onneurs, disant qu il voulloit estre leur amis.
Item, en ce tamps, le jour du mey karesme, mon seigneur d Estrenat5, frère à mon seigneur de Toul, frère à mon seigneur de Chastel
sur Mezelle et frère à mon seigneur du Faiey, vint prendre pocession de
l’abbaye de Sainct Vincent.
Aussy, en ce meisme tamps, je, l’escripvain de ces présente, fut mis
à demourer à Mets, chief Jennot de Hainonville, Trèses et amant.
Et n’y demouras que environ ung demi ans, pour aulcune raison que je
lesse.
Par quoi n’en direz plus, pour parler d’aultre bessoingne.
Charles VII sacré roi de France. — Vous avés par cy devent oy, et
vous ait estés souffisanment comptés comment, en 1 an devent dit mil
IIIIC IIIIXX et trois, le roy Loys trespassa de ce sciècle, le pénultisme
jour du moix d’aoust. De quoy plusieurs furent bien joieulx, et d aultres
en furent maris. Or estoit encor alors Charles jonnes, tandre et adoles­
cent ; et de petitte complécion, sy qu’il le convint longuement mener
et mollement pourter avant que fermement peust cheminer. Touteffois,
le tamps vint qu’il creust et devint grandellet. Et tellement que, en
l’aage de XII ans, par la voulluntés de tout les princes du royaulme,
l’on le mena à Rains ; et, en ce lieu, l’an dessus dit mil IIIIC IIIIXX et
quaitre, le XXVIIe jour de may, fut consacré et bénis ; et fut Charles,
VIIIe de ce nom.
Mais, tantost après, à l’acommencernent de son resgne, se engendra
noises et huttins entre les princes. Car chacun voulloit gouverner ;
et estoient les plusieurs mal contans de ce que Anne, suer de Charles,
estoit préférée devant les aultres au gouvernement des choses ; et, sus
tout les aultres, Loys, duc d’Orléans, lequelles après la mort d’icelluy
Charles ait estés roy, comme cy après serait dit.

1. Au nom du Conseil tout entier.
2. Et furent commis, désignés, pour présenter cette coupe...
3. Aubrion, p. 164 : « et lui assantont de la duchiés de Bar, dont il estoit nouvelle­
ment seigneur ». Ils le reconnaissent comme duc de Lorraine et de Bar ; assenter signifie
« approuver, ratifier ».
4. Il accueillit bénignement ce don.
,
5. Esternach dans Aubrion, p. 163. Aubrion décrit 1 installation du nouvel abbe
(p. 163-164).

108

1484, 11

OCTOBRE. — MORT DE L’ÉVÊQUE GEORGES DE BADE

La guerre entre François et Bretons. — Ce Loys, ayant premièrement
machiné plusieurs choses afïîn de recepvoir le gouvernement du
royaulme (car il avoit à femme et espouse l’autre fille de Loys, nommée
Jehanne), et pour ce qu’il pansoit bien tost venir à son attente, il ce
estoit alliez avec les Bretons, auquelle alors on avoit grosse guerre.
Mais non assés heureusement fut faictes la baitailles pour luy à la
journée Sainct Aulbin, en Bretaigne, là où il fut prins, et fut longuement
gardé en la tour de Bourges ; car celle baitaille fut du tout à honneurs
des Françoys. Toutefïois, à la prières et requeste de sa femme, suer du
roy, il fut remis en liberté. Et dès lors délaissa ledit d’Orléans l’alliance
de Maximilian et des Bretons, et garda la foy qu’il devoit a roy. Et
néantmoins ne cessa point celle guerre entre les Françoy et les Burton,
ains durait longuement et par plusieurs journée ; auquelles furent
encor plusieurs choses faictes et acomplie, que je laisse pour abrégier,
et desquelles ycy après je parlerés aulcunement, quant tamps serait.
Année peu jertille. — Celle année fut terriblement froide et moite ;
et ne fit oncques chailleur que durait trois jour l’ung aprez l’aultre,
ou qu’il ne fist oraige ou mal tamps. Et tellement que, le premier jour
d’aoust, l’on n’avoit encor veu point de rasin tallés en nulle vigne ;
et n’y oit nul fruit pour celle année.
Celle devant dicte année fut année de grant fortune et de grant
misère, tant en la cité de Mets comme on païs entour. Et en laquelles
avindrent plusieurs esclandre, tant és corps humains et gens qui se
désespéroient et destruisoient, comme és biens de terre et on tamps
mal disposés, comme ycy après vous serait dit et contez.
Fouldres et lempesle. — Et, premièrement, fut le tamps de celle présante année cy parvers et convertis en pluye, en fouldre et en tampeste
que, tout le moix d’aoust durant, il ne fist que plovoir et vanter, en
fasson telle que les bief, les foins et avuaine demouroient pouris au
champs ; et ne les pouoit on lever.
En celle devent dicte année, a mey aoust, je, l’escripvains de ces
présantes cronicques, fut mis à demourer à Mets, en Wéseneuf, chiez
une suer que en se tamps je y avoient ; et y demouras demi ans et plus.
Et tousjour continuoit le tamps à froidure, par quoi les vigne ne
pouuoient venir à mûrisson. Touteffois, ainssy comme il pleut a Créa­
teur, le tamps ce acommensait à eschaffer au premier jour de septem­
bre ; et tellement que toutte la vandange durant il fist biau tamps.
Et furent les vin assez bons, selon le temps qu’il avoient heu.
Mais, tantost après, à la sainct Remy, ou VIII jour après, vint une
forte gellée, de laquelle furent engellés les blan rosin ; et, se les rouge
eussent ung peu plus demourés, il fussent estés gastés.
La mort de George de Baulde, évesque de Mets. ■— Item, en celle année,
le XIe jour d’octobre, morut et déviait de ce sciècle seigneur George de
Baulde, évesque de Mets. Et, par ung jour de samedi au mattin, on fut
quérir le corps, en toutte honneurs et révérance, à Sainct Arnoult
devent les portes de la cité ; et fut ce fait moult honnorablement et à

1484. — FUNÉRAILLES DE L’ÉVÊQUE GEORGES DE BADE

109

grant procession, en laquelles estoient tous les chanoigne et curé de la
cité, avec tous les Mandians. Aussy y estoient tous les seigneurs, et les
sergent avec leur verge d’argent, mis en ordre, que biaulx les faisoit
veoir, avec tant d’aultre puple que merveille. Et, à la conduictes de
celluy corps, y fut portés grant luminaire, tant de part la cité comme
des chainoigne, des monastères et des paroiche ; et en y avoit à cy
grant planté que à paine les sçavoit on nombrer.
Femme desvoyée à se remarier. — En celle année se firent de diverse
mariaige en Mets ; et desquelles l’on estoit fort esmerveilliés : car les
plusieurs, en celle année, estoient corne à demi hors du sanc 1 ou enraigiés, espéciallement les femme touchant au fait de ce remarier ; et
prenoient les plusieurs maris à leur grey 2, desquelles l’on ne sçavoit
leur nassion ne leur non ; et estoient la plus part gens estraingiers, qui
n’avoient que ung bien poc, ou rien. Et, premier, Hanriatte, femme que
fut Jehan le Clerc, le mercier, riche de VI ou VII mil frans, print Toussains, l’escuier, qui n’avoit pas cenc frans vaillant. Item, la femme
Henry de Corse, l’amant, qui estoit riche de XV0 franc, print Mangin
Begel, l’escripvain, qui n’avoit pas vaillant cent frans. Aussy, la femme
Poinc’ignon de Gorse, l’amant, print maistre Guillaume, qui alors estoit
nouvellement venus, ung estraingier, jonne médecins, lequelle n avoit
pas deux cent frant vaillant : et elle en avoit, tant en bonne rante
comme en argent comptant, la vallue de plus de XVIIIe frans, sans
l’atendue de sa mère, qui alors estoit riche de plus de X mil frans.
Item, la femme qui fut Jehan Travault, l’amant, et fille à Simon
Burtrant, l’amant, laquelle alors estoit riche de plus de XXV mil frans
comptant, et avoit environ tous les ans quaitre cenc livre de cens, print
ung Allemans, duquelles j’ay heu cy devent parlés, qui fist la guerre
au chainonne et à la cité, nommés Jehan Ernest, qui n’avoit point
vaillant L frans, et avoit en son jonne aage estés chainoigne de Nostre
Damme la Ronde au Grant Moustiet de Mets, et avoit heu boutés les
feu dessus chaipistre 3 et fait du mal biaucopt ; et néantmoins le voult
avoir. Item, paireillement, la femme Jehan d’Oultresaille, le merchamps, qui estoit riche de plus de X mil frans, print Jehan de Bonne,
l’orfèvre. Et toutte gens estrangier, desquelles l’on ne congnoissoit ne
leur pais ne leur parans. Encor en y oit plusieurs aultres qui firent le cas
paireilles : telles comme Jehenne la Tonnellier, la femme Régnault
Bousement, et la femme Dediet de Foussier, et plusieurs aultre, des­
quelles le nombre seroit grant.
Par quoy doneques fut celle année fort dangereuse en plusieurs
fasson et manier, non seullement à ce mal et follement marier, mais, que

1. Hors du sens.

n aient au chapitre.

110

1484.

— ÉPIDÉMIE DE SUICIDES A METZ

pis est, par la disposition du tamps et par la tantacion du diauble,
annemis de nature humaines, furent plusieurs personnes à ce destruire, se tuer, noyer, pandre et estrangler. Car, comme j’ay dit devent,
plusieurs furent en celle année trouvés ce avoir defïait, en la manier
comme cy après serait dit.
Désespéralion cl’ung messaigier de Mets. •— Et, premier, le jeudi
second jour de décembre, se pandit et estrangla en son guemier ung
anciens messaigier de Mets, aaigiez de LXV ans et plus, nommés Jehan
Robert, et duquelle plusieurs fois j’ay par cy devent pairlés. Et estoit
celluy riche homme, à qui ne failloit riens, ne ne soit on jamais la cause
qui à ce l’esmeust à ce destruire, si non l’Annemis qui le tanta. Et
pour ce jour meisme fut traïnné hors de sa maison par dessoubz le
pas de son huis, et puis fut traïnnés au gibet et pendus avec les
aultres.
Ung compaignons s’avoir tués. — Paireillement en ce meisme tamps,
y oit ung compaignon que en se dînant se bouta ung coustiaulx
tout parmi la gourge et ce tuayt ; et fut traynés au gibet corne
l’aultrez.
Rébellion de plussieur citadin. — Item, en celluy tamps vinrent
sertaines nouvelle en Mets que touttes les bonne ville de la Haulte
Bourgongne, que le roy Charles tenoit, voulloient rebeller. Et, pour ce,
à la fin du moix de décembre, les seigneur, gouverneur et recteur de la
chose publicque en Mets, voyant lez termes qu’on y tenoit et la manier
comment on voulloit prandre les dictez bonne ville, ont heu mandés
quérir en leur Conseil plusieurs et la pluspart des bourjoisde la cité, par
XXX ou XL à la fois. Et à yceulx leur bourjois ont heu remonstrés
comment les choses alloient, et que le monde branloit en plusieurs lieu
en guerres et aultres tribulation, et aussy les trayson que journellement
se faisoient ; par quoy il les ont advertis que chacun fût sus sa gairde,
et que, se efïroy venoit, tant de jour corne de nuit, chacun fût bien
ambâtonnés et armés, et qu’il eussent tous bon coraige de vivre et
morir ensamble.
Un compaignon s’avoir pendus. — Item, le mécredi après la Chandelleur, se pandit encor ung aultre compaignon, taubourin, nommés
Jehan Ruxay,. Et la cause de celle désespéracion fut, comme on disoit,
pour l’amour de aulcuns compaignon qui vouloient festoier une jonne
gairse qu’il entretenoit et qu’il tropt ardamment aymoit. Touteffois
le dit Ruxay fut subbitement trouvés au fait ; par quoy il fut secourus,
et ne fut point estranglés. Et, quant il fut sceu de la Justice, on mist la
mains à luy ; et dès incontinans fut prins et très horriblement
battus.
Plusieurs aultres signe et grant merveille ce monstrairent en celle
année. Entre lesquelles avint, par ung vandredi, vigille de la sainct
Vincent, au cinq heure du mattin, et que encor n’estoit point jours, l’on
vit à celle heure, sur le pallas de Mets, une grande clartey merveilleuse ;
et donnoit celle clartés sa lueur jusques tout parmy la place devant le
Grant Moustiet, et paireillement en la place de Sainct Salvour, c’on dit

1484. — HENRI DE LORRAINE ÉLU ÉVÊQUE DE METZ

111

l’astappe 1 au vin ; et n’y avoit homme qui sceût à dire que cella signifioit.
Ung évesque de Strasbourg s’avoir désespérés. — Item, aussy en ce
meisme moix, se pandit et estranglait ung évesque à Strausbourg 2.
Et, quant la Justice en furent advertis, il le firent enfoncier dedans ung
tonniaulx, et en cet estât fut gectés on Rin, et fut laissier aller à l’aven­
ture où aller voult.
Ung moinne s’avoir pendus. — Paireillement, en ce meisme moix,
y oit ung moine à l’abbaïe de Sainct Pièremont qui se pendit et estran­
glait.
Le tamps de la devant dicte année ce continuoit tousjour de mal en
pire ; et ne se disoient nulle bonne nouvelle ; et ne fist que plovoir,
vanter et grésillier tout lez moix de janvier, febvrier et tout le mars
enthièrement ; tellement que, ondit de mairs, l’on n avoit encor rien
fait és vignes, ne n’avoit on semés ne enhainer les avoinne ne aultre
choses, car sans laichier il pluyvoit, vantoit, tonnoit et alodoit, qu’il
sambloit que le monde deust finer.
Nouvelz évesque en Mets. — Henry de Loherainne, évesque de Terrouainne et oncle au duc René de Bar, roy de Gecille et duc de Lohe­
rainne, fut en ce tampts esleu pour LXXIX[e] évesque de Mets. Cellui
Henry estoit contrefait de son corps. Et ne fist jamaix guerre chose pour
l’éveschiez digne de mémoire ; car il ne hanta jamaix la cité ne son
païs de l’éveschiez, ains ce tenoit en ung lieu de plaisance qu’il avoit à
Janville sur Marne ; et là le entretenoit le duc René, son nepveu, pour
avoir ces biens. Et morut en ce lieu, comme cy après il serait dit.
ij ou iij bourgeois de Mets mort par fortune et surprins par fumée de
vin. — Item, en celluy tamps, avint une merveilleuse adventure en
Mets. Car ung bouchier, nommé Jehan d’Anowe, duquelles je vous ay
heu par cy devant pairlé, celluy bouchier estoit en semaigne à la porte
au pont Thiefîroy, avec Mertin Traval le josne, et avec Didiet Boussel,
le bouchier, comme chacun scet que la coustume en est en Mets , or, en
ce tamps, pour aulcune doubte, l’on avoit ordonnés que nulz ne bou­
geait de la porte. Et, ainssy comme l’on ce devise aprez soupper, le dit
Jehan d’Anowe ait dit qu’il avoit du vin blanc en cuves en une volte,
en laquelle nul n’y osoit entrer pour la force et fumée d icellui vin.
Et, finablement, furent leur parolles tant de l’une en 1 aultres qu il
vinrent à en faire gaigier 3 encontre leur chastellains ; et dit ledit
d’Anowe et gaigeait qu’il n’y oiseroit entrer et y tant demourer comme
pour y tirer une quairte de vin. Et à celle heure, aprez la gaigier faictes,
s’en allirent tous quaitre ensemble en l’ostel dudit d’Anowe. Alors le
chastellains, comme pour faire et acomplir ce qu’il avoit promis de
1. Exactement : la stappe. Il s’agit de Yestaple ; le mot désigne à la fois un entrepôt
et une place publique où les marchands doivent apporter leurs marchandises pour les
mettre en vente.
2. Aubrion dit : à Bâle (p. 172).
3. Faire gagière, parier.

112

1485

N. ST. — MARCHAND DE METZ PRIS PAR DES BRIGANDS

faire, est entrés dedans la volte en laquelle cellui blan vin estoit. Et, dès
incontinant qu’il fut dedans, il fut tellement surprins de vin que subbit
il morut. Et, quant ledit Jehan d’Anowe et ses compaignon virent qu’il
demoroit tant et ne retournoit pas, doubtant qu’il ne luy fût advenus
comme il estoit, il alla quérir ung homme de ses voisins, appellé Collignon Wauldoise ; et, en partie par contrainte, à force de parolle, le fist
entrer en la dicte volte pour veoir que le chastellains faisoit. Mais,
incontinent qu’il vint dedans, il morut. Et ainssy furent deux hommes
mors, et plus en y fût entrés,et plus eny eust demourés. Or avint, durant
ce qu’il estoient en ce lieu, pour ce que aulcunement l’on ce doubtoit
en Mets, le seigneur Pierre Baudoche, qui alors estoit Trèzes, acompaignié de plusieurs, s’en alla veoir aux porte. Et vint à celle du pont
Thieffroy, en laquelle il ne trouva parsonne que la chaistellaine et sa
servente, de quoy il fut fort mal contant. Pour touttes lesquelles ofïance
les dit Mertin Travalt, Jehan d’Anowe et Dediet Bossel furent prins
et mis en l’hostel de la ville. Nonostant que ledit d’Anowe ne fut trouvés
qu’il ne fût le matin ; par quoy les porte de la cité furent tous jour
fermée jusques environ IX heure, qu’il fut trouvés ; cy fut prins et mis
avec les aultres. Et ne furent prins ledit Mertin Travaulx, ne ledit
Dediet pour cellui crimes, fort seullement qu’il avoient abandonnés la
porte. Maix ledit Jehan d’Anowe fut prins pour tous les cas devant dit :
car il estoit corpable de la mort d’yceulx deux homme, et ne les deust
pas laissier entrer, puis qu’il sçavoit le dangier qui y estoit ; et souve­
rainement de son voisin, qu’il y fist entrer par force. Par quoy il y
demora longuement, jusques après la santance donnée, quy fut telle,
tant des Trèzes comme du maistre eschevin : que le dit Jehan donroit
à la chastellaine X livrez pour une fois, et à son anfïans XV livrez ;
puis donroit à la femme Collignon Wauldoise X livrez, et, à trois enffans
qu’elle avoit de luy, à chacun cent sols; et, avec ce, serait tenus de leur
faire faire à chacun ung biaulx servises, et à chacun ung anuaulx 1.
Et, encor davantaige, serait ledit tenus de donner tout le blan vin
pour lequelles ce mal estoit venus aux quaitre Ordres mandians, pour
prier pour les trespassés.
Marchanl de Mets prins des annemys. — Item, en celle année, le thier
jour de mars, fut prins Stevenin Hainzellin sur l’estaing de Clémery ;
et en fut menés en prison au pais de la Lefïe 2.
L’yver de celle devent dicte année fut fort pluvieulx ; et disoient les
anciens que jamaix ne virent tant plevoir pour ung yver. Et, avec ce,
il fist dez grans et orible vens par des fois ; et tellement qu’il emportoient la couverture de plusieurs maison. Et fist aussy de grant tonnoire,
comme j’ay dit devant.
Mais de ces chose je me tairés pour le présant, et retournerés au
parler du maistre eschevin de Mets et des chose diverses et estranges
qui avindrent en son tamps.
1. Annuel, anniversaire, service du bout de l’an.
2. « En une plesse en Allemaigne ver Strabour, appellée Tan » (Aubrion, p. 173).

1485. — HANNÈS CRANTZE DÉFIE LA CITÉ DE METZ

113

[l’année i485 ; couronnement, a Francfort,
DE MAXIMILIEN D’AUTRICHE COMME ROI DES ROMAINS].

Mil iiijc et iiijxx et vans.— Après ces choses ainssy advenue, et que le
milliair courrait par mil quaitre cenc IIIIxxet V ans, qui fut lors l’an
XLVIe de l’empire du devant dit Phéderich l’ampereur, fut créés, fait
et essus pour maistre eschevin de la cité de Mets le seigneurs Nicolle de
Heu, filz seigneur Jehan de Heu, chevaliers.
En celle année, le samedi après le mey karesme, pape Inocent, qui
avoit estés nouvellement fait et créés, fît dire, anoncer et prier par toutte
la crestientés que l’on voulsît faire procession et prier Dieu pour sa
bonne intencion et pour la transquilités et amendement du tamps.
Et ainsy en fut fait. Car l’on disoit que celluy pappe avoit désir d’aller
mener la guerre aux Turcs et Infidelle.
Une femme trouvée pendue en son guernier, et aultre plussieur, par
désespoir. — En celle devent dicte année avinrent, paireillement comme
en la précédante, plusieurs piteuse advanture. Entre lesquelles y oit
une femme, demorant en la plus proichaine maison de la porte des
Allemans, laquelle se pandit en son guerniet. Cy fut celle femme, par
l’ordonnance de Justice, prinse par le bouriaulx ; et fut mise en ung
tonniaulz, bien cloz, et fut boutées en la ripvier de Mezelle. Et dessus
ledit tonniaulx estoit escript, en allemans et en wallon : « Bouttés
à vaulx ; laissés aller, car c’est par Justice. » — Paireillement, tantost
après ce pandit ung maire à ung arbres près de Briei ; et aussy fist une
femme à Faiey.
Défiance contre la cité. — Item, aussy en celluy tamps, on moix d’apvril, se acomensait une guerre de laquelle la despandance ait longue­
ment durés depuis. Et fut ce fait par Hannès Crante, qui estoit filz à la
Grand Bairbe, qui fut tuez à Mets, comme cy devant ait estés dit
Et avoit celluy Hannès XII aultrez lairons avec luy, qui deffiairent la
cité. Et firent plusieurs mal et grant dopmaige à tort et sans cause,
en prenant home, beste, et aultres biens.
Item, aussy durant ce tamps, je, Philippe dessus nommés,escripvain
et composeurs de ces présante cronicques, contre la voulluntés de mon
perre et de mes parans, estoie délibérés de m’en aller juer à l’aventure
par le païs ; maix par le dict mon perre fut arrestez pour celle fois.
Item, aussy en ce tamps, se continuoit tous jour le tamps en froit, on
moix de juing, tellement que les vignes ne pouoie venir à fleur ; et en
fut l’année plus tardive.
Les Flamandz déconfis. — Paireillement, en celluy tamps, se faisoit
grant guerre entre le duc d’Octriche et les Flamans. Et perdirent yceulx

!• P. 4. Corriger: Hanaè* Crantze.

114

1485, 24 JUILLET. — LE JEU DE SAINTE BARBE JOUÉ A METZ

Flagmans plusieurs journée, jay ce que le roy Charles leur envoiait
plusieurs fois secour et aydes.
Tous jours se continuoit le tamps en froidure et en pluye, en fasson
tel que l’on ne pouuoit lever le foingz,ne pereillement les bief; et descheoient lez raisins tous les jours.
Le jeu saincle Barbe jouués per personaige. —Item, en la devent dicte
année, le XXIIIIe jour de juillet, fut juez en Mets, en la place de Cham­
bre, le jeux de la Vie et Passion ma damme saincte Barbe. Et durait
trois jours ; et fut le mieulx juez et le plus triumphamment que jamaix
je vis, et au greys de touttes gens. Et furent sur eschauffault, en la
place de Wiéseneuf, VIII jour devant ; auquelle il firent tout le mistère
sans pairler. Et puis, à ce jour devent dit, fut le jeux En Chambre.
Or estoit pour lors demourant en Mets ung josne filz barbier, nommés
Lyonairt, lequelle estoit ung très biaulx guerson, resamblant à une
pucelle. Et estoit nascionez de Nostre Damme d’Ay en Allemaigne ;
mais il avoit loing tamps demourés en Mets, chieu maistre Hannès le
barbier, au Quartaulz. Celluy Lyonart portait le personnaige de saincte
Barbe ; et le fist sy bien et sy honnorablement qu’il fist plorer encor
VI mil parsonnes. Car il estoit biaulx jonne filz, comme dit est ; et
tenoit sy bonne faconde et manier, avec cy bonne myne et geste,
luy et ses pucelle, qu’il estoient agréable à ung chacun, et n’estoit
possible de mieulx faire. Et tellement fut en la graice d’ung chacun
qu’ilz n’y avoit seigneur, clerc ne laiz, que ne désirait à avoir ledit
guerson pour le nourir et gouverner ; entre lesqueulx y avoit une riche
weve, en Salnerie, qui le voulloit avoir pour son héritier. Toutefïois,
entre les aultres, y oit ung noble seigneur d’Église, nommés maistre
Chardely, chantre et chainoigne de la Grant Église de Mets, lequelle
estoit ung homme saige, docte et scientificque personne, et à celluy fut
le guerson donnés. Et incontinant le mist ledit Chardely aux milleur
escollez de Mets ; là où il proffita plus en ung ans que d’aulcuns en dix ;
car cest anfïans avoit ung entendemant sur tous overs. Au bout de l’an
le mist ledit Chardely aux estude à Paris, là où en brief tamps fut
maistre és ars. Et, depuis, l’ay veu régenter et tenir les escolle à l’église
de Sainct Salvour à Mets ; et, aprez, l’a veu estre chainnoinne de Nostre
Damme d’Ars et pourter grant office.
Ung enffans nés ayant la moitiet forme de diable. — Or avint que, en ce
meisme tamps, fut juez ung jeux à Bar le Duc, auquelle estoient aulcuns hommes pourtant le parsonnaige de dyablez. Et, entre eulx, en y
oit ung que en son habit voult avoir la compaignie de sa femme. Et elle
le difïéroit, et demandoit qu’il volloit faire ; et il luy respondit : « Je
veult », dit il, « faire le dyable ». Et, quoy que sa femme se sceût deffandre J, force luy fut de obéyr. Cy avint qu’elle fut grosse et portait
son tairme. Maix il avint qu’elle enfanta et délivra de ung corps qui

1. Quels que fussent les efforts de sa femme pour s’en défendre .

1485. — LIÉBAUT D’ABAUCOURT EST TUÉ

115

estoit, dès le fault1 en aval, forme d’homme, et, dès le fault en amont,
forme de dyable. De laquelle chose on en fut moult esbahis. Et ne
l’oisairent baptiser jusques ad ce que l’on aroit estés à Romme pour
sçavoir que l’on en ferait.
Prodige advenus. — Encor avindrent en ce tamps aultrez prodige.
Car, on moix de jung, devers Saint Avoulz, y oit une jument qui enfanta
deux anffans, ung fîlz et une fille. Laquelle chose fut merveilleuse et ung
prodige bien grant.
Le tamps avoit estés et estoit encor très mal disposés en toutte
chose, comme cy devant ait estés dit.
Et journellement avenoient de grand esclandre. Car, en ce tamps,
y oit en Mets ung cactain appelley Gouday 2, lequelle, par tamptacion
de l’Annemy, se volt coupper la gorge en Vazelle ; maix ung soldoyeur
de la cité sourvint et l’en détourna. Et, quant il fut interrogués, il
disoit qu’il veoit VI parsonnaige vestus de noir qui le contraindoient
de ce faire.
Sorcière brûllée. — Item, à celle occasion, l’on print plusieurs sorcier.
Et tellemant que, le premier jour d’aoust, en furent à Salney devant
Mets trois des brûllées ; lesquelles confessairent merveille.
Et, deux jour aprez, qui fut le thier jour de ce meisme moix, y oit ung
tonnellier qui disoit qu’il venoit de fayerie 3 ; et sertifïioit qu’il y avoit
estés XIIII sepmaignes. Et, entre les aultre chose, il disoit de grant
ferdaine : premier, que le tamps seroit tousjours pluvieulx jusques à la
sainct Remy ; et que, dedans le jour de Noël, il y aroit X hommes de
grant fasson en la cité qui se metteroient à mort eulx meisme ; et que,
l’année après, y aroit grant mortallités ; et, que pis est 4, dedans V ans
la cité fonderait en abisme. Pour lesquelle parolle ledit tonnellier fut
prins et mis en l’ostel de la ville.
Ung annemys à la cilé tué. —- Item, vous avés cy devant oy cornent
ung jantilz homme de Loheraine, nommés Liébault d’Aubocourt,
avoit heu courras sur la cité sans deffiance, et avoit fait plusieurs
domaige. Et tellemant que, en ce meisme moix, non comptant de ce
qu’il avoit fait, se acompaignait d’ung appellés Hannès Cranse, filz de
Bartelle Crance,c’on disoit la Grant Barbe, qui fut tué à la journée que le
duc Nicollas volt entrer en Metz, comme cy devant est dit5. Et, eulx
ensamble, acompaigniez de plusieurs malvaix guerson, firent plusieurs
grief au subjecg de la cité. Par quoy ung jour fut déterminés d en faire
la raison. Et tellement que ledit Liébault fut surprins au saillir de son
chaitiaulx, et fut tuez et mis à mort par aulcuns piétons qui alors
estoient au gaige à Mets.

1. Faux du corps, partie où le corps s’amincit, au-dessous de la poitrine et au-dessus
des hanches.
2. Aubrion l’appelle Godairt le notaire (p. 177).
3. De féerie, du pays des Fées.
4. Et que, que pis est, etc.
5 P. 113 et note.

116

1485. —

HETTANGE PRISE PAR CEUX DE METZ

Puis avint aprez que, le quaitriesme jour de septembre, defïiairent
la cité X Allemans, sans quelque cause ne raison. Et par ainsy estoient
alors trois manier de deffiance : c’est assavoir eulx, Crance, et Jehan de
Recque \ Mais, le VIIIe jour de janvier après, en fut faicte la paix ;
laquelle ne durait pas longuement.
La vandange de cest année fut petitte et de pouvre boisson, pour la
malvaise disposicion du temps qu’il avoit heu fait. Par quoy le vin
estoit très chier.
Au sorplus, l’yver venant après fut cy appre et de sy grande gellée
que les harbres fandoient parmi lez champs en plusieur lieu.
Hatenge prinse de ceulx de Mets, et ceulx de dedens pendus. — En celle
année, la vigille de Noël, furent envoyez devant Hattange plusieurs
compaignon soldoieur de Mets ; avec lesquelles fut envoyés Mertin,
le clerc des Septz de la guerre. Et fut ce fait pour tant que l’on estoit
advertis que en ycelle y avoit plusieurs malvaix guerson annemis a la
cité. Lesqueulx, de nuyt, furent vivement assailis ; et, après ce qu il
sc’eurent vaillamment deffandus, en fut tués ung en la places, et trois en
furent prins et amenés à Mets. Dont à l’ung fut la teste tranchée, et son
corps mis sus la rue ; et lez deux aultrez furent pandus et estranglés.
Journée tenue contre ceulx de Lucembourg. — Et, en celle année, les
gouverneur de la duchiez de Lucembourg faisoient plusieurs demande
à aulcuns seigneurs particuliers de la cité de Mets, tant pour le fait de
Richemont comme pour aultre chose. Et tellement que journée en fut
tenuee. Maix mon seigneur d’Octeriche en fist la paix, parce qu il
voulloit estre amis à la cité ; et comanda audit de Lucembourg de non
procéder plus avant.
Guillame de la Merche décapité à Trech. — Item, en ce tamps, seigneur
Guillaume de la Mairche, lequelle avoit de sa propre mains heu tuez
Loys, évesque de Liège, comme cy devant ait estez dit, fut prins et
menez à Trech en Allemaigne 2* ;1et illec oit la teste tranchée.
Ceulx de Gant s’alie aux duc d’Oslriche. — Item, aussy en celluy
tamps, estoit détenus dedans Gant le filz au duc d Osteriche , lequelle les
François estant en gairnison en la dicte ville de Gant le voulaient
emmener en France. Par quoy le dit d’Octriche trova manier de faiie
paix audit Gantois, en luy randant son filz. Et alors fut la tuerie grande
d’iceulx François ; car lez Gantois se tournirent du tout avec le duc
d’Octeriche.
Compaignon noyés. — En ce meisme tamps avint en Mets une for­
tune à ung jonne clerc de chanoigne. Celluy clerc pormenoit le chevaulx
de seigneur Jehan Phelippe, son maistre, on Saulcy, auprès du mollin
à vant ; et puis luy donnait ungne course. Maix cellui chevaulx estoit

a : nom.
1. Jehan Derencque (Aubrion, p. 178 ; ef. p. 124 et 181).
2. Maestricht.

1485.

— MAXIMILIEN CRÉÉ ROI DES ROMAINS

117

fort en bouche, et, malgré luy, l’ampourta oultre ; et cheut du hault en
baix en la ripvier ; et fut noyés.
Comendement d’aller aux bourdeau toutle feme el fille habandonée. —
En celluy tamps fut fait en Mets ung huchement que touttez femmes qui
estoient arrier de leur maris et touctes filles que se gouvernoient mal
s’en aillissent au plains bourdiaulx. Et ainssy en fut fait.
Item, aussy en ce meisme tamps, ung dez seigneur de la cité, nommés
seigneur AViriat Roucel, luy estant avec d aultre en une taverne, oit
aulcune question encontre ung corretier de chevaulx, nommez Goufïîn ,
tellement que ledit seigneur Wiriat, d’ung cop de bracquemart, fist
audit Gouffin une plaie sur le bras. Par quoy il s’en fuyait en franchise.
Item, par le tamps pluvieux qu’il faisoit, les yaues devindrent sy
grandez que la ripvyères du Rin emmenait le chaistiaulx de Mayence.
Et fut dit que, au dellà de Romme, fut pareillemant emmenés ung
chaistiaulx que le cardinal de Rouan y avoit fait faire.
Maximilian créés Roy des Romains. — En celle meisme année fut
déterminés en la court de nostre sire l’empereurs Phéderich, et du consantement de tous les prinse éliseurs et aultres subjecgz au Sainct
Ampire, de courogner en la ville de Francquefort Maximilien, duc
d’Osteriche, son filz, pour Roy des Romains.Et, pour ce faire, le jour de
la sainct Sébaistien, l’an dessus dit, se trouvairent audit lieu de Franc­
quefort le très serain, très victorieulx et très excellant prince le devant
dit seigneur Phéderich, avec les princes qui s en suyvent.
Et, premier, les princes éliseurs :
Johannes de Raude, archevesque de Triève ;
Herment de Hesse, archevesque de Collogne ;
Rartoldus de Henneberch, archevesque de Mayance ;
Phelippe, duc de Bavier, conte Pallantin de Rin ;
Ernst, duc de Sachsern ;
Albrecht, marquis de Brandebourg.
Les duc qui furent à celluy couronement :
Premier : Maximilien, archeduc d’Ostrich et de Bourgongne ,
Albrecht, duc de Sachsern ;
Fridrich, duc de Sachsern ;
Hannesse, duc de Sachsern ;
Henry, duc de Bronswich ;
Hannesse, duc de Bern ;
Ruprecht, duc de Beyrn ;
Gaspar, duc de Bern ;
Cristofïe, merquis de Baden ;
Fridrich, merquis de Baden ;
Le duc de Guellem ;
Le lantgraffe Willemme de Hesse ;
Le lantgraffe de Markbruch.

118

1485. — MAXIMILIEN CRÉÉ ROI DES ROMAINS

Les évesques :
L’évesque d’Augsbruch*1, lequel morut audit lieu de Francquefort le
XXIIIIe jour de febvrier ensuiant ;
L’évesque de Cambray ;
L’évesque de Balcinburg ;
L’évesque de Missem ;
L’évesque de Sibenuch ;
L’évesque de Spire ;
L’évesque de Wurmes ;
L’évesque d’Eistertem ;
L’évesque de Trist ;
L’évesque de Verdun.
Les abbez et prévostz :
L’abbé de Folle ;
L’abbé de Bym ;
L’abbé de Milbre ;
L’abbé d’Armonde ;
Le doien de Maiance ;
Le doien de Dusseldorf! ;
Le prévost de Clèves ;
Le sufïragan de Maiance ;
Le grant maistrez de Saincte Élizabeth.
Les embassaudeurs :
Premier : l’ambassade de France ;
L’ambassade du duc Sigismunde ;
L’ambassade du duc de Loherainne ;
L’ambassade du riche duc de Bavier ;
L’ambassade du duc de Monchen ;
L’ambassade du duc de devis ;
L’ambassade du duc de Jullers et dé Mon ;
L’ambassade du mairquis Hans de Brandeburch.
Les contes :
Primo : Hugo, conte de Wendemberg ;
Hans, conte de Werdemberg ;
Octe, conte de Salmes ;
Michiel, conte de Bisch 2 ;
Phelippe, conte de Hannawe ;
Phelippes, conte de Hannawe, son frère ;
Wecler a, conte de Linange ;
Hannemann, conte de Linnange 3, son frères ;

a. Weclrer.
1. Ingsbruch; dans Aubrion, p. 184. — Un très grand nombre de noms allemands
sont transcrits par Philippe d’une manière très incorrecte.
2. Michiel, conte de Werten ; Henry, conte de Bisch (Aubrion, p. 185).
3. Conte de Hannaw (Aubrion, loc. cit.).

1485.

— MAXIMILIEN CRÉÉ ROI DES ROMAINS

119

Huge, josne conte de Motefort ;
Craff, conte de Hocloch ;
Conrard, conte de Tubingen ;
Le conte de Bilstein Nassowe ;
Érart, conte de Piere ;
Niclaus, conte de Sarererden ;
Seltin, conte d’Ysemburg ;
Reynhart, conte de Trestemberg ;
Bernhart, joesne conte d’Oberstein 1 ;
Jehan, ringrafï ;
Melchior, conte d’Oberstein ;
Ennch 2, conte d’Oberstein ;
Yrelfïgange 3, conte [de] Frustemburg ;
Bevenich 4, conte de Luppen ;
Le conte de Sirazetenburg ;
Le conte de Warniburg ;
Charle, conte de Glichen ;
Yost, conte de Hohentzorne ;
Deux contes de Castelt ;
George, conte de Hennenberg ;
Octo, conte de Hennemberg ;
Sendench 5, conte de Hennemberg ;
Jehan, conte d’Ysemberg ;
Hans, conte de Werthen ;
Ansermyns, conte de Werthen ;
Sigismunde, conte de Glithen ;
Henry, conte de Vassalle ;
Vincencius, conte de Morser ;
Phillipps, conte de Salmes ;
Erhart, ringraff ;
Noolhelm, conte de Mienart ;
Philipps, josne conte de Waldecle ;
Peier, conte de Rifferscheir ;
Jehan, conte de Nassoire ;
Bernart, conte de Solmes ;
Wecler, conte de Biesch ;
Ernich, conte de Linenge ;
Firderich, conte de Linenge ;
Friderich, conte de Werdt ;
Jehan, conte de Werdt ;

1. Conus, conte de Yrestemberg ; Richairt, jonne conte de Obersten (Aubrion,
p. 185).
2. Eynrich (ibid., id.).
3. Kristofle (ibid., id.).
4. Enrich (ibid., id.).
5. Frich (ibid., id.).

■120

1485.

— MAXIMILIEN CRÉÉ ROI DES ROMAINS

Diecher *, conte de Mandrescheit ;
Jacob, ringrave ;
Jehan, conte de Wusgenstein ;
Adolff, conte de Nassoire ;
Fridrich, conte de Hehentzorne ;
Fridrich, conte de Bitsch ;
Le conte de Withem ;
Les contes de Chimay ;
Philipps, conte de Waldecle ;
Les contes de Gonstorff ;
Bethedolt, conte de Hennenberg ;
Errnst, conte de Hanstain ;
Engelbretht, conte de Nassowe Delrisser ;
Gerlath, conte d’Ysemberg ;
Beynhart, jone conte de Hannaulle ;
Le conte d’Egmont, seigneur d’YsoIstein.
Le jour de la sainct Valantin ensuyvant, le dit seigneur em­
pereur ait ressus en hommaige :
L’archevesque de Maiance ;
Le conte Palantin ;
Le duc Henry de Brunserich 12 ; — et,
L’évesque de Wermes.
Les seigneurs barrons et aultrez :
Premier :
Le seigneur de Olossen ;
Le seigneur de Berghes ;
Les seigneurs de Polheim ;
Le seigneur de Wrclenscem 3 4;
Le seigneurs de Seltingen ;
Le seigneur de Wrlffstam * ;
Le seigneur de Sebriach ;
Le seigneur de Rippersrlrchen ;
Le seigneurs Quierfort ;
Le seigneur de Grectz ;
Le seigneur de Sirartzenberg ;
Le seigneur de Winsperg ;
Le seigneur de Reymecle ;
Le seigneur de Sommerhoff ;
Le seigneur de Rememberg ;
Le seigneur de la Pierre, et son fils ;
Le seigneur de Vimemberg ;

1.
2.
3.
4.

Dieter (Aubrion, p. 186).
Brontzewich (Ibid., id.).
Wrlclenstein (ibid., id.).
Wrlstain (ibid., id.).

1485.

— MAXIMILIEN CRÉÉ ROI DES ROMAINS

121

Le seigneur de Rimebel ;
Le seigneurs de Rinecle ;
Le seigneur de Gimeren ;
Le seigneur d’Authun ;
Le seigneur de Balaing ;
Le seigneurs de Lyfau ;
Le seigneur Philippe de Bourgongne ;
Le seigneur d’Arun ;
Le seigneur de Gth 1 ;
Le seigneur de Steinfort ;
Le seigneur de Rattenburg ;
Le seigneur de Branderot2 ;
Le seigneur de Tappe ;
Le seigneurs d’Erelentel ;
Le seigneur Stalberg ;
Le seigneur de Stamberg ;
Le seigneur de Loingstem ;
Le seigneur de Créhanges ;
Messeigneur Sigmond Inderthoren ;
Messeigneur Cristofï Hoefelder ;
Messeigneur George Ytzinger ;
Messeigneur Barchelin de Sthonnenberg ;
Messeigneur Caspar de Rogendoff ;
Messeigneur Ladron ;
Monseigneurs George Abserburg ;
Avec plussieurs aultres grans nombres de chevaliers et de
gentilz hommes.
S’ensuyt la manier tenue le XVIe jour de febvrier, l’an devant dit, en
faisant l’élection dudit seigneurs Boy des Romains, l’archeduc Maximi­
lien, fdz de l’empereur devant dit, comme cy après est contenus.

Premier, le dit jour, en allant à l’église parochialle dudit Francquefort, sont préallés devant ledit empereur et Roy des Romains grant
nombre des seigneurs dessus dit, tant conseillers des princes comme des
contes, seigneurs, barrons, chevaliers et escuiers ; ensuyant yceulx, les
roys d’armes, héraulx, poursuians et sergens d’armes ; en après alloient
les princes spirituelz et temporelz, c’est assavoir les évesque de Wormes,
de Spire, le grant maistre de Saincte Élizabeth et les josne princes de
Beyerm, de Gellem et de la Doez 3 ; ensuivans lesquelx estoienR sur le
droit costel, ledit archeduch d’Ostriche et le conte Palantin ; et, sur le
senestre costel, l’archevesque de Trièves et le duc Ernst de Sachsern,

1. Goth (Aubrion, p. 186).
2. Braideret sur le ms. d’AuBRioN quia appartenu à Philippe de Vigneulles ; Vadrey
sur les autres (Aubrion, p. 186).
3. Beyern, Geltein et Badein dans Aubrion, p. 187.

122

1485. —• MAXIMILIEN CRÉÉ ROI DES ROMAINS

éliseur, qui portoit l’espée ; après lesquelx estoit ledit empereur, acompaignié de l’archevesque de Maiance, sur le costel droit, et, sur senestre,
l’archevesque de Collongne ; en après, les évesques d’Eystteten, de
Labemburg, d’Augserpurg, et le conte Huge de Vendemberg, avec
plussieurs aultres seigneurs allemans, par la manier 1 que dessus,
chacun en son ordonnance, jusques à la dicte église et au cuer d’icelle.
En laquelle mon seigneur le souffragant de Mayance fut ordonné
pour faire le service divin. Et estoit l’empereur au cuer d’icelle église,
du costel que l’on chante l’espitre, au plus près de l’aultel. Et, sur le
droit costé, estoient l’archevesque de Mayance, le conte Palantin et
mon dit seigneur l’archeduch ; et, sur le senestre costel, estoit l’archevesque de Collongne, le duc de Sachsern, le merquis de Brandemburg,
avec Philipps de Vinzperch, qui tenoit le sceptre impérial. De l’aultre
coûtés du dit empereur estoit l’archevesque de Triève, et, avec luy
ordonné, les évesques de Vorme, de Spire, d’Eystetten, de Labemburg,
de Missen, le grant maistre de Saincte Élizabeth, avec le doien de
Mayence. A l’ancontre de l’évesque de Wormes et au dessus estoient les
évesques de Verdum et de Cambray. Et, du coustel que l’on chante
l’Évangille, estoient les princes qui s’ensuivent : c’est assavoir le duc
Albrich de Sachsern, Caspar, duc de Beyren, Henry, duc de Bmeserrich 2, Fridrich, duc de Salhn 3, Cristoff, merquis de Baden, Hans,
duc de Beyeren, Hans, duc de Salhn 3, les deux langrave de Hesse,
Ruprecht, duc de Beyern, Albrich, merquis de Baden. En après estoient
tous les embassadeurs devant nommés.
Alors mon seigneur de Trièves présanta le livre de la paix 4 à l’empereurs. A l’offrande, mon dit seigneur de Trièves préalla jusques à
l’autel ; en après, le dit empereur ; et l’emmenoiqht les archevesque
de Collongne et de Mayance, et les ducz de Sachsern, le conte Pallantin
et le merquis de Brandemburg, avec l’archeduc d’Ostriche. Item, après,
l’empereur alla présanter son offrande sur l’autel ; mon seigneur de
Triève alla aprez, et conséquenment tous les aultres ensuyant.
Item, ainsy comme on chantoit le Sanclus de la messe, sicheucle
Cristoff de Linpurg print la corronne impérialle, Philippe de Selmecle,
séneschault et maistre de sunsier 5, la pome, mes seigneur Sigmonde de
Papelhien, merchalt, l’espée, la pointe en terre, et sicheucle Philippe
de Bomserperch 6, le scepte impérial.
Et, tantost aprez la consacracion du corps Nostre Seigneur, l’on
remist la corronne sur la teste d’icelluy empereur, et reprint le duc

1. .Aubrion, que suit ici Philippe, a écrit : « avec plusieurs aultres seigneurs, allant
par la manière... ». Philippe a lu allemand pour allant, ce qui rend sa phrase informe.
2. Brunswich (Aubrion, p. 187).
3. Sachs (ibid., id.).
4. Aubrion : le livre et la paix, p. 188.
5. L’expression n’est pas dans Aubrion, p. 189. Cette partie du texte de Philippe
est particulièrement mal transcrite.
6. Winsperg (Aubrion, p. 189). Sicheucle est pour moi incompréhensible.

L’ANNÉE I486

123

Ernst de Sachsem l’espée, tornant la pointe d’icelle en hault, et le
conte Pallantin la pome, comme archiséneschault.
La messe perfaicte, lesdit seigneurs élizeurs s’en allèrent droit à
l’autel, sur lequel et sur les euvangilles de Dieu firent serment sollennel.
Et, tantost après, ledit empereur s’en alla avec lesdit éliseurs, en
ordre comme dessus, on sacrifice 1 de la dicte église. Hors duquelle,
peu après, fut envoiez l’archevesque de Collongne, le conte Pallantin,
Procle, duc de Sachsern, éliseurs, devers ledit archeducht, en luy nottiffiant que du grey, ottroy et consentement de l’empereur, son perre, et
de tous les élizeurs, estoit esleus sans aulcune division pour Roy des
Romains. Lequelle incontinant fut par les dessus dit mené ondit sacri­
fice ; et, de là, per les archevesques de Mayance et de Collongne, avec
monsseigneur de Trêve, remenés devant l’autel ; et sur ycelluy, par le
devant dit sufïragant, tout certain en tel cas coustumés 2 ; et puis
appellés tous les aultres princes et seigneurs illecquez assistant, en les
requérans de donner tesmoignaige de la dicte élection, faictes pour
plusieurs cause raisonnables, uniquement et sans aulcune division ; et
ce, du consentement et agréacion dudit ampereurs, meisme de ce que
ledit archeduchz en avoit accepté la charge. Et, ce fait et dit, il fut mis
et présenté incontinant sur l’autel, en chantant Te Deum laudamus.
Ce fait, fist encor proférer 3 une oracion ; et, per ycelle, commenda
expressément, de par ledit empereur et élizeurs, sur les poines impérialles, d’estre dorénavant obéissant et subgetz audit Roy des Romains.
Et lors, ce fait, se pertit ledit empereur avec le dit nouviaulx Roy,
son filz, et tous les élizeurs et princes devant dit, ung chacun en son
ordre et lieu, et s’en allèrent tous ensembles jusques au logis de l’empereurs en grant joie.
Et, après plusieurs jours et la festes passées, s’en retourna chacun
en son logis ; ne n’y demora que les gens de court, sellon le trayn
accoustumés.
Maix de ses choses je vous lairés le parler, et retournerés a maistre
eschevins de Mets et à mon prepos acomanciés.

[l’année

i486].

Mil ivc iiijx* et vj.—Après se fait et se mistère acomplis, et l’an venus
de la XLVIIe année de l’empire du devant dit Phéderich l’empereur,

1. Sacristie dans Aubrion, p. 188.
2. Phrase inintelligible. Aubrion avait écrit :« et sur ycelluy, par le dit sufïragant,
leut certains suffrages en tel cas acoustumés ». Il faut suppléer devant lent le verbe
être (furent), et comprendre : et sur cet autel,'par le dit sufïragant, furent lues certaines
oraisons accoutumées.
3. Aubrion, p. 189 :« Ce parfait, (l’évêque de Trêves) fit une oration, et par ycelle,
etc. ». Philippe a mal interprété un texte d’ailleurs obscur.

m

I486. — LA VIE DE SAINTE CATHERINE JOUÉE A METZ

qui est de la nativités Nostre Seigneur Jhésu-Crist mil quaitre cenc
IIIIXX et VI, fut alors créés, fait et essus pour maistre eschevin de la
cité de Mets le seigneur Jaicque Dex, l’eschevin.
Et, à l’acommencement du prins tamps de celle année, se acommansait le tamps à eschauffer ; et fist ung biaulx moix de mars et d’abvril.
Néantmoins, à la fin, il furent sy très froit que, à la saint George, l’on
ne veoit encor point de verdeur en vigne que à conter fût. Et puis,
quant ce vint que lez vigne furent dehors, l’on vit qu’il n’y avoit comme
nul roisin : par quoy, à celle occasion, furent les vins renchéris.
Grant oraige. — Et fut celle année fort tampesteuse et plaine d’oraige,
espéciallement devers Trêves et Esternach ; aussy fist il à Jenville
sur Marne et en la duchiez de Bar.
La vie saincte Kalherinne juée per personaiges. — Item, en cest
année, és trois feste de Pantecouste, fut juez en Mets et en la place de
Chambre le mistère de la Vie et Passion de la glorieuse saincte Katherine
du mont de Synay, et fille du roy d’Alixandrie. Duquel jeux porta le
personnaige de la saincte Katherine le devant dit Lionart, qui l’an devant
avoit estés la saincte Barbe ; et fist merveilleusement bien son devoir.
Mais, touttefïois, ce mistère ne fut pas desjay sy agréable au peuple a
ne à tous les auditeur que avoit estés celluy de saincte Barbe. Car le dit
Lionairt avoit desjà ung peu mués sa vois. Et, avec ce, n’estoient pas les
dict ne la rétoricque de son parsonnaige sy bien couchiez ne sy piteux.
Le dimanche après, qui fut le jour du royale dimenche, je, Philippe,
conpouseur et escripvains de ces présantes cronicquez, contre la voulluntés et sans le sceu de mon perre et de tous mes amis et parans, me
partis ce jour de Mets pour m’en aller à l’aventure ung peu juer par le
pays ; et y fus environ V ans sans retourner. Et, avec ung aultre compaignon, prins mon chemin de Sainct Nicollas à Remiremont, de là à
Saint Thiébault d’Aulsay, à Balle, et, en trassiant*1 le pays de Suisse,
vîmes ariver à Berne, à Friburg et à Romont ; et, de là, à Losenne et à
Genèvre en Savoye. Auquelle lieu je me thins pour celle premier fois ;
et y fut logiés chiez ung prélast d’Église, hommes de biens, lieutenant
de 1’ évesque, et le servis ung ans anthier.
Le duc René contre ceulx de Mets. ■— En celle devant dicte année,
print le duc René de Loherainne et de Bar une question nouvelle contre
la cité. Et la cause estoit pour tant que le duc devant dit voulloit faire
paier sertaines tailles ou ranson à plusieurs villaige subjecgs à la cité ;
mais les dit de Mets ne le voulurent parmettre ne souffrir. Par quoy, le
primier jour d’aoust, le devant dit duc courut à Ralcourt, à Bouxier,
à Chamenat, à Louveney et à Lorey devant le Pont ; et prindrent corps
d’hommes, bestes, berbis et chevaulx. Touttefïois on en fut à journée ;
et en fut la paix faictes, tellement que ceulx des devant dit villaige n’en
debvoie jamaix rien paier.

a. Pluple.
1. Trader, parcourir en tous sens.

£486. — TRAVAUX A LA CATHÉDRALE DE METZ

125

Mutacion des Liégeois. — Item, en ce tamps, les Liégeois avoient
tousjours gueres contre le duc d’Octriche,à présant Roy des Romains.
Par quoy, voyant qu’il estoient grandement traveillez de gens d armes
qui estoient à leur gaiges, et, avec ce, gabellés et tailliés par le capitaine
d’iceulx gens d’armes, il ce advisairent tout à ung copt, et tuairent leur
devant dit capitaine. Et, ce fait, l’ont, tramés tout aval la ville du Liège,
affin qu’il fût manifestés et congnus à tous qu’il estoit mors. Et puis
donnairent congiez à leurs gens d’armes,et se ralliairent avec le Roy des
Romains ; et, paireillement, olrent acort à leur évesque.
Accord entre le Roi des Romains et ceulx de la Marche. — Item, aussy
en ce tamps, les seigneurs de la Marche olrent acort audit Roy des
Romains. Et tellement que messeigneur Conrard de la Marche oit
cherge de grant multitude de gens d’armes pour aller et les conduire
là où au devant dit Roy des Romains plairoit.
En la vendenge de celle année, il fist ung biau temps ; maix il y eust
peu de vin. Et fist la plus belle saison pour enhenner et pour semer
qu’il eust fait passez XX ans. Et tellement estoit le tamps doulx et
serains que, en la sepmaine devant Noël, on vit en ce pais venir des
soignes 1 2: par quoy l’on disoit que c’estoit signe d’avoir l’esté partant
et chault.
,
.
Course sur ceu de Mets. — Item, en celluy meisme tamps, Jehan de
Vv pour lors capitaine de Theonville, courut sur ceulx de Mets a
Arcancy, à Olixey, à Chairlei,à Xieulle et à Verney3. Et emmenait hors
d’iceulx vil lai ge grant bestial, avec plusieurs corps d’hommes. Et a
cause fut pour des porcq que les dit de Mets avoient arestés à ceu x de
Thionville. Et les dit de Thionville les avoient heu arestez a aulcuns
marchamps.
, & r
Comencemenl de la grant chapelle Nostre Dame à la Grant Eglise.
Item, en celle année, seigneur Jaicques d’Amange, alors gran vicaire
de la Grant Église de Mets, fist acomancier, parfaire et eschevir le cuer
Nostre Damme d’icelle Grant Église. Et, premièrement, fut en ce tamps
acomancier à wuider le fondement. Et, pour ce faire, fist premier
abaittre le viez ouvraige ; auquelles y avoit deux hau te ron e orne ,
d’ung coustés et d’aultrez du grant cuer, que le roy Gharlemaigne y
avoit heu l’ait faire. Et, tantost, l’on acomansait les fondemens dud
cuer Nostre Damme, et les grosse bouttée qui sont du coste vers la
ripvier. Et estoit chose merveilleuse et hideuse à resgarder a gran
perfondités d’icelle boutées : car l’on ne pouoit trouver bon f°ndeman ,
et covint dessandre plus bas que la ripvier de Mezelle. Et encor fut
de à grant cop de haye y planter de bon bruissement
u
ferme, et de gros quairtiet de mairiens pour fonder dessus. Et est chose
non à croire de se que cest ouvraige cousta.

1. Cigognes.
2. Par temps, de bonne heure .
3. Wramiez dans Aubrion, p. 191 : c’est Vrémy.

126

1486. — LA MAISON DE « PASSE-TEMPS » ÉDIFIÉE A METZ

« Paisse Temps » commencée à édifier. — Item, paireillement en celle
année, seigneurs Pier Baudoche fist acomancier à édiffier la maison de
Paisse Tamps, scituées devent l’église de Sainct Vincent. Car en ce lieu
soi 1 loit estre en ce tamps le mollin Gangnier. Et, pour faire celle maison
plus grande et spacieuse, fut dudit seigneur Pier achetés environ
XIII ou XIIII petitte maisonnette qui estoient là entour ; et fist tout
abaitre pour joindre avec ledit mollin.
Le conte de Vernenbourg tués per accident. — Et, en celle meisme
année, le conte de Vernenbourg, qui avoit estés annemis à la cité, et
duquelle je vous ay heu par cy devant parlés, cheut de dessus ung
chevaulx et se rompit le col.
Le sciège devent Yvoix. — Item, avint aussy en celle année que sei­
gneur Gracien, et seigneur Robert de Florhange l’annés, et seigneur
Robert de la Marche le josne mirent le sciège devant la ville d’Ivoix.
Et à celluy sciège y fut ledit seigneur Robert l’annés tuez d’ung copt
de serpantine.
Journée assignée pour combatre. — Or, avint encor, en ce meisme
temps, que ung jonne jantilz homme, qui s’appelloit Jacques du Chas­
te11^ estoit logiez à la Crois Blanche, en l’hostel Jehan de Jamaix,
l’ostellier, en la rue des Gornaix. Lequelle dist audit Jehan, son hoste’
que ung appellé le grant Guillaume, qui alors estoit a gaige de la cité’
luy avoit conseilliés de enmener une josne fille d’icelle hostellerie, et,’
avec ce, de chairgier ce qu’ils polroient avoir. Dont la chose vint à
cognoissance de Justice ; et furent prins le dit Jacques et ledit Guil­
laume, et mis en l’ostel du doien. Et, eulx estans détenus, chacun
maintenoit son cas. Et, pour cellui fait, se présantairent à faire champs
de bai taille à oultrance l’ung contre l’aultre : car le dit Guillame maintenoit qu’il n’en avoit oncque parlés. Et, sur cest journée prinse, furent
mis hors à delivre , et fut le champs de battaille prins et crantés à faire
dedens XL jour. Et, après ce fait, il se acordirent et firent paix ensem­
ble , et, de fait, s en alla le dit Jaicques à son plaisir. Et, pour ce qu’il
avoient fait leur escort sans le sceu et consentement de messeigneur de
Justice et du Conseil, fut force audit Guillaume qu’il rescript après le dit
Jaicque, et qu il luy feist assavoir qu’il vînt dedans le terme qui avoit
estés dit pour faire ledit champs de baitaille. Et, le jour venus, se
préparait le dit Guillaume, et se armait et mist en point ; et avoit on fait
faire les lisse on Champaisseille. Et tellement que, le jour de la sainct
Pier, XXIIe jour de febvrier, le dit Guillaume, montés et armés, se
trouvait en la place à l’heure de midi. Et y demeurait jusques a soleil
couchant, tousjours attendant son homme. Lequelle fut huchié et
cryés par trois fois à son de trompe par les quaitre cournaulx1 du Champs
Paissaille ; maix il ne comparut point. Et, quant le soleil fut couchié,
ledit Guillaume fist préposer par devant seigneur Renault le Gournaix,

1. Cornai, coin.

1487. — GUERRE ENTRE PIERRE BURTAL ET LA CITÉ DE METZ

127

seigneur Wiriat Roucel, chevalier, et seigneur Géraird Perpignant, qui à
cest affaire avoient estés commis pour gairder le champs de baitaille,
comment le dit champs avoit estés prins ; et fist lire l’instrument tout
en hault ; et puis requist qu’il luy fût adjugié l’honneurs de la journée,
et qu’il se avoit bien présentés en temps deheu de faire son debvoir ;
par quoy il requérait que le dit Jaicque fût réputé contumasse, et tel
qu’il estoit desclairés on dit instrument que le défaillant ou convaincus
devoit estre.
Item, en celle année, lez fleurs des hairbre furent touttes engellée ;
et, espéciallement, il n’y oit nul tandre fruit.
Guerre en Bretaingne. — Item, en celluy tamps, après ce que Françoy,
duc de Bretaigne, fut trespassés, duquelle estoient deux fille demourée,
dont l’une avoit nom Anne, ce esmeust plufïort guerre entre le roy et les
Bretons que devent, à l’ocasion de ce que le roy voulloit qu’elles luy
fissent foy et hommaige, comme tenue estoient de faire cellon les loix
du fiedz. Et, avec ce, volloit le roy qu’elle ne fussent mariéez sans son
grez et consantement. Et pour cest cause furent faictes plusieurs corse
contre la cité de Nantes en Bretaigne ; et, finalement, y fut mis le
sciège ; et gaigna le roy Charles causy tout le pais dez Bretons, comme cy
aprez il serat dit.
Maix je n’en dirés plus pour le présans, ains retournerait a maistrez
eschevin de Mets.

[l’année

1487].

Mil iiijc iiijxx et vij. — Or avés par cy devant oy la création et courougnement de Maximilian, duc d’Osteriche, à Roy des Romains.
Rest que maintenant je vous desclaire aulcune avanture estre advenuee
en sa seconde année, qui est l’an XLVIIIe de l’ampire du devant dit
Phéderich, son père, et de nostre Rédamption mil IIIIC IIIIX* et VII.
Auquelle tamps fut créés et essus pour maistre eschevin de la cité de
Mets le seigneur Jehan Xavin, ré[g]nant pappe Innossant à Romme, et
Charles, VIIP de ce nom, en France.
Le prins tamps de celle année comansait à venir de bonne sorte, et
amandoient les biens de terre à voulluntés.
Comencement de la guerre que fisl Burla contre ceulx de Mets. — Or ce
esmeust, en celle année, une malvaise et malheureuse guerre, et à peu
d’occasion acomancée, et de laquelle l’on ne tenoit compte. Mais, par
suscession de tampts, ce ampirait tousjour. Et, par 1 espaîsse de environ
XXX ans que durait ce hustin, coustait plusieurs denier a bourjois et
marchamps de la cité et au bonne gens du pais. Et, jay ce que par
plusieurs fois la paix en eust estés faicte, pour peu de chose à laquelle

128

1487. — CHAPITRE DES FRANCISCAINS TENU A METZ

l’on ne voult jamaix entendre jusquez à la fin, que \ à la honte de la
cité, après plusieurs grant dopmaige fait et resseu, force fut de paier
une somme merveilleuse pour avoir paix, comme cy après il serait dit.
, Celle maldictes et pestillancieuse guerre se esmeust à la requeste
d ung malvaix guerson, ci tains de Mets, nommés Pier Burtal, demourant
alors en ycelle cité, à pal Ramport 12. Lequelle Pier, jay ce, comme je
croy, qu’il eust estés comdampnés des Trèzes et du maistre eschevin,
voulloit avoir part, ou le tout, d’ung mollin scitués sur le rus de Wallier!
Et, pour celle cause, se absantait de Mets ; et, luy et ung aultre, appellé
Holsique 3, s’en allairent decost le conte Hennement, de Forpach.
Et fut par yceulx ledit conte informés de plusieurs grant bourde et
manterie ; et tellement qu’il en fist requeste à la cité. Et, les requeste
faictes, le dit conte, acompaigniez de plusieurs malvaix guerson, firent
une course sur le pais de Mets, c est assavoir à Vallier, à Laquenexy,
à Courselle et à Oxei ; et firent plusieurs mal et grant dopmaige. Telle­
ment que, pour ce fait, en fut journée prinse ; à laquelle fut condempné
le dit Butai. Maix, quant il vit que le dit conte ne le voult plus sobtenir,
il ce acompaignait de plusieurs malvaix guerson, qui firent plusieurs
mal et lairsin, et qui seraient loing à raconter.
Le chapistre des Frè[res] de l’Observance tenus en Mets. — Item, en
celle année, se thint en Mets le chapistre dez Frèrez de l’Observance de
sainct Françoys ; auquelle estoient deux cent Frères en tout. Et furent
yceulx nouris et subtantés quaitre jours durans, l’ung après l’aultre,
par quaitre seigneurs de la cité. Le premier jour de leur chapistre se
acomansait le mécredi, lequelle jour seigneur Andrieu de Rineck fist le
dînés ; le jeudi, seigneur Nicolle de Heu ; le vandredi, seigneur Fran­
çois le Gournaix ; et, le samedi, par seigneur Régnault, son frère. Et
ainsy les quaitre seigneurs devant dit paiairent tous les frais et despans
dez quaitre jours. Et, tantost le lundi aprez, s’en retournairent les dit
Frères chacun en son lieu.
Item, en celluy tamps, je, Philippe dessus dit, escripvain de ces
présentes, moy estant à la cité de Genèwre en Sçavoie, environ l’acomancemant du moyx de may, prins congiez de mon maistre, lequelle me
paiait très bien, et, en la compaignie d’ung jonne escolliez de Bourges
en Baris, nous en allâmes à Romme. Et, là venus, trouva ung jantil
homme, nascionés de la cité de Lozaines dessus le lac, avec lequelle je me
mis. Et, peu de tamps aprez, montas sur mer avec luy ; et m’en menait
à la cité de Gaiette, puis, de là, à la cité de Neaples, auquelle lieu demouroit se jantil homme ; et estoit famillé au duc de Callaibre. Avec cellui
je fut tout près d ung ans. Puis me mis au servise de damps Phéderich,
prinse de Tairante et filz au roy Farrande, roy de Naples et de Scicille,
avec lequelles je fus trois ou quaitre ans. Léquelles durans je vis plu1. Suppléer : il arriva que...
2. Expression étrange. Le Rimport est un quartier de Metz bien connu (Karl Wich mann, Die Metzer Bannrollen, Bd. IV, p. 95 et suiv.).
3. Holsinguer dans Aubrion, p. 193.

1487.

— BONNE MOISSON ET BONNE VENDANGE A METZ

129

siers merveilles, car peu souvant nous n’arestions point en ung lieu 1,
si non tousjour aller et venir en plusieur part par le royaulme, comme
en Callaibre, en Pouille, en Abruse, en terre de Laboure et on Bauselicquaite ; auquelles pais j’ay hantés et veu plusieurs ville et cité, et
chose merveilleuse et estrange.
Item, en celle année, le vendredi devant Quaisimodo, seigneurs
Nicolle Dex se partit de Mets pour aller à saint Jaicques en Gallice.
Maix le mal le print par chemin, tellement que, le VIIIe jour de novem­
bre, son verlet retournait, qui apourta nouvelle qu’il est mort. Dont se
fut dompmaige, car c’estoit ung notauble chevalier, et vaillant de sa
personne.
Bonne moisson et vendange. — En celle devant dicte année, il fit au
païs de Mets et de Loherainne une aussy belle moisson et une belle
vendenge qu’il avoit fait de loing temps. Maix, néantmoins, tousjour
vailloit la cawe de vin X frans. Et la querte de bief ne valloit que
quaitre sols, ou IIII sols VI deniers a plus.
Course et riblerie. — En celluy tamps, Jehan Collaird, l’escripvain,
et Thiébault Regnauldin, tous deux citains de Mets, s’en alloient aux
salline pour leur maistrez. Et il furent rencontrés de deux chevaulcheur,
bien armé et em point, qui les prindrent et les enmenairent à Herstaine 2 prisonnier.
Puis, tantost après, on moix d’octobre, mon seigneur du Fayt ruait
jus plussieurs marchandises et danrées appertenant aux François, aux
Lorrains et aux Messains. Et furent menée à Biaurepart. Pour lesquelles
à ravoir les seigneurs de la cité en firent plusieurs requeste.
Item, le XXVe jour de novembre, advint que seigneur François le
Gournaix et Jehan de Viller s’en alloient aux champz. Et, quant il
vinrent assez près de la Haulte Belvoix, virent venir gens à chevaulx,
qui estoient à messire Gracien de Gueire. Or cuydoit le dit seigneur
François que se fussent des annemis ; par quoy luy et ses gens se sont
aproichiez, et tellement se sont mellés ensemble que d’iceulx homme du
dit Gracien en fut ung des tuez, et le verlet Jehan de Viller fut fort
blécyé. Et fut celluy mort apportés à Metz ; et, le lundemain, fut bien
honnorablement ensevelis au Frères des Grant Cordellier. Et à ce faire
y furent ces compaignons, auquelx on fist très bonne chier ; et, au bout
de trois jours, s’en retoumairent. Et, incontinant aprez, vindrent
nouvelle en Mets que le dit messire Gracian faisoit grant assemblée et
esmas 3 de gens de guerre ; par quoy l’on ce doubtoit trefïort qu’il ne
s’en voulcist vangier. A celle occasion on fist fouyr les gens du païs en
Mets ; et, avec ce, fut comandé que chacun eust son baston.
Le Roi des Romains areslés par ceulx de Bruges. —■ En celle meisme
année, le XIIe jour de febvrier, vinrent vraie nouvelles en Mets que

1. Nous ne restions que rarement dans un même'lieu.
2. Harstelsten, en la Leiffe (Aubrion, p. 195).
3. Amas, réunion.

130

1488. — MAUVAIS TEMPS DANS LA RÉGION DE METZ

ceulx de Bruges avoient à forces prins et arrestei en leur cité le Roys des
Romains, leur seigneurs ; qui estoit une chose estrange, et de laquelle
plusieurs gens estoient esmerveillés. Et, pour celle offence, incontinant
fist l’empereur son mandement par touttes les cité de touttes l’empire.
Maix à présant en lairés quelque peu le parler pour retourner a
maistre eschevin de Metz.

[l’année 1488].

Mil iiijc iiijxx viij. — L’an après, que le milliair courroit par mil
IIIIC IIIIXX et VIII, qui fut de l’empire du devant dit Phéderich la
XLIXe année, et de Maximilian, son filz, en sa troisiesme année du
Royaulme des Romains, fut alors maistre eschevin de la cité de Mets le
seigneur Malheu le Gournaix.
Vignes engellée. — L’acomansement du printamps de celle année fut
essés bien dispousés ; et fist bon à l’annhainer 1 les avoines et aultre
masure 2. Mais, tantost après, il se tournait en grant froidure, tellement
que a la mitté de mars à paine eust on sceu trouver aulcune verdeur.
Et continuait tousjour le froit en fasson telz que, le XIIIIe jour de
may, il gellait cy treffort que les vignes du Savellon, d’Oultresaille, du
Hault Chemin, de Chastel Sainct Germains, de Rouzérieulle, et partie
dez vignes de Sciey, furent engellées ; et estoit une grant pitiés d’oyr
lez plain et lamantacion des pouvres gens. Car c’estoit desjay la quaitriesme année qu il avoient estés ou foudroiés ou engellés ou heu
faulte de roisin.
Ceulx de Mets vers l’empereur. — Item, a mandement de l’ampereur,
le samedi après l’Ansencion, s’en allirent ceulx de Mets, à belle compaignie et bien conduit, chescun vestus de blanc et de noir, devers le dit
empereurs, en Flandre, affin de luy ayder à ravoir son filz, le Roy des
Romains, qui estoit détenus à Bruges, comme cy devant est dit.
Le malvaix et diverse tamps ce continuoit tousjours de pir en pis ;
et tellemant que les vignes qui estoient eschappée de la gellée devant
dictes ne cressoient point pour lez grant froidure que journellement yl
faisoit. Et, avec ce, on n’avoit encor au premier jour de jung veu quelque
fleur en vigne ; ne pareillement à ce jour l’on n’avoit encor ne fresse ne
serise.

1. Ahaner désigne ici tout le travail des semailles.
2. Aubrion emploie ici masouuaiges, français masuage, qui désigne l’ensemble des
légumes (voyez dans le Dictionnaire de Zéliqzon l’article mèstvéje). Il est invraisem­
blable que Philippe ait commis une erreur sur un terme aussi banal ; il faut sans doute
lire ici marsure, avec le sens de : « toutes choses qui se sèment en mars ». Les diction­
naires ne connaissent que marsage avec cette signification .

1488. — LE JEU DE SAINT LAURENT JOUÉ A METZ

131

Le Roi des Romains délivrés.— Item, en celle année, le samedi vigille
de la Pantecouste, vinrent sertaines nouvelle en Mets que le Roy des
Romains estoit délivrés de la mains des dit de Bruges. Pour laquelle
chose fut ordonnés en Mets par Justice de au lundemains, jour de la
Pantecouste, sonner les cloches par toutes les paroiche de Mets, et
aussy par touttes les églises collégialles, avec touttes les abbaye. Et fut
ce jour celle sonnerie depuis les XII heures au midi jusques à deux
heures après ; et acomansait Mutte la premier à sonner. Aussy fut ordon­
nés que, à ce meisme jour de Panthecouste, au VII heures après midi,
l’on ferait feu de joie en plusieurs lieu par les carrefours de la cité ; entre
lesquelles feu furent faictes deux grande bulles, c’est assavoir l’une
devant la Grand Église d’icelle cité, et l’aultre on Champs Paissaille.
Et alors estoient les ménestrés, clarons et cornet sur le clocher de Mutte,
faisant grant joie et grant triumphe ; et tout pour la joie de la déli­
vrance du très serains prince le dit Roy des Romains ; et les faisoit
moult biaulx oyr. En plusieurs aultres lieu parmi la ville ce faisoient
bancquet, dance et quarollez ; et tenoit on tauble ronde à tout venant
pour sollainiser la dicte feste.
La vie sainct Lorans par personaiges. —- Item, ez feste ensuiant, l’on
fist en Mets et fut juez le jeux du glorieux sainct Laurant, le martir,
En Chambre. Et devoit on encor juer les jour après ; mais le tamps se
rampirait tousjour, et se mist sy trefïort à la pluie et sy longuement que
l’on ne pouoit aller ny à piedz ny à chevaulx.
Sorcière brûllée. — Par quoy, voiant le tamps ainssy mal dispousés,
l’on acomansait à murmurer sur les sorcier. Et, de fait, en furent tantost après plusieurs des prinse ; entre lesquelles la premier fut à Rouserieulle,qui fut arse et brûllée. Item, tantost après, fut prins ung homme
à la ville de Vantoul pour sorcier ; et fut amenez à Mets en l’ostel de la
ville ; et y morut. Paireillement, en se meisme tamps furent à Mairange
trois femme prinse pour sorciers ; et furent touttes trois brûllée ensamble, le XVIIe jour de jung. Aussy en ce meisme tamps, en furent trois
des prinse à Maisier ; desquelles en furent deux des brûllée le jour de
la sainct Éloy. Et paireillement, à Chaistel Sainct Germains, en furent
en ce tamps trois femme brûllée pour tel euvre. En ce meisme tamps,
en furent à Mets VI des prinse, desquelles en y avoit deux des comdampnée à estre arse et brûllée ; maix l’une morut on Pallas en prison. Pai­
reillement, à Salney, en y oit une, pour tel cas, qui fut arse et brûllée.
Item, le XIIe jour de juillet, en furent encor à Mets deux des brûllée.
Et, le XIXe jour dudit moix, pour tel mefïait, en furent encor à Mets
trois aultres des brûllées. Paireillement, à Pierviller, fut prins ung homme
pour sorcier ; cy congneust son cas, et fut brûllés. Et, à Thionville, en
furent en ce meisme tamps deux homme prins et brûllés. Item, après fut
encor prinse à Mets une aultre sorciers, nommée la Guriatte, qui fut
arse et brûllée. Aussy en fut une des prinse à Vappey, et une à Jeuxey ;
lesquelles furent touttes, pour celle année, airse et brûllées.
Item, en celle année, le vandredi XIIe jour de jung, l’on fist pour ces

132

1488.

— BRIGANDAGES DANS LA RÉGION DE METZ

chose et plusieurs aultres une porcession généralle à Sainct Éloy aux
Champs, se que jamaix homme vivant n’avoit veu faire.
Grant oraiges. — Toutefïois, ainssy comme il plaisoit à Dieu, le malvaix tamps continuoit tousjours ; et ne sceut avoir fait deux jours de
biaulx temps que incontinant ne fist orraige. Et en cheut tant pour
ung jour, souverainement à Corney, à Nouviant et là autour, que tout
fut perdus et gaistés. Et, incontinant après ce tamps, il faisoit froit à
cause des horraiges. Et tellement que, le jour de la sainct Siste, l’on
n’eust sceu trouver en vigne ne en chambrey aulcune esparance 1 de
roisin meur, ne de taillés 2 ; par quoy les vin furent fort remontez et
renchéris.
Cheny en Ardenne prinse par le duc de Lorenne. — Item, en ce tamps,
le XIIIe jour de juillet, René, duc de Loherainne, fist chairgier plusieurs
piesse d’artillerie ; et, avec ce, il fist grant assemblée des gens de ces
deux duchiez de Bar et de Loherainne. Et, avec celle compaignie, s’en
alla mettre le sciège devant Cheny sur l’Ardenne, laquelle place ung
appellé Robert le Diable tenoit. Car celluy Robert avoit corru sur lez
gens dudit seigneur de Loherainne, et, avec ce, en avoit tuez et prins.
Et estoit cellui de guerre à tout le monde, car il courroit sur plusieurs
à tort et sans cause. Toutefïois, quant le dit Robert sentit venir le
siège devant celle place, il s’en foyt, et abandonnait la dicte place ;
et alors les gens dudit de Loherainne prindrent la dicte place et la firent
toutte abbaitre à fleur de terre.
Plussieurs prisonniés de Mets prins. — Item, aussy en celluy tamps,
le thier jour d’aoust, furent prins et détenus et menés à Falquestaines
mon seigneur le grant viccaire de Mets, Fransquin le chaudronnier,
Jehan d’Ano le josne, et plusieurs aultres des manans de la cité.
Tantost après, le XXVIIe jour de septembre, vint et arrivait à Mets
le conte de Sallewanne 3 pour ce faire médiciner. Auquelle la cité fist
présant d’une cawe de vin, qui coustait environ XV ou XVI frant.
Item, en ce tamps, au moix d’octobre, courrust on ban de Bazaille
le frère la Hurte, qui estoit ung gentilz homme allemans ; et y fist un
grant dompmaige.
Petit bruwaige. — Or avint en ce tampts que, pour ce que les vins
estoient chiers, l’on faisoit en plusieurs pouvre ménaige parmi la cité
plussieurs bruvaiges de pomme, de poire, de nèple et de prenaille4,et de
plusieurs aultres meschant viande. De quoy lez plusieurs en estoient
tout mal dispousés et deshaittiés ; et craindoit on que cecy n’engen­
drait mortallitez. Par quoy Justice fist faire ung huchement que nul
n’en fesist plus pour vendre ; et encor, avec ce, que nul ne feist servoize
pour vendre, sinon l’Ospital et les maistre des mollins.

1. Apparence.
2. Taller se disait du raisin qui change de couleur au moment où il commence à
mûrir.

3. Satteverne (Aubrion, p. 204).
4. Prunelles (Zéliqzon, Dictionnaire des patois romans de la Moselle, art. peunèle)

1488.

— INVASION FRANÇAISE EN BRETAGNE

133

Item, en cellui tamps, le XIIIIe jour de novembre, par ung jour de
vandredi, ung riche orfèvre de la cité, nommés Henzellin de Bourgongne, et Jehan Arnex, duquelle je vous ay heu par cy devant parlés 1,
qui avoit heu fait la guerre au chainoigne, et que depuis avoit heu prins
et apousés la femme Grossemaire, qui estoit tant riche, ces deux devent
nommés, à celluy jour, se trouvairent en l’ostel le Grant Guillaume,
derrier Sainct Gorgonne, là où souvant ce repairoient tout les seigneur.
Cy ce prinrent à juer a dés. Et tellemant que entre eulx y oit aulcune
moucion de couroux ; et, par aulcuns malvaix raport qui fut fait par
ung aultres, se ellevairent les couraige des deux partie en fasson telle
que, après plusieurs arguement, le dit Henzellin donnait au dit Jehan
Arnex deux ou trois copt de coustiaulx dedans le ventre. Et, incontinant
qu’il eust ce fait, s’en fuyt à la Grant Église. Et, ledit Jehan cuydant
courre après, le cuer luy faillit ; et fut pourté en une proichaine maison ;
et ne sceut estre sy bien secourus que tantost après il ne morut. De quoy
grant mal en cuidait avenir. Et, jà ce que ledit Henzellin mandait
assez à copt et à tamps à sa femme, nommée la grosse Katherine, qu’elle
wuydait et destournait sertaines layez plaine de riche ainiaulx et aultres
baigue d’or et d’argent, néantmoins, pansant que cella luy deust demourer, elle n’en fist riens ; car elle n’amoit pas le dit Henzellin, qui estoit
son second marit. Par quoy Justice mist la mains aux biens ; et furent
tout scellés, et y furent mise bonne gairde. Et, depuis, furent tous
vandus tous yceulx biens, jusques aux propre chemise de la dicte
Katherine.
L’empereur devent la ville de Gand. — Item, en cellui tamps retournait
le messagier de Mets de devers l’ampereurs, lequelle, acompaigniez de
LX mil combaitans, tenoit alors le sciège devant la ville de Gant.
Auquelles sciège estoient les compaignon envoiez de part la cité, qui
y faisoient très bon debvoir.
Le sciège devent Courtray. — Et, en ce meisme tamps, le Roy des
Romains, son filz, tenoit son sciège devant Courtray ; auquelle y avoit
environ XXX mil hommes.
Disoit en oultre ledit messaigier que Phelippe, monsseigneur de
Ravestain, qui se tenoit à Gan, acompaigniez de XVe chevaulx, avoit
sailly sur le dist sciège, et y avoit heu une grande baitaille.
Grant guerre en Bretaingne. — Item, aussy en cez meisme jours, le
roy Charles de France menoit tousjour grosse guerre en Bretaigne pour
les raisons devant dictes. Par quoy Henry, roy d’Angleterre, VIIe de ce
nom, envoya gros secours audit Bretons, combien qu’il ne devoit pas
cella faire, car ledit Charles, peu devent, luy avoit donnés grant ayde
et secours contre Richaird, roy d’Angleterre ; lequelle fut occis, par
quoy ledit Henry régna et recouvra le royaulme. Toutefîois, après
plusieurs ambassades envoyées, ramena Hanry son armée en son pais.
Arras prinse de Maximilian. — Item, le propre lundemain du retours

1. Jehan Ernest ; voyez p. 98 et n, 1, p. 109.

134

1488, OCTOBRE. — PAIX ENTRE METZ ET LE SIRE DU FÉY

du loy Henry, fut subtillement Arras reprinse de nuit des gens d’armes
de Maximilian, parce que nul ne deffandit la cité : car le capitainne du
lieu, pairaisseus et négligent, c’estoit tellement endormis que luy
meisme estant sus son lit fut prins des annemis. Et pillairent et desrobirent les Allemans toutte la cité. Mais nyantmoins ne furent les cytains
cy maris de leurs biens perdus qu’il recouvrirent de joie de la délivrance
des François 1 ; car sur tout il lez avoient en hayne.
Scandale d ung prebstre.
Item, en celle année, le lundemains de la
feste Dieu, fut grant scandale à Paris d’ung prestre, nommé maistre
Jehan Langlois, lequel, au dit jour, estant à Nostre Damme de Paris,
osta l’ostie sacrée de la mains du prestre, et la gecta par terre et mist le
piedz dessus. Dont il fut prins, et, après longue prison, fut desgradé à
Paris et brûlé au Merchiés au pourciaulx.
Paix du seigneur de Fayl contre ceulx de Mets. — En celle meisme
année, on moix d octobre, fut la paix faictes dez seigneur et gouver­
neur de la cité de Mets et du seigneur du Faiey. Et, en se faisant, le dit
seigneur du Faiey renvoiait à Mets touttes les danrée et merch’andise
qu il avoit heu ostez et rués jeus, apertenant au merchamps de la cité.
Les vin cher.
La vandange de celle année durait jusques près de la
loussaincts ; et y oit poc de vin. Et, avec ce, pour lé diversité du
tamps qu il avoit fait, furent yceulx vin fier, et chier : car, tout ainssy
fier et mal meure, l’on lez vandoit X frant la cawe, qui estoit ung grant
chier temps cellon la monnoie et cellon le vin.
Le XXe jour de décembre, revindrent en Mets les piétons qui avoient
estés envoiez vers l’ampereur.
Item, deux jour après, ung orfèvre de la cité, nommé Herment,
frappait d’une dague le prévost de Sancy. Et, le copt fait, s’en fuyt à
Sainct Saulvour.
^
Les Bretons contre lé Fransois. —— En celle meisme année, que tousjour
duroit la guerre entre le roy et les Bretons, le duc d’Orléans et plusieurs
aultres seigneurs de France c’estoient tirés devers les dit B[r]etons ; et
firent yceulx seigneurs plusieurs destrousses sur les François. Par quoy
le roy, voiant ce, ramforsait son armée; et se fraipirent les ung dessus
les aultre, tellement que lez François ont heu gaigniez la journée ;
à laquelle furent mors plusieurs personne, et y oit de grant personnaige
prisonniet.
Femme pugnie pour avoir donnés malvaix conseil. —- Item, en celle
dicte année, le XXIIe jour de janvier, une femme de la cité de Mets
avoit heu conseilliet à une josne fillette de dérober son maistre et sa
maistresse ; par quoy cette femme fut prinse, et oit les deux oireille
coppée, et, avec ce, fut bannye et forjugée à tousjours maix.
Présent du roy de France aux conte Palatin. — Item, aussy en celle
année, le XIIIe jour de décembre, le roy de France envoya au conte

1. Les habitants furent plus heureux d’être délivrés des Français qu’ils ne furent
désolés de perdre tous leurs biens.

L’ANNÉE

1489

135

Pallatin, en Allemaigne, pour XXV mil escus d’or de vaixelle d’argent.
Et passairent le dit jour parmi Mets.
Femme violée. — Puis, le dernier jours de ce meisme moix de décem­
bre, Henzellin de Bourgongne, duquel je vous ait heu ycy devant
perlés, qui encor en se tamps estoit en franchise en la Grant Église pour
le fait de la mort Jehan Hernex, luy estant encor en ycelle église, fist
venir une josne femme qui estoit bien grosse de vif anffans, avec laquelle
il ost habitacion et ost sa compaignie. Par quoy, la chose venue à
congnoissance, l’on thint la dicte église pour pollué et viollée ; et, de
fait, à celle cause, fut cessée \ et faisoient les chainoigne d’icelle leur
service à la chaipelle Nostre Damme la Ronde. Dont il avint que on
volloit prandre le dit Hanzellin en la dicte église, pour tant qu’il avoit
rompus sa franchise, comme dit est. Mais ledit Hanzellin, par 1 ayde de
Jehan de Landremont, comme on voult dire, et d’aultre ses amis, fut
bien subittement et subtillement vestus et desguisé d’une robbe perse,
très malvaise et toutte dessirée, avec ung malvais mantel dessus ; puis
oit ung grant chapperon en gorge,et ung grant viez chappiaulx dessus,
fornis d’affiche et de cuillerettede bois;et furent ses jambez enveloppée
de viez drappelz ; et, avec ce, à force d’yawe artifficialle, fut son visaige tellement deffiguré qu’il sembloit que se fût ung laidre.Et, en cest
estât apresté, le second jour de janvier, saillit de hors de la dicte église.
Et fut rancontrez en Englemur d’ung des seigneur de la cité, son plus
grant annemis ; auquelle ledit Hanzellin demanda 1 armoigne , et elle
luy fut donnée. Puis vint à la porte Champenoise et saillit hors avec les
povres qui alloient quérir l’armonne à Sainct Arnoult ; et, de là, s en
allit à Nancy. Touttefïois, depuis, il retourna en Mets, et oit sa paix,
comme cy après il serait dit.
Maix de lui et de toutte aultres chose je vous lairés le perler jusques
en l’an après. Et, premier, vous serait dit qui en ce tamps fut maistre
eschevin de Mets.

[l’année 1489 ; GUERRE ENTRE LA VILLE DE METZ ET LE
DUC RENÉ DE LORRAINE].

Mil iiijc iiijxx el ix. — Après ces chose ainssy advenue, et que le
milliair courroit par mil quaitre cent IIIIÏX et IX, qui alors estoit
la L[e] année de l’empire du devant dit Phéderich l’empereur, et de
Maximilien, son filz,en sa quaitriesme année du Royaulme des Romains,
fut maistrez eschevin de la cité de Mets le seigneurs Pier Baudoche,
pour la deusiesme fois.
1. Le service divin y fut interrompu.

136

1489.

— DIVERS SEIGNEURS DÉFIENT LA CITÉ DE METZ

Course faicie par Hann'es Cranlze. — Et, en celle dicte année, le devant
dit Hannès Crance, qui fut filz à la Grant Bairbe, duquelle je vous ay
heu perlés et qui fut tuez en Mets à la journée du duc Nicollas x, celluy
Hannès, lequelle ne queroit que tour et manier de esmouvoir une
guerre encontre la cité de Mets, comme il fit depuis, et essés tost, ce
mist en ambûche sus lez chemin. Et print et ruayt jus Collin Champion,
l’escripvains, citains de Mets, qui retournoit des essiseàSainct Michiel,
avec maistre Guillaume, le médecin. Et furent ransonnés à la somme de
XVIe florin de Rin. Maix, toutefïois, on en thint journée ; et n’en fut
rien paiet.
Défiance de Hannès Crantze. — Et, tantost aprez, ledit Crance, non
comptant de ces chose, preposoit de pis faire : mais il sçavoit bien de qui
il estoit awoué. Et tellement que, le XVIIe jour d’apvril, luy et IX aultres malvaix guerson ont envoiez leur deffiance en la cité. Puis, le
IXe jour de may ensuiant, vinrent courir à Jeuville on Salnoy, apertenant à Sainct Vincent ; et y prinrent quaitre hommes, trois verlet et
LU chevaulx de harnois.
Le conte de Nansou à Mets, et aultre seigneur. — Item, en celle dicte
année, le XIIIIe jour de may, vint et arivait en Mets le conte de Nansowe, lequelle avoit estés deux ans prisonnier en France. Et luy fist la
cité présant de ung bichey d’argent doré, au pris de quaitre XX et
V frans.
Et, le XXVIe jour dudit mois,s’en alloient après le dit conte l’abbé
de Sainct Denis en France et le conte de Rochewart, lesquelles paireillement vinrent à passer par la cité ; car yceulx trois seigneurs s’en alloient
on non du roy de France en embassade devers le Roy des Romains.
Et leur fist la cité présant d’une cawe de vin au pris de XXIIII francs,
et L quairte d’avoine, avec plusieurs carpes, perchez, anguillez et
brennez 12.
Item, le jour de la sainct Jehan Baptiste, lez piétons et adventuriet
de Mets trouvairent deux des hommes de Crance. Desquelles l’ung fut
tuez dessus la place, et l’aultre fut amené à Mets, et incontinant pandus.
Défiance par Arnoult de Fénestrange. — Et, tantost après, Arnoult de
Fénestrange, acompaigniez de XX Allemans, ont envoyez leur deffiance
à la cité ; et ne sçavoit on pourquoy.
Item, en celluy tamps, c’est assavoir on moix d’aoust aprez ensuiant,
je, Philippe dessus dit, escripvains et facteur de ses présente cronicque,
moy estant en la cité de Neaples, en laquelles je avoie demouré trois ans
et demi, désirait et me print voulluntez de m’en retourner au lieu de ma
nassion, et plus pour l’amour du dueil que mon perre en prenoit que
pour aultre chose, comme j’en estoie bien avertis. Car je estoie très bien
loigiez, et en lieu là où l’on me veoit voulluntier. Toutefïois, pour les
raison devent dicte, je prepousa à me pertir du lieu et m’en venir.

1. P. 4, p. 113 et note, p. 115 et n. 5.
2. Corriger : brèmes (Aubrion, p. 212).

1489.

— GUERRE ENTRE LORRAINE ET METZ

137

Or y avoit il en ce tampts ung seigneur en la cité de Neaple lequelle
serchoit des compaignon de tout coustez pour ayder à mener plusieurs
biaulx chevaulx de Puille a roy Charles en France. Car ledit Charles,
ung peu devant, avoit heu envoiez par sertains héraulx plusieurs grant
chiens de Bretaigne au roy de Neaples. Par quoy le dit Ferrande, roy
de Neaples, luy envoya celluy gentilz homme, nepveu à messire Jacques
Galliot, avec plusieurs aultres ses ambaissaide, pour présenter les dit
chevaulx a roy. Et avec celluy, en la compaignie de plusieurs aultres, je
me mis ; et prins la chairge de deux d’iceulx chevaulx de pris. Car il en y
avoit environ XVII ou XVIII, tout sellez et bridez de selle, de mor, de
brides et de tout aultres garniture, tous différans lez ung des aultres,
sen ce rien resambler. Et avoit chacun d’iceulx corcier son propre
non : l’ung dez miens se appelloit le baye Manchin et l’aultre le baye de
l’Estelle. Après ce que tout fut bien accoustrés, je prins congiez de mon
maistre et de tout les seigneurs à qui j’avoye congnoissance. Et, per ung
jour, bien tairt, environ le vespre, se partit la compaignie de Neaple.
Et allâmes couchier au serains du jour en la cité de Verse. Puis, dellà,
à petitte journée, fîmes tant, en passant plusieurs ville et cité et plu­
sieurs montaigne et vallée, que nous arivâmes en la cité de Rome ;
en laquelle fut la compaignie environ XV jour, pour repouser les
chevaulx. Lesquelles passés, fûmes arrier remis en nostre chemin, en
tirant à Senne et à Florance, et en plusieurs aultre ville et cité, tenant le
chemin des Mons Senis. Lesquelle passés, en fassant petitte journée, ari­
vâmes la vigille de la Tousains à Lion ; puis, de là, en tirant à Bourbon.
Mais de ces chose ne dirés plus pour le présant, ains veult retourner
à mon prepos et à la guerre acomansée.
Paix simulée entre Maximilian et les François. — Or, environ ce
tamps, comme il me semble, fut la paix reconseillée, ou à tout moins
simulée avec ledit Maximilian et lez François. Et fut ce fait en la ville
de Senlis.
Le roi délaisse sa première fe[mme] el prant aultre. — Et, parmy
celluy acord, fut damme Margueritte de Flandres délessée et ranvoiées
à son perre, pour ce que les espousailles ne luy estoient agréables.
Et dès lors fut traictié la paix entre le roy et les Bretons (comme cy
après serait dit, quant tamps serait), par tel condicion que le roy print
Anne, leur duchesse, à femme et espouse. Et fut faictes la feste grande
et solanelle, comme à leur estât apartenoit. Et furent le roy et la royne
plusieurs jours ensamble, esquelles ne fut faictes chose digne de mé­
moire, sinon de faire la bonne chier. Car alors estoit tout le royaulme
en paix. Jusques à ung jour que audit Charles print voullunté de recou­
vrir le royaulme de Neaple, comme cy après il serait dit quant tamps
serait.
Grant guerre commencée entre le duc René et ceulx de Mets. — Mais à
présant j’en lairés le perler, et vous dirés comment, durant ce tamps,
acomensait la grant et mortelle guerre entre le duc René de Bar et de
Loheraine et la cité de Mets. Et, premier, devés entendre comment le dit

138

1489

,

OCTOBRE. •— GUERRE ENTRE LORRAINE ET METZ

René souffroit journellement ses gens à deffier la cité, et courrir sur son
pays, et y faire plusieurs grant et grief dopmaige, lesquelles le dit duc
simulloit et faindoit de n’en rien sçavoir ; et soubstenoit tout en son
pais.
Basompier deffl la cité. — Et, de fait, durant ce tamps, le XXIe jour
de septembre, envoiait le seigneur de Bassonpier à deffier la cité.
Jehan de Saincl Myel deffi la cité. — Puis, deux jour aprez, Jehan de
Sainct Mychiel, qui aultre fois avoit estez au gaiges à Mets (et fut l’ung
d’iceulx devent dit qui avoit heu combatus à oultrance on Champassaille, luy XXVIe), envoiairent deffier la cité.
Item, le dernier jour d’octobre, fut conclus par les Sept de la guerre de
envoier devant le chaistiaulx de Bassonpier. Et à celluy jour y furent
envoiez le seigneur Michiel le Gournaix, seigneur François le Gournaix,
seigneur Jehan Chaversson, seigneur Jehan le Gournaix, et, avec eulx,
environ cenc chevaulx et mil piétons. Mais il retournairent le lundemains, et ne firent riens.
Item, en celle année, par l’espaisse de six sepmaine, il fist ung très
pouvre temps de froidure, de pluie et de grelle, et y oit plusieurs vignes
tempestée. Toutteffois le chault vint le XIIe jour d’aoust ; et fist beau
temps.
Chier temps de vin. — Et acomansont les roisins à taller et à meurir ;
maix il en y avoit très poc, car à paine trouvoit on une cawe de vin en
quaitre journaulx de vigne. Et vandoit on lé vin de l’an devent IIIIXX
et VIII, qui estoient pouvre vin et qui se tournoient et cheoient en
fain ’, à VII et VIII deniers la quairte. Et les bon viez vin se vandoient
à XVIII deniers la quairte, ou XXIIII ou XXV frant la cawe. Et les
nouviaulx de cest présante année, XVIII frant la cawe, ou XII ou
XIIII deniers la quairte.
Défiance d’aulcuns compaignon contre la cité. — Item, le quaitriesme
jour d’octobre, XXXVII compaignonz deffièrent la cité à la faveur
dudit Bassompiere.
Et, le VIIIe jour dudit mois, corrust ledit seigneur de Bassonpier à
Talange. Et print et emmenait pour plus de VIe frans de bestes.
Item, le XVIe jour dudit moix, vindrent arrier courre à Semécourt,
à Laidonchamps, à la Steppe, à Maixier et à Amelange. Et emmenairent
quaitre ou V hommes ; et prindrent plusieurs bestes, tant chevaulx
comme vaiche, chèvres, brebis et moutons.
Course de ceulx de Mets. — Toutteffois, plusieurs des seigneurs et
souldoieurs, avec les gens de piedz, les poursuyrent de sy près qu’il
racovrent les prisonniers et touttes les bestes qu’il emmenoient. Et
furent jusques tout devant Bassompierre.
Puis, tantost après, c’est assavoir le XXIe jour du meisme moix,
XV piettons de Mets s’en allèrent jusques à Merville, au dellà de Briey,
Et prindrent quaitre des gens dudit Bassonpier montez et armés.

t. Us tournaient et tombaient en pourriture.

-1489, OCTOBRE. — GUERRE ENTRE LORRAINE ET METZ

139

Et, ledit jour meisme, VIII soldoieurs de la cité amenairent trois des
gens dudit seigneur de Bassompières, lesquelles il furent quérir jusques
Porchiez.
Puis, le meysme jours, fut prins le petit Gauthier, natif de Mets, qui
estoit guyde audit Bassompier. Et fut assez bien besoingniez pour ung
jour.
Item, le lundemains, ceulx de Semécourt prindrent ung desdit
annemis et l’amenairent en Mets tenir prison.
Le duc René fait clorre les chemin. — Et, dès incontinant, ledit René,
duc de Loherainne, fist cloire tous les chemins de son païs : c’est assavoir
il fist defl'endre que rien ne fût amenés en Mets.
Item, le XXIIIe jour de ce meisme moix d’octobre, aulcuns de ceulx
de la ville d’Airz et de Vaulx s’en allirent courre jusques Ville sur Yron.
Et tuayrent deux des annemis, et en amenairent ung à Mets.
Et, à ce jour meisme, tout a mattin, fut encor amenés à Mets ung des
gens de Hannès Crance.
Puis, au lundemains, qui fut le XXIIIIe jour d’octobre, furent aul­
cuns compaignon de Mets qui s’en allirent au dellà de Cierck. Et ont
ramenés deux des hommes dez gens dudit Hannès Crance.
Course faicte par l’ennemys. — Par quoy ledit Hannès, voyant que
l’on luy prenoit ses hommes, se despita. Et tellement que, le XXIXe jour
d’octobre, coriust le devant dit Crance à Badrecourt. Et brûllait les
deux mollins, et tuait les deux muniers, et ardirent XXV que grange
que maison, plaine de bief et d’avoinne.
Et, pour cez chose ainssy mal faicte et en son despit \ tantost après,
le dernier jour dudit moix d’octobre, furent pendus a gibet de Mets
trois compaignons d’iceulx lairons, l’ung apertenant audit Crance,
l’aultre au seigneur de Bassompier, et le thier à Arnoult de Fenestrange.
Nopces triumphan[tes] pour simple chevalier. — En celle année, le
IXe jour de ce meisme moix d’octobre, avoit heu apousés le sire Nicolle
de Heu Katherine, fille seigneur Pier le Gournaix qui fut, qu’il oit de
damme Katherine Chaversson, sa femme, que depuis fut femme a
seigneur Nicolle Dex, chevalier. Et à ycelle nopce y oit grant feste, et
bien environ deux mil personnes. Et furent les seigneurs et gens d Esglise en l’ostel seigneur Pier Baudoiche devant l’Ospital ; les dammes,
les bourgeois, marchamps et marchandes en l’ostel dudit seigneur
Nicolle de Heu ; les gens de mestier en l’ostel le seigneur Anthonne de
Por sur Saille, qui est tout devant la maison du dit seigneur Nicolle
de Heu ; et les gens de villaige, qui estoient environ mil personne, en
l’ostel Berthemin le Cusinier, dairier Sainct Suplise. Et, avec ceulx
devent nommés, y oit bien XIIe pouvres, ausqueulx fut donné à chacun
une choppine de vin, qui vailloit IX deniers la quairte, avec une grosse
miche et une pièce de chair. Et y oit environ XXXIIII ou XXXVI
tant menétrez comme tambourrins, jueulx de harpes et de rebech,

1. Pour bien montrer qu’on ne tenait nul compte de ces représailles.

140

1489,

NOVEMBRE. — PHILIPPE RENTRE A METZ

jueulx de challemiaulx de chièvre et de leyeu 1, de simphonie et de
violle et de plusieurs aultrez instrument.
Deffiance contre la cité. — Item, le thier jour de novembre, XXI compaignon de guerre ont heu deffier la cité à la faveur de Bassompier.
Et, ledit jour, courrust le bastard de Tantonville, auquelle la cité
n’avoit rien affaire. Et print IXXX porcz à Morville delés Chamenat.
Puis, le VIIe jour après, courrust encor ledit bastard à Sainct Jure.
Et y print XVI chevaulx.
Remonstrance des seigneur aux habitans. — Item, en la dicte année,
les seigneurs et gouvergneurs de la chose publicque de la cité, voyant la
malvistiez d’yceulx lairons, ont mandés en conseille tous les citains et
manans et aultres gens de tous estatz de leur dicte cité. Et, quant il
furent devant eulx, il leur fut dit et prepousés par la bouche de l’ung
d’iceulx seigneurs ; et dit ainssy : « Nous amis, vous veez comment nous
sommes gouvernés et menés de plusieurs à qui nous n’avons que faire,
et comment tous les jours nous sourviennent nouviaulx annemis sur
annemis. Et veez aussi comment René, à présant duc de Loherainne, les
soustient, et ne veult point que nous les serchons par ces pays la mains
armée, mais, encor plus fort, les soubthient et deffant de tant qu’il
peult ; et, avec ce, ait fait deffendre par tous ces pays que nul n’amoinne
rien en Mets ; qui sont chose à entendre qu’il ait une maulvaise voluntez
sur nous. Laquelle chose nous ne voulons plus souffrir. Par quoy nous
sommes délibérez et avons déterminés de luy faire bonne guerre. Pour
tant vous avons mandez, grans et petis, affin que vous vueulliez sur ses
chose avoir resgaird, et dire sy vous estes délibérés de vivre et morir
avec nous, et de exposer vous corps et vous bien à la deffence et résis­
tance des franchise de la cité, et d’estre tous bons et leaulx ». Respondirent tretous que oy. Et, après ce dit, on leur fist faire serment ; et
chacun le fist de bon couraige, sans contredire.
En celle année, le XIIIe, le XVe et le XVIe jour de novembre, il pleut
tant et sy fort que les yawes furent aussy grande qu’ellez furent passez
XXX ans.
Item, en celle devant dicte année, deux jours devant la sainct Andrieu,
c’est assavoir le XXVIIIe jour de novembre, je, Philippe devant dit,
facteur et escripvains de ses présante cronicque, vins et ariva à Mets.
Mais ne fut pas sans grant dangier d’estre prins et arestés ; car en plus
de X lieux, depuis Langre jusques à Mets, je fus détenus et examinés :
souverainement a partir 2 de Sainct Nicollas, à la porte de Nancy,
au passer la ripvier entre Frouart et l’Avengairde (laquelle je passay
avec le bastard de Callaibre), puis au Pont au Mousson et en plusieurs
aultre lieu. Maix, la Dieu mercy, je eschappas de tous. Et faisoie acroire

1. Luth (ancien français Veut).
2. Au partir de, au sortir de.

1489, DÉCEMBRE. — GUERRE ENTRE LORRAINE ET METZ

141

que j’estoie de Genèvre en Sçavoye, de laquelle je contrefaisoie le
langaige, disant que je m’en alloîe à Saincte Barbe.
Affluence d’yaw[e]. — Aussy, en celluy voiaige, oit grant paine à
passer pour les yawe. Car, par toutte la Lumbardie et Savoye, et aussy
depuis Lion jusques à Mets, tout ruysiaulx estoient petitte ripvier, et
estoient touttes aultres ripvier hors de leur canal et ripvaige. Toutefîois,
comme j’ay dit, moienant la graice de Dieu, je ariva se jour à Mets.
Et fus le très bien venus de mon perre et de tous mes amis. Et, assés
tost après, je fus mis à demorer chiés Dediet Bâillât le merchamps,
cytains de Mets ; et là dedans, avec aulcuns Hainnouyer et Flamans,
y aprins le mestier de chaussetier 1.
Journée tenue en vain. — Or, revenons à perler de la guerre. Assés
tost après, c’est assavoir le VIIIe jour de décembre, fut prinse une
journée à Nancy devant le duc René pour le différant devent dit en
l’encontre des parties des deffiés, c’est assavoir Hannès Crance, Bassompier et Arnoult de Fenestrange. Et furent à la journée, pour ceulx de
Mets, seigneurs Michiel le Gournaix, Régnault le Gournaix, seigneur
Wairin Roucel, seigneur Gonrard de Serier, et, avec eulx, seigneur
Gonrard Baier et Jehan Dex, tous deux secrétaires de la cité, avec Mertin, clerc des Sept de la guerre, et plusieurs soldoieurs et verlet d’hostel.
Et ne fut rien besoingniez.
Le lendemains, fut prins ung des annemis auprès de Thionville.
Et, le dit jour meisme, ung braconnier du païs de Barrois avoit
apourté de la venoison pour vendre devant le Grant Moustiet de Mets;
et il luy fut comandé qu’il l’en repourtaît dont elle venoit, ou aultre
part ; et ne la vendit point.
Item, aulcuns piettons de Mets s’en allirent bien avant en la Leefî 2.
Et, là, ont heu tués des gens Arnoult de Fenestrange ; et, pour enseigne,
ont rapourtés leurs oreille.
Ceulx de Pergnei rechassés. — Item, le XXIe jour de décembre, pour
tant que ceulx de Preney tendoient sur le chemin de Gorse sur ceulx
d’Airs et d’Ancey qui achetoient bledz à la dicte Gorse pour apourter
en leur maison, et que souvant les destroussoient, ad cause des deffance
que mon seigneur de Loherainne avoit heu fait sur lez vivre par ces
païs, comme dit est devant, et3 à celle occasion, les souldoieurs furent
envoiez pour aydier les dit d’Airs et d’Ancy. Et s’en allèrent les dit
soldoieurs embûchier sur la montaigne au dessus d’Ancy. Et, quant les
bonne gens d’Airs et d’Ancy revenoient du merchiez avec leur bledz sur
leur col, les dit de Preney, au nombre de environ VIIXX, leur vindrent
courre sus pour les destourner 4 le chemins et les destrousser. Maix il
trouvairent bien à qui perler ; car les soldoieurs estoient environ cenc

1. Ce dernier membre de phrase, gratté par quelque noble descendant de Philippe,
reste encore lisible.
2. L’Eifel.
3. Et doit se traduire par « alors », « dans ces conditions ».
4. Pour leur barrer le chemin .

142 1490 N. ST., JANVIER. — GUERRE ENTRE LORRAINE ET METZ

chevaulx, avec les dit d’Airs et d’Ancy, qui estoient plus de IIIIXX pié­
tons, très bien embastonnés, avec collevrines, arbellestre, hellebarde et
aultre bastons defïendables, que tous frappèrent sur les dit de Pergney.
Lesquelles tantost se mirent à la fuytes, en juant de l’espée à deux
piedz, et ceulx de chevaulx n’oirent milleur armeure que la pointe de
leur esperon. Toutefîoîs les dit de Mets en ont heu tuez quaitre hommes
desdit de Pergney ; et deux en furent navrés à mort. Entre lesquellez,
de ceulx qui furent tuez, y oit ung jonne gentilz homme à marier
lequelle estoit le droit mignon de la duchesse ; de quoy elle fut mer­
veilleusement couroussée et marie, et aussy fut le duc.
Vaillance d’ung seigneur de Mets. — Item, le second jour de janvier,
seigneur Françoys le Gournaix, avec luy cenc chevaulx et quaitre cenc
compaignon de piedz, s’en vinrent à Moineville et à Vallerat pour
defïandre et amener les bledz, que le seigneur de Bassompier vouloit
venir chergier, qui appartenoient au dit seigneur François. Car le dit
seigneur François estoit advertis de leur venue. Et, quant il vindrent
au lieu, ilz trouvairent les sacques dudit Bassompier qui estoient là
pour chargier. Et le dit seigneur François fit chergier ez propres sacques
du dit de Bassompier ses bledz ; et en amenait à ce voyaige XX que
chers que charettes, touttez chergiéez, à Mets. Donc ce fut bien besoingniez à luy.
Ceulx de Lorainne sont deffiés. — Item, quant on vit que le duc René
de Loheraine soubtenoit tousjours nous annemis, et qu’il faindoît de ne
s’en point meller, l’on luy fist de tel pains souppes. Et fut trouvés ung
gentil hommes allemans, appellé Cappelaire, lequelle, je ne sçay à quelle
occasion, défilait le duc de Loherainne. Et amenait avec luy environ
cenc et L compaignon allemans.
Plussieur biens robes et pillés. — Et tantost, le XXXe jour de janvier,
deux jours après ce qu’il fut venus, s’en allirent courre à Howaville ',
à Baitellei et à Sainct Aille. Et prindrent touttes les bestes des trois
villaiges, et grand multitude d’aultres biens. Et furent amenez buttinez
au prey de Sainct Soibert devent Mets, qui est terre de Loherainne, et ez
bourgz de Sainct Arnoult. Et y oit on cy grant merchiez de bestez que je
y vis donner une chièvre pour trois maille.
Item, le dit jour, plusieurs compaignons de Vaulx s’en allirent à
Paigney dessoubz Pregney ; et vinrent là où il sçavoie a qu’il y avoit
deux compaignons d’iceulx lairons qui avoient défilés la cité. Cy rom­
pirent les deux maison, et prindrent lez chers et les chevaulx de l’ung ;
et ont chargiés ez deux maisons tout ce qu’il polrent trouver de bon ;
et, entre les aultres baigues, ont chairgiez XL corses de baccons 2.
*1

a. Philippe avait écrit isçavoie ; il a ensuite ajouté il.
1. Habonville, village proche de Batilly.
2. On dit encore aujourd’hui en patois : couhhe d’bacon, bande de lard (Zéliqzon,
Dictionnaire des patois romans de la Moselle, article couhhe).

1490 N. ST., FÉVRIER. — COURSE DES MESSINS A NOMENY

143

Et, se jour meysme, fut pendus a gibet de Mets ung des hommes de
Bassompierre.
Item, aussy le dit jour, furent buttinée devant le Grand Moustiet
V charette de sel qui furent ostée aux annemis.
Puis, tantost au lundemains, le premier jour de febvrier, Cappellaire
et ses gens corrurent sus la ripvier de Niez en plusieurs villaiges. Et y
prinrent grant bestes et aultres meubles ; et furent vandus et buttinés
à Grimont.
Item, le Ve jour de febvrier, le devent dit Cappellaire correust à
Sainct Eve et à Gueburchin 1. Et prindrent beaucop de bestes et aultres
biens.
Plussieur course sus le palis de Mets.— Et, le dit jour, le bastard de
Tantonville bouttit le feu à Yegney.
Puis, au lundemains, corrurent les gens de Cappellaire à Ranconval.
Et y prindrent grant bestes, et les vindrent butinez de coste la Grange
au Damme.
Item, le VIIe jour de febvrier, le conte de Salme et plusieurs aultres
vindrent devant Secour, où alors n’y avoit que deux soldoieurs, le
chastellain et Allixandre, le verlet de seigneur Némery, à qui le chaisteaulx aperthenoit. Et, voyant le conte et ses gens, s’en fouyrent et
abandonnairent la place. Par quoy le dit conte print les biens d’icelle et
les fist mener à Nomeny.
En ce meisme jour estoient à Mets ungne embassaude de Strabourg
qui avoient estez à Nancy vers le duc de Loherainne pour le fait d’icelle
guerre, et puis estoient venus à Mets pour volloir faire paix et accord
des difïérans meu entre le dit duc de Loheraine et aultres ses subgectz,
d’une part, et la cité. Lesquelx furent bien esbahis oyant le vray com­
ment on entreprenoit sur la cité, veu que la paix se traictoit. Ce non
obstant, il continuairent tous jours en leurs besongnes. Sur quoy les
seigneurs de la cité leur firent responce sy raisonnable qu’il furent
contans. Et, avec ce, leur fut fait présent de plusieurs piesse de belle
vaixelle d’argent. Et puis sont retournés en Loheraine devers le duc.
Maix il ne firent riens.
Destrousse faicle par les Metsains vers Nomynei. —• Par quoy, voyant
lez seigneurs de la cité le grand oultraige que le dit conte leur avoit
fait, et qu’il avoit encor intencion de pis faire, de quoy il estoient très
mal contens de l’outraige, tantost deux jours après, qui fut le IXe jour
dudit moix de febvrier, il firent leur assamblée de plusieurs compaignons de piedz et de chevaulx, c’est assavoir de VIXX chevaulcheurs et
trois mil piettons. Et avec celle compaignie s’en allèrent en la conduicte
de seigneur Michiel le Gronaix, de seigneur Géraird Perpignant, de
seigneur Jehan Chaverson, de seigneur Régnault le Gournaix, de sei-

1. Aubrion, p. 227. « Item, le Ve jour de febvrier, coururent les gens Capelère à
Saint Evre, et prindrent sur Guberchien, qui se tenoit illec, grant bestes et autres
biens ».

144

1490 N. ST., FÉVRIER. — VICTOIRE DES MESSINS A NOMENY

gneur Jehan Cheving, de seigneur Jehan le Gournaix et du seigneur
Jaicques Dex. Et, avec toucte celle bande, s’en allirent asségier Secour.
Et, quant il furent assez près du lieu, deux gentilz hommes qui estoient
aux gaiges de la cité, tenant garnison à Louvenei, l’ung appellé Bernard
et l’aultre le seigneur de Falquestaine, acompaigniez de XX chevaulx,
s’en allirent monstrer devant Nomeny. Et ceulx qui estoient en gar­
nison dedens la dicte Nomini, c’est assavoir le conte de Salme et plu­
sieurs aultres, saillirent dessus eulx, les cuydant desjà bien avoir.
Et en celle bande estoient partie des plus gentilz compaignons de
Loheraine ; entre lesquelle y estoit le devant dit Hannès Crance, et
plusieurs aultrez gentilz hommes, acompaigniez de grant gens, que à
force de chevaulx s’en vindrent courrir sur aulz dit de Louveni a.
Et il firent semblent de s’en fouyr, et prindrent leur chemins devers
les dit de Mets. Et, quant il approchèrent de l’embûche, on saillit sur
eulx. Et de frapper dedans et ce meller les ung permi les aultres, en tel
manier que les dit de Mets olrent la victoire. Et prindrent le josne conte
de Salme, le biaulx Géraird de Harracourt, George d’Enfer, Le Baille,
Claude d’Enville, escuier tranchant, et le bastard de Berbel h tous bons
gentilz homme ; et les amenairent à Mets. De quoy on fist grant joie.
Et en y oit IX des tuez à la place. Et ledit Crance l’eschappa belle ;
car à peu près 2* ne
1 fut prins et ampoigniez par le collet ; maix à force
de fuyr il se salva. Et, se fait, s’en vindrent devant la place. En laquelle
estoient environ XL compaignons de celle laironnaille, qui bien se
voulloient rendre, saulve leur vie. Et, considérant les seigneur devant
dit de la cité qu’il soufïïsoit assés pour celle fois, s’en sont retournés à
Mets avec leurs prisonniers. Et, en celle escarmouche, en y oit deux de
ceulx de Mets qui furent prins : c’est assavoir ung des verlet seigneur
Françoys et ung des verlet seigneur Conraird, nommé Petit Jehan,
qui depuis j’ay veu moult gentilz compaignon en la court du roy Charles
en France.
Puis, le Xe jour de febvrier, les prisonniers devent dit, qui avoient
estés menés en l’hostel seigneur Maheu le Gournaix, furent ostez de ce
lieu et menés en prison en la maison de la Burlette, on hault de Jeurue,
que maintenant est la maison du doien. Et, pour lez gairder, y furent
chacune sepmaigne par rechainge deux dez bourjois de la cité et deux
soldoieurs.
Maintenant est la guerre acommencée et du tout ouverte entre la
noble cité de Mets et René, duc de Bar et de Loherainne, parce que on
soit et a vray d’iceulx prisonniers que l’entreprinse qu’il avoient heu

a. Courrir sur aulz les dit de Louveni. Philippe avait écrit courrir sur les dit de
Louveni ; il a corrigé aulz et oublié de rayer les. Comprendre : courir sus aux dits de
Louvigny.
1. Aubrion, p. 229: «le jonne conte de Salmes, Giraird de Haracourt, Claude d’Erville, Le Baille, escuier tranchant de la duchesse de Lorenne, George d’Oriocourt et le
bastaird de Barbay».
2. Il s’en fallut de peu qu’il ne fût pris.

1490,

N; ST,,

17

FÉVRIER. — DÉFI DU DUC DE LORRAINE

145

fait et entreprins sur la dicte cité estoit de l’ordonnance du dit duc, leur
seigneur. Par quoy on vit et cogneut on clèrement que rien ne se faisoit
que se ne fût de son commandement, jay ce que jusques ycy il avoit
tousjours dissimulé, faindant de ne s’en point meller ; et couvrait son
volloir. Maix alors fut la vérité cogneue ; et fut trouvés que luy meisme
avoit fait acomanciés celle guerres. Par quoy force estoit audit de Mets
de ce defîendre encontre luy, et de quérir sur luy tous les avantaiges
c’on y pouroit trouver. Et aussy ne s’y faindoient pas les bon hommes
dez villaige du pays de Mets. Car, voyant les chose ainssy aller, se
assambloient par cenc, par deux cenc, ou plus ou moins, et, avec
plusieurs aultres qui estoient au gaige de la cité, journellement faisoient
course et riblerie par le pais de Loherainne et de Bar. Et n’y avoit
de journée que en deux ou en trois lieux il ne fussent assaillis ; et y
faisoient les dit de Mets grant désaroy ; et leur faisoient de grant dopmaige, tant en biens meubles comme en bestiaulx, en beuf, en vaiche
et en chevaulx, en brebis, en moutons et en plusieurs aultre manier de
bestes.
Embassade vers ceulx de Mets. — Item, durant ce tamps, le XIIe jour
de febvrier, vint et arivait à Mets le seigneur Jehan Bayer, chevalier
et bailly de l’éveschié de Metz, par l’ordonnance et on non de seigneur
Henry de Loheraine, évesque de Mets, lequel estoit oncle au devant dit
duc René. Maix la cité n’y volt point entendre.
Ordonnance des seigneur de Mets. — En celluy tamps, qui estoit le
gray tamps, auquel tous les ans on font en Mets plusieurs desguiserie,
farse et aultres joyeuseté, fut commendés et deffandus que nul ne se
mist en abbit dessimullé, ne n’allait par la cité après la cloche.
Aussy, en ce meisme tamps, furent cessés tous plais et procès par
messeigneurs les Trèses et le Conseil, jusques à la guerre fînées.
Entreprinse de ceulx de Lorenne, de peu de vallu[e]. — Item, en ces
meisme jours, le XVI dudit moix de febvrier, le duc et la duchesse, eulx
estant au Pont au Mousson, acompaigniés de environ quaitre cenc
chevaulx et quaitre mil piétons, pansoient faire audit de Mets une
venue. Et, pour et afïin de les tirer au champs, s’en vindrent se embûcher en plusieurs lieux entre lez deux ripvier devers Awegney. Et, ce
fait, ont envoiez aulcuns avant courreurs de leur gens jusquez à Saint
Privés, pensant que lesdit de Mets deussent saillir dehors, pour les
tirer aux champs. Maix l’on se aparceust de leur malice ; par quoy on
n’y fut point. Et, quant il virent que nul ne venoit, ilz s’en retournairent
au Pont. Et, à leur despairt, ont heu prins environ XX prisonnier,
pouvres gens de villaige, avec environ cenc vaiches et LX chevaulx
de harnaix.
Défiance du duc de Lorenne contre ceulx de Mets. — Puis, tantost
a lundemains, qui fut le XVIIe jour dudit moix de febvrier, vint à
Mets le hérault d’armes du dit duc de Loherainne, vestu moult noble­
ment de la cotte d’armes appertenant à son office. Lequelle hérault,
on non de son seigneur, appourtait les deffiances. Et, après ce que
seigneur Andrieu de Rineck, chevalier, on non de la cité, oit dit audit,
\

146

1490 N.

ST., FÉVRIER. — PRISE D’ANCY PAR LES LORRAINS

hérault ce qu’il avoit en cherge de luy dire, il luy donnait VI florin de
Mets, en la présance de plusieurs parsonnes.
Et, incontinant après ce que celluy hérault s’en fut retournés, et
pour le meisme jour, le duc, avec toutte sa puissance, s’en alla assiégier
le moustier de la ville d’Ancy, qui en ce tamps estoit fort à merveille ;
et ont bouttés le feu en plusieurs maisons.
Item, en se tamps avoient les dit de Mets plusieurs commis pour lever
gens à piedz et à chevaulx par tout les pais d’Allemaigne, de Flandre,
de Picardie, de Hénault et de Brabant, et de plusieurs aultre pays,
pour estre a gaige de la cité.
Détrousse faicte par ceulx de Lorainne. ■— Entre lesquelles fut envoiez
ung merveilleux grant hommes allemans, que de loing tamps estoit
à Mets ; et estoit plus hault d’ung demi piedz que homme qui fût en la
cité. Cellui grant Allemans amenoit en l’ayde desdit de Mets trois
conte, acompaignié de cenc chevaulx et de quaitre cenc piétons. Et
estoient la pluspart des gens a duc de Zasse. Alors les Loherains, qui
furent advertis de leur venue, furtivement les vinrent encloire Entre
deux ripvier, dessus Muzelle, au lieu c’on dit le Pont Cabaillo. Et là,
en ce lieu, furent villainement tués et murtris ; et c’en noyait une
partie en la ripvier. Et de tous n’en y oit que XL des salves qui eschaipairent.
Aussy, en ce meisme tamps, les piétons de Mets s’en allèrent courre
on ban de Viviers. Et en ramenairent environ VII cenc bestes, tant
chevaulx comme mouton, vaiche et brebis, et plusieurs aultres biens.
Et, avec ce, y ont heu prins ung bon prisonnier, lequelle payait bien ses
despans.
Ordonnance en Mets d! estre sur sa garde. — Item, en ses meisme jours,
fut comandé à ung chacun magnant de Mets de, la nuyt, mettre une
lanterne avec playne quewe d’yaue à l’uys, et force pier aux fenestres.
Et fut on en ces jours visiter par les hostel pour veoir quelle puissance
on avoit en Mets de bledz, de vin, de chaire saillée, de bois, de foins et
d’avoinne.
Item, en celluy tamps, les Loherains, eulx estent devant le moustiet
d’Ancey, ardirent les moayez 1 et les passelz 2 des vigne. Et tousjours
tiraient incessamment et à grant puissance de grosse bombardes contre
ledit moustier. Et les oyoit on dès la cité très clèrement : car moy,
estant alors sur la porte du pont Thiefïroy, veoie lever la fumier quant
on bouttoit le feu ; et du cop en retombissoit3 toutte la terre, et sambloit que on fût tout près. Dedans celluy moustier y estoient environ
VIIXX hommes et leurs femmes et enfïans, lesquelles se deffendoient
comme vaillans champions, en attandans se cous ; lequelle, las !, vint
tropt tairt pour eulx. Et néantmoins ne laichoient point de tousjours

1. Moiée, tas d’échalas.
2. Paissel, éohalas .
3. Retombir, retentir.

1490 N. ST., FÉVRIER. — TRÊVE REFUSÉE AU DUC DE LORRAINE

147

tirer contre les dit Loherains ; et, de fait, en ont plusieurs tués et navrés.
Ce non obstant, lesdit Loherains, dobtans que ceulx de Mets ne leur
deussent donner ayde, les hastirent sy très fort qu’il leur fut possible.
Et prinrent quewe et tonniaulx, et à force les mirent dedens les fossés
dudit moustier ; sur lesquelles il firent ung pont, et mirent leur gens en
adventure en donnant ung assault qui durait trois heures et plus.
Dont à celluy essault y oit plusieurs d’iceulx Loherains tuez, qui furent
nombrés à cenc et L hommes ; entre lesquelx y furent mors VI des plus
grant de Loheraine.
Ancei et Ays prinse par les Lorains, et grant nombre des tués. —
Néantmoins il entrant dedens, et prindrent ledit mostier. Et mirent la
plus part de tous les hommes à l’espée ; et n’en eschaippait sinon deux,
que l’abbé de Gorse demanda pour luy ; et environ XXXVI furent mis
à ransson. Entre lesquelles y avoit ung gentilz ruste, nommés le Mal
Perrin, lequelles, pour ce qu’il avoit cy fort deffandus, et avoit estez
celluy qui mieulx avoit fait son devoir, le duc le fist pandre et estrangler
à ung arbre en la place là où ce fait la feste. Et, ce fait, donnairent
congiez aux femmes et aux enffans, et les ont boutés dehors.
Puis, ce fait, ceulx de la ville d’Airs sur Mezelle, lesquelle par avant
avoyent eu volloir de tenir leur moustier, veant comment ceulx d’Ancy
avoyent estés gouvernés, bouttèrent le feu audit leur moustier et
l’abandonnèrent. Et s’en vindrent à relïuge à Mets ; car en milleur
lieu il ne sc’eussent sceu mettre. Et, de ceulx d’Ancey, en furent mis
IIIIXX en une fosse, et fut la ville touttes brûllées.
Le duc de Lorenne demende trêves, que luy furent refusée. —- Item, après
ces chose ainsy faictes et acomplie, le duc de Loheraine, voyant que
ses nobles avoyent ainsy estés tuez et prins, tant devant Nommeny
comme devant Ancey, et aussy qu’il fut informés que grant compaignie
de gens de guerre, tant à chevaulx comme à piedz, venoyent en l’ayde
de ceulx de Mets, fist demander trêve audit de Mets. Et en fut l’embassade ung chevalier ytalliens, appellés seigneur Jennon de Molise
(duquelle ycy après en aultre lieu serait plusieurs fois perlés, car luy
et Jehan de Landremont cuydairent trayr la cité). Et, pour ce que la
cité estoit encor mal garnie de gens d’armes, les seigneurs et gouverneurs
d’icelle furent contens d’y entendre. Et, pour ce fait, en furent par
essurement envoyés aulcuns d’eulx à Pont à Mousson (c’est assavoir
seigneur Renault le Gournaix, chevalier, et seigneur Conraird de Serrier)
pour parler au duc René. Et les vint proprement quérir le hérault du dit
duc René. Et, quant yceulx seigneurs entendirent que le duc volloit
avoir trêves pour quaitre moix, il s’en retournairènt à Mets, et n en
voullurent rien faire 1. Et, en despit de ce 2, il monta à chevaulx, et

1. Et les seigneurs de Metz n’en voulurent rien faire.
2. Par dépit de ce refus.

148

1490

N. ST., FÉVRIER. — FAULQUEMONT PRIS PAR CEUX DE METZ

jura le duc que au lendemain il feroit mettre le sciège devant le chastel
de Mollin.
Le peuple de Mets réconfortés des seigneur. — Item, pour ce que le
puple de la cité de Mets estoient fort esbahis et mal comptans de la
perde du moustier d’Ancy (car ilz doubtoient la conséquance des aultres
places) et en murmuraient, disant qu’il avoient estes mal secourus, alors
le seigneur Andrieu de Rineck, chevalier, lequelle avoit oy tous ces
prepos, se leva et dist devant tout le puple qui estoit devant la Grant
Église de Mets et que oyr le voult : « Mes amis », dit il, « ne vous esbahissés point. Pour Dieu, réconfortés vous et prenés bon couraige en
vous. Car, se nous avons perdus le moustier d’Ancy, je vous essure
qu’il nous en desplaît ; maix c’est ung cas de fortune et usance de
guerre ; et n’y vault rien le desconfort, car on n’y peult remédier. Nous
avons messeigneurs fais visiter les provisions que sont en la cité, et
trouvons que nous avons assés bledz, vins, foingz, avoinnes, sel et bois
pour V ans tout enthier. Et avons or et argent assez pour avoir gens
d’armes. Et soyez seur et certains que nous avérons tant de gens, et
brief, que nous metterons le duc de Loherainne et tous ses subgectz en
tel point qu’il maldiront l’heure qu’il prinrent oncques débat ne guerre
contre la cité ». Et, quant il oit ce dit, il se teust ; et fut alors le puple
tout réconfortés.
Ordonnances des seigneur à leurs subject. ■— Puis, tantost après, c’est
assavoir le XXIIIIe jour de febvrier, on fist commandement que tous
ceulx qui avoient ceuve 1 ou tonniaulx on Vaulx ou aultre part près de
Mets, que on lez deffonsa et ruait en douwe, afïîn qu’il ne s’en puissent
aidier à faire billewart ne aultres defïences que fût à leur adventaige.
Item, le lundemains, fut ordonnés et institués en Mets que chacun
hommes pourtait une bande blanche et noir, qui sont les droicte armes
de la cité, affin de les congnoistre.
Faulquemonl prinse par ceulx de Mets. — En ce meisme tamps,
y oit aulcuns piétons de la cité qui furent devant Faulquemont. Et
prindrent le moustier et les biens de dedans, autent qu’il en polrent
rapourter, et, avec ce, bien cenc chevaulx, qu’il ont amenés à Mets.
Jehan de Vy aux gaige de Mds. — Item, en ce meisme temps, Jehan
de Vy, cappitaines bourguignon, qui pour lors sç’avoit de nouviaulx
mariez à Mets, estoit on païs de Liège. Sy fut mandés pour servir la cité.
Lequel y vint incontinent, et se apointait de servir à quaitre cenc
chevaulx, en telle manier qu’il avoit pour chacun homme tous les mois
VI livrez ; et debvoit avoir les prisonniers ; par tel que luy et ses gens
estoient à leur péril et fortune.
En ces meisme jour, plusieurs piéton de la cité s’en allirent à Noeroy
devent Mets. Et y boutairent le feu ; et y furent à celle fois environ
XV maison airse. Mais ceulx de la ville apointairent audit piétons pour
le demourant pour la somme de VI cenc frans.
î. Cuve.

1490 N. ST., MARS. — AMBASSADES A METZ POUR LA PAIX

149

Petitte alarme. — Puis, tantost au lundemains, XXVIe jour de ce
meisme moix de febvrier, plusieurs chevaulcheur de la partie des
Loherains vinrent courre jusques dessoubz Sainct Martin. Et là y oit
ung hommes d’armes d’iceulx Loherains qui cuidait prandre ou tuer
ung hommes de Joiey, nommé le Roy, lequelle, par sa follie, se avoit
trouvés seullet en se lieu. Mais, toutefïois, il se deffandit vaillanment
encontre celluy homme d’arme, et, avec ung loing espiedz qu’il avoit,
tuay le chevaulx de celluy homme d’armes, et se salva. Et moy, je le vis
retourner avec son espiedz tout dessaingniez et bien fort ployez. Mais
l’écourche-chevaulx y voult aller pour escorchier celluy chevaulx ;
sy se laissait sousprandre et fut tuez en la plaice. Alors lesdit Loherains
se retirairent sus une petitte montenette au dessus de Sainct Mertin.
Et l’on tirait l’une des grosse serpantine qui alors estoient eü'ûtée sus
Sainct Illaire, dedans la cité ; et cheut le copt bien près d’eulx. Par
quoy bien vistement se sont deslogiés et s’en fouyr 1.
Item, le dernier jour de ce meisme moix de febvrier, aulcuns pietton
aventurier de Mets s’en sont allés courre en ung villaige nommez lez
Magney devant le Pont. Et d’icelluy villaige en ont ramenez XXXIIII
prisonniers.
Ordonnances d’avoir du feu sus les querfort en la ville. — En ces meisme
jours fut ordonnez en Mets que à chacun carrefort fût fait ung grant
feu de nuyt, et qu’il y eust VI hommes pour gairder ; et que tousjour
fût mise la lanterne et l’yawe à l’uys.
Obsecques et prière ordenée pour ceulx qui furent tués à Ancei. — Puis,
au lundemains, qui fut premiers jour du moix de mars, par l’ordonnance
de Justice, furent chantée vigille et haulte messe de Requiem en la
Grant Esglise et par touctes les aultres églises collégiales de la cité, et
paireillement par tous les couvent des noir moines et des nonnains, et
par les quaitre Ordes mendians, et aussy par touttes les paroches et
aultres esglise de la dicte cité, pour les âmes des bonnes gens d’Ancy
qui avoyent estez tuez en leur moustier, comme dist est devent.
Item, le second jour de se meisme moix de mars, il tonnait et allodait
aux VIII heures du mattin très bien et fort. Pour laquelle chose les
astrologiens dirent que c’estoit signe d’avoir planté de vin et
d’uylle.
Deux ambassade en Mets pour apoinler les pertie. — Aussy, en ce
meisme jour, vint une embassaude de Strausbourg en Metz. Et pareille­
ment en vint une de part seigneur Henry de Loherainne, évesque d’icelle
cité. Lesquelx venoient pour faire paix. Mais on n’y volt entendre,
considérant que les Loherains n’estoient encor point essez pugnis des
oultraige et offences par eulx faictes sur les subgectz de la cité ; et
aussy que grant quantités de gens d’armes venoyent à l’ayde de la dite

1. Et s’en fuirent.

150

1490 N. ST., MARS. — NOUVELLES AMBASSADES A METZ

cité, lesquelles estoient retenus pour trois mois enthiers, par quoy il les
failloit mettre en besongne.
Course faicte d’une part et d’aultre. ■— Au lundemains, qui fut le tier
jour de ce meisme moix de mars, les Loherains du Pont courrurent à
Joiey et à Awegney. Et bouttèrent le feu au Chastel Sainct Biaise ;
et emmenairent plusieurs prisonniers.
Et, en celluy meisme jours, les Loherains de la garnison de Falquemont furent courre à Luppey. Et prindrent touttes les bestes et aultres
biens qu’il trouvairent.
Item, au lundemain, qui fut le quaitriesme jours de mars, furent
courre aulcuns piétons de Mets en trois villaiges devers Bousonville.
Et d’iceulx en amenairent cenc et L vaiches, VIIIXX chevaulx de harnoix, et deux chers chergiez de mesnaiges 1.
Puis, au lundemains, qui fut le Ve jour dudit mois de mars, ce par­
tirent de Mets à heure de mynuit plusieurs compaignon d’arme et
aultres aventuriez, jusques au nombre de deux cenc chevaulx et quaitre
cenc piettons, gens d’eslitte. Et s’en allirent toutte celle compaignie
courre à Rombair et à Moievre ; et revïndrent par Noeroy devant
Mets. Et, là, brûlirent touttes, réservés les maisons qui sont et aparthiennent au ban Sainct Vincent.
Et, à ce meisme jour, les embassade de Strabourg, et aussy celle de
l’évesque de Mets, s’en retournirent en Loheraine.
Aussy, à celluy jour, les Loherains volrent asségier le chastel de
Louveney ; et pour ce faire y furent environ VIe chevaulx. Mais il leur
vint nouvelle que lesdit de Mets estoient dehors ; dont il olrent telle
paour que bien hastivement il s’en fuyairent. Et, quant ceulx de la
garnisson de la dicte Louveney virent ce, il ont saillis dehors, et frappairent sur la cawe ; et en ont tués deux. Et, avec ce, y oit prins trois
prisonniers ; et les menairent dedans ledit chastel de Louveney en
prison.
Et, trois jour après, c’est assavoir le VIIIe jour de mars, revindrent
les embaxades de Strabourch et dudit évesque pour tousjours traicter
et trouver manier de faire celle paix. Car pour lors le duc de Loheraine
la désirait fort ; et faisoit faire plusieurs présentacion à la cité ; et
serchoit plusieurs voie pour ce faire. Maix, pour tant que on attendoit
les gens d’armes qui estoient retenus pour trois moix, comme dit est,
et aussy que on avoit grant volunté de bien frotter son païs de Bar et de
Loherainne, l’on n’y volt entendre pour celle fois.
Course faicte d’une part et d’aultre. — En ce mesme jour, VIIIe de
mars, cent et L piettons de Mets s’en allirent courre à Abouwey en la
duché de Bar. Et, quant il vinrent là, ainssy comme fortune leur fut
bonne, il trouvairent qu’il y avoit en celle ville environ cenc Loherains
qui d’aventure estoient là venus. Sy se frappairent à eulx, tellemant

1. Mobilier.

1490 N. ST., MARS. — ORDONNANCES A METZ

151

que lesdit Loherains furent contrains à se bouter en deux maisons.
Et incontinant les dit de Mets y boutairent le feu, par quoy il furent
constrains de saillir hors par les fenestre. Et en y oit VIII des ars et
brûllés, et trois “ des tués, et XVII des prins et amenés à Mets.
Ordonnance de ne mesdire de personne. — Item, en se tamps on fist
crier à son de trompe que nulz ne feissent chanssons ne balades de nulz
prince, et que l’on ne husait point de malvais langaige.
Item, aussy, le IXe jour de ce meisme moix de mars, les embassades
devant dictes de Straubourg et de l’évesque eulx estant encor en Mets,
vinrent les gens mon seigneur de Loherainne à grant quantités, tant à
chevaulx comme à piedz, bouter lez feux en plusieurs villaiges Entre
deux yawe, c’est assavoir à Fristorf, à Awegney, à Merley, à Joiey, à
Prael, à Groxetel, à Veson, à Marrieulle et à Fayt ; et y firent grant
dompmaige. De laquelle chose on fut très mal comptans ; mais il n y ait
remède : c’est usance de guerre que de mal faire. Et à cest heure 1 on
vit leur mallice, entendus qu’il queroient paix et que les dit embassades
estoient encor en Mets pour ce faire. Par quoy l’on n’olt aulcune voulluntés que nulz adcort ne traistiet en fut faict.
Huchemenl fait par la cité en plussieurs manière. — Puis, tantost au
lundemains, Xe jours de ce meisme moix de mars, on fist ung huchement sur la pier que, se nulz ne nulles des manans de la cité avoient
aulcune chose de ceulx du païs de Bar ou de Loheraine, ou meismement
du merquisait duPont ne de la conté de Wauldémont, fût or, argens,
juelz, lettres, escriptures ou aultres choses quelconques que se fût, et
il les eust en gairde ou en gaige ou aultrement, que incontinant il les
vinsent anuncier aux seigneurs Warry Roucel, chevalier, au seigneur
Jehan Chaversson et au seigneur Jaicques Dex, sur poinne de perdre
corps et biens et de estre réputtés pour traictres.
Item, au lundemains, XIe jours dudit moix, se pertirent errier.de
Mets lesdit embaxades de Strabourg et de l’évesque, sans rien faire.
Et, celluy jour meisme, seigneur Jehan le Gournaix, luy XIIe, s en
aillirent courre en la duchié de Bar jusques devant Sainct Jullien.
Et prindrent deux hommes d’armes des Loherains, et les amenaient
à Mets.
Aussy, en se meisme jour, on fist huchement en Mets sur la pier devant
le Grant Moustier que nulz ne perla de nulz prince ne seigneurs, et que
nulz ne rapourtait aulcune nouvelles, ne ne parlait de nulles assemblée
de gens d’armes, sus cenc livres d’amende. Et, avec ce, fut encor huchiés
que, se le feu estoit en aulcune maison ou grainge en Mets, que nulz n y
allait fors que les quaitre Ordes mendians, les tonnelliés et meutiés *
et les massons et cherpentiers à ce ordonnés. Et que, se nulz effroy
venoient, que nulles femmes ne sortissent hors de leurs maisons, sus
XX livrez d’amende.

a. tois.
1. Tonneliers (exactement, ceux qui font les muids ?),

152

1490

N. ST., MARS. — NOUVELLES AMBASSADES A METZ

Publication par le r[oy] à ses subjed de ne servir contre la cité, mais les
favoriser. — Item, encor ledit jour, vinrent nouvelle à Mets que Charles,
roy de France, avoit fait crier à son de tromppe à Mouson sur Meuse
que nulz de ces subgectz ne de ces ordonnances ne servissent le duc de
Loherainne contre la cité de Mets.
Aux cas pareilz, Max[i]milian, Roi des Romain[s].-— Paireillement,
vinrent nouvelle que Maximilian, Roy des Romains, avoit mandés au
merquis de Bauldes, gouverneurs du duchiez de Lucembourg, et aux
aultres officiers de la dicte ducbiez de Lucembourg, qu’ilz laissaissent
passer et respasser, aller et venir ceulx de Mets permey la dite duchiez
de Lucembourg ; et qu ilz leurs feissent toutes lez faveurs, confort et
ayde à eulx possible. Et mandait en oultre ledit Roy des Romains à ung
capitaine allemans, nommés la Hurtes, lequel alors estoit prévost
d Erlon, et lequelle se avoit mis au services dudit duc de Loheraine,
que, sur la hart, il se gairdait bien de rien meffaire sur les dit de Mets.
Pour lesquelle chose on en fut plus resconfortés en la cité, et en oit
on milleur couraige de se deffandre et assaillir les dit Loherains.
Pai quoy, tantost au lundemains, XIIe jour de ce meisme moix de
mars, environ VIXX chevaulx et cenc piettons desdit de Mets s’en allirent
boutter le feu à Rombay. Et ardirent bien les trois part de la ville.
Et paireillement en fut fait à la ville de Malancourt.
Ambassade prenaient] poinne d’apointer les pertie. — Et, à se meisme
jour, les devant dit embaissades de Strabourg et de l’évesque revindrent
errier en Mets, tousjours pour soliciter lez pertie de faire paix.
Secour pour ceulx de Mets. — A lundemains, XIIIe jour dudit moix,
vinrent et arivairent à Mets bien VIIIe hommes d’armes à chevaulx,
très bien en point, à l’ayde de la cité. Entre lesquelles estoit Loys de
Wauldres pour cappitainne principalle. Et, pour tant que l’on fut advertis que les dit Loherains tendoient sur eulx à grant puissance, on leur
envoiait au devant des gens de la cité, bien environ VIXX chevaulx et
XVe piettons, jusques au pont de Rechiefmont.
Et, tout incontinant après leur venue, lez embaxades dessus nommés
3 en retournairent, sans rien faire. Et paiait la cité tout leur despans.
Ordonnances de ne toucher à chose sacrée, ne violler femme ne fille. —
Item, ledit jour, fut fait en Mets ung huchement, et fut criés que nulz,
quel que ilz fussent, ne mettissent furtivement la mains à nulles cloches
ne à nulle aultre dignité d’Esglise, quel que qu’ellez fussent. Et, avec ce,
ut encor huchiez que nulz n’enforsa fille ne femmes, ne ne faisît des­
plaisir à nulles femmes gissantes, ne que nul ne faisît tors ne forces à
nulle personnes quelconques, si non comme il apartient en fays de
bonne guerre. Et que, se nulz y mesprenoit, Justice y donroit telz
provision comme a cas appartenroit.
vifxx homme d’armes à l’ayde de la cité. — Item, en ce meisme jour,
vinrent encor en Mets environ VIIXX hommes d’armes à chevaulx, très
bien en point, à l’ayde de la cité. Et estoient soubz la conduicte d’ung
Espaignol, leur cappitaine, appellé Alverade, homme groz, court et

1490,

MARS. — LA CHAUSSÉE BRÛLÉE PAR CEUX DE METZ

153

membreu, et qui avoit une grande taillairde en la jouue; par quoy il le
faisoit hideux veoir, et monstroit une chier très cruelle.
Tantost après, le XIXe jour de ce meisme moix, Gracien de Guerre
envoia ces lettres de deffience à la cité.
Traficque des Lorains. — Or avoient les dit Loherains une coustume
qu’il arestoient et prenoient tous les messaigiers de la cité, quelque
part qu’ilz les trovaissent, et ne les laissoient esxécuter leur légacion
et mendemant ; qui estoit une chose non acoustumée en bonne querelle
ny en juste guerre ; car, de touttes ensiennetés, l’on ait tousjours
laixier aller et venir tous messaigiers, hérault et poursuiant, sans eulx
rien fair, et encor se doit tenir celle coustume.
Le duc pourchasse la paix. — Item, quant le duc de Loherainne vit
que les embassades de Strausbourg et de l’évesque de Mets ne pouoient
trouver manier de faire la paix, il trouva fasson que le merquis de Baude,
son cousin, et qui estoit gouverneur de la duchié de Lucembourg,
envoiait une embassade en la cité pour veoir s’il y polroient mettre
accort. Et vinrent la dictes embassades en Mets perler aux seigneurs
d’icelle pour cest affaire.
Mais, avant que procéder plus avant, je vous dirés qui fut maistre
eschevin de Mets en celle année.

[l’année

i49° ; CONTINUATION DE LA GUERRE ENTRE LA VILLE
DE METZ ET LE DUC RENÉ DE LORRAINE]

Mil iiijc iiijxx el x. — L’en après, que le milliair courroit par mil
quaitre cenc IIIIXX et X, qui alors fut IaLIe année de 1 empire du
devant dit Phéderich l’empereurs et la Ve année de Maximilian, son
filz, au Royaulme des Romains, fut alors fait, créés et essus pour maistre
eschevin de la cité de Mets le sire Perrin Roucel.
Et, en celle année, le lundemains de la sainct Benoy, qui fut le
XXIIe jour de mars, le devant dit René, duc de Bar et de Loheraine,
et toutte sa puissance, qui estoit environ de XIII cenc chevaulx et
VI mil à piedz, s’en allairent mettre le sciège devant le chastel de
Loveney. Et, incontinant que l’on en fut advertis, c est assavoir au
propre lundemains, les dit de Mets, environ VIII cenc chevaulx et deux
mil piettons, s’en allairent jusques bien près de Vergney pour veoir
c’il polroient lever le sciège. Toutteffois, quant il virent et congneurent
qu’il n’estoient pas gens assez pour ce faire, il ne se. voullurent pas
mettre en haîsairt de tout perdre, et retournairent à Mets.
Et, tantost au lundemains, c’est assavoir le XXIIIe jour du meisme
moix de mars, trois cenc piétons se partirent de Mets et s en allirent à
Baucourt. Et illec prindrent LX chevaulx de hamois et deux cenc
piesse de beste à corne, et VII chers tous chergiez de mesnaiges ; et
avec ce buttin s’en retournairent en la cité.

154

1490, MARS. — VILLAGES MESSINS BRÛLÉS PAR LES LORRAINS

La Chaussée brûllée. — Puis, le lundemain, IXe chevaulx, avec
XVe piettons, s’en allèrent courre à La Chaussie. Et y bouttèrent le feu,
et l’ardirent touttes, réservés l’église et la halle et la forte maison.
Et avec ce ont encor brûllés V aultres villaige là autour, desquelle il en
ramenairent bien trois cenc bestes à cornes, et ung prisonnier.
Le chastel de Lopvenei rendus aux Lorrains. — Item, en ce meisme
jour, ceulx qui estoient dedens le chastel de Loveney se randirent a dit
René, duc de Loheraine, lequelle alors estoit en propre personne au
sciège. Et furent tous ceulx qui avoient tenus ledit chastel de Louveney
emmenez prisonnier au Pont à Mousson, c’est assavoir les piettons et
XXIII hommes de la dicte Louveney. Et prindrent tous les biens de
dedens, qui bien valloient VI0 frans, et mieulx, avec encor environ
deux mil quairte de bledz.
Ceulx de Vernei abandonne la place. — Quant ceulx qui estoient en
guernison dedens Verney et en plusieurs aultres places de la terre de
Mets virent et oyrent les nouvelles que Louveny estoit randue, poin­
tant que c’estoit une forte place, ilz abandonnairent leur places, et s’en
vindrent tous en Mets.
La plus pairl des forte place autour de Mets destruicte par les Lorains. —
Et, incontinant au lundemains, c’est assavoir le XXVIe jour de mars,
le dit duc et toutte sa puissance, après ce qu’il eurent aruyner la dicte
Louveney et mis à feu et en fiâmes, ce pertirent de ce lieu. Et s’en
allirent à la dicte Verney, laquelle il prindrent, et y boutirent le feu.
Et, de là, s’en sont allés à Sorbey, à Camay, à Pontoy, à Corcelle,
à Villez Laquenexey, à Painge, à Montoy et aux Estans. En tous
lesquelle lieu il ont bouttez lez feu, et lez ont airs et aruynés, ou en la
plus pairt. Et enssy ont fais en toute les ville et villaiges, encomensent
depuis Poulley en jusques à Villey Laquenexey. Dont se fut grant
pitiet et dopmaige inestimable.
Gendarme arivé à l’ayde de ceulx de Mets. — Item, en ce meisme jour,
XXVIe de mars, vindrent et arivairent en Mets pour estre au gaige
cenc hommes d’armes et deux cenc piétons.
Iv homme des annemys que tués que prins. — Puis, le lundemains,
XXVIIe jour de mars, le bastard Cordon, lequelle avoit chairge de gens
d’armes, et avoit une bande de XL chevaulx desquelle il estoit cappitaine, et avec yceulx s’en allèrent courre jusques à Verrey. Et illec
trouvairent le prévost de Montignon, acompaigniez de LV hommes.
Lesquelles 1 furent par eulx assaillis en fasson telle qu’il en tuairent
XXIII, et les aultres XXXII furent amenés en Mets. Et ainsy ilz
prindrent tout, sans ce que ung tout seul se peûlt salver.
Item, le meisme jour, messeigneur Werneit, ung chevallier aux gaiges
de Mets, luy XVe, s’en allirent courre jusques auprès d’Estain ; là où il
prindrent XI prisonnier, et les ramenèrent à Mets.
Puis, au lundemains, XXVIIIe jour de ce meisme moix de mars,

1. Lesquelles désigne les ennemis, les Lorrains du prévôt de Montignon.

1490, 28 MARS. -— JOURNÉE TENUE A THIONVILLE POUR LA PAIX 155

une grosse bande desdit Loherains vinrent boutter le feux a villaige
de Maigney et à Belveulx. Et alors plusieurs desdit de Mets, tant à
chevaulx comme à piedz, saillirent dehors au champs pour les combaittres. Mais les Loherains estoient tropt plus fort que eulx ; par quoy
subit les dit de Mets s’en sont retournés arrier. Desquelles piéton de
Mets en y avoit ung appellés Jaicob Malz Pandus (et luy fut ce nom
donnés pource que aultre fois avoit estés menés à la justice). Cellui
Jaicob, à sertains prepos, estoit demeuré derrier ; et alors ung hommes
d’armes desdit Loherains le voult ataindre et le ferir de sa lance ;
mais, par fortune, son chevaulx se trébuchait, et cheurent luy et ledit
chevaulx tout en ung mont à terre ; par quoy ledit Jaicob, qui estoit
puissant homme et couraigeux, retournait vittement sur luy, et le print
prisonnier et l’amenait à Mets, et gaignait ung bon buttin.
Les seigneur ordonne de jaire bon guet. — Item, en ces meisme jours,
fut par les seigneurs de la cité ordonnés ung bon gait, tant de nuyt
comme de jours, pour bien gairder la cité. Car, touttes les nuyt, non
obstant les esxairgaitte que faisoient les gairdains acoustumés et
ordinaire qui estoient dessus les portes, et non ostant aussy les arbellestriés de la ville qui chacune nuyt estoient sur lez porte et la muraille,
avec aussy deux hommes de la paroiche, c’est assavoir deux devant
mynuit et deux après, lesquelles toutte la nuyt ne faisoient que allei
et venir de portes au aultres,—avec touttes ces gensycy, les seigneur et
gouverneurs de la chose publicques de la cité ordonnairent encor,
d’abondance, que toutte les nuyt ung sergens des Trèses, avec deux
bourjois, yroie tout entour de la dicte cité par dessus la dite murailles
devant mynuyt ; et pareillement deux aultres bourjois, avec ung
aultres sergent, feraient le tour aprez minuyt pour visiter et ouyr s’il y
avoit rien que bien tant dedans la dicte cité comme dehors ; et aussy
pour veoir se les aultres gairde qui estoient en les tours et befïroy
gaittoyent et faisoient bien leur devoir ; et paireillement pour veoir se
les gairdains ordinaires des portes et arballestriers et ceulx des paioches
commis à l’esxairgaitte faisoient ce qu’il apertenoit de faire. Et aussy
fut ordonnés que de jour il y aroit à chacune des dicte portes deux
d’iceulx bourjois pour gairder à la porterie bas, c est à entendre de
ceulx qui pour lors ne gairdoient point sus la portes ; et avec eulx
VI aultres hommes du communs de la cité, lesquelles tous les jours
estoient et dévoient estre avec yceulx bourjois à la porterie baix, pour
veoir quelles gens alloient et venoient par les dite portes, et pour parlei
au dit qui venoyent de dehors, comme messaigiers et aultres.
Ordonances de ne sonner que lé pelilte cloche. — Item, à ce meisme jour,
XXVIIIe de mars, fut ordonnés et deffandus qu’on ne sonnît plus milles
cloches en Mets fors que les petittes, afin qu’on oyt sonner alarme, et
aultres bruyt qui se poulroient faire par la cité. Car, alors, on cloichiez
de Meute, en celluy de Sainct Clément et de Sainct Vincent, y avoit en
chacun une gaitte pour sonner alairme.
Journée tenue à Thionville entre le duc et la cité. —Paireillement, en ce
meisme jour, SXXVIII6 de mars, à la requeste du merquis de Baulde,

156

1480, 2

AVRIL. — RUPTURE DES NÉGOCIATIONS POUR LA PAIX

gouverneur de la duchié de Lucembourg, fut une journée assignée au
lieu de Thionville entre messeigneurs de la cité de Mets et de René,
duc de Loheraine. A laquelles journée furent pour la pertie de la dicte
cité seigneur Warry Roucel et seigneur Régnault le Gornaix, chevaliers,
et seigneur Conraird de Serrier l’eschevin. Et, pour le dit duc René,
y furent envoyés l’évesque de Verdun et plusieurs aultres de sa court.
Plussieur course et pillerie. — Item, en ce meisme jour se firent encor
plusieurs aultres choses mal faictes. Et, premier, y oit aulcuns desdit
Loherains qui se mirent au champs. Et ont boutés les feux à la ville de
Servîgney, et à Glaitigney, à Poix, à Choiby et en plusieurs aultres
villaiges on Hault Chemin. Et disoit on que ledit René, duc de Lor­
raine, volloit aller mettre le sciège devant Very, et que son artillerie
estoit desjay on chemin. Mais de ce faire ne fut pas conseilliés ; par quoy
il s’en retournait errier au Pont, et fist retourner toutte son artillerie,
qui estoit desjay en chemin.
Puis, en cez meisme jours, c’est assavoir le dernier jour de mars, fut
prins le chastel de Billey 1 par aulcuns des piétons de Mets.
Et, ledit jour, se mirent aulx champs environ Ve hommes à chevaulx,
bien armés et em point, et environ mil hommes depiedz, lesquelles, en belle
ordonnance, avec l’artillerie, s’en allirent devant Pange enintencion de
y mettre le sciège. Et, quant iceulx Loherains qui alors estoient dedans
virent venir la puissance de la cité, il randirent la place, salve leur vie.
Item, en ce meisme jour, plusieurs aultres des dit de Mets furent
à Coinflans on Bairoy. Et, quant ceulx de la ville les santirent venant,
ilz s’en fouyrent tous on chasteaulx ; par quoy les dit de Mets y gaingnairent ung bon buttin : car il prindrent environ XX chevaulx de
celles et grant nombres de bestez ; et fouraigé ont toutte la ville, de
laquelles il rapourtairent tout ce de bon qu’il en polrent rapourter.
Et furent encor à ce meisme jour à Amelle et en deux aultres villaige,
desquelles il ramenairent XXVI prisonniers.
Journée tenue en vain à Thionville. — Item, audit jour, seigneur
Régnault le Gournaix, chevalier, retourna de Thionville ; et y laissait
seigneur Wary Roucel et seigneur Conraird de Serrier. Et paireillement
revint Claude Proudon, pour le duc de Loheraine, et avec luy revint
Loherainne, le hérault ; lequelle Claude et ledit hérault alloient faire
relacion audit de Loherainne d’aulcune ouverture que le merquis de
Baude avoit fait pour trouver manier de faire paix. Et ledit seigneur
Régnault vint paireillement en Mets pour aussy faire relacion aus aultres
seigneurs de la cité, ses compaignons, des parolles préposée par la bouche
dudit merquis et pour ouyr leur oppinion. Puis, le second jour d’apvril,
ledit seigneur Régnault et ledit Claude, avec Loherainne,le héraurd, s’en
retournairent à Thionville; et dirent seu qu’il avoient trouvés, qui n’estoit
point du tout au grés dudit merquis. Par quoy, le lendemains, qui fut le
thier jours d’apvril, les dit seigneur Régnault, seigneur Wary Roucel
et seigneur Conraird retournirent en Mets, sans rien faire de leur proffit.
1.

Villers dans Aubrion, p. 241.

1490, 4 AVRIL. - - LE CHATEAU DE MOULINS PRIS PAR LES LORRAINS 157

Ceulx de Faulquemont sont courus. — Et, à ce ineisme thier jour
d’apvril, Ve chevaulx et Ve piétons des dit de Mets s’en allèrent courre
devant Falquemont. Et y firent ung grant desroy : car il y brûllairent
bien XVI villaiges. Et ramenairent environ XL prisonniers, et plus de
VIIe beste, tant chevaulx comme vaiches ou mouton.
Le chasteaulx de Mollin rendus aux duc de Lorenne.
Item, le dit
jour, le dit René, duc de Loherainne, envoia ses artillerie, avec touttes
ses gens et son armée, pour environner le chaîsteaulx de Mollin, en
intention, d’y mettre le sciège. Mais il n’y fut que jusques au lundemains,
que ceulx qui estoient dedans ledit chaistiaulx, et qui estoient commis
pour le deffandre et gairder, se randirent ; et incontinant antra le duc
dedans. — Et paireillement se randirent ceulx qui estoient on chaisteaulx le seigneur Jehan Chaverson au lieu de la dicte Mollin, par grant
laichetés de corraige, sans estre asségiés et sans copt ferir.
Et, tout incontinant que l’on soit à Mets le dit duc de Loheraine estre
dedans le chastel de Mollin, les dit de Mets se assamblairent, bien
environ quaitre cenc chevaulx et VI mil piettons, lesquelles se mirent
en chemin en intencion de les aller combaitre a dedans Mollin. Maix il
trouvaient de l’empêchement ; car le dit René, duc de Loheraine,
avoit fait mettre la plus part de son artillerie par touttes les entrées de
la dicte ville de Mollin, et tellement que nulz ne s’y osoit bouter. Toutefïois il vint aulcuns fol adventurier desdit Loherains ce boutter en
faisant ranvïaulx jusques tout oultre de Longeville et au trous de
Chanain. Et alors furent assaillis par les dit de Metz, lesquelles frap­
paient sur eulx ; et en tuaient V ou VI à la fuytes, et furent VII des
prins. Entre lesquelles y avoit le serorgien du dit René, duc de Lohe­
rainne. Et avec luy fut prins ung très malvais guernement, appellés
Dieudeney, lesquelle, dès l’acomencement de la guerre Baisonpier, il
avoit tousjours servis de guide ; car il guidoit et congnoissoit touttes les
gens et le païs de Mets, et nommoit les personnaige qui estoient bon
prisonnier, et les faisoit prandre ; et faisoit plusieurs mal on pays de
Mets. Par quoy on fut bien joieulx de sa prinse.
Item, le quairt jour du meisme moix d’apvril, plusieurs adventurier
des piettons de Mets, et paireillement gens à chevaulx, par diverse
routte, s’en allient, les ung près du sciège, les aultres on Barrois, et les
aulcuns en Loheraine, et les aultres, sur ceulx qui amenoient vivre au
sciège. Et tellement que, à ce jour, furent des dit de Mets plusieurs Lohe­
rains prinset amenés prisonnier,et en furent plusieurs des tués au champs.
Puis, le Ve jour dudit moix d’apvril, y oit, à deux fois, XX Gascons
qui ser’voient ledit René, duc de Loheraine, lesquelle à ce, jour se vmdrent rendre à la cité. Et disoient yceulx Gascons que c’estoit grant
pîtiet de servir le dit René : car ilz estoient très mal logiez, mal pencez,
mourant de fains et malz paiés.
Grande inhumanités comminse par les Lorains. — Et, ce jour meisme,
aulcuns des Loherains, mal condicionés et de malvaise affaire, démonsa. Coinbaitre.

158

1490, 7 AVRIL. — MONTIGNY BRULÉ PAR LES LORRAINS

trant leur perverse inicquités et grant villenie, trouvairent deux pouvres
femmes de villaige devers Sciey ; cy les prindrent et les despouillairent
toutte nue, et en cest estât les renvoiairent à Mets. Touttefïois aulcuns
Bourguignon estant au gaige des dit de Mets, aiant pitié d’elles, quant
ilz les virent, prestairent à chacune ung mantiaulx et ung chappiaulx
pour ellez couvrir.
Costume rédigée en mieulx. — Or est il ainssy qu’il est de nécessité de
aulcune fois se gouverner cellon le tamps. Je dis ces chose pour tant que,
de touttes ensiennetés, on avoit de coustume en Mets que tous prison­
niers qui estoient prins en tamps de guerre, on n’en prenoit jamaix
ranson. Et avec ce n’avoient les soldoieur à chevaulx jaimaix heu
que quaitre livres de gaiges pour moix, et les piettons XL sols. Mais il
fault faire cellon que l’on voit qu’il est de nécessité ; et fault aulcune fois
chaingier coustume et husaige. Car, pour le pris, les hommes d’armes ne
voullurent plus servir ; aussy ne firent les piétons. Par quoy il couvint
rompre la dite coustume, et couvint donner pour chacun chevaulx VI
livrez de messins, et à chacun piettonLX sols pour moix. Et, avec ce,
ranssonner tous les prisonniers. Desqueulx prisonniers, et aussy des
buttins, la cité en avoit le quart, et ceulx qui les prenoient les trois
part, cellon l’apointement qu’il avoient aux cappitainne (car de tel en
y avoit que la cité en avoit le thier, et ceulx qui lez prenoient les deux
part ; et d’aultres y avoit que la cité n’y prenoit riens) ; saulfz et ré­
servé tous chiefz de seigneurs, de cappitainnes ou barons, lesquelx
estoient réservés à la dicte cité. Aulcuns aultres estoient en leur fortune
et péril, hommes et chevaulx, et d’aultres non.
Item, le VIe jour d’apvril, les dit Loherains se partirent de Mollin
à tout leur puissance. Et ceulx de Mets, quant il en furent advertis,
sortirent paireillement dehors de leur cité. Et vindrent bien près les
ung des aultres en ung lieu c’on dit la Grainge d’Aynel, près de Montigney. Mais chacun craindoit de sa partie ; et se doubtairent tellement
les ung des aultres qu’il ne se firent rien, réservés aulcuns avant courreurs de chacune partie qui se escairmouchairent aulcunement. Et en
celle escarmouche fut des dit Loherains prins ung Bourguignon de la
cité et emmenés prisonniers. Et en lieu de celluy fut des dit Bourgui­
gnons prins ung gentil hommes de Loheraine et amenés à Mets. Et, avec
ce, furent tués quaitre chevaulx desdit Loherains, et les Loherains en
tuairent ung apertenant à ung Espaignoille estant a gaige de la cité.
La Horgne prinse par les Lorains. — Puis, le lundemains, qui fut le
VIIe jour de ce meisme moix d’apvril, les Loherains, à toute leur puis­
sance, vindrent prendre la Hongne au Savelon. Et y boutairent le feu ;
et ardirent aussy la Grainge aux Ormes, la Grange Braidi et la ville de
Montigny. Mais il ne polrent avoir la forte maison, néantmoins que alors
n’y avoit que VI compaignon dedans, que vaillamment la deffandirent.
Et, eulx 1 estant à la dicte Montigny, se partirent de Mets environ
1. Eux désigne les Lorrains.

1490,

8 AVRIL. — LE GIBET DE METZ ABATTU PAR LES LORRAINS

159

trois cenc chevaulx par la porte du pont des Mors ; desquelles en furent
envoiez environ XL chevaulx dedans le villaige de Mollin. Et n’y
trouvairent que les vivandiés et les cuyseniers ; par quoy il s’en retournirent, et amenairent les chevaulx de l’artillerie dudit René, duc de
Loheraine. Et les aultres de la cité, à grand puissance, à piedz et à
chevaulx, saillirent hors par porte Serpenoise en l’encontre des dit
Loherains. Mais il*1 ne les atandirent pas ; ains s’en retournaient à
Mollin. Et puis s’en allirent brûller la ville de Chaizelle ; et abbaitirent
le gibet de Sciey, qui estoit (et est encor) sur la couste Sainct Quentin.
Trois contes d’Alemaingne à l’ayde de la ville. — En ce meisme jour
vindrent à l’ayde de la cité trois conte d’Allemaigne a, des gens du païs
au duc de Zasse ; desquelx il en y avoit ung appellés le conte Helfesten.
Et avoient LXXII hommes à chevaulx, très bien armés et montés.
Et apourtairent yceulx nouvelle que les gens de l’évesque de Liège et les
Liégeois, à grant puissance de gens, s’avoient trouvés au champs ; et
que l’évesque avoit gaingniet la journée, en laquelle y avoit heu des
Liégeois environ deux mil des mors. Et, avec ce, avoient estés prins les
deux filz seigneur Conraird 2 de la Marche, trois des seigneurs et gou­
verneur de Liège, et ung cappitaine appellé seigneur Blanquair, tous
prisonniers.
Course et pillerie de ceulx de Mets. — Item, ledit jour, environ deux
cenc piettons de Mets comment devant Bossonville. Et y prinrent
grant buttin de chevaulx, de vaiche et d’aultre biens. Et à ce voiaige
ardirent XII villaiges.
Le gibet de Mets abatus par les annemys. — Puis, au lundemains, qui
fut le jour du grant jeudi et le VIIIe jour d apvril, le dit René, duc de
Bar et de Lorrainne, estant tousjours à Mollin, luy et touttes ses gens
à piedz et à chevaulx, pour tousjours démonstrer leur vaillance et
proesse, vindrent abbaitre le gibet de Mets. Et prindrent une povre
femme de villaige, à laquelle il couppairent les deux oreille, sans cause
et sans raisons. Qui estoient choses par lesquelles il n avoient pas
grant honneurs.
Et, à se dît jour, pour la craintes desdit Loherains, fut l’absolucion
faictes à l’esglise des Augustin, comme tous les ans on ait de bonne
coustume à ung tel jour de la faire a Sainct Pier aux Champs.
Et, en ce tamps, ledit René esseust son sciège dedans la ville de
Saincte Raffine.
L’archevesque de Treuve se travaille d’apointer les perlie; et aultre
embassadeur. — A ce meisme jour vindrent à Mets pour embaxade, de
par mon seigneur l’archevesque de Tresvez, le maistre d’ostel et 1 official
dudit seigneur archevesque, pour faire paix entre la çité et le dit duc

a. Allemaige.
1. il désigne les Lorrains.
2. Evrairt de la Mairche dans Aubrion, p. 244.

160

1490, 8-14 AVRIL. — GUERRE ENTRE LORRAINE ET.METZ

René. Et à ce meisme jour y vint paireillement une aultre noble et grant
embassade de part Charles, roy de France : c’est assavoir mon seigneur
de Baudrecourt, grant gouverneurs de Bourgongne, et ung des seigneurs
du parlement de Paris, acompaigniés de plusieurs gentil hommes,
chevalier et escuiers, que tous estoient environ cenc chevaulx, pour
paireillement trouver manier de faire paix entre la cité de Mets et ledit
duc René. Car à sa requeste et prières ilz estoient venus, ad cause que
sur tout il désiroit la paix, tant par ce qu’il n’avoit de quoy vivre
comme aussy faulte d’argent de quoy il sceust paier ses gens d’armes ;
par quoy ilz le voulloient tous lessier et abandonner. Et aussy désiroit
celle paix pour tant qu’il sçavoit bien que alors en la cité y avoit plus
de XVe chevaulx et environ VIIe piettons, gens de fait et en point, qui
estoient au gaiges ; et encor en y venoit plus de VIII cenc chevaulx et
de XVe piettons, par lesquelx il pourrait estre destruit et deschassiet
de ces pais. Et, en oultre, qu’il veoit qu’il y avoit desjay heu envoié
ceulx de Strausbourg pour la premier foix ; et, après, encor lesdit de
Strabourg et les gens l’évesque de Mets, par plusieurs fois ; et puis,
après, qu il en avoit fait mesler le merquis de Baulde, pour lesquelles
la cité n’avoit voullu entendre à nulle paix. Par quoy il trouvait fasson,
par aulcune remonstrance qu’il fist faire audit Charles, roy de France,
qu’il envoiait lesdit ses embassade. Auquelx les seigneurs de la cité
firent présant de deux cawe de vin, que alors valloient mieulx de
XL francs, avec L quairtes d’avoinne, et carpes, baichetz, perches et
anguilles à l’avenant.
Les ambassadeur du roy veuille apoinler les perlies. — Item, au
lundemains de leur venue, c’est assavoir le IXe jour d’apvril, les dit
embassade du roy présantairent audit de Mets les lettres de leur com­
mission, qu’il avoyent apourtés de part le roy leur seigneur.
Et, tantost au lundemains, Xe jour de ce meisme moix d’apvril,
les dit embassade de l’archevesque de Triesvez se despertirent de Mets.
Et, au XIIIe jour d’apvril, lesdit embassade du roy estant encor
à Mets, auquelles les seigneurs et gouverneurs de la chose publicque de
la cité avoient fait leur responce et leur remonstrance des présantacion
raisonnable qu’il avoient heu fait audit duc de Loherainne, et les
dopmaige inrecouvraible à tort et sans cause que ledit duc leur avoit
fait et faict faire on, païs d’icelle cité, en leur chaitiaulx et fort maison,
et1, pour en estre mieulx informés, les seigneurs devant dit firent
mettre en escript par touttes les gensd’Esglise et par touttes les gens du
temporel tous les dompmaiges que leur avoient esté fait à l’occasion
de la dicte guerre, tant en feu bouttey et bestes prinses, en ruynement
de héritaiges comme en aultrez manier.
Par quoy, pour ce vangier des injure, le lundemains, XIIIIe jour de
ce meisme moix d’apvril, il y oit environ XL chevaulx desdit de Mets,
gens de guerre, qui s’en allèrent courre devers Xevrey le Franc. Mais de

1. Et doit être supprimé pour régulariser la constructioa de la phrase.

1490, 17 AVRIL. — GUERRE ENTRE LORRAINE ET METZ

161

leur allée furent lesdit Loherains advertis ; par quoy se sont pertis de
leur campe environ deux cenc chevaulx, lesquelx s’en allirent tandre
sur eulx. Et, de fait, les heussent rués jeus et prins, ou possible tués,
s’il ne fuissent esté bien guidés.
Or estoit encor ledit seigneur de Baudrecourt, luy et les siens, en la
cité, lesquelles, comme dit est devant, à la requeste dudit René et à sa
faveur serchoient de faire paix. Laquelles estoit du tout à l’advantaige
dudit duc Régné ; maix les seigneurs de la cité, comme saiges et discrectz, olrent bien leur advis sur le tout. Par quoy ledit seigneur de
Baudricourt s’en est retournés sans rien faire.
Item, le XVIIe jour d’apvril, le duc René estant encor avec toutte sa
puissance à Saincte Raffine, vint et arivait en ce lieu ledit seigneur de
Baudricourt, qui estoit retourné de Metz, comme dit est. Et, en despit
de ce que l’on ne faisoit à sa guise, les gens dudit duc, pour la plus belle
proesse qu’ilz seussent faire, et en vangeance de ce, ilz vindrent à boutter
le feu et à brûllés la plus grant pertie des moyaie 1 des vignes de la
coutte Sainct Quentin.
Plussieur bonne ge[ns] du paiis de Mets lués. — Et, durant ces chose,
pour ce vangier de cest injure et dopmaige, au lundemains de Paicque,
il y oit environ trois cenc et LX piettons, gens de villaige et la pluspart
vignerons, tous du pais de Mets, lesquelx, sans cappitaine ne conduictes,
s’en allirent courre par delay Lucey, qui est environ à quaitre luez de la
cité. Et chairgèrent très, bien bestes et aultres biens. Et, quant ilz olrent
essés chergiez et qu’ilz en deussent venir leur voie, Avarice les adveugla
et desceupt : car, non comptant de ce qu’ilz avoient fait, ilz volrent
prendre le moustier de la dicte Lucey. Et là se abusairent, le cuydant
tantost avoir. Et, se tamps pendant, Hannès Crance en fut advertis ;
et incontinant, acompaignié de X chevaulx tant seullement et IIIIXX
piettons, gens de guerre, s’an vindrent à frapper sur les dit de Mets.
Lesquelx, jai ce qu’il feussent tous compaignon fort et delivre,— maix
il n’avoient point de conduicte, — par quoy il se mirent tantost en
désaroy en prenant la fuite, et par celle manier furent convaincus 2.
Et en y oit plus de cenc des tués en fuyant, et environ XVIII des prins,
et plusieurs en y oit des navrés. Et ceulx qui eschaipairent s’en revindrent à Mets. De celle journée y oit plusieurs femmes vesves et plusieurs
orphelins, qui estoient pouvre gens. Dont se fut grant pitié. Et par ce
l’on peult bien dire ung comun prouverbe, c’est : « Qui Iropt embrasse,
malz estraint », et, « Qui tout veult avoir, tout pert ». Et aussy peult on
dire que, sur toutte : « Bonne conduicte vaulx beaucopl ».
Ordonances pour la gendarmerie. — Item, en ce meisme temps, on fîst
crier à son de tromppe devant la Grant Église de Mets et par tous les

1. En français : moiées; muées dans Aubrion, p. 246. Ce sont les mouées (Zéliqzon,
Dictionnaire des patois romans de la Moselle, article nwâye), tas de paisseaux ou d’échalas qu’on laisse dans les vignes après la vendange.
2. Entièrement vaincus.

162

1490, 19 AVRIL. — JOURNÉE TENUE A SAINT-ARNOULD

carrefours de la cité, par l’ordonnance des seigneurs Sept de la guerre
de Mets et de tous les cappitaines des gens d’armes et piettons estant
en la cité, que, incontinant que on feroit alarme et que on oiroit le son de
Mutte ou des trompettes, que chacun se retirait bien armés et em point
devers le lieu là où l’alarme se feroit ; et que chacun se tenist dessoubz
sa banier ; et que les prisonniers que on prandroit en l’armée, à l’alarme,
se debveroient mettre, avec chevaulx et hernex, en la main des commis
des Septz de la guerre, pour le convertir tout au proffit de la compaignie. Et, se aulcuns alloit à son adventure, se qu’il pranroit seroit pour
luy. Et fut encor cryés que, se nulz se bouttoit hors de sa bande ne de la
compaignie de laquelle il estoit quant on seroit au champs à celle
alarmes, se on le tuoit, il n’en seroit plus b Et que nulz ne vendist
beste ne aultre chose en buttin jusques XXIIII heures passées après ce
qu’ilz l’averoient prins. Et fist on ung prévost dé mareschal pour la
part des cappïtainnes, après lequelle on pourtoit une grande rouge
verge pour enseigne ; et avoit se dit prévost puissance de pugnir les
gens d’armes et piettons qui mefferoient. Et, avec celluy prévost, y
avoit de part la cité ung Trèses commis, appellés Mertin Travaulx, de la
Herdie Pier, sans lequel ledit provost des mareschaulx n’avoit nulle
puissance.
Durant que ces choses se faisoient en Mets, et que ledit seigneur de
Baudrecourt fut retournez à Saincte Raffine dever le duc René, comme
dit est devent, il séjourna en se lieu quaitre ou Y jours. Et, luy estant
illec, pour tant que ledit duc estoit tant désirant d’avoir paix, le dit
seigneur de Baudrecourt, le voullant complaire, ait heu rescript aux
devant dit seigneurs de la cité que leur plaisir fût d’avoir et de encor
excepter 12 une journée amiable. Sur quoy les dit seigneurs firent responce qu’ilz n’y entenderoient, ne n’acorderoyeà tenir journée, jusques
à ce que le dit René seroit veuidiés, luy et ses gens, tous hors du pays de
Mets. Et, sur ce, ledit seigneur embaissade, congnoissant que c’estoit
la raison, le remonstra audit duc René. Mais il n’en voult rien faire.
Or désiroit le duc celle paix, qui estoit chose assez estrange 3. Et voulloit
que les journées se tenissent à Gorse, comme lieu moien, pour tant que
la ville de Gorse est entre le païs de Mets et le païs de Lorraine. Maix
lesdit de la cité n’en volrent rien faire.
Journée tenue à Sainct Arnoull entre le duc René et la cité. — Et fut
ledit René constraint, s’il volt que l’on journiaissent 4, de envoier cez
gens à l’abbaïe de Sainct Arnoult qui est ez bourgz de Mets. Et en

1. La chose n’irait pas plus loin (sa femme et ses enfants n’auraient droit à aucune
aide).
2. Accepter.
3. Aubrion (p. 247) a écrit : » Maix il [le duc René] n’en volt rien faire : et se désiroit
la paix. Qui estoit chose assez estrainge. » Le duc René refuse d’évacuer le pays de
Metz : et pourtant il désirait la paix. Cette manière d’agir était vraiment très étrange.
4. Journoier, tenir une journée, une conférence. — Le fait d’accepter comme lieu
de la conférence l’abbaye de Saint Arnould était pour le duc de Lorraine une humi­
liation.

1490, 20

AVRIL. — JOURNÉE TENUE A SAINT-ARNOULD

163*

ycelluy lieu fut prinse journée au lundi XIXe jour d’apvril. A laquelle
il debvoit avoir des gens de la pairt le dit René jusques à XXX per­
sonnes, et parreillement des commis de la cité jusques à XXX per­
sonnes. Et fut ledit jour accordé une sorcéance et une abtinance de
guerre (et crié à son de trompe devant la Grant Église) jusques a
samedi après, entre le duc René et la cité. Laquelle sorcéance et abti­
nance n’estoit que depuis la porte Serpenoise jusques au pont à Mollin,
et depuis la porte Sainct Thiébault jusques au pont à Maigney, et pour
la traverse dès ledit pont de Mollin jusques audit pont de Maigney,
sans plus. Et à ycelle journée estoit ledit seigneur de Baudrecourt pour
ouyr les différances des perties. Et, pour la part au duc René, y furent
mon seigneur l’évesque de Verdun, l’abbé de Gorse, le séneschal de
Lorrainne, le bailly de Nancy et le bailly d’Allemaigne ; et, pour la cité,
seigneur Renault le Gournaix, seigneur Wary Roucel, chevaliers, et
seigneur Conraird de Serier, l’eschevin. Et encomensont le dit jour à
besoingnier sur le fait des demandes et responce des parties jusques
à VI heures après vespres ; et là faillirent leur parlement, et s’en retour­
nait errier chacun en son lieu.
Item, le lendemain, que fut le merdi, les dit embassaideur et les
perties se trouvairent arier à Sainct Arnoult.
Défaicle des Lorains par ceulx de Mets. — Et, celluy jour meisme,
aulcuns piettons de Mets, environ XXX hommes, estoient allés bien
près de la Courre (qui est ung petit lieu appartenant à Sainct Éloy au
délia de Génivaulx) tandre sur ceulx qui menoient vivre à l’ost. Et,
ainsy comme fortune leur fut bonne, il rencontrairent plusieurs gens
d’armes à chevaulx et à piedz qui conduisoient les dit vivendiés. Desquelx lesdit de Mets par grant couraige les ont assaillis ; et tellement s’y
sont pourtés vaillant qu’il en ont tués bien XLV ; et en amenairent
VII prisonniers, et XL chevaulx de harnoix, avec lesquelle s’en sont
retournés à Mets.
Et en ce meyme jour revindrent les devent dit seigneurs de la journée
à Sainct Arnoult. Et avoient celluy jour les dictes parties réplicqués et
argués tout du loing plusieurs article touchant des difïérans par devant
lesdit seigneurs embassadeurs. Dont, au despertir, les dit embassadeurs
ont heu remercié les parties de ce qu’il se mettoient en debvoir d’eulx
laissier appaissenter, en eulx priant que le lundemain il volcîssent encor
retourner à Sainct Arnoult, et que là ilz polroient faire aulcunes ouver­
tures par lesquelles ilz espéraient qu’il y trouveroient aulcuns bon
appointement, au plasir de Dieu.
Item, en ces jour, ung compaignon de guerre, de l’ordonnance le
cappitainne Jehan de Vy, avoit voulu baitre son hoste. Pour laquelle
chose il fut prins par le prévost des merchaulx et mis en l’ostel de la
ville ; et fut condempné par Justice de saillir en la Xuppe. Et fut le dit
jour de sa condempnacion menés on Champpassaille, auquelle lieu y
estoient les trèses jurés, les contes et sergens, à la manier acoustumée.
Et fut menés par le bourriau, comme se fust estez on tamps hors de
guerre. Maix ledit Jehan de Vy, à l’ocausion qu’il estoit de ses gens

164

1490, 28 AVRIL. — LES

lorrains évacuent le

PAYS DE METZ

et dessoubz sa bannier, se trouva a lieu et le demanda. Et, quant le
bassin de la xuppe fut avaliez b et que on le debvoit asseoir dedans
pour le tirer hault, à la prières dudit Jehan de Vy, il baisa ledit baissin ;
et fut menés trois tours entour du pillory ; et permy ce il fut quicte, et ne
fist point le sault. Mais qui alors eust oy ses Piccars et Hainnouiers
disant que « par lez chin plaie ! bien il amïssent mieulx que l’on leur
couppait le tieste ou empicquer par le hétriaulx que de faire chelluy
ort saulx12 ! » Et moy, l’escripvains, estoient présant quant ses chose
furent faictes et dictes.
Le mécredy aprez, les seigneurs devent dit furent errier à la journée
Saincàt Arnoulz. Et ne firent riens, et fut la chose quasy touctes
rompue ; toutefois elle fut reminse sus à ung aultres jour.
Ceulx de Mets vers Ciercque. — Et, le samedi après, environ deux cenc
hommes d’armes de la cité, tous Allemans, et trois cenc piettons, s’en
allirent devers Cierque. Et y brûllairent bien XXV villaige tout à fait ;
et prindrent plusieurs buttins.
Durant celluy tamps que la paix se traictoit en la manier que avés oy,
les Loherains venoyent tous les jours faire des escarmouchez par Devant
lez pont, et à Sainct Mertin devant Mets, et en Ham. Maix, incontinant
que l’on les veoit, l’on sonnoit Meutte, et subittement les gens d’armes
de la cité, à piedz et à chevaulx, sailloient dehors. Et, quant les dit
Loherrains les veoyent venir, incontinant il s’en fuoient arrier en leur
ost. Et, le plus souvant, ne faisoient aultre vaillance sinon qu’il pernoient les femmes qu’il trovoient, et les ransonnoient ; qui estoit chose
non accoustumée en fait de bonne guerre.
Le duc René liève son sci'ege de dever Mets. — Puis, après plusieurs
journée tenue et plussieur course et riblerie en la manier que avés oy,
et que le duc René vit bien et congneut que pour luy ne pour ses menasse
il n’en aroit aultre chose, délibéra de lever son sciège. Et tellement que,
le XXVIIIe jour d’apvril, luy et toutte sa puissance, qui avoient estez
à Mollin et à Saincte Raffine dès le thier jour dudit moix d’apvril
jusques à présant, XXVIIIe dudit moix, s’en allirent arrier. Et ne soit
on comment, sinon que ses gens estoient foullés, et n’avoient que vivre,
et ne le voulloient plus servir, et ne désiroient que la paix. Et, ledit
jour, monseigneur de Raudrecourt, estant encor avec luy, rescripvay
audit de la cité qu’il volcissent entendre à la paix.
Ceulx de Mets courre sus la Saire. — Et en se meisme jour furent
plusieurs advanturier desdit de Mets qui courrurent et bouttèrent le

1 Le supplice de la xuppe consistait à plonger le condamné, placé à l’intérieur d’une
sorte de cage à claire-voie, dans un égout bourbeux. La cage à claire-voie est d’abord
descendue pour qu’on y enferme le coupable, puis remontée et lâchée brusquement.
2 Philippe cite ici les propres paroles des compagnons : « Par les cinq plaies [de
Notre Seigneur] ! Ils aimeraient mieux qu’on leur coupât la tête ou qu’on les empiquât
par le cou (hatériau) plutôt que de faire ce saut immonde ». Le dialecte est du rouchi.

1490, 7

MAI. — PRISE DE ROMBAS PAR LES MESSINS

165

feu en XX villaige sus la Saire en la terre de Loheraine ; et y firent de
grant dompmaige.
Le ban de Wyvyer bruslés. — Item, le pénultisme jour du meisme
moix d’apvril, les gens d’armes de Mets bouttairent les feux et ardirent
tous le ban de Vivier et la ville de Taixey.
Puis, tantost après, le quairt jour de may, lesdit de Mets courrurent
encor sur la Saire, entre Cierque et Waldrowange, et y ardirent VIII vil­
laige tout enthièrement.
Ceulx de Rombay se rende à ceulx de Mets. — Plusieurs aultre course
et lairsin se faisoient journellement, desquelle je ne fait nul mencion.
Et tellement que, le VIIe jour de may ensuiant, le Conseil de la cité
envoiairent environ mil chevalcheur et deux mil piettons pour asségier
le mouttier de Rombay. Et ce partirent bien mattin celle compaignie
de la cité. En telle manier que, pour abrégier langaige, furent lesdit de
Rombay sy constrains de traict et d’assaulz que force leur fust de ce
rendre à la volunté de ceulx de Mets. Et, tantost, lesdit de Mets y
prindrent LXX prisonniers, qu’ilz amenèrent avec eulx en la cité ; et
puis prindrent tout ce de bon qu’il trouvairent, et la fouraigèrent toutte.
Et puis, ce fait, bouttairent le feu dedens, et brûllairent touctes la ville,
et plus de deux mil quairtes de grainnes, et plusieurs aultres biens ;
dont ce fut dopmaige. Et en y oit XIIII hommes des tués à l’assault, de
ceulx de Rombay ; et, de ceulx de Mets, en y oit trois ou quaitre des
tués. Entre lesquelles y avoit ung compaignon d’Outresaille, vigneron,
nommés le Contoy, qui estoit l’une des hardie piesse de chair de quoy
l’on sceùt à perler; et bien le monstra durant celle guerre. Et plusieurs
en furent des blessiés. Dedans celluy moustiet, avec les aultres pri­
sonnier, fut desdit de Mets prins ung cappitaine, avec X aultres compaignons, lequelle se réclamoit du roy de France ; et, pour l’amour du
roy, on leur donnait congiet.
Item, ledit jour que l’on fut devant Rombay, comme dit est, quaitre
piétons de la cité s’en allirent tendre devers Bouxier ; cy trouvairent
trois hommes qui apportoient l’argent de trois prévostez au duc de
Loheraine (et disoit on que yceulx trois hommes avoient bien mil florins
d’or). Mais les quaitres dessus dit en firent l’espédicion ; et olrent l’ar­
gent ; et avec ce biaulx buttin s’en sont retournés à Mets.
Au lundemains, VIIIe jour de may, XIII piettons de la cité s’en
allirent courre bien près de Nancy. Et, quant il vinrent près de Bouxier
au Dammes, cy trouvèrent le filz Cristofle, de Cherzey, et quaitre de
ses serviteurs ; sy leur courrurent sus, et les prindrent et amenairent.
Disposition du temps. — En celle année, il fist une belle saison et un
biaulx estés, secque et chault.
Et estoient les vignes bien belles et plainnes de raisins, selon qu’elles
avoient estés mal faictes par cause de la guerre devant dictes ; et couvint xawoultrer la premier sepmainne de may.
Toutteffois le vin estoit encor chier, et se vandoit le milleur à XVIII
deniers la quairte ; le froment, XII sols ; le mointange, X sols ; le

166

1490, 9-10 MAI. — JOUTES ET BANQUETS A METZ

soille, VIII sols ; l’orge, VI sols; et l’avoine, IIII sols la quairte ; le
quairtiet de chastron se vandoit communément VI sols.
Au regairt de faire les vignes etde labourer les terre, quant ung homme
luoit X ou XII ouvrier, il en alloient au champs tout embastonnés
d’espiedz, de woulge, d’aire, d’arbollette et de massue. Et d’iceulx
ouvriez en y avoit tousjours trois ou quaitre qui faisoient le gait. Et
ainssy furent faittes et labourées les vignes et aultrez héritaige.
Jousle et banequez fait en Passe Temps. — Item, le IXe jour de may,
fut faictes une grant feste en Passe Tamps sur Mezelle, qui est ung lieu
de plaisance lequelles nouvellement l’avoit fait faire le seigneur Pier
Baudoche, qui avoit à femmes damme Bonne, suer à seigneur Robert
de la Mairche. Et, à celluy jour, après dînes, y oit des joustes faictes sur
baystiaulx1 à la quintainne en la ripvier de Mezelle. Et encor le lundemains, non obstant la guerre, fut faictes paireille festes. Et n’est à
croire la triumphe que touttes les nuyt, après soupper, se faisoient sur la
ripvier en jouste, en chanson et en karolle. Et paireillement on Saulsis,
en luyttes, à ruer la pier, en jeux de bair, de guilles et de courte boulle,
et en plusieurs aultre esbaittement. Et ce y trouvoit tant de monde
pour veoir les jeux et les triumphe que c’estoit merveille ; car les ung
dansoient, les aultres se baignoient en la ripvier, les ung resgairdoient
et les aultres se pourmenoient. Et plusieurs estoient que en resgairdant
les jueulx pairioient et gaigeoient. Et estoit alors ung triumphe a gens
qui avoïent de quoy d’estre en la cité; maix a pouvre gens de villaige,
il amaissent mieulx estre en leur hostel.
Ceulx de Mets ruyne du tout le moustier de Bumbay. — Item, au lende­
mains, qui fut le Xe jour de may, seigneur Michiel le Gornaix, accompaigniés de grant nombre de gens à chevaulx et à piedz, s’en allirent de
rechief à Rombay. Et avec luy enmenait plusieurs massons et charpen­
tier, et grant quantités de chers et de charette. Dessus lesquelles il fit
chergier plusieurs bien en la ville et on moustier de la dite Rombay,
lesquelles avoient eschappés, qui n’avoient point encor estés brûllés.
Et avec yceulx chers et chairettes revindrent tous les piettons chargiez
de biens meubles. Les dit massons et charpentier ont arrasés et mis
à ruine toutes les maisons de la cloison 2 dudit moustier, et tous les
murs et billewart et aultres fortificacion que les Loherains y avoient
heu fait ; et le mirent en tel estât qu’il sembloit que jamaix n’y heust
heu maison. Et ardirent tous le remenant de la ville, c’est assavoir tout
ce qui avoit demouré à ardre le jour de la conquestes cy devant escriptes.
Victoire de ceulx de Mets. — Item, le XIIe jour du meisme moix de
may, ce partirent de Mets environVe chevaulx ; et s’en allirent tenir
embûche en la ville de Vigney ; et envoiairent leur avantcourreurs par

1. Bateaux.
2. Enceinte. Philippe distingue les maisons qui étaient encloses dans l’enceinte
fortifiée et les maisons du village.

1490, 12-20 MAI. — COURSES DES GENS DE METZ EN LORRAINE

167

devant Nomeney. Et ceulx de Nomeney saillirent hors, environ XL chevaulx et XL piettons pour la primier foix ; et puis, après, bien trois
cenc chevaulx et trois cenc piettons. Et, alors, les dit de Mets descou­
vrirent leur embûche et vindrent à frapper sur les dit de Nomeney.
Toutefois, après grant résistance, la grosse rotte se mist à la fuictes, et
ceulx de Mets après 1, jusques au gerdin devant Nommeney. Et illec,
en ce lieu, en y oit desdit de Nomeney plus de XXV des tuez et IX des
prins, hommes d’armes 2 ; entre lesquelx estoit ung appelles Guillaume
Gens d’armes, chastellain de la dite Nommeney. Et olrent en ce faisant
les dit de Mets grant honneurs, sans le proffit, que fut bien grant.
Durant celluy tamps estoit tousjours le duc René de Loherainne au
Pont à Mousson. Et avoit despartis son armée, et donnés congié à ces
gens au gaige ; et, ses aultres gens et subjectz, il les avoit mis en garnison
tant à la dicte ville du Pont, de cost luy, comme à Nomeny, à Vivier,
à Prény, à Confiant, à Brïey et au Sancy. Et ne faisoient rien tout le
moix de may durant fort que de gairder sez plaisse et fort maison.
Et les dit de Mets ne laichoient point, ains journellement courraient sur
luy de tous coustés, et luy faisoient plusieurs grant et grief dopmaige,
tant en bouter les feu comme à tuer ses gens, et en prenant bestes et
prisonniers ; tellement que c'estoit chose merveilleuse.
En cellui tamps, faisoit ung moult biaulx temps. Et se continuoit
le chault ; puis pluvoit aulcune fois une doulce pluye ; et tellement que,
à mey may, les vignes encomensoient à florir. Et paireillement firent les
soilles ; et cressoient fort les fromens.
Course sus ceulx du Pont à Mouson. — Item, le XVIIIe joui de ce
meisme moix de may, les gens d’armes de Mets à chevaulx, avec les
piettons, se mirent ensemble ; et, avec une bonne bande, furent courre
devant le Pont à Mousson. Maix les hommes d’armes qui alors estoient
au Pont n’osèrent jamaix yssir hors pour celle fois. Et, quant lesdit de
Mets virent leur laichetés, il se despartirent en deux bande. Et passirent
les aulcuns la ripvier, et s’en revindrent a loing d’icelle, de 1 aultre part ;
et brûllairent toutte la ville de Vendière, et grant partie de la ville de
Prégney et de Airey ; et ramenairent environ quaitre cenc vaiches et
quaitre cenc tant berbis comme chièvres et pourciaulx.
Paireillement, à celluy jour meisme, il y oit une aultres bande, de
environ trois cenc chevaulx3, qui s’en allirent chergier foin, estrain et
boix en tout les villaige de Entre deux yawes ; et amenairent le tout
à Mets.
Ranconvalz bruslée. — Puis, deux jour après, c’est assavoir le XXe jour
de may, les Allemans de Mets, environ XL chevaulx et XL piettons,
cy s’en allirent courre à Ranconval ; et, là, brûllairent toutte la ville de

1. Ceux de Metz se mettent à courir après les fuyards de la grosse route, de la grosse
hein do

2. 11 faut comprendre : vingt-cinq hommes d’armes tués et neuf hommes d’armes

prisonniers.
3. Chers, chariots, dans Aubrion, p. 252.

168

1490, 2l-26

MAI. — GUERRE ENTRE METZ ET LORRAINE

Neuvechief". Et, à ce voyaige, ont ramenés plus de VIIXX vaiches,
et plus de deux cenc que chieuvre que berbis.
Le butin rescoux par ceulx de Mets. — Au lundemains, XXIe jour
dudit moix, y oit XVIII Lorrains piettons qui vindrent courre jusques à
Maigney ; et prindrent plusieurs corps d’hommes et plusieurs chevaulx.
Et, alors, la gaitte de dessus le clochiez de Mutte sonnait alairme ; et,
tout incontinant, les hommes d’armes de la cité yssirent dehors au
champs, et courrurent après, et racovrent le buttin. Et tellement ont
frappés les ung dessus les aultres qu’il en tuairent V des annemis, et
prindrent les aultres XIII, qu’il ramenairent à Mets ; et, ainsy, il n’en
eschaippait point ung.
Joste en la court Sainct Vincent. ■— En cellui tamps, le jour de l’Ancencion, l'on fist une joste en la court de Sainct Vincent à Mets, de quaitre
Bourguignon. Et y oit grant l'este, que Louuy de Waldres fit, lequelle
alors estoit capitaine général de la cité.
Force alarme donnée par ceulx de Mets sus les Lorrains. — Puis, a
lendemains, qui fut le XXIIe jour de may, seigneurs François le Gournaix, seigneur Jehan Chaverson prindrent tous les Allemans qui estoient
aux gaiges, c’est assavoir environ trois cenc chevaulx et trois cenc
piettons, et s’en allèrent courre devant Faulquemont. Et y brûllairent
trois villaiges, et ramenèrent L prisonniers, avec quaitre cenc vaiches
et deux cenc chevaulx.
En séjour meisme, cenc*1 chevaulx des Bourguygnons estant au gaige
à Mets s’en allèrent devers May la Tour. Et ramenairent XXXV pri­
sonniers et IIIIXX chevaulx de harnaix.
Joste aux Champs Passaille à lance verollée.—Puis, a lendemains, qui
fut le dimenche devant la Panthecouste et le XXIIIe dudit moix de
may, y oit une joste faictes on Champaissaille, à chevaulx et à lance
veroulléez 2, par quaitre hommes d’armes estant au gaiges de la cité.
Et y fist on moult grant chïère et grant feste.
xiij homme prins par les Lorains.— Item, le dit jour, il y oit XIII hom­
mes d’armes à chevaulx des dit de Mets qui s’en estoient allés corre
devers Sainct Nicollas, et avoient prins de très bons prisonniers. Touteffois, a retourner, fortune leur fut contraire : car il furent rencontrés des
Loherains plus fort que eulx. Et furent tous prins et emmenés prison­
niers en Loheraine. Et ainsy peult on bien dire : « Qui tropt embrasse,
mal estraint » ; car c’estoit tropt hardiment fait à eulx de aller sy loing
avec sy petitte compaignie.
Ma la Tour brûllée par ceulx de Mets. — Le XXVIe jour de se meisme
moix de may, les Bourguygnons estans aux gaiges de la cité, en la conduictes et cherge de seigneur Michiel le Gornaix, chevalier, s’en allirent

a. Nuemechief.
1. Environ iijc chevalx (Aubrion, p. 252).
2. Lance virolée, garnie d’une virole à son extrémité. On virolait ainsi les lances de

tournoi, comme plus tard on moucheta les épées (voyez le Glossaire de Gay, à l’article
verroil).

1490, 29 MAI. — PUISSANCE MILITAIRE DE METZ

169

bouter les feu en la ville de Mal la Tour. Et la brûllirent toutte entière­
ment ; et, avec ce, VI aultres villaiges, tant on Genesy comme autour
de la dicte Ma la Tour.
Fristorff brûllée. — Et, ledit jour meisme, les Allemans estant aux
gaiges à Mets s’en allirent brûller la ville de Fristorff dellay Very, et
quaitre aultres villaiges entour de la dicte Fristorff.
La herdre du Pont Thieffroyd récousse. — Puis, à ce jour meisme, envi­
ron XL chevaulx et IIIF* piettons de la garnisson de Briey vinrent
prendre la herdre du Pont Thieffroy ; et alors fut sonnée alairme. Et
saillirent lesdit de Mets, environ VIXX chevaulx et deux cenc piettons ;
cy courrurent après ; et les rescovyrent. Et à celle chaisse priment trois
hommes d’armes, bien montés et bien armés, qu il ramenairent à Mets.
Le Vault de Mets brûllés par les Lorains. — Et, à l’ocausion de ses feu
bouttés, furent des dit Loherains par plusieurs fois boutter les feu on
Vault de Mets ; et tellement que en tous les villaige il n’y demourait
pas de XX maison une enthier que tout ne fût brûllés et destruit,
souverainement Airs, Aincy, Vaulx, Chaistel, Rouzérieulle, Sciey et
Lessey. Et je le sçay bien, car le perre de ma femme en y oit plus de
XVIII des brûllées, que rien n’y demoura.
Item, en ce meisme jour, XXVIe de may, vint en Mets maistre Olry
de Blamont, lequel aultreffois avoit esté esleu évesque de Mets, comme
cy devant ait estés dit, se 1 2volt entremettre de faire paix entre le duc
René et la cité. Maix, pour tant que mon seigneur l’archevesque de
Triesvez avoit heu rescript pour luy en meller 2 devant la venue dudit
seigneur de Blamont, la cité se escusait tellement envers luy que il se
contampta. Et se partit de Mets trois jour après, c’est assavoir le
XXIXe jour dudit moix de may, et s’en retourna dont il estoit venus;
car il vit bien que plus grant que luy s’en voulloit entremettre.
xvc chevaulz aux gaiges de ceulx de Mets, et vii'f piétons, tous eslraingier, sans la comune et le paiis. —Vous devés sçavoir que, en ce tamps et
durant celle guerre, y avoit en la cité de Mets gens d’armes de dyverse
sorte aux gaiges, et de plusieurs pays et nacion, tant à chevaulx comme
à piedz : c’est assavoir Bourguygnons, François, Lumbair, Espaignol,
Biscayn, Gascons, Hainoyer et Picars, puis Allemans, Esclavons et
Albanès ; et de chacune nassion en y avoit grant quantitté ; et avoient
chacun leur cappitainne ; qui bien povoient estre tous ensemble nom­
bres à XVe chevaulx et VIII cenc piettons, gens estraingiers, sans
ceulx de la cité et du pais. Lesquelx par plusieurs fois et souvant se
combaitoient les ung contre les aultres ; dont aulcune foix, à celle
occasion, y avoit grant esmutacion par la cité.

1. Suppléer et avant se volt.
.
2. L’archevêque de Trêves ayant manifesté à la cité de Metz l’intention de s entre­
mettre entre elle et le duc de Lorraine, l’intervention d’Olry de Blamont devient mutile. On le remercie toutefois, et il part content.

170

1490, 2 JUIN. — L’ARCHEVÊQUE DE TRÊVES A METZ POUR LA PAIX

Deffence à tous soldart de nom se deffier ny frapper. — Et, pour osterce
maulvais usaige, le dernier jour de may, fut huchié et cryés à son de
trompe devant la Grant Église de Mets et par tous les carrefors de la
cité, on nom du maistre eschevin, des trèses jurés, des Septz de la
guerre et de tous les cappitainnes, que nul, quelque qu’il fussent, pour
quelque desbat ou différant qu’il eussent ou puissent avoir, ne s’abandïssent “ ne defïîaissent les ungz contre les aultres, au champs ne à la
ville, sur painne de la hart. Et que, se nulz, quelque qu’îlz fussent,
frappoient de bazellaire, de dagues ou espées ou d’aultres taillemans,
il seraient à LX livrez d’amende, selon les ansiens estautus de la cité.
Et, s’il y avoit aulcuns qui feissent desplaisir à l’aultre, ou qu’il voulcist
aulcune chose demander, qu’il venissent par devant Justice, ou par
devant les Septz de la guerre, ou par devant lé cappitainnes, remonstrer
leur cas ; et ceulx qui averoyent méfiait aux aultres, ou que seraient
tenus de quelque chose, c’il ne satifïaisoient, seroie pugnis et tellement
constrains que les aultres y prendraient exemple. Et, permi ce, furent
plus en paix qu’il n’avoient estés devant.
Allairme des Lorains vers Sainct Laidre contre ceulx de Mets. — Item,
le dernier jour de cestui meisme moix de may, au comendement du duc
René, s’en sont retirés au Pont tous ses gens d’armes et piétons, et
toutte la puissance de ses garnisons. Et puis sont venus faire une course
jusques à Sainct Laidre devant la cité ; et, là, ont prins environ IIIIXX
vachez, et les emmenoient chassant devant eulx. Et dès incontinant se
sonnait 1 alairme ; et saillirent de la cité une merveilleuse bande, estimée
à VII mil hommes, tanta piedz comme à chevaulx. Maix, quant il
vinrent aux champs, il trouvairent que les Loherains estoient mis ensem­
ble en baitaille à l’Orme à Owigney. Et les dit de Mets estoient devers
Sainct Privés et à Blory. Et firent les avant coureurs aulcune escar­
mouche. Touteffois les Loherains n’osairent mairchier plus avant vers
ceulx de Mets, qui les atandoient ; et paireillement lesdit de Mets ne se
meurent de leur lieu. Par quoy yceulx Loherains s’en retournairent
errier ; et en ont menés les vaichez, avec trois hommes desdit de Mets
qui furent prins à celle escarmouche : c’est assavoir une cappitaine
dez piettons Gascons, et deux hommes à chevaulx. Et ceulx de Mets
prindrent et en ramenont deux des leur hommes d’armes et ung piétons,
desquelles le nepveu seigneur Gracien de Guerre en estoit l’ung. Et
ainssy se fut choux pour choux.
L’archevesque de Triève arive à Mets pour traicler la paix. — Assés tost
après, c’est assavoir le second jour de jung, vint et arivait en Mets le
devant dit seigneur archevesque de Tresve, lequelle venoit pour faire

a. Une main récente a corrigé abandonnassent, qui ne présente aucun sens. S’abandir
signifie se mettre en bande. Aubrion, p. 255: «... que nulz... ne se bandissent les ungs

contre lez aultres... »

1490, JUIN. — JOURNÉE TENUE A SAINT MARTIN DEVANT METZ

171

la paix. Et avec luy estoient le jonne merquis de Baulde, le conte de
Blancquenem et de Mandresset, et plussieurs aultres noble hommes,
tant chevaliers comme escuiers ; et estoient en tout VIIXX hommes.
Et vinrent yceulx seigneurs en plusieurs nefz, par la ripvier. Et les
seigneurs de la cité cy après nommés luy furent au devant, par yawe,
à belle compaignie : c’est assavoir le seigneur Begnault le Gornaix,
seigneur Wary Roucel, amdeux chevaliers, et seigneur Conraird de
Serrier l’eschevin, qui estoient les trois commis au fait de la guerre ;
et, avec eulx, maistre Conraird Baier, qui estoit pancionnaire de la cite.
Puis furent plusieurs aultres des seigneurs de la dicte cité qui luy furent
au devant, bien montés et armés, par terre : c’est assavoir seigneur
Andrieu de Rineck, seigneur Wiriat Roucel, chevaliers, seigneur Fran­
çois le Gournaix, seigneur Jehan Chaversson, seigneur Jaicque Dex, et
seigneur Jehan Xavin, tous eschevins du pallaix. Et avec eulx furent
trois cenc hommes d’armes. Et avec celle belle compaignie luy furent au
devant par terre jusques endroy Arcancey. Et puis les chanoinnes de la
Grant Église, avec croix, yawe bénicte, torche alumée et ensancier
d’argent, et avec la saincte et vraye Croix d’icelle église, luy allairent au
devant jusques és bairre de Rainport. Et, quant ledit seigneur se partit
hors de la nefz, vinrent les dit chainnonnes, qui luy firent la réverance
et honneur à luy dehu, en le recueillant bénignement. Et puis ce prmdrent à merchier tous en belle ordre, c’est assavoir la vraye Croix et les
torches devant luy, laquel Croix estoit portée par le doien de la Grant
Église de Mets. Et tousjour ainssy, en belle ordonnance, fut le dit sei­
gneur conduit jusques en la dicte Grant Église.
.
L’archevesques logiés en Passe Temps. — Et puis, après qu il eust ai
son oréson, il s’en allait en la maison de Passe Tamps sur Mezelle,
devant Sainct Vincent, en laquelle il fut logiés. Et devés croire que a sa
dessandue en Rainport, et par toutte la rue, ily avoit tant de gens de a
cité et de villaige que l’on ne c’y pouvoit tourner ; car 1 on disoit véri­
tablement que celluy seigneur feroit la paix, laquelle estoit par lesdit
villaigeois fort désirée.
Présent fait audit archevesques. — Audit seigneur fut, on non de la cite,
fait présant de trois gras buef, que bien valloient alors 1111“ frans, de
XXV chastrons, que bien vailloient L frant. Puis lui fut encor donne
ung saulmon et une belle escueille de poisson, de carpe, brochetz,
anguillez et perches, avec trois cawe de vin, c’est assavoir une rouge,
l’aultre clairet et la thier blanc, que bien vailloient alors LX Irans.
Journée tenue à Sainct Mertin devent Mets. — Et adoncque vmdrent
les Loherains à Mollin : c’est assavoir, pour le dit duc René, 1 evesque
de Verdun, Jehan Wisse, bailly de Loherainne, Phelippe, conte de
Linange, bailly d’Allemaigné et merchal de Lorramne, et plusieurs
aultres chevaliers et escuiers. Et fut conclus de tenir la premier journées
à Sainct Mertin devant Mets, et touttes les aultres journée aprez a
Sainct Arnoult. En quoy la cité oit grant honneurs ; et estoit bien
apparant que les Loherains queroient la paix, quant il furent de sy près
contrains qu’il les couvint venir journier tout au porte de la cite. Et,

172

1490, 6

JUIN. -— JOURNÉE TENUE A SAINT ARNOULD

à ycelle journée à tenir, n’y avoit saul conduit pour les parties que jusques au nombre de LX personnes de chacune part.
Butin rescoux par ceulx de Mets. — Item, le Ve jour de jung, ledit
seigneur archevesque et les parties devant dictes eulx estant à Sainct
Arnoult tenant les journée, vindrent les Loherains courre assés près du
Genetroy ; et prmdrent des chevaulx et des vaichez. Et dès incontinant
Meutte sonnait alairme. Par quoy environ trois cenc chevaulx de la cité,
homme d’armes bien en point et bien armés, saillirent dehors au champs;
et commirent après, et lez enchaissairenttellement que tout fut rescous.'
Et n orent les dit Lorrains pour eulx salver plus d’espace que de mettre
piedz à terre, et abandonnaïrent leur chevaulx pour s’en fuyr dedans
le bois ; par quoy fut prins deux d’iceulx chevaulx et amenés à Mets.
Et, à leur retour, ledit seigneur de Tresves, embassaideur, avec ses
gens, volrent veoir passer lesdit de Mets, à banier desploiéez, qui chevaulchoient moult fièrement et en belle ordre. De quoy lesdit Loherains
povoient estre bien desplaisans de celle rescousse ainssy faicte sur leur
gens, eulx estantz aus dicte journées, qui estoit grant honneur à la cité.
Journée tenue à Sainct Arnoult. — Au lundemain, qui estoit le VIe jour
de ce meisme moix de jung, furent les journées encor à Sainct Arnoult,
Auquelles jour mon seigneur de Treisves très affectueusement priait
aux seigneurs commis de la cité qu’il volcissent laissier hors de prison
Géraird de Haracourt, qui estoit prisonnier en l’ostel de la Burlette de
la ville, pour venir veoir Lévesque de Verdum, son oncle, qui alors estoit
a Sainct Arnoulz. Et les seigneurs devant dit, à la prier dudit seigneur
archevesque, furent contant de ce faire, et ont laichiez ledit Géraird
XV jour sus sa foy. Et fut menés à Sainct Arnoult par le seigneur
Michiel le Gournaix, seigneur Jehan Papperel, et par le seigneur Nicolle
Remiat. Et ledit évesque de Verdun et sa compaignie l’emmenairent
avec eulx à Mollin.
Item, en celluy tamps, fut fait et composés ung proverbe et ung dicton
ycy après escript. Auquelle, par les premiers lettres des quaitre premiers
lignes, est trouvés et escript le nom de la cité 1, et, par touctes les aultres
lettres dudit vers qui font nombre, est trouvés le millair de la guerre
devant dictes, c’est assavoir de l’an mil quaitre cenc IIIR* et dix.
Lisés ; il est ycy escript tel qu’i s’ensuit :
Messains, de tous bien assouvis “,
Enffans de vraye libertés,
Tous franches gens neis et noris,
Soiés unis en prospérités.
Pansés tousjours sur vous affaires,
Justices tenés aux adversaires ;
Ossouvis.
Le hui tain conservé par Aubrion (p. 256-257) offre un texte différent ■ les pre­
mières lettres de chaque vers forment le mot METSAÎNS. - II m’a été impossible de
retrouver la date de 1490 dans le texte de Philippe aussi bien que dans celui d’Aubrion.
a.

}■

1490 JUIN. — CHANSON SUR LA GUERRE
,

116

Et il n’airont sur vous povoir,
S’ainssy viveis, je vous dis voir.
Durant se tamps furent encor faictes plusieurs aultres dicüer et
ballaides. Entre lesquelles fut faictes la chanson qui s ensuit. Et lut
chantée joyeusement par plusieurs fois durant la guerre.
Vive Bourgongne et Ostriche,
Et Mets la noble cité,
Et confonde ces Lorains chiche,
Remply de toutes inniquité !
Franc Bourguingnon, de tout cousté
Renforcés voustre hardiesse,
Affin c’on puist tousjour crier :
Vive Bourgogne, Ostriche et Mets !
Gentil Loys de Wauldres,
Et Jan de Vy, bon Bourguingnon,
Alveralde le bien armés,
Jen Barbiés, le bastard Cordon,
Et la capitainne Blancheron,
Acompaigniez du Castellain,
Souviengne vous du Bourguingnon
Qui molrut entre les Lorains !
Loherains, vous vous monstrés vaillant
Au saillir de voustre avantgarde ;
Pour vous nous somes essés de gens,
Se vous n’estes bien sur voustre gairde :
Car nous avons vaillant gens d’armes,
Et piétons bons adventureux,
Lesqueulx vous passeront voz barde *1 ;
J à demouront les maleureux.
Qu’avés vous en pansée de faire,
A vous tenir sur Sainct Quentin ?
Vous ne nous poyés rien meffaire,
Ne gaingnier de notre buttin.
Se vous vous trouvés au huttin,
Vous en avérés la piaulx houssée 2 ;

i

1 Barde après avoir désigné une sorte d’armure qui protégeait le poitrail des
’ • ^ -ca • harnachement d’un homme d’armes (Montaigne, II, 9).
ra^^:Nnettoyefavec le“ * uW, balai de houx qui sert à épousseter. S’emploie

au figuré dès l’ancien français.

174

1490,

JUIN. — CHANSON SUR LA GUERRE

On dit en ung commun latin :
Commancement n’est pas fuzée b
Cuidiés vous avoir fait vaillance
D’aller abaitre nostre justice ?
C’est à ung prince povre vengence
Que de soy mette à telz office.
Craindez les gens du duc d’Ostriche ;
Que pas n’encheez en leur mains,
Car il vous feront ung tel service
Qu’a dessus serront les Messains.
L’on vous ferait faire raison 12 3;
Dont à la fin serés perdus.
Faictes bonne guerre sans traïson :
Qui aultrement fait, il est dessus a.
Il y ait XVII ans et plus
Que vous faillist à votre amprinse,
Et fustes rechassiez tout nudz
De nous gens en pure chemise.
En saillant hors de vous embûche,
Vous nous donnés beaucop d’allarmes ;
Il ne covient pas c’on nous huche,
Car nous avons vaillant gen d’armes.
Le Chastellain, armés en armes,
Pour vous volloir faire vergongne,
Rompit sa lance sur vous gen d’armes,
En rescriant : Vive Bourgongne !
Vous vinte pour prandre nos vaches
En traversant nostre ryvier,
Maix vous trouvaste des estaiches 4
Que vous firent retorner arrier.
Vous estiens sans croix 5 et sans banier,
Pour cuidiez foller 6 nous piétons :
Il vous eussent tout mis en bière,
Se n’eussiés monstrés les talions.

1. Commencement n’est pas fusée : besogne commencée n’est pas besogne achevée ;
la fusée est la masse de fil entourée autour du fuseau. Ce proverbe se retrouve dans
Perceforest, t. V, f° 84.
2. Faire raison à quelqu’un : le traiter comme il le mérite.
3. Déçu.
4. Estache, pieu, poteau. — Allusion à un lait que Philippe n’a pas relaté.
5. Le mot croix est remplacé dans le texte par un dessin de la croix de Lorraine.
Dès cette époque, la croix de Lorraine appartenait donc spécifiquement à la Lorraine.
6. Foler, tromper.

Le noble vaillant eappitainne
Que de Wauldres pourte le nom,
Il vous fist une mortelle painne,
Salve touteffois corrections.
Il receut bien des horions,
Se fuit de vous avantcoureus,
Mais comme ung vaillant champions,
Il demoura victorieux.
Loherains, nous sommes fort esbays,
Quel chose vous venés cy faire,
Veu que à présent n’avés amis
Que à cest heuvre vous vueulle bien faire.
Lassés en paix les débonnaires
Seigneurs de Mets la cité,
Lesquelx ne veullent à nully guerre.
Sinon que vivre en ami té.
Vous nous venés tousjours poindant,
Comme on fait l’aisne à 1 esguillon ,
Il fault que soyons deffandant,
Veu le bon droit que nous avons.
Lassez nous en paix, nous vous lasserons .
Chescuns se tire à sa chescune ;
A nulluy pilliés nous n’atandons 1,
Car ce n’est pas nostre coustume.
Prince, vray Dieu qu’est tout puissant,
Mettés la paix au deux partie,
Affin c’ung chacun en soit comptant !
Très humblement je vous supplie,
Glorieuse vierge Marie,
A ce vueuillez tenir la mains,
Affin que nulluy ne périe
Tant les Loherains comme les Messains !
Plusieurs aultres chaussons et ballaides, virlay et rondeaulx furent
ncor faictes durant celle pestilancieuse guerre, tant d ung eoustés que
l’aultres, desquelle je me despourte pour abregier.
Durant ses jours estaient lesdit seigneurs embassadeurs tousjours
iro cédant on fait de celle paix. Ce non obstant, les Loherains et les
Messains n’espergnoient point de courre les ung sur les ^'tres i ams de
dus fort en plus fort se efïorsoient les partie de se grever et adomaigier.

176

1490, 7-9 JUIN. — GUERRE ENTRE LORRAINE ET METZ

Melsains rescous. — Et tellement que, le VIIe jour de jung, bien
tairt, environ les VII heures à la nuyt, les dit Loherains vindrent tendre
entre la cité et Lory devant Mets sur les povres gens que revenoient des
champs labourer en vigne ; et prindrent XVII d’iceulx bon hommes.
Par quoy la gaitte qui alors estoit en la tour de Saint Vincent, voiant
l’efïroy, sonmt alarme ; et aussy fist celluy qui estoit en la tour de
Mutte. Et alors saillirent gens de Mets à piedz et à chevaulx en grant
nombre ; et en grant diligence les poursuirent jusques au dessoubz de
Noeroy devant Mets. Et là ont secourus et rescous tous les pouvres
gens que yceulx Loherains avoient prins : et les ramenairent à Mets.
Maix il ne prindrent nulz desdit Loherains, pour tant que, quant ilz
virent venir lesdit de Mets, il abandonnirent tout et s’en fuyrent bien
hastivement dedans le bois, et laissairent aller les dit bon hommes.
Course de ceulx de Metz. — Et, à ce jour meisme, aulcuns des piétons
de Mets furent courre devant le Pont à Mousson. Et prindrent ung
hommes d’arme des annemis, appellés maistre Andrieu, lequel, à l’acommencement de la guerre, avoit estés aux gaiges de la cité, et se avoit
heu fait casser pour ce randre Loherains. Et prindrent aussy le munier
de Por sur Saille (qui alors estoit en partie à la cité) ; et estoit celluy
munier guide des Loherains contre la dicte cité.
En ce meisme jour, y oit encor plusieurs aultres chevaulcheur de
Mets qui furent courre devers Briey. Et ramenairent grant quantitté de
vaiches, de chièvres et de brebis.
Au lundemains, qui fut le VIIIe jour dudit moix de jung, les Bour­
guignons qui estoient au gaige de la cité courrurent devers Morhange.
lit y prindrent environ trois cenc vaches, et plussieurs chièvres et
brebis.
Et, le dit jour meisme, les Allemans, qui paireillement estoient aux
gaiges, courrurent dever Sainct Avoul. Et ramenairent environ deux
cenc chevaulx de hernex.
Vilaige du pais de Mets brullés. — Puis, le IXe jour du meisme moix,
aulcuns Loherains vindrent boutter les feux à Arcancy, à Ollexey et à
Malleroy. Et, ardirent en chacune des dites villes une maison.
Et, à ce meisme jour, aulcuns aultres Loherains vinrent courre
devant les pont, cuydant prande quelques gens ou bestes. Maix ceulx de
Mets saillirent hors, et leur ont donnés la chasse, tellement qu’il leur
fut biaulx c’il se polrent salver.
Item, en ce meisme jour, y oit ung légal de Nostre Sainct Perre le
Pappe, lequel alors venoit de devers le Roy des Romains et s’en retournoit en France ; et paissait par Nancey, et parla au duc René de Loherainne, qui alors y estoit. Puis, après plusieurs perolles, envoiait celluy
légal de ces gens à Mets luy offrir de soy entremettre de faire la paix.
Sur quoy les seigneurs de la cité le firent remercier de sa bonne voulluntés ; et, en eulx escusant, luy firent dire que mon seigneur de Triesve
estoit à Mets pour la dictez paix à faire, et qu’il sçavoient bien qu’il
en tireroit des partie tout ce qu’il serait possible pour trouver manier de

1490, 10-11 JUIN. — GUERRE ENTRE LORRAINE ET METZ

177

faire la dicte paix. Par quoy ledit légal, la responce oyeez, ne vint point
à Mets.
Le lundemains, Xe jour de jung, fut le jour du Sainct Sacrement de
l’autel. Auquel jour il pleut trefïort grosse pluye mellée de grelle, jusques à midy ; maix, Dieu mercy, elle ne fist point de mal.
Les Lorains rechassés. — En ce jour meisme, les Loherains, à heure
de disner, vinrent courre par dever Sainct Laidre. Et y prindrent plu­
sieurs chevaulx de chairue ; et tuairent ung povre homme qui les gardoit. Et, à cest efîroy, aulcuns hommes d’armes de Metz chaissirent
après jusques Fayt \ et rescovyrent tous le buttin , et, avec ce, prin­
drent ung hommes d’armes des annemis et l’amenairent à Mets.
Et, par ainsy, lesdit Loherains l’avoient mal partis : car, en tout le
pais de Mets, il ne trouvoient que prendre, s’il ne venoient se avanturés
bien près d’icelle cité Et, le plus souvant, quant ilz y venoient et qu’il
avoient chairgiez, il leur estoit force de tout abandonner pour ce salver ;
et encor en y demouroit tousjours des pièces. Mais, au contraire, lesdit
de Mets avoient biaulx faire *1 : car journellement s’en alloient courre
en la duchié de Bar et de Loheraine, on merquisaige du Pont et on
bailliaige d’Allemaingne, desquelles lieu il ne pouvoient saillir qu’il ne
ramenaissent tousjours gens, bestes et aultres biens ; qui estoit ung très
grant desplaisir et ung grant dompmaige pour lesdit Loherains.
Le conte de Salmes et aultre délivrés sus leur foy. — Au jour après,
XIe de jung, fut mis hors des prison George d’Ornocourt2, sur sa foidz.
Et luy fut donnés XV jour de respit pour retourner errier en prison. —
Puis, au lundemains, XIIe jour dudit moix de jung, fut pareillement
mis hors de prison de l’ostel à la Burlette Jaicques, conte de Salme, sur
sa foid, pour XV jour au 3 retour de prison.
Deux prebstre délivrés de prison. — Et, à ce meisme jour, furent mis
hors de l’ostel du doien et délivrés à mon seigneur le vicaire de l’évesque
de Mets deux prebstre qui avoient estés prins ; l’ung, pour aulcune
maulvaise malvitiet qu’ilz volloient faire contre la cité et contre le bien
commun ; et l’aultre, pour tant qu’il avoit faulcey son serment, d’aultant qu’il avoit heu jurés d’estre bons et loyal à la cité. Et on y trouva
faulte ; et, alors, le vicaire à qui il avoient estés délivrés, comme dit est,
les fist mener en la Court l’Évesquez en sa prison.
Plus de vc pièces de beste prinse par ceulx de Mets. —- Item, ledit jour,
le seigneur de Borcette, qui estoit au gaige de la cité, accompaigniez de
cenc et L chevaulx et de trois cenc piettons, corrurent devers Briey et
devers Fléville. Et ramenairent par la porte du pont dé Mors près de
Ve pièce de beste à corne et deux cenc pièce de menue beste, c’est
assavoir brebis et mouton, et environ XL chevaulx de hernex.

a. Une main postérieure a ajouté de Metz entre les lignes.
1. Image tirée du jeu de paume : Vavoir beau (le coup), Vavoir belle (la balle). Nous
dirions aujourd’hui avec une image analogue : les Messins avaient beau jeu.
2. George d’Oriocourt (Aubrion, p. 258).
3. Jusqu’au retour dans la prison.

178

1490, 13-17

JUIN. •— GUERRE ENTRE LORRAINE ET METZ

Et, à ce jour meisme, les commis des Loherains tenoient journée
devant monseigneur de Triesve à Sainct Arnoult pour faire la paix ;
maix les seigneurs commis de la cité n’y estoient point, car il avoient
parlés audit seigneur archevesque à ce meisme jour du mattin.
Ceux de Mets courre en dyvers lieu permei le paiis de Lorainne. — Or,
quant les hommes d’armes estant au gaige de la cité virent et aperseurent que à la bonne essiant l’on traictoit la paix, ilz en furent desplai­
sant ; par quoy il ce mirent ensamble par plusieurs bande, et saillirent
dehors aux champs pour conquérir buttin en diverse lieu sur les annemis.
Les ung prindrent leur chemin devers Bassonpier ; les aultres devers
Cierque ; et aulcuns devers Nominy. Et tellemant que à ce jour il ont
heu ramenés une grosse proie et ung bon buttin, tant en chevaulx
comme en vaiches, en chièvre, en pourciaulx et en berbis. Et venoient
de tout cousté, les ung par la porte du pont Thiefïroy, les aultres par le
pont Rengmont, et d’aultrez par la porte à Maizelle.
Par quoy aulcuns Loherains, pour ce vangier de l’injure, Se assamblairent au lundemains, XIIIe jour du meisme moix de jung, et, eulx
XXX chevaulx, s’en vindrent courre devant Sainct Privey. Et dès
incontinent les dit de Mets saillirent dehors au champs sur eulx ; et,
de prime face, prindrent trois hommes d’armes des dits Loherains, très
bien montez et bien armés. Lesquelx, après qu’il furent prins, dirent
audit de Mets que les Loherains avoient mis une grande embûche de
VI cent chevaulx et VI cent piettons et plus. Par quoy lesdit de Mets,
croyant qu’il fût vray, se mirent en belle ordonnance (car alors il estoient
environ mil chevaulx et deux mil piettons) ; et menoient bonne artillerie
avec eulx ; sy se mirent en chemin, cuidant trouver leur annemis. Et
furent jusques oultre une moitresse nommée Prayel. Et estoient tous
délibérés de livrer l’artillerie 1 aux dit Loherains, s’il les eussent trouvés ;
maix ilz ne les trouvairent pas. Et aussy n’estoit pas vray qu’ilz y
eussent estés ; car, pour lors, le duc de Loherainne n’eust sceu mettre
tant de gens ensemble en quaitre jours, par quoy on en eust estez bien
advertis.
Les Lorains et Messains se veuille livrer baitaille. — Le XVIIe jour
de se meisme moix de jung, le duc René et toutte sa puissance, qui
estoit environ de mil chevaulx en tout et XII cenc piettons, réservés
environ cenc et L chevaulx que la Hurte avoit à Cierque, s’en vint
jusques à l’Orme à Owegney, avec X pièces d’artillerie. Et illec se mirent
en baittaille, et envoiairent des avant courreurs jusques à Sainct Laidre.
Et alors ceulx de Mets, au nombre de XIIe chevaulx et V mil piettons,
avec X pièces d’artillerie, saillirent dehors aux champs ; et paireillement
s’en allirent mettre en baitaille decost la petitte Sainct Laidre. Et
furent longuement ainssy les ung devant les aultres sans ce faire aultre

1. Corriger : livrer bataille (Aubrion, p. 259).

1490, 17 JUIN. — L’ARCHEVÊQUE DE TRÊVES DEMANDE LA PAIX

179

chose, fort que de chacune partie y avoit plusieurs avant coureux
lesquelles très bien se escarmouchoient ; et tellement que les dit Loherains en prindrent trois hommes de ceulx de Mets, et les dit de Mets en
prindrent VI des leur ; et plusieurs en furent des blessiez. Puis s’en
retournairent les Loherains à Pont à Mousson, tout ainsy, sans aultre
chose faire ; et ceulx de Mets s’en retournairent paireillement en la cité.
Le capitainne de Ciercque sur ceulx de Mets; vaillance d’ung des
seigneur de Mets. — Et, à ce meisme jour, dès incontinant que on eust
dînés,vint ung aultres allarmes à la porte du pont Rengmont.Car alors
la Hurte c’estoit pertis de Cierque avec ses gens ; et vint bouter les feu
à Anerey 1 et à Wramey. Et adoncque environ quaitre cenc chevaulx
desdit de Mets saillirent dehors aux champs vers celle part ; desquelles
le seigneur Jehan le Gornaix, acompaigniez de XXX chevaulx, fraippait dedans eulx des premiers, et, d’ung grant couraige, se lansa en
eulx ; et tellement s’y pourta vaillant qu’il abbatit la Hurte à terre, de
quoy il acquist grant honneur, et en fut loez et prisiez de tous les cappitaines et hommes d’armes de la cité. Car, luy qui estoit ung petit corps
boussus et contrefait, avoit en luy tant de hardiesse qu’il n’y avoit
hommes qu’il ne faisît trambler. Il estoit court de beu 2 et fort fandus
de jambe, bien chevaulchant ung chevaulx, par quoy nullement on ne
le pouvoit ataindre ne desmonter. Et ce qu’il estoit ainssy contrefait
n’estoit pas de nature, ains estoit de pourter l’airmet et le hairnex
tropt josne ; car, en son josne eayge, il avoit tousjours hantés la guerre.
Touteffois, par sa grant hardiesse, il fut en grant dangier d’estre prins
ou tués. Et, de fait, il y fut tirés d’ung vireton tout parmey le bras,-et en
la cuisse oit ung copt d’espée, et fut fort blessés. A celle escarmouche
y oit ung chevaliers qui estoit aux gaiges desdit de Mets, appellé le
seigneurde Draguevolse, et deux aultres hommes d’armes avec luy, qui
furent prins des annemis et enmenés prisonnier ; et ung aultres y fut
tués. Et par ainsy on vit bien et congneut on que le duc René avoit à ce
jour délibéré d’entreprendre en deux lieu sur la cité ; maix, Dieu mercy !,
la chose se porta assés bien, cellon l’aventure ; et ne l’oit pas le duc du
tout à sa voullunté.
Prière de Varchevesquez d’apointer avec le duc de Lorraine.
Item,
celluy jour mesme, mon seigneur de Tresve estant encor à Mets, et
voyant qu’il y avoit aulcuns article que messeigneurs de la cité ne
volloient acorder ne passer, cy s’en vint luy meisme on Pallaix en la
chambre des Trèzes, et perla à tous les seigneurs du Conseil, eulx
remonstrant le fait, et eulx priant d eulx lessier traictier et acorder.
Qui estoit audit seigneur ung grant signe d’humilité ; et aussy estoit
une grand honneur à la cité, quant ung tel prince que ledit seigneur de
Triesve prenoit tant de travail et paine corne de voulloir celle guerre

1. Amancey dans Aubrion, p. 260. Il fallait lire Aivancey ( Avancy, hameau, com­
mune de Sainte-Barbe).
2. Bu, buste, tronc.

180

1490, 22

juin.



paix entre lorraine et metz

appaisanter, et de luy avoir traveillier, et laissier toutte ses affaire pour
venir journoier en la cité.
Paix criéez entre ceulx de Mets et de Lorainne. — Toutteffois, quelque
reffus qu’i fût desdicte pertie, le bon seigneurne laichait point sa queste,
ains de tout son cuerse traveillad’apaisanter se discort. Et tellemant que,
moiennant la graice de Dieu, le XVe jour de se meisme moix de jung,
il acourda les partie. Et fut celle paix faicte, maix non pas publiéez
jusques a XXe jour dudit moix ; lequelle tamps durant furent les
article d’icelle paix escriptes. Et puis, deux jour après, c’est assavoir
le XXIIe jour du meisme moix de jung, fut celle paix à son de trompe
cryées et publiée tant en Loherainne comme en la cité. Moyennant
laquelle furent tous prisonniers quictes et delivres d’ung cousté et
d’aultres, en paiant leur despans. Et plusieurs aultres condicion et
article y furent compp[r]ins, corne la teneur s’ensuit.
L'appoiniemenl1 et traidier de la paix faides entre le duc René de
Loherainne et la cité de Mets, par très révérend père en Dieu seigneur
Jehan, archevesque de Triesve et chancellier du Sainct Empire, etc.
Le contenus de la paix. — Nous, Jehan, par la grâce de Dieu arche­
vesque de Triesves, chancellier héritable du Sainct Empire 2 ez parties
de Galles et parmy le royaulme d’Airles, et prince élyseur, etc. 3, faisons
sçavoir à congniscence 4 ouvertement par ces lettres à tous ceulx qui les
verront et orront lire que, comme aulcun différant, malivolence et
dissencion ayent estey, et parmy ycelle différance 5 guerre se sont
eslevée entre hault et puissant prince seigneurs René, duc de Lohe­
rainne, de Bar et de Calabre, marchiz, merquis du Pont, conte de
Provence, de Wauldémont et deHarcourt, etc., nostre très chier cousin,
d’une part, et les honnorables et6 saige seigneurs 7 noz amés singuliers
maistre eschevin, trèzes jurez, Conseille et comunaulté de la cité de
Metz, d’aultre part, sy nous sommes transpourtés icy, à la louuange de
Dieu le 8 tout puissant, et à l’avansemant du commung proffft, pour
ledit différant, malivolances, dissencion, defïiance et guerre mener à
paix, et accorder entre les deux parties dessus nommées par leale
diligence ainssy avant besongnier 9.
1. L’original du traité, qui est en allemand, se trouve dans les Archives de la ville de
Metz, carton 72. Nous avons utilisé une copie sur papier de la traduction, qui est jointe
à l’original par une ligature de parchemin : Coppie de la translacion des lettres de Vapoinctement et paix fait avec les Lorains le jour de la sainct Vy mil iiijc iiijIX et x an, avec les
lettres de ceu que les prisonniers sont et ont estez taixiés. — Nous ne signalons pas les
variantes de pure forme.
2. La copie porte ici : de Romme.
3. Etc. n’est pas dans la copie.
4. Faisons sçavoir et cognissant.
5. Et permei ce deffiances deffiances (sic) et guerre.
6. Et manque.
7. Seigneurs manque.
8. Le manque.
9. Je comprends ; par besongnier ainssy avant par leale diligence,» en agissant ainsi

1490, 22 JUIN. — TRAITÉ DE PAIX ENTRE LORRAINE ET METZ

181

A premier ], pour tout les deux parties2, leur aydant, de leur aydant3,
subgectz, appartenant 4, spirituel et temporel, aussy ceulx qui pour
leurs propres fait en ces dessus dit deffience à 5 guerre se sont mis et
bouttés, desquelx une chacune partie s’en ait fait fort6, et, nomméement, du cousté de nostre dit cousin de Loherainne, Gracien de Guerre 7,
Arnoult de Fenestrange, Geoffroy de Bassompier 7, Hannès et Arnoult
Crantz de Grifolhem 8, frère et 9 filz de la Grant Barbe, qui fut tué à
Mets, et, du cousté de ceulx de Mets, Pelter Capeller, de Sobenquen 10,
aussy leur aydant, de leur aydant*11,1et ceulx qui, d’ung costé et d’aultre,
pouroient12 estre antandus, debveront mettre jus touctes les dicte
deffiances et guerre entièrement, comme ensy13 les dicte deffiences et
guerre dès maintenant en vertus de ces lettres mettre jus.
Et que14 sur ce, touctes les deux parties, et leur appartenant dessus
nommés, pour eulx, leur aydant, aydant de leurs aydans, et subgectz,
renunceront à touctes pilleries, feu boutterls, occision, prinses et
dompmaiges, et ad ce qui est avenus on temps de ces deffiences et
guerre. Semblablement à touctes ranssons de feu non payée16, comme
ensy 17 en vertus de ces lettres, sur ce renuncent; réservé toutesvoie
censes, revenuees18 escheuttes et dehue en fiedz, arïer fiedz, desmes et19
droicture, en vin, en grain, Sel, argent20 et aultres chose, de ce qui se
trouverait véritablement devant les mains non levée 21, lesquelz debve­
ront estre délivrés et entierrement payée et22 ceulx de Mets à leur
à qui23 les dictes rentes, revenuees, censes24 appartiennent.Maix tout ce
de héritaige dessusdit, rente26, censes et revenuees qui se trouveront26
auparavant loyalement et diligemment ». Comme il arrive en ancien français, la double
préposition n’est exprimée qu’une fois.
1. A premier manque.
2. Que toutes les deulx perties.
3. Leurs aidans, aidans des aidons.
4. Subgjectz et apertenans.
5. Et.
6. Tort.
7. La copie ajoute : chevalier.
8. Arnoult Krantz de Grifpiltzheim.
9. Tout ce membre de phrase: frèreet filzde la Grant Barbe, qui fut tuéa Metz, manque.
10. Sabraiheim (?)
11. Aussy leur aidans, aidans des aidans.
12. Avant pouroient, en ?
13. Aussy.
14. Item, que.
15. Manque dans la copie : un blanc marque que le copiste n’a pu lire feu boutter dans
l’original.
16. A toutes rançons de feu non parties.
17. Comme aussy.
18. Rentes, censes et revenuees.
19. Ou.
20. Or et argent.
21. Et non levée.
22. A.
23. A ceulx de Mets et au leurs, à quy.
24. Lesdictes rentes, revenues et censes.
25. Mais tout ce à?arriéraiges desdictes rentes.
2 6. Tro uvenro ie nt.

182

1490, 22

juin.



traité de paix entre lorraine et metz

véritablement avoir esté levée on temps des guerres et defïience dessus
dite 1 de Fenestrange, Bassompier, Crantz, aussy de nostre cousin de
Loherainne, jusques à présent, doit demourer en amyable déterminacion, ou par droict du traictié et appointement sy après escript.
Item2, doient tous ceulx des deux parties en touctes les dessusdite
defïiences que les gens d’armes, piettons et aultres, qui sont encor
détenus, estres quictes parmy promesse accoustumée, en payant rai­
sonnablement despens, sans malengin.
Et, avec ce, que tous ceulx des deux coustés debvent estre restituez,
revenir et estre remis à ce que 3 par avant les dessusdit defïience,
malivolence, division et guerre avoient, tenoient et possédoient, ainsy
comme il est à présent, sans malengin, soient chasteaulx, villaige,
gaingnaiges 4, desmes, rentes, revenuees, seigneuries et aultres 5 droîctures, fiedz, arier fiedz, franc alieux, guaiges 6 et aultres chose, poulroient jouyr 7 et user en la nature, condicion et obligacion, tout ainsy
comme auparavant des dite defïience, malivolence, discension et guerre.
Et que 8 tout ce que par cy devant9 en lettre, seaulx, or, argent,
jualx, marchandise et aultres choses, quelle qu’elles fuissent10, sans rien
excepter que d’ung cousté et d’aultre, averoit esté mise, desposée ou
engaigée en mains de gens d’Esglise ou temporel, debvent appartenir
à ung chacun en la forme et manier, et de droicture, comme se les dite11
defïience, malivolence, discention et guerre n’eussent point esté.
Et aussy que 12 toutes defïence et empêchement de achetter et13 de
vendre, mener 14 et ramener, hanter et converser, par yawe et13 par
terre, deibvent estre du tout anyantie et mise jus. Et doit on en ceu
user affaire comme 15 paravant toutes 16 deffences et empeschemens.
Item, que telle poursuite et demande que nostre dit cousin de Loheraine prêtant et17 avoir depuis la journée tenuee au lieu de Nancey

1. Des dessusdicts de Fénestranges.
2. Tout ce paragraphe manque dans la copie. Il manque également dans Dom
Calmet, lre éd., t. IV, Preuves du t. III, col. ccxcix.
Le texte est évidemment corrompu ; il faut interpréter : Tous les gens d’armes,
appartenant aux deux parties, qui ont été faits prisonniers au cours des dites guerres et
qui sont encore détenus, doivent être délivrés, etc.
3. Item, que chacun de tous les deulx coustelz doit [estre] restitué, revenir et estre l'emis
ad ce que... Il faut suppléer : estre restitué.
4. Villaiges et gaignaige.

5. Et aultres manque.
6. Gaigières.
7. Pour en joyr.
8. Item, que.
9. Tout ce que cy avant.
10. Comment et quelle choses que se fussent.
11. Dessusdictes.
12. Item, que.
13. Et manque.
14. De mener.
15. Et faire ainsy comme.
16. Ici nous comblons, en italiques, une lacune de Philippe à l’aide de la copie.
17. Et manque.

,

1490 22 JUIN. — TRAITÉ DE PAIX ENTRE LORRAINE ET METZ

183

et avant les dessus dicte deffîances, pour lesquelles demandes sa dilection prêtant et avoir à tel par raison [m]ue esdicte deffîances 1 et guerre,
et aussy lez poursuite à ce que 2 une chacune partie leur appartenant
prêtant avoir l’un et l’aultre 3, par quoy par adventure puît estre reve­
nus 4 en différence, malivolence, deffience 8 et guerre, doient par six
des amis des parties, c’est assavoir de chacune partie trois, estre faictes
diligence, dedens le jour de la sainct Remey prochain venant, amyablement appaisantés les dessus dite différant6. Et ceulx 7 que lesdit six ne
poulront accorder amyablement doit estre rapporté et remis par eulx
et par dessus8 nomément et9 nous et à aulcuns des amis et10 députtés
de la cité de Strabourch. Et, après avoir ouy lez parties souffisamment
en11 leurs preuves et producions, doit estre par nous et les dit de Stra­
bourch déterminé 12.
Et, s’il advenoit que nous ou lesdicts de Strabourg en une article ou en13
plussieurs ne fuissent unis ou descort14, en ce cas, nous à lo eulx debvons
eslire par 16 nostre conseil septz proudommes entendus et non parcialle,
selon17 la grant partie d’iceulx faire nostre déterminacion 18. Et doient
aussy touctes les dite19 deux parties avons 20, à grant21 diligence et à la
certe, priez lesdit de Straubourch 22, et tant faire qu’il prengnent cette
cherge. Et doient les dit23 différant estre veudiez et déterminez entre
cy et Noël qui vient en ung an, se ledit terme n’est prolonguez 24 par
nous, les par dessus, pourveu toutesvoie que la dite prorogacion ne se
1. Sa dilection prétend avoir estez par raison mû... Le duc de Lorraine prétend que ces
demandes ont été la cause (juste) de la guerre.
2. Et ce que.
3. Et leurs aperthenant prétendant avoir Vune l aultre.
4. Venus.
5. Discens ions, deffîances.
.
6. Doibvent par six, dont chacune pertie en doit nommer trois, et les avoir a jour ae la
sainct Remey prochien venant à Thionville, pour par y ceulx faire toute diligence d appaissanter les dessusdicts différens en Vamiableté.
7. Ce.
8. Aperdessus.
- 9. A.
10. Et manque.

11
12. Ici nous comblons, en italiques, une lacune de Philippe à 1 aide de la copie.
13. Par.
14. D'accord.
15. Et.
16. Pour.
17. Sic. Il faut évidemment ajouter pour avant selon.
18. Pour décider à la majorité des suffrages.
19. Dites manque.
20. Et nous.
21. Grant manque.
, T
, .___.
22. A diligence à la certes prière desdicts de Strabourg. — A la certe^ : serieusement.
C’est l’ancien français à certes (Joinville, Vie de saint Louis : me pria si a certesi comme
elle pot ; elle me pria aussi instamment qu’elle put). - Il faut comprendre : et les deux
parties doivent, le plus tôt possible et le plus instamment possible, prier les ambassa­
deurs de Strasbourg d’accepter cette mission.
23. Dessusdicts.
24. Prorogué.

184

1490, 22 JUIN. — TRAITÉ DE PAIX ENTRE LORRAINE ET METZ

estande et qu'elle ne passe la sainct Jehan Baptiste après ledit terme
prochain ensuyvant.
Et, s’il y avoit aulcuns des six nommés par les parties quil ne puissent
ou voulcissent1 11entendre au dessusdit amyablement et traictié 2
poulront les dictez parties à 3 une chacune d’icelle nommer et mettre
aultre en lieu de ce 4 celuy ou de 5 ceulx qui nevolroient entendre 6.
Et, si cas estoit que 7 nous dedens le terme de la dite déterminacion
et prorogacion 8 alhssent de vie à trespas, en ce cas les dite parties
debveront eslire et prendre nostre prochain successeur, esleu, postulés
ou archevesque de Striesves », en nostre dit 49 lieu. Et, ce44 que ensy par
eulx amyablement serait veudiez, ou aultrement déterminé, serrait
par lesdite parties tenus, observés, accomplis, sans aulcuns empêche­
ment 42. Et doit pourveoir l’une des partie et l’aultre à députer 43 à
chacune journée de souffisant saul conduict et esseurement.
Et, s’il y avoit aulcuns des appertenant des dite partie, comme
Gracien de Guerre, ou aultres, qui ne voulcissent tenir les dessus dite
terminacion44, à45 oultre ce voulcissent guerroier, et dompmagier yceulx
de Mets, en se cas, nostre dit cousin de Loherainne ne leur doit faire
ayde, faveur ne assistance, ne leur souffrir ou 46 permettre ses chasteaulx, villes, places, voie ne chemin ; et47 en cas pareille se debvent
conduire et entretenir ceulx de Metz, sans malengin.
Et doit aussy nostre dit cousin de Loheraine à ceulx de Mets48 dedens
le tamps ou prorogacion dessus dit49 déterminacion venir à deffiance ne
guerre ; ains, se l’une des parties avoit différant à l’aultre durant le dit
tamps, yceulx différans doibvent29 estre weudiez, déterminez 24 selon la
forme et vertus de cestuy dit traictié 22.

1. Qui ne puelt ou qui ne volcissent.
2. A ycelle amableteit et traitié.
3. Et.
4. Ce manque.
5. De manque.
6. Qui n y vouldroient. ou porroient entendre.
7. Et, s’il advenoit que.
8. La dicte terminacions ou prorogations.
9. Trièves.
10. Dit manque.
11. Ce manque. Il faut le restituer.
12 Sera tenus acomplir per lesdictes perties sans aulcuns empesckement. — Suppléer •
sera tenu a accomplir.
'
n. L’une des perties à l’aultre aux amys et députer. — Chaque partie doit procurer à
rencede SUtre partle (amis et déPutés) des sauf conduits valables pour chaque confé14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.

Déterminacions.
Et.
Ne.
Et manque.
Item, ne doivent aussy nostre dict cousin de Loraine et ceulx de Mets
Des dessusdictes.
Doit.
Vuidez et déterminez.
De cestuitdict article traitié. — Lire : article et traité.

1490, 22 JUIN. — TRAITÉ DE PAIX ENTRE LORRAINE ET METZ

185

Et, sur ce, doient tous malgrez 1 et malivolences de chacune parties
estre reminse 2 et pardonnée. Et doient aussy tous appoinctemens et
accors cy devant faitz entrez les deux parties à 3 leur prédécesseur
estre et demourer sans corruption, touctes fraudeà et malengins en
touctes les chose dessus dite hors minses 4 et exclus.
Et, en tesmoignaige de cest appointement, avons, nous, Jehan,
archevesque de Triesves, etc., et prince éliseurs dessus nommés, faire
espandre nostre sceel secret5 à ces présentes ; avons 6, René, duc de
Loheraine, de Bar et de Calabre, merchiz, merquis du Pont, conte de
Prouvence, de Wauldémont et de Harcourt; avons 8 maistre eschevin,
trèzes jurés 7, Conseille et communaulté de la cité de Metz, cognoissons
et confessons que cestuy appointement et traictié 8 est preparlés 9,
fait et passé par nostre sceu, bon voloir et consentement par le dessus dit
révérend 10 prince et11 seigneur Jehan, archevesque de Triesves et prince
esliseur, etc., nostre très chier cousin et gracieulx seigneurs, avons 12
promettons en bonne foy et loyalment le dessus dit traictiet et appoin­
tement, en tant qu’il touche àung chacun de nous, entièrement tenir et à13
accomplir en tous les poins dessus dit, à 14 iceulx observer pour nous,
noz hoirs, successeurs 16, et pour noz aydant et des aydant 16, des 17
subgectz, appartenant acomplis 18, spirituel et temporel, sans aulcun
malengin. Et, en congnoiscence de ce, avons, nous, René, duc de Lor­
raine 19, etc., dessus dit, faict espandre nostre grant sceel à ces présantes
lettres ; avons 20, maistre eschevin et21 trèses jurés, Conseil et toutte la
communaulté de la dite 22 cité de Metz, avons aussy cognoissance 23 de
ce, fait espandre nostre 24 grant sceel de nostre dicte cité de Mets à ces

1. Malgré : ressentiment, rancune.
2. Déminse.
3 Et
4. En toutes les choses dessusdictes escriptes hors mis. — Suppléer : dessus dites et
écrites.
5. Fait appendre nostre secret seel.
6. Et nous.
7. Trèze jurés manque.
8. Cestuit traitié et appointement.
9. Pourparlez.
10. Très révérend.
11. Et manque.
12. Et nous.
13. A manque.
14. Et.
15. Nous hoirs et sucesseurs.
16. Et pour nous aidans, aidans des aidans.
17. Des manque.
18. Aperthenans et complice.
19. René, duc de Lorainne, de Bar et de Calabre.
20. Et nous.
21. Et manque.
22. Dite manque.
23. En cognoissance.
24. Le.

186

1490, 22

juin.

—1

traité de paix entre lorraine et metz

presantes lettres. Que furent faictes et donnée1 le vendredi après la
sainct Vy, en l’an de Nostre Seigneur mil quaitre cenc quaitre XX et
dix 2.
A.ultre lettre pour le fait des prisonnier et pour fausser leur despans.

Nous, Jehan, par la grâce de Dieu archevesque de Triesves, chancellier 3 du Sainct Empire de Romme par Galles 4 et du royaulme
d Arles, et prince éliseur, faisons sçavoir à cognoissance 5 overtement
par noz 6 lettres que, comme à présent ayons 7 appoinctié et appasanté
la guerre et defïîences qui ont estez entre très hault et puissant prince
seigneur René, duc de Loherainne, de Bar et de Calabre, marchiz, merquis du Pont, conte de Provence, de Wauldémont et de Harcourt 8,
nostre chier 9 cousin, d’une part, et les honnorablez, saiges, noz amés et10
singuliers, le maistre eschevin, trèzes jurez, Conseille et toucte la 11
communalté de la cité de Metz, d’aultre part, lequel apoinctement,
entre aultre chose, contient que tous prisonnières prins esdite guerre
de tous les deux coustez, comme gens de guerre, piettons et autres, qui
adjourd’uy du datum 12 dudit appoinctement estoient encor détenus
prisonniers, doient estres quictes parmy payant leurs despans raisonna­
blement ; et, puis que les dite deux parties 13 sont mis et condesendus
à nous que nous voulcissiés14 déclairer et ordonner ce que poulroit estre
levés pour les dit raisonnables despens, sy est sur ce nostre déclaracion
et ordonnance : que chacune des dite parties, tant de nostre dit15 cousin
de Lorraine comme 16 de ceulx de Metz, vueullent mettre et tauxer sur
les prisonniers, chacun de son coustez, assavoir, nomméement : sur 17
ung homme de guerre, pour quaitre jours, ung florin d’or ou la value ;
et, sur ung pietton ou ung pouvre homme de mesnaige, pour la sepmainne, assavoir VII jour, ung florin d’or18, ou sa value. Et, touchant
les dite pouvres gens de mesnaiges prisonniers qui sont en aultres que

1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.

Et donnée manque.
Et dix ans.
Archichancellier.
Gallien. — Comprendre : les Gaules.
Et cognissant.
Ces.
Ayant.
Harrecourt, etc.
Très chier.
Et manque.
Toucte la manque.
Qui au jour du datum.
Toutes les deulx perties se sont mis et condesandus.
Volcissient.
Dit manque.
Que.
Pour.
Aussy ung florin d’or.

1490, JUIN.---------MARCHES ET ESTAUX DU PAYS DE METZ

187

ez mains de nostre dit cousin ou ceulx 1 de Metz, l’en veulle somerdesdit
despens ensemble à une somme pour les 2 despartir entre les dit pri­
sonniers, et assignés à chacun sa part au resgart de à la puissance e
estât d’ung chacun 3 en 4 imposant leur dicte tauxe. Et, sur ce, et parmy
promesse acoustumée, doient5 nostre dit cousin de Loheraine et ceulx
de Metz tous prisonniers, en quelque mains qu’il fussent6, quicter e
faire quicter incontinant, et tous sans malengin. En tesmonnaige de ce
avons ’ faiz appandre nostre seel secret3 8à ces présentes. Donnée a
Metz, le XXIIe jour de jung, etc. 9, l’an 10 mil quaitrecenc quaitie
et dix 11. Louuez en soit Dieu !
Icy après sont escript les marches et estaulz 12 que la cité de Mets ait en
l’encontre des pays voisins et joindant entour d’elle.
Les marches du paiis de Metz. — Premier, contre la duché de Loherainne, sur le pont de Flaquay.
Contre la duché de Bar, à la chappelle de Waizaige.
Contre la duché de Lucembourg, sur le pont et la ville de Richemont.
Contre l’archeveschié de Tresves, à Macre le Roy.
Contre l’éveschié de Mets, sur le hault dessà Vergney.
Et contre l’éveschié de Verdun, à la Gramge Naiveront.
L’archevesque de Trieuve et le duc René emsemble à Cornet. — Quant
celle paix fut ainsy faictes, crantées et acourdées par les partie^ et
publicquement à son de trompe criées et manifestée, tant en Metz
comme en Loheraine, en la manier comme cy devant aves oy, et a
propre lundemains, pour tant que ledit monseigneur de Tresye désirait
de veoir le duc René, son cousin, ledit René, sçaichant son désir, pour
luy complaire vint à la ville de Corny, qui est ung villaige apertenant
au dit de Mets, scitués sur la ripvier de Mezelle et joindant a pais de
Loheraine. Et là ce trouva ledit monseigneur de Triesve, accompaignez
de aulcun des seigneurs de la cité, c’est assavoir des trois commis on tait
de la guerre. Et en ce lieu parla audit duc René ; et se firent gran
recueille l’ung l’aultre, et grant honneur. Paireillement perla le dit duc
1.
2.
3.
4.
5'’

6.
1.

8.
9.
îi°'

De ceulx.
Les manque.
En regardant à la puissance d’ung chacun.
Et (ici Philippe a le texte correct).
Après doivent, on peut lire estre, qui n’a pas de sens.
En quelles mains qu’il fussent.
En tesmoing avons.
Secret manque.
Etc. manque.
Et dix al - LalormuleTremercîment qui suit^est
“ê
Un estai ou marche est un lieu neutre, situe à la frontière de deux Etats où se

12.
discutent des questions internationales. On trouvera dans un do«“““J*1jfjXtes
1512, des renseignements précieux sur ces<, journées d
et de morcelas^dictes
reprisâmes » (Henri Ste.n et Léon Le Grand, La jronttere d Argonne, Pans, Picard,
1905, p. 117).

138

1490,

JUIN.

LIQUIDATION FINANCIÈRE DE LA GUERRE

René ausdit seigneurs commis, c’est assavoir à seigneur Wary Roucel,
à seigneur Régnault le Gornaix, chevaliers, et à seigneur Conraird de
Serier, 1 eschevin. Et puis s’en revindrent joieusement à Mets. Et
debvés sçavoir que, à se jour, ledit duc Régné se monstrait en la plus
grant puissance qu il polt devant mon dit seigneur de Tresve ; car il
avoit assemblez touctes ses gens et touttes sa puissance entour de luy,
lesquelles alors furent estimés de quelque mil hommes à chevaulx et
deux mil hommes à piedz.
Et, dès incontinant, vinrent en Mets plus de cenc d’iceulx Loherains
et Bansiens. Les ung furent qui apportoient et amenoient vivre ; les
aultrez y vinrent pour leur plaisir, ou pour besoingnier de leur affaire.
Grant frais sostenus durant la guerre par ceulx de Metz. — Or fut celle
guerre de grant couste et despans, tant d’ung coustez que d’aultre.
Car, de la part desdit de Mets, montait la despance à plus de deux cenc
mil frans, riens comptés les dopmaige fait en feu bouttés et aultrement.
Et, néantmoms, par le bon gouvernement des seigneurs et recteurs
d’icelle cité, n’en fut oncque tailles gectées ne ransons faictes sur aulcuns
des bourjois, manant ne subjegt de la dicte cité. Mais très bien, pour
forair ycelle somme, les seigneurs devant dit firent quérir tous argens
qui estoient en porofferte *1 et que se dévoient remettre en acquaist,
tant d’airgent d'Église comme aultrement ; et aussy les argens que on
avoit en gairde de jonne anffans qui estoient en tutelle et dessoubz
eaige. Lesqueulx argens les dit seigneurs prindrent ; et en firent censive
par lettres scellée dé V paraiges et du commun à ceulx et à celle à qui
lesdit argens appertenoient. Et fut trouvés, desdit argent, que la somme
en montait environ à XX"> libvrez. Et puis, pour fornir la rest, furent
requis et priés aulcuns des bourjois et merchamps de la cité, avec
aulcuns riche home du pais d’icelle, qu’il woulcissent pretter argent,
chacun cellon sa puissance et facultés. Laquelle chose fut faictes permî
bon gaige que la cité leur mist en mains : assavoir à chacun cellon la
somme qu il avoit prestez. Et je le sçay bien, car je, l’escripvain de ces
présantes, estoient a lieu que mon perre, alors maire a de Vignuelle
devant Mets, y presta la somme de Ve franc ; pour lesquelles à ravoir
luy furent mis bon gaige d’argent en mains. Et, par ainssy, fut trouvés
et payés celle merveilleuse somme sans en gecter taille ne ranson,
comme dit est.
Porcession des relicque de Mets pour la paix. — Item, a jour meisme
que celle paix fut crieez, c est assavoir le XXIIe jour de jung, les sei­
gneurs chainoingne de la Grand Église d’icelle cité et les seigneurs de
Sainct Salvour firent une belle procession pour randre graice à Dieu.
Et saillirent à ce jour de leur église, en belle ordonnance, par le Four de

a. Une main récente, facile a distinguer par la couleur de Vencre, qui est plus pâle, a
corrigé maire en seigneur. Ce n'est pas la seule correction que la vanité ait inspirée aux
descendants de Philippe.
1. Porofferte, offre. Nous dirions aujourd’hui : tous les capitaux improductifs.

1490, 1er

JUILLET. — LICENCIEMENT DES HOMMES D’ARMES

189

Cloître 1, et ont circuit une partie de la cité ; et, en retournant par
devant Sainct Salvour, sont revenus en leur église. Et à celle pourcession
tut pourté le chief du glorieulx martir sainct Estienne, paltron de la
cité, et la vraye Croix d’icelle église. Et, à ce jour, le dit mon seigneur de
Triesve vint ouyr la grant messe en la dite Grant Église, qui fut sollainellement chantée à chantre et déchantre, et à orgue juant. Et, aprez
la messe, fut en grant triumphe chantés le Te Deum laudamus.
La paix publiée. — Et, quant mon seigneur de Triesve yssit hors de la
dicte église, fut alors la dite paix criéez en la plaisse devant ycelle église
et à son de trompe manifestée, comme cy devant ait esté dit ; et puis,
après dînés, fut celle paix errier criéez par tout les carrefourt de la
cité.
Varchevesques sen retourne. —• Puis, au lundemains, fut le jour que
ledit seigneur perla a duc son cousin à la ville de Corney, comme j’ay dit
devant. Et, ung jour ou deux après, se pertit de Mets ledit mon seigneur
l’archevesque de Triesve. Lequelle les seigneurs d’icelle, et plusieurs des
gens d’armes, au nombre de XIIe chevaulx et quaitre cenc piettons, le
conduirent jusques sus le wey d’Arcancy. De quoy ledit seigneur archevesque thint bon compte ; et apperceut bien que la cité avoit bien
aussy grant nombre de gens d’armes, et plus, et mieulx montez et en
point, que n’avoit le duc de Loheraine.
Apointemenl des seigneur fait avec les soldairt et gens de chevaulz. —
Puis, tantost après le despart dudit mon seigneur de Triesve, l’on
trouvait manier de paier et contenter les gens d’airmes de leur gaige.
Maix, pour tant que, au merchandés 2 aux Bourguignon, François,
Gascons et Espaignoilles, ilz debvoient avoir les prisonniers qu’il
pranroient, desquelles il en avoient plusieurs que à se jour n’estoient
encor point raichetez, la cause pour ce qu’il les avoient mis à sy grande
ranson qu’il n’estoitpossible qu’il lez sceussentpaier; — or,avéscydevant
oy cornent il avoit estés accordés que tous prisonniers debvoient estre
quictes d’ung coustel et d’aultre en paiant leur despens ; — par quoy il
convint appointier audit gens d’armes pour yceulx prisonniers non
raichetés. Et oit on grant paine et grant coustanges d’en saillir. Toutefîois, on fîst tant qu’il furent contens. Et ce pertirent de Mets, le
premier jour de juillet, environ IXe chevaulx ; et prindrent leur chemin
per devers Lucembourg. — Item, pareillement, les Allemans, qui
estoïent environ quaitre cenc chevaulx et plus, rendirent tout à fait leur
chevaulx à la cité. Et convint acorder à eulx ; et oit on grant paine
d’en yssir. Toutefïois on les fist content. Et partirent de Metz tantost
après ; et s’en allirent paisiblement, les ung en ung lieu, les aultres en
ung aultres.
1. Four de Clostre dans Die Metzer Bannrollen des dreizehnten Jahrhunderls, t. IV,
p. 39. — C’est le nom d’une rue.
2. Exactement : au marchander. Il faut traduire : d’après les conventions que l’on
avait faites avec les Bourguignons, etc.

190

1490,

AOUT.

MORTALITÉ EN METZ

Porcession généralle pour la paix. — Quant la cité ce trouva delivre
de celle garnisson, alors la seigneurie, avec la clairgie, heurent conclus
ensemble de randre graice à Dieu. Et tellement que, le vendredi IXe jour
de juillet, on fist une moult belle procession généralle à Sainct Clément.
Et y furent pourtés le chiefz sainct Estienne, la vraye Croix, la fierte
sainct Clément, la fierte sainct Levyer et la fierte sainct Sébastien, en
iouuant et remerciant Dieu de la paix et dez biens de terre, qui estoient
biaulx merveilleusement.
Mortalité en Mets. — Et aussy fut celle pourcession faictes pour luy
prier qu’il voulcît, par sa bénigne graice, préserver, gairder et deffandre
les habitans de la cité et du païs d’icelle de pestilance et mort subitte.
Car, en ce tamps, l’on commensoit jay fort à morir de la dicte peste.
Et faisoit grant chailleur.
Prisoniers eschapés. — En ce meisme tamps, à la fin dudit moix de
juillet, il y avoit XIIII compaignons qui avoient estez prins durant la
guerre dedans le chasteaulx de Louveney, lesquelx estoient prisonniers
à Nancy pour leur despens seullement, et n’avoient de quoy paier.
Mais, par la graice de Dieu et de la benoitte Vierge sa merre, nostre
Damme la Ronde, à laquelle il se rescomendairent, il eschappairent et
raiont la serre de la prison 1 ; laquelle fut par eulx mise et présentée
devant l’imaige de la dicte nostre Dame la Ronde ; et y est encor.
Item, en cellui tamps moururent en Mets plusieurs gens de grant
réputacion, tant hommes que femmes, et tant spirituelz comme tem­
porel 2. Entre lesquelle, le XVe jours d’auost, morut et trespaissait de
ce sciècle maistre Conraird Baier, prévost de Sainct Salvour et curey de
Sainct Supplise, docteur en décret, homme saige et élocquaist, et bien
parlant latin, allemans et romant ; lequelle alors estoit aux gaiges de la
cité, et avoit chacun ans trois cenc frans de gaiges. Et fut de sa mort
pour la cité ung grant dopmaiges.
Item, pour ce que celle mortallité croissoit et empiroit de jour en
jours, fut ordonnés par le Conseille de apourter la vraye Croix de Sainct
Elloy en Mets. Et tellement que, le vendredi XXVIIe jours d’aoust, fut
par l’abbé et couvant dudit lieu ce digne juaulx appourté à la croix du
pont dé Mors. Et alors, pour la plus dignement et révéramment recepvoir, les quaitre Ordres mendiantes, les chainoignes, les curés et aultres
gens d’Église de la cité, avec grant pertie des seigneurs et du puples
d’icelle, en grant révérance s’en, allirent jusques à la dite croix a pont
des Mors. Et, illee, fut chantée une belle anthienne et une collette 3 de
la vraie Croix. Et puis, après, s’en vindrent chantant jusques à la Grant
Église ; en laquelle fut alors chantées une haulte messe sollennel.
Et, après la messe, ycelle digne et vraye Croix fut pourtée en la chappelle de Graice devant la dite Grant Église, et illec fut mise et posée.

1. Ils arrachèrent la serrure de la prison.
2. Aubrion, p. 263-264, cite plusieurs noms que Philippe
3. Collecte, sorte d’oraison.

a

négligés.

1490,

SEPTEMBRE. •— DIFFICULTÉS ENTRE LORRAINS ET MESSINS

191

Les plail ei procès sont remys en tairmes. — Puis, le penultisme jour
du meisme moix d’aoust, furent les annalz plais acoustumés à telz
jour *1. Et fut faictes la loge l’empereurs on Champs Paissaille ; et fut
sonnée Meutte, et leut on les droit de l’empereur comme on ait de
coustume de chac’an faire. Mais on ne print nulz ban, pour tant que les
plais et procès avoient estés cloz pour la guerre (et aussy pour la mortallité, et que les seigneurs et gens de lignaige estoîent la plus pairt
hors de la cité).
Item, le premier jour du moix de septembre, se thint une journée à
Saincte Élizabeth, hors de la porte des Allemans, d’ung différant estant
entre Peltre Cappellaire, qui avoit esté au gaige durant la guerre à Metz,
d’une part, et le Ringrève, d’aultre part. A laquelle journée il ne firent
riens pour celle fois ; et reminrent ung aultre jour sus, plus avant, pour
chargier gens de leur différant.
Le couvent des Prescheurs de Mets réformés. — Aussy, en cellui tamps,
furent renformés le couvent dez Frères Proicheurs de Mets. Dont se
fut bien fait (Dieu en sois louués !) ; car, du devant, il estoient tropt
dériglés.
En ce meisme tamps, c’est assavoir on dit moix de septembre, vinrent
nouvelle à Mets que maistre Géraird, prieur de Sainct Andrieu, qui
alors estoit à Romme pour la cité, contre l’évesque d’icelle et l’abbé de
Sainct Simphorien, pour les procès que ledit évesque et ledit abbé
avoient contre la cité, estoit mors ; et il estoit vray. Par quoy il convint
de nouviaulx renvoier à Romme aultre procureur pour solliciter le fait
pour la part de la cité.
Aussy, en celluy tamps, morut à Mets le seigneur Perrin Roucel, alors
maistrez eschevin.
Deffence aux paiis de Lorenne de non amener vivre à Mets. — On dit
temps, les Loherains et Barisiens, démonstrant tousjours leur envieulx
corraige et qu’ilz ne volloient guerre de bien à la cité, firent deffence
par toutte la duchié de Lorrainne et de Bar que nulz desdit pays n’ame­
nait vivre ne aultre marchandie quelconque a à Metz ne on pais d icelle,
et qu’il ne soubstenissent, ne perlaissent, ne ne donnissent à boire ne à
maingier audit de Metz. Et prennoient escuse de ce faire disant que
c’estoit pour la mortalité qui régnoit a Metz. Et aulcunefois disoient,
de leur malvitiez, que la cité estoit excomuniée par ce que ledit maistre
Géraird avoit deffailly de responce à Romme ; maix il n’en estoit rien.
Et ne faisoient ce que de malvaise hayne qu’il avoient ; car on moroit
aussy bien en aulcune partie en Loheraine et en Barrois comme on
faisoit à Mets.
Les seigneur deffende de non laisser entrer nulz Lorains d Mets. — Et,
dès incontinant, les seigneurs de Metz ordonnaient par les portes que
on ne lessait plus entrer en la cite nulz desdit de Bar ne de Loherainne.
a. Quelquezconque.
1. Les plaids annaux eurent lieu, au jour habituel.

492

1490,

SEPTEMBRE.— CRÉATION D’UN MAITRE ÉCHEVIN

Ung compaignon pendus. — Item, en celluy tamps fut prins ung
compaignon de la ville de Goin, pour ce qu’il ce avoit randus Loherrains
durant la guerre ; et les guydoit. Et fut jugiez à estre pandus etestranglés. Mais, quant ce vint à le gecter à bas, et que le bouriaulx luy mon­
tait sur ses espaulles pour l’estrangler, la corde rompit, et cheut à terre
tout vif. Par quoy il fut ramenez à Metz, et mis en l’Ospital ; car il estoit
fort rompus. Et y mourut tantost après.
Ung maistre eschevins créés. — Le XXIIIe jour de se meisme moix de
septembre, revindrent en Metz tous les seigneurs d’icelle (qui estoient
hors pour la mortallité, qui alors régnoit bien grande) et aussy pour
faire ung maistre eschevin nouviaulx : qui fut seigneur Nicolle de Heu.
Et fut fait tout ne plus ne moins et en paireille mistère comme ce fût
estés *1 le jour de la sainct Benoy ; et fut Mutte sonnée, et lez seigneurs
d’Église priés, et tous aultres mistère acoustumés y furent acomplis.
Item, à la fin de ce meisme moix, c’est assavoir le XXXe jour de sep­
tembre, le tamps se chaingeait ; et tonnait et esloidait sy treffort
comme se fût estés 1 on cuer d’estey. Par quoy on sonnait les cloches
par toutte la cité. Et puis vint ung eslavay 2 ; et pleuyt sy très mer­
veilleusement et sy trefïort que les maisons estoient plaine d’yawe en
plusieurs lieux.
La vandange de celle année fut belle et le vin bon. Mais, ad cause des
grant faulte qui avoient estés és vigne, et aussi que lé cellier a estoient
fort wuydés durant celle guerre, furent yceulx vin chiers. Et les venoient les merchans sy fort quérir que l’on vendoit la cawe XII frans.
Le blefz ce vandoit X sols la quairte ; l’avoine, VI sols ; lez febves,
XVI sols ; et les poix, XIII sols.
En celle ditte année, durant celle vandenge, ung plaidoieur de la cité,
nommés Clabault, c’en alla à la plaisse acoustumée et luait des vendengeresse. Entre lesquelles y avoit une jonne fillette, qu’il menait en sa
maison, et, comme celle fille disoit et testifioit à ses parans, celluy
Clabault l’enforsait et violait. De quoy les amys d’elle se plaindirent à
Justice. Maix luy, craindant, s’en fouit à Saint Mertin devant Mets.
Et, dès tantost, fut fait ung huchement sur luy qu’il ce venist escuser
dedans VII nuyt, ou Justice procéderoit en l’encontre de luy. Et, alors,
les amis du dit Clabault firent tant devers le père et les amis de la dicte
fille qu’il en firent ung mariaige, et en fut l’escord fait. Et, pour tant
qu’il estoit essez bon raillart, l’on clouyt 3 quelque peu l’ueil, comme il
sembloit, et oit graice.
Aussy, en celuy temps, le XXVe jours d’octobre, morut ung des
seigneurs de la cité, nommés seigneur Némery Renguillons. Et emportait
celuy les armes des Renguillons en terre, et faillit le pairaige en luy.
a. Le feuillet 282 est déchiré par le milieu; il,manque environ dix-sept lignes au recto
et au verso. Nous complétons ici le texte au moyen d’un feuillet détaché du manuscrit A.
1. Gomme se ce fût estés. — A la phrase précédente, supprimer et aussy.
2. Eslavas : pluie torrentielle (Zéliqzon, lévèsse).
3. Du verbe clore : on ferma l’œil.

1490, NOVEMBRE. — PHILIPPE S’INSTALLE A VIGNEULLE

193

Item a, en ce tamps furent prins Mangin George, qui estoit le plus
orguilleux sergent de Mets, et Jaicomin Faulche Avoine, et Collignon, le
Vercolliez, du Quairtaul. La cause pour quoy fut qu’il avoient fait
entendre à ung cordier qu’il avoit forsallez 1 de la malletotte 2, et qu’il
estoit encheus à XL sols d’amende ; et, de fait, ledit Mangin George
l’en fut gaigier sans ordonnance de Justice ; et, à la fin, randit audit
cordier son gaige parmy IIII sols qu’il paiait. Pour ce se plaindit celluy
cordier à Justice. Par quoy les aultre furent prins, comme dit est ; et
furent à grosse amande. Maix, puis après, ledit Mangin escheust en
plus grant inconvenians, comme vous oyrés quant tamps serait.
En celle meisme année, je, Phelippe de Vignuelle, escripvains et
compouseur de ses présante cronïcques, moy estant encor jonne et en
l’eaige de marier, demouroient b tousjour à Mets, et avoient demourés
tout parmy et durant ycelle guerre depuis ma revenue de Neaples
jusques à cest heure c...
Or d, pour ce, comme j’ai dit devant, que en celluy tamps l’on ce
mouroit treffort en la cité, la plus part des gens d’icelle se tenoient en
diverse lieu par lez villaige. Entre lesquelle se tenoit à Lorey devant
Mets ung riche mairchamps, nommés Pier Couppat, à qui la Joieuse
Gairde appertenoit. Et, pour ses chose et plusieurs aultres, moy, Phi­
lippe devant dit, fut plus enclins de aller me tenir une espaisse de temps
à Vignuelle de cost mon perre, lequelle, depuis la paix faictes, y estoit
retournés ; car celluy villaige, Lorey et Salney n’avoient point estés
brûllés. Et là me thins une espasse, comme dit est, prétandant à moy
bien tost marier. Mais, las !, mon prepos fut bien retournés et chaingiés.
Car ledit mon perre et moy, qui à celle guerre passée n’aviés riens perdus,
ne estés adopmaigiés, fûmes en plus grant guerre que devant. Car nous
fûmes prins et emmenés et piteusement traictés, en la manier comme
ycy après oyrés.
Et ainssy doncque, comme avés oy, depuis mon retour de Flandre,
je me thins par plusieurs jours à Vignuelle, en hantant lez festes et
aultres esbaitemens, et en prennent aulcune joyeuse récréacion, comme

a. Ici reprend le manuscrit M.
b. Ici reprend le manuscrit A.
c. Ici se termine le feuillet isolé du manuscrit A. La lacune du manuscrit M comprend
environ quinze lignes. Philippe y racontait son apprentissage, chez « Dediet Baillay, le
mairchand »« de Vairt de drapperie et de chausseterie » (Gedenkbuch, éd. Michelant,
p. 42), ainsi qu'un voyage en Flandre (ibid. p. 42-43) auquel il est fait allusion quelques
lignes plus loin. C'est sans doute par vanité qu'un descendant de Philippe a mutilé le
manuscrit M.
_
d.Ici reprend le ms. M. Avant cette phrase, on peut lire : et plains de gens d armes.
Ces mots se rapportent peut-être à un conseil que Philippe avait donné a son pere (Gedenk­
buch, p. 32) : comme il avait le renom d'être riche, Philippe l'avait mis en garde contre
les gens d'armes cassés aux gages. Mais le père de Philippe craignait la mortalité plus
encore que les mauvais garçons.
1. Forceler, dissimuler frauduleusement.
2. Maltôte, levée des impôts. Le mot semble ici pris en bonne part.

194

1490,

NOVEMBRE.'— ENLÈVEMENT DE PHILIPPE ET DE SON PÈRE

jonne gens amoureux font. Car, de plusieurs année devant, je n’avoient
heu guerre de biens. Et encor celle joye ne durait comme riens, ains je
escheus en plus grant inconvéniant que jamais. Et fut ce fait par le
pourchas de aulcuns ayent envye de ma prospérité et joye, et auquel
jamaix desplaisir ne fis. Toutefois, fut conclus et déterminez, par
V ou VI d’yceulx malvaix guerson, de nous prandre furtivement et
emmener ; comme il fut fait. Et fut celle conclusion passée à Gourxe ;
laquelle, peu de tamps après, fut mise à essécucion-

[PHILIPPE DE VIGNEULLE ET SON PÈRE SONT ENLEVÉS
ET SÉQUESTRÉS PAR DES BRIGANDS].

Or, pour entrer en prepos, je vous veult donner à entendre comment,
à mon retour de la cité de Neaple et de Romme, je promis et woua,
pour estre préservés de tous dangier, de en dévocion faire ung voyaige
a glorieulx saïnct Nicollas et à madamme saincte Bairbe. Et tellement
que, en cest présante année, le second jour de novambre, jour des
Arme et lundemains de la Toussaincts, je me mis en chemin pour
acomplir mon veu à Sainct Nicollas de Pol. Et, à ce jour, je fis mon
voyaige tout à piedz ; puis, au lundemains, je partis de bon mattin,
et retournay a giste à Vignuelle. Et fut ce voyaige l’acommencement de
ma fortune. Car, la nuyt que je fus à Sainct Nicollas, je ne dormis
comme riens, pour ung jonne anffans, qui estoit à ung pellerin, lequelle
toutte la nuyt ne fist que braire et cryer ; par quoy, la nuyt que je fus
retournés à Vignuelle, pansant à bien repouser et dormir, fus resveilliés avant que droit.
• A celluy jour, y avoit heu la nopce d’ung viez homme, moistriez
audit mon perre ; par quoy, à mon retour, je trouvait que tout estoit
en joie ; et encor plus ledit mon perre fut bien joieulx de ma venue.
Et fut le souppés fait ; après lequelle y demandaient à danser. Et moy,
je fus bien effectueusement prié et requis de juer d’ung petit rebecht
que j’avoye, et duquelle aulcune fois, par recréacion, je m’y esbaitoient.
Et, à force, contre ma voulluntés, pour eulx complaire, prins celluy
rebecht, lequel peu devant je avoye heu fait, et les fis quelque peu
danser ; maix non pas granment, car je estoient cy très laissés que je
ne me pouvoient soubtenir ; et avoient les grosse boutailles 1 au piedz ;
et ne demendoie que à dormir et respouser. Mais, las !, mon respos fut
bien court, comme vous oyrés.

1. Bouteille, ampoule. Le mot bouteille désigne au propre les bulles que la pluie fait
dans l’eau en tombant.

1490, NOVEMBRE. — ENLÈVEMENT DE PHILIPPE ET DE SON PÈRE

195

Vacteur de ceste présente cronicquez prins et emmenés de nuyct par des
tairons. — Durant ce tamps que ce faisoit celle bonne chier, estoient
les lairons en l’entour de la maison, qui espioient par où il pourraient
entrer. Et tellement que, à ce jour sainct Humbert, thier jour du moix
de novembre, de nuyt, ont yceulx lairons secrètement rompus le mur
d’ung cellier avec ung coultre de charue ; et, par ce troult ainssy fait,
entra l’ung d’iceulx guernement, nommés Picavat, naitif de Sainct
Privé la Montaigne (lequelle, deux ans après, fut pandus au gibet de
Mets). Et ouvrit celluy lez huys de la maison, et fist entrer ses compaignon dedans, c’est assavoir Rellecquin, de Noeroy devant Mets, le
malvais Géraird de Setenay, et ung aultres, nommés Perrignon, qui
estoit de devers Mouson. Et, alors, permy la ville, estoient se pourmenant deux hommes d’airmes, bien montés, et armés à la couverte,
avec leur paige, qui atandoient l’aventure, et auquelles les devant dit
traystre piettons nous avoient vandus la somme de cenc florin d’or,
et avoient promis de nous délivrer. L’ung d’iceulx hommes d’armes se
appelloit Grégoire, homme estoit au seigneur de Baïsonpier, et l’aultre
se nommoit le Loherains, lequelle devant la guerre demouroit a Mets,
et avoit estés homme au cappitaine Jehan de Vey.
Alors, environ une heure après minuit, sont yceulx lairons entrés
dedans. Et, sen lez apercevoir en riens, vinrent jusques a feu alumer de
la chandelle ; puis, avec wouge, dairt et espée nues, se sont aprouchiez
des lict auquelle nous estiens couchiez. Et, comme gens innumains et
cruel, vinrent a frapper dessus ledit mon perre, pour ce qu il cryoit
alairme, et qu’il à son pouvoir ce defïandoit et ne se voulloit laissier
emmener. Et tellement l’ont heu frappés d’une rappier qu’il en oit la
mitté de la mains couppée ; puis d’ung aultre copt fut férus en la teste
jusques à l’os ; et fut piteusement traictés. Encor oit de la hante d ung
espiedz au travers de la jouue ; tellement que c estoit pitiez de le resgairder : car son corps estoit tout en sanc coullant au loing du corps
jusques en terre. Avec ce, luy firent encor une grand playe au loing du
franc, qui luy availloit le sorcil tout bas. Dont le pouvre hommes se
print de toutte sa puissance à brayre et à cryer. Maix, non obstant
toutte sa deffance, après qu’il heurent cella fait, l’ont tirés tout nudz
par les piedz dez sus le lictz en terre, tellement que sa teste print ung
bout1 sur le bancque, et puis de là sur le pavés. Et à force viollantemant l’ont traynés hors de la maison par les piedz, aussy nudz comme
il vint du vantre de sa mère. Et incontinant, à ce bruit, se sont approichiez les deux chevaulcheur, lesquellez, de haitte de le chairgier, luy
qui estoit tout nudz couchiez en terre devant son huis, dessus la terre
engellée, et à l’ocasion que l’on ne veoit goutte, l’ung de leur chevaulx
monta sur le corps dudit mon perre ainssy nudz, et luy ont rompus
l’une dez couste.
La pouvre femme ma mairaistre, laquelle à son pouvoir se perforsoit
1. Bout, coup, choc. Bout est un dérivé du verbe bouter, frapper, cogner.

196

1490, NOVEMBRE. — ENLÈVEMENT DE PHILIPPE ET DE SON PÈRE

de le aidier et deffandre, en criant alairme, y resseust ung copt et fut
férue de l’ung d’iceulx lairons de la hante d’ung espiedz au travers de
la teste ; et tellement que du copt l’on luy veoit les os et l’estoille du
servel ; et fut couchiez a travers des andiez du feu, et à peu près ne fut
de ce copt assommées. Et moy, ainsy nus et deschault, fort de ma
chemise et d’ung bonnet de nuyt, y ressus plusieurs copt ; car, avec
ung baston, faisoie mon devoir de deffandre ledit mon perre, néantmoins
ma deffance vailloit bien peu quant au fait de le salver. Touteffois,
entre les aultres copt, je appersus et vis que l’ung d’iceulx avoit entoisser
et voulloit encor férir d’une rappier ledit mon perre, laquelle je prins
avec la mains par le tranchant pour retenir le copt, et me couppait la
mains et les dois à par dedans de la palme, dont le sanc print à coller.
Alors fut ledit mon perre viollantemant et à force prins d’iceulx
lairons là où il se gisoit, ainssy tous nudz à terre devant son huys,
comme dit est ; et fut en cest estât mis sus le chevaulx du paige, et, à
force de copt, bien vistement le firent mairchier. Et moy paireïllement
priment par le poing, aussy tout nudz, comme dit est, fort que de ma
chemise et d’ung petit bonnet de nuyt, et en cest estât m’en ont menés.
Or vueulliés sçavoir, tous que de cecy oyés pairler, la doulleur que
nous souffrîmes pour celle nuyt, et les aultres ensuiant, comme vous
oyrés : je croy que plus tost me fauldroit ancre et pappier que je le vous
sceussent bien amplement dire ne desclairer. Et n’y ait cy dur cuer,
c’il nous eust veu en l’estât où nous fûmes mis avant qu’il fust une heure,
qui n’eust heu pitiet de nous, ne qui se sceust tenir de pleurer. Premier,
vous devés sçavoir que se fut a grant yver, auquelle il gellait sy très
asprement qu’il sambloit que tout se deust fandre de gellée ; et vantoit
alors ung vant de bise qui estoit sy très aipre et tranchant et de sy
grant froideur que lez mieulx vestus faisoit trambler ; et nous, dollans,
estions alors tous merre nudz, c’est assavoir mon pouvre perre sus le
chevaulx, sans saille et sans estriez, à dos derrier le paige ; et moy,
que du jour devant estoie sy très laissez que nullement ne me povoie
soubtenir ne pourter, et avec les grosse ampoille et boitaille que je
avoie au piedz, me firent yceulx lairons traystre, tout déchault et nudz,
comme dit est, mairchier sur la dur terre. Et, sans tenir voie ne chemin,
me menoient ainssy de nuyt par dessus les pier, les estoc et les terre
labourée, auquelle estoient les grosse weise 1 prinse de gellée et dur
comme fer ; tellement que en peu de tamps furent mes piedz tout en
sanc, qui me estoit une doulleur merveilleuse à pourter. Et, a rest, en
peu de tamps je oit le corps, les bras et jambe tout engellés. Car, en
passant par le fons de la Ghaippelle, à Salney, et permy d’aultre lieu
là où il y avoit de l’yawe à passer, cy tost comme j’en tiroie mes jambe
et mes piedz, la glasse pandoit après. Car alors il gelloit à pier fandant ;

\. Weise, motte de terre. Le Dictionnaire de Zéliqzon connaît encore tvèzener, se
mettre en mottes, en parlant de la terre.

1490, NOVEMBRE. — ENLÈVEMENT DE PHILIPPE ET DE SON PÈRE

197

et faisoit img merveilleux yver. Et Dieu scet la doulleur que je souffroie ! Je croy que nulz, c’il ne l’avoit veu, ne le pouroit pancer. Las !
que diray je de mon povre perre ? Lequelle tout le corps de luy estoit
couvers de sanc qui c’estoit prins sur luy et engellés ; et avoit la jouue,
du copt qu’il avoit ressus, grosse et amflée ; le cuyr des talions luy
tombait dedans trois jours comme grosieulx à orfèvre L Et, pour
abrégiez, vous ne vistes jamaix martir en painture en telz estât comme
alors il ce monstroit, ne je ne vous sçairoie compter la centiesme pertie
du mal qu’il nous firent souffrir et endurer.
Et alors, Rellequin, qui nous avoit vandus, voyant la doulleur que
l’on nous faisoit souffrir, en oit pitié ; et, de doulleur, les lairmes luy
en vinrent aux yeulx ; et se print à plourer, et griefment se repantoit
de ce qu’il avoit fait, disant qu’il avoit ce fait pource que son perre ne
le voulloit marier. Par quoy, de pitiet, se deschaussait, et me donnait
ses soullés, avec ung pourpoint de canevair et ung petit hocquetton 12.
Et de tout cella me fist adouber ; car il vit bien que je n’en pouvoient
plus, et estoit force que l’on me pourtait, aultrement je n’eusse sceu
cheminer : tout le corps de moy estoit en telz doulleur que je ne santoie
mambre que j’eusse que de froidure ne fût à demi mort et transis.
Et, de fait, il me print voullantés d’orriner ; mais il ne fut en ma puis­
sance, de force de froidure, combien que j’en eussent grant besoing :
ains fut contrains de en cheminant tenir ma pouvretés en ma mains
pour aulcunement la reschauffer. Et, se tout dire voulloie et conter les
mal que l’on nous fist souffrir, je n’airoie fait en piesse 3, et seroie
tropt prollixe, par quoy il m’en fault légièrement passer. A mon perre,
qui paireillement estoit transis de froit et de doulleur, fut bailliez ung
rouge manteaulx pour luy couvrir et effubler ; et encor luy fut bailliez
ung chapperon en gorge 4. Tellement que c’estoit pitiet de le resgairder.
Or il doubtoient la poursuites et la chaisse, pour ce que à nostre prinse
fut sonnés alairme ; et furent les bonne gens mis ensamble, et courrurent
après nous pour nous aydier ; mais il leur fut dit de l’ermitte de la chappelle à Salney, et leur certifïîay, que nul n’y avoit passés ; par quoy lez
bonne gens s’en sont retournés arrier. Et, pour ces raison, il nous ont sy
fort hastez que, à l’ajourner, nous arivâmesen la forest deBriey. Car il
n’oisairent aller de jour, de peur qu’il ne fussent rancontrés. Et là, en ce
boix, nous ont tenus tous le jour, avec ung peu de feu qu’il furent quérir.
1. ,, Le pouvre maire de Vigneulle avoit heu les pieds sy engellés par le chemin que
de ces deulx talions tumboit de la piaulx morte et blanche en forme d ung gobellet,
et degoutoient au feu, par la froidure qu’il avoit ressentie, que c estoit pitié » (Mémoires
[Gedenkbuch], éd. Michelant, p. 53).
, ,
.
...
2. Le hoqueton (auqueton) est un vêtement, rembourre de coton qui se portait en
hiver sous les autres habits. De longueur variable, il protégeait le bas du torse et le haut
des cuisses. Gay cite un texte de 1482 d’où il semble résulter qu un « complet >>comprenait un pourpoint, un hoqueton et des chausses. Philippe appelle le hoqueton dont il
est ici question un gippon dans ses Mémoires (Gedenkbuch, éd. Michelant, p. 49).
3. En pièce de temps, de longtemps.
... «
..
4. Philippe nous décrit plus loin( p. 224) ce vêtement, qui semble avoir ete particulier
à la Lorraine :« ung grand noir chapperon, fait à la fasson du pays, comme ung petit
mantellet, qui couvre tout jusques à la corroie ». Il semble que ce chaperon ait ressemble
à une sorte de pèlerine.

198 1490, NOVEMBRE.— PHILIPPE ET SON PÈRE EN PRISON A CHAUVENCY

Hé Dieu ! Quel consollacion à gens blessés et mallaide jusques à la
mort, d’estre tout le jour ce gisant en la neige, entre les mains de leur
annemis ! Hélas ! se n’estoit pas se que l’on m’avoit promis : car il me
fus dis que, à mon retour de Sainct Nicollas, je aroye ung bains, et
feroit on la grant chier. Mais il est bien vray ce qui se dit : c’est que
l’homme préposé et Dieu en dispouse.
Et, ainsy comme avés oy, fûmes tout ce jour en se boix, ayant grant
mesaixe, jusques à la nuyt. Laquelle venuee,il nous ont remis en che­
min, en tirant droit à Beilley. Toutefîois, en ce lieu, se sont despertis
les deux chevaulcheurs de nous ; et s’en sont allés devant pranre le
Lougis. Et, par leur ordonnance, ont heu yceulx piettons lués ung
chevaulx pour mon perre, sus lequelle il fut mis. Et firent acroire aux
gens à qui le chevaulx estoit que c’estoit, ung pouvre pellerin qu’il
avoye trouvés se mourant de froit sur le chemin. Et, alors, les guernement nous firent mairchier.
Lez dessusdit lairon arive à Billei. — Et, sans tenir voye ne chemin,
environ la minuyt, arivaimes à Beilley. Et, là, avons trouvés les deux
chevaulcheurs en une maison, tout seullet, avec leurpaige, qui estoient
couchiés et endormis. Puis, après ce que l’on se fut ung peu recréez
et chauffés avec du pains et du vin (duquelle je beu quelque peu, et
maingeait ; mais mon perre n’en polt oncque gouster ny availler, car le
pouvre home estoit comme celluy qui tire à la mort ; et estoit grant
pitiet de le resgairder), après ces chose ainsy faictes, on nous remist en
chemin, en la compaignie dez deux hommes d’armes seullement.
Et moy, dollans, fus mis à chevaulx derrier Grégoire ; et mon perre oit
le chevaulx du paige.
Les lairon mainne les prisonnier à Chavencei. — Puis fûmes menés
tout droit le chemin au chaisteaulx de Chavancey. Or estoit desjay la
troisiesme nuyt que je n’avoie comme riens dormis ; par quoy, moy
estant à chevaulx, néantmoins que je enduroie grant froidure, le somme
me contraindoit tellement que je ne me pouvoye soubtenir. Alors,
à l’ajournés et a saillir du bois, je apperseus Chavency. Mais incontinant
les traïstres nous ont heu bandés les yeulx, affîn que nous ne weissions
le lieu là où nous fûmes mis. Et, là venus, je ne sçay par qui, fûmes mis
jus dez chevaulx, et conduit en la grosse tour de léans, et mis en prison,
tousjour les yeulx bandés, sans l’avoir desservis.
Or fûmes nous mis en celle grosse tour qui estoit le donjon de la dicte
plesse. Et fûmes menés tout au plus hault d’ycelle, en une woulte.
Et, nyantmoins qu’il y avoit deux fenestre, jay pour ce l’on n’y veoit
goutte, car elle estoient bien estouppée et bairée de grosse planche,
avec bois et pier. Puis, après ce que l’on nous oit desbandés les yeulx,
l’on nous fist, du feu pour nous chauffer. Après, je me couchas sus du
pesas 1 qui là estoit, et me mis à dormir ; mais il y avoit tant de puche
1. Pesât, tiges sèches de pois, de haricots, de navets, de pommes de terre, etc. (voyez
dans le Dictionnaire de Zéliqzon l’article pesé).

1490,

NOVEMBRE. — PHILIPPE ET SON PÈRE EN PRISON A CHAUVENCY

199

et aultre vermine que je ne sceusse repouser. Souvant nous venoit
visiter ung maire de Sainct Humbert, qui estoit ad ce comis, qui sambloit avoir grant pitiet de nous ; par quoy il me apourtait une vielle
sairge que je mis en eschairpe, loiez dessus l’espaille, comme ung
Égipscien ; ne de plus de XIII moix durant ne m’en pertis. Et à mon
perre apourtait une vielle roubbe, et ung petit lit avec deux linsieulx .
car le pouvre homme avoit les piedz perdus de froit, et avoit tout le
corps en tel estât, avec une coutte hors de son lieu, qu’il ne se povoit
soubtenir ny aydier.
Plusieurs jour nous fûmes ainssy en attandant nouvelle, assavoir
mon c’on nous voulloit demander, jusques environ le XIIe de nostre
prinse. Auquelle jour ledit mon perre, se complaindant à cellui maire,
qui sambloit avoir pitiet deluy^t1 luydit pour Dieu qu’il woulsît parler
à leur maistre, c’est assavoir à ceulx qui lez détenoient en prison, pour
savoir qu’il leur voulloie demander, et qu’il compouseroit voulluntier
à eulx pour une courtoise ranson. Car, comme lui dit ledit mon perre,
il n’espéroit pas de vivre longuement en l’estât où il estoit, c’il n’estoit
mis à delivre. Et, entre ces aultre devise, lui dit comment il avoit oy
dire au paige que celle plaisse estoit Chaivancey. Or estoit te chose
que plus il 2 voulloit celler, pour tant que nostre prinse estoit une
traïson, faictes non pas de bonne guerre, ains estoit sans cause ne raison
faictes, sans deffier. Par quoy, les nouvelle oyees du cappitame, nommés
Petit Jehan de Harcourt, fut très courroussés et dollans ; et, voullant
se nettoyer du cas, fist dire audit mon perre qu’il n’estoit pas a Chaivencey ; et, avec celte, il ne nous avoit pas soubtenus cuydant que nous
fusiens ainsy prins et desrobés 3, *ains
5 on luy avoit fait acroire que nous
estions pellerin ; touteffois, pour l’amour de Dieu, il estoit comptant,
comme il nous fist dire, de se traveillier pour pairler audit nous maistre,
qui léans nous avoie menés, pour traicter et acorder de 1a ranson.

Mais tout cecy n’estoit que fainctes et trayson.
Deux ou trois jours après, firent manier yceulx traïstre que lesdi
nous maistre fussent venus, et que ledit Haircort, cappitame u îeu,
leur eust heu priez pour nostre fait. Et tellement que, après plusieurs
parolles, nous fut dit par le maire Sainct Humbert qu’il demandoie
pour la ranson de nous, trois mil escus d’or a soilleil ; ou, si non, i
estoient tous délibérés de nous lever de se lieu et nous emmener bien
avant on pays de Liège, ou aultre part ; et ne s en vou 01 pus
cappitaine empeschier h La responce oyees, vous ne veiste jamaix la
désollacion et le desconfort que fut lors de nous deux, pouvre dollans.
Et eussiés 6 bien voullus que 1a terre se fût ouverte pour nous tous vit
engloutir : car de tous coustés nous estiens et souffriens grant martir ,
1. 11 faudrait supprimer et pour que la phrase fût régulière,
2. Il désigne ici le capitaine de Chauvency.
eussent été enlevés
3. Quand il avait accepté de les héberger, il ne pensait pas qu’ils
par force.
,
4r S1 empêcher de nous, s’embarrasser de nous.
5. Eussiens. nous eussions.

200

1490, NOVEMBRE. — TENTATIVE D’ÉVASION DES PRISONNIERS

et n’aviens aultres réconfort si non de nous piteusement ambrasser
l’ung l’aultres, de pleurer et lamenter ; et estoit pitiet de nous oyr.
Car les traïstres avoyent jurés que, c’il n’avoie trois mil escus, il nous
feroie tant de martir que nous vouldriés 1 estre cenc mil fois mort avant
que endurer tel paine. Par quoy, pour ces parolle et plusieurs aultres,
qui trorpt loingue seroient à raconter, nous entrasmes comme en désespéracion, et en tel desconfort que autant nous estoit la mort que la
vie.
Les prisonier se iraveille d’eschaper. — Et alors ait dit ledit mon perre :
« Or voy je bien maintenant que nous somme mort, ce nous ne trouvons
manier d eschaipper ». Puis, ce dit, m’ait commendés que je me woussissent essayer se nullemant je poulroie desbairer les fenestre. Et ainsy
en fut faict, tellement que, environ la minuyt,je fis tant qu’il en y oit une
des ouverte. Alors, pour ce que l’on ne veoit goutte, je ruais une pier
à l’avallée, pour santir c’il y avoit de l’yaue ; mais je trouva que non.
Dont je fus bien joieulx, pansant que cella nous deust aydier. Et,
adoncque, je vins à mon perre ; et, après plusieurs parolles, la conclu­
sion fut faictes de nous availler. Les deux lincieulx du lict furent prins et
dessirés, chacuns en trois bandeaulx, et très bien loyés l’ung au bout de
1 aultre ; puis, avec une vielle single 2 de laquelle je estoie saints, furent
bien loiez à la fenestre. Et moy, a commendement dudit mon perre,
après ce que je l’oit baisier et acollés, je me mis en voie, et me bouttais
hors de celle fenestre. Mais, las ! se j’eusse sceu le dangier auquelle je
me mectoie, pour tout l’avoir d’une cité je ne me y fusse mis ne bouttés :
car le lieu estoit fort hault, et, avec cella, bien dangereux. Et, dès
incontinant que je fus ung peu availlés, les piesse du lincieulx se estandoient, et à peu près ne rompoie ; et, encor pir, les mains, que je avoie
obliez à moullier, se eschaufïoient par dedans, tellemant qu’il sambloit
que je tenisse du feu ardant, et me acommensé à brûller. Et, encor
pour acroistre ma doulleur, le pourgect 3 de la tour me les escorchoit
par dehors jusques au sanc, et fus plusieurs fois en adventure de me
laissier tumber. Toutteffois, moyenant la graice de Dieu, je vins a bas.
Et eusse lors bien voullus que mon perre eust sceu ma pansée ; maix,
pour le gait qui estoit en celle meisme tour, je n’oisoie pairler. Alors
ledit mon perre se mist hors par celle fenestre, et se availlait environ
peu plus de la mitté de celle tour ; mais le pouvre homme, qui estoit
viez et pessant, et, avec ce, qui avoit les mains et tout le corps blessés,
ne le polt endurer et ce laissait cheoir auprès de moy, qui alors estoient
priant Dieu à deux genoulx qu’i le voulsît préserver. Et cheut, tout au
plus près d ung pallis 4 qui estoit la pointe en hault, sur la terre dur et
engellée. Tellement que, après la cheutte, il fut loinguement sen remuer
ne piedz ne .mains ; et comme ung homme mort se gisoit en terre.
1.
2.
3.
4.

Voudriens, nous voudrions.
Sangle (que l’on devrait écrire cengle).
Porget, crépi du mur.
Palis, pieu.

,

1490 NOVEMBRE. — TENTATIVE D’ÉVASION DES PRISONNIERS

201

Hélas ! pancés maintenant en quelle doilleur je fus alors ! Car en
moy, chétif et dollans, n’y avoit à cest heure que desconforter. Ne
aultre chose je ne sçavoie que faire, si non que du hault de moy je me
ruais sur luy et en le baisant et acollant*1, ayant le cuer sy transis de
doulleur que nullement je n’eusse sceu perler, sinon que tout mon corps
tramblant fondoit en lairme, desquelle je arroissoie sa fasse et son
visaige ; et eusse bien voullus à cest heure que aulcuns fût venus pour
moy tuer. Et, après ce que je revins à ma perolle, et que aulcunement
je polt perler, à baisse vois acomensa ma dolloureuse complainte, et,
en tenant ambraissiez le dit mon perre, en le baissant et acollant, ait
dit ainssy : « Ha ! doulloureuse journée ! ha ! Fortune la diverse et
perverse ! Las ! mon très chier perre, mon espérance, où sont mainte­
nant les biens que vous m’aviés promis de faire ? Las ! mon réconfort
et mon désir, las ! tout mon conseil est mort. Las ! cenc mil fois las !
moy dollant, chétif ! Que deviendrait a ajourd’uy vostre pouvre filz,
que vous laissez ainssy désollés entre ses annemis ? O Mort ! que ne
vient tu à cest heure et prant ce pouvre misérable ! Et que je muers
avec mon perre, affin que je ne voye plus la pouvretés que je vois ors !
Car, à mon voulloir, fussé-je mort en lieu de luy ! Mais, las ! je n airés
pas tant de biens ; ains serait tantost trouvés, et me feront les traïstres
vivre en languissant, car à leur demende je n’y sairoie fournir. O For­
tune malvaise, cruelle et perverse ! Je me cuydoie maintenant après la
guerre bien resjoyr, mais tu m’as tournés la rouue et m’a mys en pir
guerre que jamaix tu ne fis ! » Moult d’aultres samblable perolle procédoient de ma bouche et de mon dolloureux cuer en embrassant, baissant
et acollant le dit mon perre. Et, se ledit mon cuer ne me fandoit au
vantre, je n’en eusse sceu plus endurer 2, pansant véritablement qu il
fût mort et trespassés.
Mais, ainssy comme Dieu le voult, il retournait de paiméson , et luy
revindrent les esperit, et se comensait quelque peu à santir. Et telle­
ment qu’il gectait ungne grande vois et ung cy aspre crys que toutte la
court en retendit. Alors, quant je l’oys cryer, je ne sçavoye que me fut
advenus : d’une part en oit joie, et d’aultre en oit crainte et peur , car,
à celle vois, les chiens de la maison comensairent tous à japper et à
glaitir. Ne pour chose que je luy sceusse dire ne se voult taire, ains
braioit tousjour de plus fort, sans aultrement perler ; et tellement que
force me fut de luy toupper la bouche de mai mains. Et luy disoie
ainssy : « Hé ! pour Dieu ! perre, taisés vous, ou vous nous ferés perdre ».
Et luy, qui n’y entandoit rien, me boutoit arrier ; et ne se voulloit
contenir pour la doulleur qu’il santoit. Et, quant il polt perler, ait dit
et me demanda que nous faisions en ce lieu, et qu’il voulloit aller en sa
maison. « Hélas ! », dy-je, « perre, vous en estes bien loing ! Taisés vous,
pour Dieu, mon chier perre, ou nous serons encusés ». Mais il n en
a. Deviendait.

1. La construction de la phrase n’est pas régulière (supprimer le premier et).
2. Il s’en fallait de peu que mon cœur ne se brisât dans ma poitrine.

202

1490, NOVEMBRE. — TENTATIVE D’ÉVASION DES PRISONNIERS

voulloit rien faire. Car il n’estoit encor pas revenus à sa mémoire ;
par quoyil disoit biaucopt de fredaine, comme celluy qui pairie en vains ;
et ne sçavoit où il estoit ; ne, d’ung quairt d’heure après, je ne luy sceut
mettre en mémoire qu’il luy voulsît souvenir de nostre prinse, jusques
que je luy vins à pairler de Rellecquin. Et, alors, se print le pouvre
homme à venir à son entendemânt. Puis, en gectant ung grant souspir,
comence à ce complaindre et dollouser : « Halas ! », dit-il, « Relecquin,
à la mal heure fut tu neys pour nous ! Bien je te doye hayr, quant, sans
te l’avoir deservis, tu nous ais ainssy vandus et trahis ! Car à toy ny à
ton perre je ne fis oncque que tous servise et plaisir. Ha ! la mallefaictes 1 ! Hélas ! je vous tenoye pour mes amis ».
Alors, après plusieurs aultres perrolles et douloureuse complaintes,
le pouvre homme se voult lever sus et mairchier ; maix il tumbait à la
reverse, car il avoit une jambe rompue ; et avoit tant d’aultre doulleur
qu’il ne sçavoit à quelle panser. Puis, en ce complaindant, il se print à
braire de celle jambe et à s’en dollouser : car em primes 2 en santoit la
doulleur. Et me la fîst tirer. Et, alors, je la tiras, et trovais qu’elle estoit
tellement rompue que le talion luy venoit au braion 3 derrier. Las !
quelle doulleur ; c’est tousjour mal sur mal ; et n’est pas cecy pour
eschaipper. Or je ne sçavoie aquel entendre, ne jamaix je n’olt tel
encombier 4. Et nyantmoins voult ledit mon perre encor mairchier
dessus, et cheut de rechief pour la seconde fois au dairrier. Alors je le
prins dessus mon col, et le pourtais en une ruelle, auprès d’ung fumier.
Cy heûmes là plusieurs piteuse devise ensemble, qui loingue seroie à
raconter.
Après ses chose advenue en la manier que avés oy, je dis audit mon
perre que, pour Dieu,il me atandît là sen ce movoir, et que je yroie veoir
c’il estoit possible de trouver lieu par où nous puissions eschapper.
Alors prins à aller dessà dellà permi la grant court de léans ; maix je
n’y veoie chose qui me puist resjoyr ny aydier. Puis, pour mieulx en
sçavoîr le vray, je prins une vielle eschielle de cheir et la dressa contre
le mur, sus ung fumier, et montait dessus ledit mur ; et dellà je vis au
dehors, auprès d’icellui mur, la ripvier courrant, grosse et profonde.
Par quoy je m’en revins devers ledit mon perre, et luy comptait le tout,
disant qu’il y avoit bien grant dangier. Puis, par son conseil, me remis
encore en voie de l’aultre partie de la tour, et montais encor en ung
aultre lieu dessus le mur. Et, alors, les chiens acomence à glatir et à japper.
A l’ocasion de quoy se levait l’airsairgaitte, et, avec lanterne et en
arme, ont circuit la muraille ; et moy de bien en haïtte desvailler. Mais
je ne fus pas sy tost de cost mon perre qu’il dessandirent en la court bas
pour serchier que c’estoit que l’on avoit oy cryer ; et tellement que je
1.
2.
3.
4.

Medefaite, ingratitude, crime, etc.
En primes, pour la première fois, seulement alors.
Braon, le mollet.
Encombrier embarras.

1490,

NOVEMBRE.

TENTATIVE D’ÉVASION DES PRISONNIERS

203

me quaichais en ung fumier ; et vinrent à passer auprès de moy, et les
chiens, ce approuchant du fumier, me santirent et ce prindrent à me
flairer ; toutefois il passirent oultre sans moy trouver. Paireillement
yceulx hommes vinrent à passer à peu près de mon perre ; mais, non
plus que moy, il ne le virent pas ; et s’en sont retournés couchier.
Après se fait, je retournait audit mon perre et luy comptait le tout.
Maix, non comptant de moy, il me fist encor aller en plusieurs lieu pour
trouver manier que du moins je vouicissent eschaipper. Hélas ! je ne
sçavoie que faire ne que panser. Et, pour le complaire, me remis en
chemin et montas encor en plusieurs lieu. Et tellement qu il me sambloit que je avoie trouvés lieu essés propice de passer oultre dessus la
wainne d’ung mollin qui estoit en manier d’une haie de cloie ; mais,
premier, il eust estés force de reprandre nous lincieulx, qui pandoie à la
tour, pour en cest endroit me deSvailler, et n’avoie pour ce faire que
une vielle eschielle pour y monter. Hélas ! je avoie de cest affaire tant
de pansée que je ne me sçavoie aquel tenir, ne comment je me y deusse
conseillier. Car il me sambloit que, se je laissoie ledit mon perre, il serait
mort de froidure avent qu’il fût jour ; et luy Serait force de ce écuser.
Et, avec ce, n’estoit pas chose sertaine que d’eschaipper ; et y estoit
encor le dangier plus grant qu’il n’avoit estés à nous desvailler. Oultre
plus, je ne sçavoie où je fusse, tout nudz, et deschault, mourant de froit,
tellement que je ne me pouvoye aydier. Et, après toutte pansée, je
prins advis et oit conclusion de retourner audit mon perre, et luy dis,
à ung brief mot, puis qu’il n’estoit en moy de le salver, que je voulloie
vivre et morir avec luy, et veoir le bien et le mal sans jamaix m en
séparer. Alors, en gectant ung suspir, ait pairlés le dit mon perre, et dit
ainssy : « Mon Dieu ! Mon Créateur ! Tu en soie louués et bénis ! Car
jamaix ne me cuidoie veoir en telz estât ne en paireille désollacion
comme je suis ».
.
,.
,
Les prisonier se découvre aux capitainne, voiànl quilz n avoye sceu
eschaper. — Après ce dit, fut conclus que je le pranroie dessus mon col
et le porteroie là où il nous Sambloit le mieulx pour nous adresseï.
Et ainsy en fut fait. Car nous vîmes droittement arriver là où le cappitaine se tenoit. Lequelle, après que mon perre oit appellés plusieurs
vois, c’est bien subitement levés et ait respondus, disant : « Oui estes
vous ? » Et ledit mon perte, causy en plourant et à vois caisse, luy dit.
« Se suis je moy, le pouvre prisonnier, qui ais cuidiés eschaipper ». —
« Comment ! », dit il, « où est ton filz ?» — « Hélas ! chétif », se dit mon
perre, « je suis dessus son col ; car j’és une jambe rompue et ne me puis
soubtenir ». Et le demandoit le cappitaine pour ce qu’il ne les veoit pas,
pour l’obcurités de la nuyt. Et alors, comme enraigiés, fist lever ces
gens ; et jurait Dieu et ces sainct que il nous ferait pandre et estrangler
avant qu’il fût le mattin. Et, après plusieurs aultres pairolle, que trorpt
longue seroie à réciter, dessandirent an bas en la court plusieurs d iceulx
satallittes, avec lanterne et flambiaulx, haiche d’airme, woulge, dairt
et espée, et sambloit qu’il nous vouicissent estrangler. Et la, en nous

204

,

1490 NOVEMBRE. — PHILIPPE ET SON PÈRE REMIS EN PRISON

boussant1 et frappant, fûmes remis en la prison, estroittement enclos,
sans oyr aultres nouvelle jusques au lundemains au déjeuner.
Le lundemains venus, fut renvoiez celluy maire de Sainct Humbert
devers nous. Et trouvait ledit mon perre en très pouvre estât : car de
toutte la nuyt il n’avoit heu repos, fore que crier et braire ; et estoit
pitiet de 1 oyr lamenter et plaindre. Et souffroit le pouvre homme sy
très grant doulleur qu’il n’est à croire, et, comme une femme travaillant
d’anfïans, n’avoit le pouvre pacient aulcuns repos ; car il perdoit tout
le corps 2, et ce acomencè sa jambe treffort à enfler. Par quoy le maire,
voyant la pitiet, le fut bien viste dire au cappitaine. Lequelle y envoia
une couchette pour le couchier, avec ung bons homme, bairbier du pais,
nommés Jehan Belzvelz, qui mist toutte diligence à le reguérir et
aidier. Celluy bairbier luy tirait la jambe et remist chacune os en son
lieu, et luy loiait avec estelle et bandist de drappiaulx, comme il aperthient. A rest, à toutte ces aultre plaie il mist la mains ; et fist jantilment son debvoir. Et à moy fut apourtés ung sappe 3 auquelle je fus
mis et enfermés des piedz, avec la clef, touttez les nuyt, auprès de la
couchette de mon perre. Et furent les fenestre mieulx fermée et bairée
que devant. Et ainssy je fus bien gairdés d’eschaipper. Lunguement
fûmes en cest estât, tant que la jambe de mon perre se reprint, et
mairchoit desjay dessus, avec une crosse; et furent ses aultre plaieà peu
près recloise et resguérie.
Or lairons maintenant de ces choses ung peu le parler, et vous dirés
comment se maintinrent mes oncle, qui estoient frère à mon perre.
Et aussy vous dirés que devindrent yceulx lairons qui nous avoient
vandus, et quelle paiement il en olrent pour nous avoir délivrés. Vous
debvés sçavoir que le bruit fut grant en la cité et par tout le païs de
noustre prinse, ad cause que ce n’estoit pas fait en bonne guerre, ains
estoit une trayson et lairsin. Par quoy vinrent alors les dit mes oncle à
Mets pour pairler a seigneurs de cest affaire. Mais, pour ce que nulz ne
sçavoit là où nous estiens menés, on n’y sçavoit que faire.
Ceulx qui avoient vendus les prisonier trompés. — Rellequin et Piccavot, auquelles on avoit promis de incontinant après nostre prinse leur
donner cenc florin pour nous délivrer, et, avec ce, qu’il seroient les bien
venus et gouverneur4 de Chaivencey, dès qu’il vindrent à Beilley,
comme dit est devant, et que l’on fut saisis de nous, on leur en donnait
des blanches 5, et, avec seullement ung florin de XX gros, furent envoiez
à Verdun. Par quoy, voyant qu’il estoient frustré et que l’on les avoit

1. Poussant (voyez dans le Dictionnaire de Zéliqzon le verbe boussieu, pousser).
2. Perdre le corps, être incapable de se mouvoir ?
3. Cep, « pièces de bois échancrées où on engage les pieds du criminel pour le tenir
plus seurement prisonnier » (Furetière ).
4. Auprès du gouverneur.
5. Des paroles blanches, des paroles flatteuses et trompeuses (dans Godefroy, 1, 655:
« il estoil apaisé de flaleries et de blanches paroles»). Les cartes blanches s’opposent aux
figures. C’est de là que blanc a pris le sens de »sans valeur » ?

1491

N. ST., JANVIER. — CHUTES IMPORTANTES DE NEIGE

205

dessus et trompés, furent très mal comptant ; et eussent bien voullus
ravoir leur paix et que jamaix il n’eussent entreprins la follie, et qu’il
ne s’en fussent mellés. Hélas ! tropt tairt pour nous en estoit le repantir ;
car maintenant n’estoit pas en eulx de nous salver. Or, après que leur
florin fut despandus, il furent advertis que lesdit mes oncle faisoient
enqueste de toutte part pour sçavoir là où nous estions menés. Par quoy
bien vistement leur ont mendés que, se l’on leur voulloit faire leur paix
et qu’il leur fût perdonnés, il retourneroie à Mets, et en plain jugement
il en diroie toutte la vérité. Et tellement que, après plusieurs langaige et
plusieurs alléez et venuees, voyant que aultrement l’on ne le pouvoit
sçavoir, furent yceulx lairons mandés ; et, encor daventaige, furent de
mes oncle et aultres amis festoiez pour tesmoignier à la Justice la
vérités.
Les seigneur rescripve aux duc René pour faire délivrer les prisoniés. —
Puis, après ce que l’on fut bien dehuttement du cas imformés et adver­
tis, et instrument de nottaire en furent prins, la cité en ait heu rescript
au duc René. Lequelle incontinant le mandait audit de Chaivencey,
qui fort et ferme dit et maintint qu’il nous avoit arrier randus et déli­
vrés à ceulx qui nous y avoient menés, et que plus n’en sçavoit. Et ainsy
demoura la chose jusques ung jour que vous oyrés.
Gy vous lairés quelque peu de cecy le parler pour revenir à d’aultre
merveille que durant se tamps advindrent.
Ung faiseur d’arcz décapités pour avoir frappés contre quelque ymaiges.
— Durant que ses chose se faisoient, avint que alors en Mets y avoit ung
grant ouvriez et ung souverains faiseur d’arcz d’acier, nommés maistre
Cottenet, demourant en ycelle cité, à la Hardie Pier. Celluy maistre
Gottenet, le XVIIIe jour de décembre, ce trouvait en la taverne avec
d’aultrez, à juer ; et perdit son argent. Par quoy luy, furieulx et plain
de raige, en renyent et maulgriant, print ung espieu, et avec celluy s’en
vint contre une ymaige qui estoit painte et pourtraitte en ung pappier
à la parroy ; et, avec celluy espieu, en despitant et blafïément Dieu et
ses Saincts, fraippait tout permy la dite ymaige. Duquel cas Justice fut
advertie. Par quoy il fut tantost prins, mis on pillory et trainés a
Pont des Mors ; et là oit la teste couppée.
L'année des grant neiges. — Aussy vous avés par cy devant oy com­
ment en celle année fist la plus belle saison, jusques à la Toussaincts,
qu’on ne sçaroit assés dire. Maix, quant ce vint à celluy tamps, la gellée,
avec la neige> commensait sy trefïort que on ne povoit durer. Et durait
se tampts jusques près de la sainct Vincent, comme vous oyrés. Et
adoncque se renforsait ycelle neige et gellée ; et négeait tant que, qui ne
l’airoit veu, à poinne le sairoit il croire. Et fut cest yver appellés
l’année des grant n'eges. Car il y avoit tant d’icelle neige gisant sur terre
que l’on ne pouvoit venir ne aller ; et tellement que les loups venoient
dedans les villaiges, et aultres bestes saulvaiges, coinstrainctes de fains. '
Les oizïllon, groz et petit, et de plusieurs manière, se moroient dessus la

206

1491 N. ST., JANVIER. — EXÉCUTION CAPITALE A METZ

neige. Et plusieurs vyateur, qui alloient leur chemin, furent mors et
péris en ycelle.
Deux compaignon décapité pour avoir donner quelque /aulx entendr[e}
aux seigneur de Mets. — Item, en se meisme tampts, deux maulvais
garsons, piettons, lesquelle durant la guerre devant dicte avoient estés
au gaige de piedz en la cité, yceulx lairons, pour trouver manier d’avoir
argent, firent escripre une deffience encontre la cité on nom de plusieurs
seigneurs. Et mirent en ycelle deffience des noms, incognus, d’iceulx
seigneurs qui deffioient ; et bouttairent celle deffience par dessoubz la
porte du pont Regmont. Et quant ellez furent trouvées, les seigneurs et
gouverneurs a de la chose publicque de la cité se en esmervilloient ; car
il ne sçavoient qui estoient ses estraingez seigneurs à qui il ne cuydoient
avoir riens affaire. Alors vindrent yceulx deux malvais guerson devant
dit, et présentairent leur service à la cité, disant qu’il congnissoient
très biens yceulx seigneurs ; et, avec ce, qu’il trouvenroient bien manier
de les en délivrer. Par quoy, croyant à leur pairolle, furent receuz et
mis au gaiges ; et leur fut baillez argent pour aller aux champs. Et
tellement que les traïstres tuairent et murtrirent aulcuns povres hom­
mes, et en rapportairent les oreilles aux seigneurs de la cité ; et disoient
que c’estoient proprement les oireilles des annemis. Mais yceulx sei­
gneurs de Mets, qui sont saiges et clervoyant, quant il virent et apperseurent le cas, se doubtairent biens de la vérité. Et olrent telle suspicion
sur eulx qu’il les firent prandre et lougïez ; et furent tantost menez en
l’ostel du doien. Or avoit l’ung une lettre qui touchoit à leur malvistiez ;
mais, de peur que l’on ne la vît, la boutta en sa bouche, et la cuydoit
mangier. Toutteffois elle luy fust rescousse ; et mist on les pièces ensem­
ble. Et par ainssy fut congneus tout le secret de leur malvestiet. Et,
tantost aprez, le jour de la sainct Vincent, il furent menés on pillory,
puis furent traynés a pont des Mors ; et là, en ce lieu, leur fut tranchée
la teste, et furent mis sur la rue.
En celluy tamps et durant que ses chose se faisoie en Mets, nous
estians, mon perre et moy, tousjour en prison, comme sy devant avés
oy. Et estoit mon perre à peu près reguerris de sa jambe. Touteffois, je
ne sçay à quelle occasion, le maire Sainct Humbert fut tenus suspect ;
par quoy il nous fut ostés, et en son lieu fut commis ung viez homme
d’armes gascon. Ung jour, vint celluy Gascon, nommés Pier, à nous, et,
en fort louuant le capitaine de léans, nous dit qu’il avoit grant pitiet de
nous, et que ceulx qui nous avoient menés léans, par plusieurs fois,
avoient requis au devant dit cappitaine de nous randre en leur mains
pour nous mener à leur plaisir, et que de ces chose il avoient heu grant
question ensemble, à l’ocasion de ce qu’il ne nous voulloit randre.
« Mais maintenant », se dit ledit Pier, « il n’y ait remide ; il fault qu’il

a.

Gouverneurs.

1491 N. ST., JANVIER. - - PHILIPPE ET SON PÈRE DANS LEUR PRISON 207

vous rande à eulx ; car il ont envye et sont courroussé de se que vous
estes sy bien traictés, et de se que vous avés voullus eschaipper ».
Plusieurs tel perolles ou samblables nous disoit souvant ledit Pier pour
plus nous embaihir et tousjour en descourpant12 le capitaine de nostre
prinse. Et fûmes longuement en se desconfort, en ne atendant que l’eur
que l’on nous vînt quérir : car cellui Pier sertiffioit que à yceulx nous
maistre ne chailloit de ranson, ains avoient ceulx de Mets en sy grant
hayne que en despit d’eulx il nous feroie villainement morir. « Tou­
tefois », se disoit celluy Pier, « je leur ais encor priés pour vous jusques
à tant que celle estrême froidure soit passée. Mais gairdés bien », dit il,
« que, se en aulcuns temps Dieu vous faisoit la graice d’estre délivré de
leur mains, vous n’en rendés le mal pour bien ; car je vous essure que,
se une fois il vous emmaine hors de scéans, vous estes en grant dangier
de voustre vie ». Hélas ! quelle povre réconfort à ceulx qui desjay
estoient essés desconfortés, et qui amassent mieulx à estre mort que
d’estre en telz langueur ! Car alors autant nous estoit la mort que la vie.
Mon perre n’estoit pas encor du tout reguéris 3 ; et moy en piteux estât,
couchant touttes les nuyt au sappe, comme ung lairon. Las ! et encor,
chacun jour, on nous menaissoit de avoir pir, et ne sceussiés 4 mangier
une bouchié que en pleurant et gémissant. O quelle pitié ! je ne le
sçauroie tout dire, et ne me serait possible de vous compter touttes les
doulleurs et les desconfort qu’il nous y firent souffrir ; ou autrement,
se tout dire voulloi'e, je doubte 5 que l’aconter ne vous fût ennoieulx :
car on en ferait ung groz livre. Et, en ses entrefaicte, vint ung joui le
cappitaine nous veoir, en abit dissimullés, et en guise d’ung pallefrenier.
Chescuns jour nous estions menassés, disant que lesdit nous maistre
ne voulloient avoir pitiet de nous, ains voulloie que l’on nous randît
en leur mains, c’il n’avoient trois mil escus ; et juraient, comme lairons,
qu’il estoient sertains que, sen nous deffaire, nous en eussions bien paier
VII mil; mais, corne il disoie, pour ce que le cappitaine nous menoit
tropt doulcement, nous estions rebelle et villains. Lesquelles perolles
nous persoie lez cuer et nous mettoie en grant tritresse. Alors celluy
Pier le tourner, faindant que le cappitaine prioit pour nous, flst dilater
la chose encor VIII jour. Et puis dit que, se dedans se tamps acord n’y
estoit trouvés, il failloit qu’il nous délivrait en leur mains, comme il
avoit promis, pour faire de nous à leur plaisir. Hé Dieu ! à quelle dolleur
fûmes nous menés ! Car, chacun jour, nouviaulx dueil nous venoit de
tout coustez.
Les VIII jour passés, une nuyt, environ la mynuit, vinrent trois ou
quaitre compaignon defermer la prison, et, avec woulge, lenterne, dart
et espée, me vinrent souldains empoignier, moy qui dormoye au sappe,

1.
2.
3.
4.
5.

Embahir, abuser, tromper.
Disculpant.
Pas encore complètement rétabli.
Nous n’aurions su (sussiens).
Je crains que le récit (exactement . le raconter).

208

1491

N. ST., JANVIER. — PHILIPPE EST SÉPARÉ DE SON PÈRE

et bien furieusement me resveillé ; puis defïairmirent celluy sappe à la
clef, et commendèrent de me lever : car, comme il disoient, par l’ordon­
nance de mes maistre il failloit que je fusse menés en France ou aultre
part, à leur plaisir. Mon perre, dollant, ne dormoit pas ; ains estoit
toutte la nuyt se remuant et retournant, et ne povoit aulcunement
repouser ; car il estoit à demy mort des menasse que tous les jour on
nous donnoit. Et, alors, quant il me vit ainssy rudement traicter corne
ung murtrier ou ung lairons, et que l’on m’en voulloit mener, le cuer luy
fent de doulleur, et se print à pleurer. « Hélas ! », dit il, « pour Dieu,
laissés le moy, ou je mouras de dueil ». — « Ha ! villains maitin », ont il
dit, « se tu peussent cheminer, on ne te laissait pas sur celle couchette.
Tu es maintenant tropt ayse ; mais tu le pourras bien en aulcuns temps
acompairer 1.» Et, en disant ses pairolle, firent semblant de le frapper.
Le pouvre homme menait son dueil seulle à par luy ; et luy fut force de
me laisser aller, non sçaichant qu’il voulloie faire de moy, ne là où il me
voulloie mener.
L’acteur de ceste cronicque mys en sappe. — Alors, ainssy em point
comme ung lairon, me tenant par les bras, ne desvaillairent de celle
tour ; puis au fons d’icelle meisme tour me bouttairent, et fut là mis en
une grande cauve, en laquelle y avoit ung groz sappe, soufïisant essez
pour mettre XXX hommes à une fois ; auquelle je fus bouttés des deux
piedz. Et me laissaient seullet, démenant illec mon dueil. Et Dieu
scet en quel repos je fus toutte la nuyt, et les aultres ensuiant ! Et me
sembloit que chacun jour durait ung ans. Vous debvés panser en quelle
dolleur demourait paireillement ledit mon perre, auquelle il faisoient
acroire que l’on m’avoit délivrés à nous maistre, qui m’en avoient menés
en France, et ne sçavoient en quelle lieu ne comment. Las ! le pouvre
homme avoit de ses chose tant de doilleur a cuer que nulz ne le sçairoit
panser. « Pour Dieu », se disoit le pouvre homme, « tués moy, ou faictes
en ce qu’il vous plaît, et laissiez aller mon fîlz, ou du moins que me le
ramenés ! Car c’est celluy qui me soulaisse ; vous voiez que je ne me
puis encor aydier. Hélas ! le pouvre guerson, quel malz vous ay il fait,
que sy chièrement luy faictes comparer 2 ? » Tout ce que le pouvre
homme disoit ne luy venoit à nulz profïit ; ains luy faisoient touttes les
rudesse qu’il estoit possible de faire, afïin qu’il se mist à ranson à leur
voulluntés et plaisir. Et tellement ont menés le pouvre homme que,
ung jour, fut entre eulx celle ranson acordée de la somme de mil florin
d’or, sen les despans, par telz condision que je devoie estre ramenés
auprès dudit mon perre.
Traficques contre les prisoniés. — Or oyés encor de mon fait, qu’il en
avint. Au lundemains que je fus mis en celle fosse, en laquelle je gisoie
dessus mon dos, en grant pitiet, dessus ung peu d’ort pessas, vinrent

1. Acomparer, payer.
2. Comparer, payer, expier.

1491 N. ST., JANVIER. — LES DEUX PRISONNIERS SONT RÉUNIS

209

devant moy deux hommes, abilliés de roube de wellour ; et avec eulx
vint le tourner. Et me firent yceulx acroire que l’ung estoit le cappitaine (mais il mentoit), lequelle, comme il disoit, nous avoit du tamps
passés essés bien traitiet. Mais, de ses jour en avant, il ne povoit plus
estre maistre de nous ; et me fauldroit souffrir tant de malz que de mon
fait se serait grant pitiet, se doncque mon perre ne se mettoit à souffisant ranson. Et plusieurs aultre prepos me dit, que tropt loing seroie
à racomter. « Hélas ! », dis je, « que voullés vous que je faisse ? Ferés je
de la pier pains ? Vous sçavés que je n’ait rien, car je suis en tutelle, et
encor à marier ». Et, en disant ses parolles, je fondoie en larmes, et
plorroie tellement que c’estoit pitiet. Et, avec ce, je avoïe tant de
doilleur que, se le cuer ne me fandoit au ventre, je n’en povoie plus
endurier 1. Je me veoye ainssy estre détenus et mis en fon de fosse à tort
et sans cause, me gisant dessus mon dos, en ma florissante jonnesse,
corne ung murtriés ; tellement que, se aulcunement je me voulloie
aysier, il estoit force que se fût soubz moy, et me couchier dessus en
grant pitiet. Hé ! Quelle doilleur ! Et quel repos je avoye ? C’estoit
essés cause de pleurer. Et, encor daventaige, je fus tellement estrains
de mon orine qui me cuisoit au vantre, aul cause que tousjours sans
bougier je estoie dessus mon dos et que à mon aize je ne povoie oriner,
et me faisoit une terrible doilleurs. Et, encor pour me plus grever,
venoient les rat et souris et aultre beste maingier mon pains et l’ampourter.
Environ X jours je fus en celle tristresse, jusques que le dit mon perre
se fût mis à ranson, comme dit est dessus. Et puis, après ce fait, corne
avés oy, il me ont heu ramenés auprès de luy. Le pouvre homme, quant
il me vit ainssy deffait et maigre, il m’embraissè, estraint et acollait ;
et, en plourant, fut loinguement qu’il ne povoit parler. Après plusieurs
lamentacion faictes de luy et de moy, la chose demourait ainsy environ
XV jour. Et retournis à ma santé, fore que de loing temps après je
estoient en grant dolleurs du vantre, ad cause que je ne povoie oriner.
Or se paissait la chose, et cuidoie desjay estre dehors ; ne me chailloit
quoy qu’il coustait : car j’eusse voullus estre nudz et deschaulx a mil
lieues, sans denier ne maille, maix que je fusse estés délivrés.
En celluy tamps, qu’il faisoit une merveilleuse froidure, et au tamps
des grant neige, vinrent les traïstre qui Se disoient nous maistre en la
prison : c’est assavoir Grégoire et le Loherains, tout houssés 2 et esperonnés, avec Pier le tourrier. Et, comme gens enraigiés, faindant qu’il
venissent de loing, prindrent à crier et braire, disant que le capitaine
n’estoit pas jentilz homme d’aultent qu’il ne nous avoit voullus délivrer
en leur mains, comme il avoit promis ; et juraient en renoyant, comme
hors du sanc, qu’il en eussent heu plus de deux mil escus. Le pouvre

1. Si j’avais enduré si peu que ce soit en plus, mon cœur se serait brisé dans ma
poitrine.
2. Habillé comme pour un voyage .

210

1491

N. ST., JANVIER. — DÉPART DU PÈRE DE PHILIPPE

homme mon perre se gectait devent eulx en terre, et se prostaimait à
deulx genoulx, les mains joincte, devant leur piedz. Et, en se escusant,
voult aulcunement perler ; maix Grégoire, comme enraigiez, luy courrut
sus, et, avec une petitte massue qu’il tenoit en sa mains, le voult frapper.
Et luy fut tout biaulx c’il 1 se polt traire ; car il trippoit et se desmenoit
comme enraigiés, ne jamaix ne le voult escoutter. Et, en luy présantant
celle massue devant le visaige, en menassant ait dit : « Ha ! traystre, te
veult tu demener ? Ne sçay je pas bien comment tu as presté argent à la
cité pour faire la guerre au duc Régné ? Or, resgairde viste comment
tu veult faire ! Veult tu que l’on t’enmaine, ou se tu veult mander à tes
frères et aultres tes amis qu’il t’envoie ycelle ranson, et que tu leur die le
lieu là où tu veult qu’elle soit prinse ? » Et disoient ses mot comme se
l’airgent fût tout comptés en une bourse. Et dès incontinant firent
venir ancre et papier. Et, pour abrégier, il me firent escripre une lettre
à mes oncle. Laquelle leur fut pourtée par aulcune fille de joie ; car nulz
messaigier n’y eust ossés aller. Et croy que lesdit mes oncle la brûllairent ; et n’en fut jamaix nouvelle.
Ce tamps durant, nous fist le cappitaine essez bien traitter, tellement
que la jambe de mon perre fut causy gerrie. Or faisoit ledit mon perre
prier de jour en jour que l’ung de nous fût envoiez quérir la ranson ; et
fut causy passés que je seroie envoiez. Mais, pour ce qu’il eurent peur
que mon perre, qui estoit viez, ne se laissait morir, il fut dit qu’il seroit
laichiez, et moy demoureroye. Cecy ne fut pas fait sans grant mistère,
et ne vous aroie escript en deux fueille de papier se que durant XV jour
en fut fait et dit. Car, tout premièrement, le dit Pier le tourner nous
dit que c’estoit à sa prière, et que le cappitaine le faisoit par pitiet,
sans nous maistre, permi telz condicion que ledit Pier se mettoit en
prison pour mon perre ; et que mon perre se gairdait bien de desclarer
son cas à personne ; et moult d’aultre telle perolle, que tropt loingue
seroie à raconter. Et ne se attendoit plus fort que le tamps fût ung peu
plus doulx pour partir 2.
Or avint que, durant ses chose, par ung dimenche au matin, fut ame­
nés ung homme en la prison devant mon perre ; lequelle estoit acoustrés
en seigneur, et avoit vestus une roube de vellours. Et faindoit celluy à
estre le cappitaine. Et dit celluy audit mon perre plusieurs parolle,
lesquelle je laisse pour éviter prolisité. Et, après ce qu’il eust beaulcopt
dit, remonstrant audit mon perre le dangier où il me laissoit c’il ne
retournoit au jour dit et acquictoit sa promesse, se print celluy traïstres
à jurer de grant et villains sermens, que, se aultrement il faisoit, que à
moy et à Pier le ferait chièrement comparer. Et, alors, se fist apourter
ancre et pappier, et, tout en la présence dudit mon perre, me fist escripre
une lettre de laquelle le contenus fut telz que je perdonnoie ma mort, de
quelle mort que l’on me vouldroit faire morir. Et ainssy l’acourda ledit

1. Il désigne le père de Philippe.
2. L’on n’attendait plus rien, sinon que le temps se radoucît.

1491 N. ST., JANVIER. — DÉPART DU PÈRE DE PHILIPPE

211

mon perre, on cas que dedans XII jour a plus il ne retournoit, avec la
ranson, en ung lieu en France, emmey les champs, qui luy fut ensei­
gniez, nommé Nostre Dame de Manez. Et là devoit venir ledit mon perre
dedans le jour, avec la ranson, ou envoier ; laquelle ranson il devoit
mettre ou faire mettre auprès d’icelle chaipelle, entre deux pier. Et le
premier qui serait venus devoit faire une croix decroye àl’uys delachaippe
pour enseigne. Et puis, se fait, sans ce enquérir plus avant, s’en devoit
retourner. Celle promesse ainsy faictes et jurée, et la lettre de ma mort
escriptez,s’en retourna cellui avec la lettre, et fut fermés l’uis de la prison.
En laquelle triste et dollans fut alors ledit mon perre ; et estoit très
desconfortés, pansant au tairme, que luy estoit sy court, et à la ranson,
qui estoit sy grosse. Paireillement pansoit le pouvre homme le dangier
auquelle il me laissoit ; et tant d’aultre pansée luy venoie en mémoire
qu’il en avoit cenc mil passion en son cuer. Alors, quant je le vis en tel
desconfort, je luy donnait couraige, disant qu’il ne se esmaiait de rien,
et que Dieu nous ayderoit. Par quoy, après plusieurs pansée et souspir,
et après plusieurs perolle randue entre nous deux, le dit mon perre se
resconfortait et print couraige. Puis me print à dire son intencion, et
comment il voulloït faire, et là où il voulloit pranre partie de sa ranson.
Et, pour ce qu’il perloit hault, je luy fïst signe de perler baix, afïin qu’il
ne dist cluse qui nous puît nuyre, de peur que l’on ne nous acoustait.
Et en ses devise se passait le tamps bien tairt, en atandant tousjour que
l’on le vînt quérir pour partir, comme il avoit estés dit.
Mais acoustés or la traïson que l’on nous flst. Durant le tamps que
cellui qui se disoit cappitaine pairloit à nous, corne cy devant est dit,
Pier le tourner se caichait derrier le sappe auquelle je couchoie pour
acouter tous ce que entre nous seroit dit. Et tellement que, alors que
nous atandions leur venue, ledit Pier s’en estoit secrètement allés devers
le vray capitaine, Jehan de Harcourt, et lui avoit tout comptés et dit.
Puis retourna ledit Pier de cost nous, et là se essit ; et faisoit piteuse
chier. Alors mon perre luy demendait c’il seroit tost tamps de partir ;
mais ledit Pier luy dit, comme tout couroussé, qu’il ne sçavoit quant il
partiroie, et que les choses estoient retournée. Ledit mon perre, voiant
qu’il estoit couroussé, fut bien esmerveilliés dont se venoit ; et, de fait,
luy enquier la cause de son courous. Et tellement que ledit Pier luy
confessa comment il s’estoit caichiez pour acoutter : « Mais », dit il,
« vous avés perlés sy baix que je n’en ay pas entendus la moitiet ; et,
pour ce, je ne scés quelle intencion que vous avés. Vous voyés », dit-il,
« que je demeure pour vous ; et, se vous failliés de vouttre promesse,
vous nous metteriens en piteux point, moy et voustre fîlz ». Et moult
d’aultre parolles leur dit ledit Pier, qui longue seroie à raconter. Alors
de ses parolle se escusoit moult fort ledit mon perre, et moy paireille­
ment, en jurant et en faisant plusieurs sermens que en nostre pairler
n’y avoit que bien, et toutte ainsy comme la lettre le chantoit. Oultre
plus, je luy disoie qu’il ne devoit pas aultrement croire que l’intancion
de mon perre ne fût bonne ; car, se je sçavoie qu’il deust faire au con-

212

1491 N. ST., JANVIER. — DÉPART DU PÈRE DE PHILIPPE

traire, je seroie bien malheureux de moy mettre en telz dangier. Puis,
de rechief, je luy disoie que l’on me pernist dès maintenant, et que l’on
me mist au sappe, bien estroit enserré, et que je fusse estroitement
tenus jusques à son retour. « Pour Dieu », dit je, « faictes que mon povre
perre soit mis à delivre ; et, au cas qu’il ne fait son debvoir dedans le
tairme, faicte moy morir de quelle mort qu’il vous plairait, et dès
maintenant je vous perdoinct ma mort ». Et, en disant le mot, lez grosse
lairme me tomboie au loing de mon visaige en terre ; et estoit pitiet de
nous oyr. Et, nyantmoins touttes ses chose, ne quoy que nous sceussion
dire, demourait encor ledit mon perre tout le jour après. Auquelle fut
conclus qu’il partiroit à la mynuyt. Et, quant se vint à celle heure de
mynuyt, fut adoubés ledit mon perre comme ung laidre, touppés 1 et
quaichiez, et, en la conduicte de quaitre ou V gros ribault, il fut livrés
et emmenés, corne sy après oyrés, se lire ou acoutter le voullés.
Vous devés sçavoir et entendre que, quant se vint a despartir dudit
mon perre, se ne fut pas sans pleurer : car le pouvre homme, en me
commandant à Dieu, me ambraisse et estraint, et sy treffort et amère­
ment plouroit que c’estoit pitiet de le resgairder. Hélas ! s’il eust sceu
l’amcombriez qui luy vint, il eust encor plus fort plorer : car de XI moix
après il ne me vit ; auquelle tamps je souffris du mal biaulcopt, comme
vous oyrés. En le commandant à Dieu, pareillement fondoit en lairme,
et avoie le cuer sy estrains que je ne povoye perler. Las ! se j’eusse
encor sceu le mal qui m’estoit à advenir, je ne sçay que j’eusse fait, ne
comment je me fusse demenés.
Or demouras là tout seul, maingent mon pains en tritresse ; combien
que aulcunement je me réconfortoie de la revenue de mon perre. Lequelle, après ce qu’il se fut pertis de moy et qu’il fut en la baix court, on
le mist à chevaulx, ses crosse pandant à l’arson de la saille ; et oit,
en lieu d’estriez, une planche dessoubz ses piedz, pour soubtenir la
jambe qu’il avoit heu rompue. Et en cest estât fut conduit toutte la
nuyt par boix et par haie, au grant neige et froit qu’il faisoit. Et fut de
leur malvistiez menés tout au contraire de leur chemin ; tellement que,
quant se vint le mattin, au saillir du boix, il apparseurent errier devant
eulx le chaisteaulx dont il estoient partis. Et l’ung d’entre eulx, faindant qu’il eussent desjay biaucopt cheminés, demandait à leur guide
(qui estoit le braconniers de léans) quelle plaice c’estoit qu’il veoit
devant eulx ; lequelle respond et dit que c’estoit Chavancy. Alors
celluy, comme tout enraigiés, subit les fist recullés errier dedans le bois ;
et faisoit samblant qu’il voulsît tuer la dicte guyde, et disoit en se
coursant et malgréant qu’il les avoit mal menés, et que c’estoient leur
plus grant annemis. Et toutte ses fiction faisoient de leur malvistiez 2,
1. Le verbe toper est encore vivant dans les patois lorrains (Zéliqzon ). Il exprime
ici que le père de Philippe était dissimulé sous un amas de vêtements, pour qu’on ne
pût le reconnaître.
2. Par ruse.

1491, N. ST., JANVIER. — LE PÈRE DE PHILIPPE ARRIVE A VIGNEULLES 213

affin que ledit mon perre ne sceût point a vray qu’il vînt de Chaivencey.
Hélas ! le pouvre homme n’avôit jà besoing d’estre ainsy pourmenés,
car il faisoit grant froit, comme dit est devant, et luy dueilloit treffort
la jambe. Puis, en resgairdant la tour en laquelle il m’avoit laissiez
enclos, le cuer luy pairtoit parmy ; et ne se polt tenir de plorer, et fist
plusieurs regret en son dollans cuer, qui loing seroie à raconter.
Mais, pour abrégiez, il se sont mis on droit chemin ; et tellement que,
avant le midi, ont demandés audit mon perre où il voulloit estre mis,
et qu’il avisait aulcuns villaige on Barrois là où il eust quelquez coignaissance, pour le mettre ; car plus avant il ne voulloient aller. Et, de
fait, fut deschairgiés au bout d’ung villaige nommés Moineville, auprès
d’une haye. Et firent acroire à aulcune femme que c’estoit ung pouvre
pellerin qu’il avoient trouvé mallaide sus le chemin ; puis, ce dit, s’en
sont retournés. Et alors ledit mon perre envoiait quérir ung sien parans
qui demouroit audit villaige, lequelle moult charitablement le traicta
pour celle nuyt ; et, au lundemains, avec ung bon lit, le mist sus une
chairette et l’amenait à Vignuelle, dont il estoit.
Les nouvelles de sa venue en furent tantost espandue par le païs ;
par quoy chacun le venoit veoir. Puis, au lundemains, se fist amener à
Mets. La pouvre femme, ma mairaitte, ne sçavoit qu’elle deust faire,
de joie qu’elle avoit. Car les frère dudit mon perre, qui estoient trois
riche homme, et tous germains de perre et de merre, luy avoient fait
bien peu de charités. Et encor firent depuis, comme vous oyrés. Car,
dès incontinant qu’il entendirent et sceurent que ledit mon perre les
requéroit de emprunter argent pour sa ranson, il le furent déceller aux
seigneurs de la cité, qui estoit une chose qu’il leur avoit fort recomandés 1. Par quoy lesdits seigneurs en furent asamblés. Et, dès tantost au
lundemains, en furent aulcuns de part le Conseille envoiés devers ledit
mon perre, lequelle se gisoit au feu, et ne povoit cheminer pour letraveil
qu’il avoit heu. Et, après plusieurs parolle, et que à force luy covint
dire toutte la vérité, luy firent defïance, sur corps et sur biens, et sur
tout de tant qu’il les povoit craindre et doubter, qu’il ne me raicheta
point, et que l’on les en laissait convenir. La deffance oyees, le pouvre
homme fut en grant pansée. Et, combien que aperavant il eust bonne
vollunté de ce faire, il luy dirent tant et d’une et d’aultre que son
couraige fut retournés. Or me vueulle à cest heure Dieu aidier ! Car de
ma vie je suis en grant dangier.
Déluge d’eaue. Les mollin du Pont à Mousson amenés à l’avallée, et
aultre plussieur. — Item, se tamps pandant, c est assavoir le demiei
jour de janvier, se deffit le tamps, et comansa la neige à fondre en fasson
tel que touttes les maison en furent plaines, et ne povoit on secourir
que tout ne fût en yaue, par quoy plusieurs biens furent gaistés. Paireillement, se rompirent les glaces en la ripvier, et furent les yawe sy hors
de ryve que homme vivant ne povoit venir ny aller. Et firent les dite
1. Il leur avait recommandé, évidemment, de ne pas le faire,

214

1491 N. ST., JANVIER. — PHILIPPE RESTE SEUL EN PRISON

yaue plusieurs grant et grif dopmaige. Entre lesquelles elle amenairent
les mollins du Pont à Mouson au loing de la ripvier à Pavallée, et rom­
pirent lez pont du Salcey à Mets, et plusieurs aultre édiffice a loing de
l’yaue. Paireillement, la ripvier qui court auprès dudit Chaivency le
Chastel rompit les pont et les mollin de léans, et n’estoit possible Sans
nacelle d’y entrer. Plusieurs aultre mal fist, tant en se lieu comme
aultre part. Car elle antrait en la cawe dudit Chaivency ; et, entre les
aultre dopmaige, tumait et renversait ung tonniaulx de picquette de
laquelle l’on me donnoit à boire, et fut force, dez se jour en avant, que
l’on me donnist de l’eaue — encor me fut tout biaulx quant j’en povoie
avoir.
Et, tantost après, le VIe jour de febvrier, la gellée revint, aussy fort
comme elle avoit estés devant. Par quoy fut cest yver appellés le grant
y ver, aussy bien comme on l’avoit appellés 1 ’yver des grandes neyges.
Et durait jusques a thiers jours de mars.
Item, il avint en ce tamps, environ la fin dudit moix de febvrier,
que deux compaignon de la cité ou du païs d’icelle furent suspect de
nostre prinse : l’ung se nommoit Biaise, et l’aultre, Jehan Billon ;
et voulloit on dire qu’il estoient de la trayson. Et, à celle occasion, s’en
esmeust une guerre et ung huttin qui durait essez depuis. Et tellement
que, durans ses jour, les deux devant dit espiairent le filz d’ung merchamps de Mets, nommés Forcquignon, de Fornerue, le mersiet ; et,
au retour de Sainct Nicollas, l’ont heu prins et emmenez. De quoy
plusieur mal advindrent depuis, corne vous oyrés.
Or vous lairés de ces choses le parler, et vous dirés le demaigne 1 que
l’on me fist après le despart de mon perre. Vous debvés entandre que,
quant je fus seulle, il se parforsirent de me bien gairder. Et, de fait,
tout incontinant que ledit mon perre se fut partis de moy, comme sy
devant avés oy, m’ont amenés ung mareschal ; lequelle, avec le despancier de léans, vint en la prison là où je me gisoie, en grant pansée ; et
puis, sans me faire aultres Salutacion, me mirent dez groz fer au piedz,
et, en raibaitant et fourgent de gros clos sus une petitte enclume pour
les sairer en mes jambe, me faisoie tenir la chandoille pour alumer.
Mais à cest heure mon dollant cuer s’escreva, tellement que pour tout
le monde ne me fusse tenus de plorer ; et tellement que les grosse lairme
procédant de mes deux yeulx et courant au loing de ma fasse cheoient
dessus les mains de celluy qui me forgeoit les fer. Hélas ! comment
avoie je le cuer triste et dollans de me veoir aïnsy mal mener ! Puis,
quant il heurent se fait, il me laissirent seullet, démenant mon dueil
seul à par moy. Et créés que toutte la nuyt je n’olt guerre de repos,
si non plorer et lamenter.
Quant se vint au lundemains, environ le dînés, Pier le tourner

1. Dérivé du verbe demener. Le sens du mot est : traitement. L’ancien français ne
connaît en ce sens que demenèe et demenement.

1491

N. ST., JANVIER. — VERS COMPOSÉS PAR PHILIPPE DANS SA PRISON

215

retorna de cost moy, et, me voyant sy triste, me print aulcunement
à conforter. Et fut plusieurs jour qu’il me traittait essés bonnement.
Ce tamps pandant, et durant les XII jours de l’atandue de mon perre,
qui estoit le tairme qu’il avoit prins de retourner, pour ce que le tamps
me ennuoit forment et que de brief je cuidoient estre délivrés, et affin
de plus légièrement passer mon tamps, je prins aulcuns viez pappier
qui estoient en celle tour, et qui aultrefois avoient servis de fenestre, et
préposait que dessus yceulx je composeroie quelque chose touchant le
fait de nostre prinse. Et tellement que, avec du charbon, à la clairté
du feu, je compousait les vers qui ycy aprez s’ensuyent :
Or entendés, petit et grant,
Et retenés ceste matière !
Vous qui avés entendement,
Sarés tousjour vous huis derier,
Bouchés fenestres et poullier 1,
Sellon mon intention,
Et chantés tous, je vous requier :
Mauldictes soit la trayson !
Messains que a champs demourés,
Soiens tousjours sur votre gairde,
Et mieulx que nous cy vous gairdés,
Que fûmes prins par malle gairde ;
Et ung chacun de vous se gairde
D’ensuir malvaix guerson,
De ceulx desquellez l’on ne se gairde :
Mauldictes soit la trayson !
O Picavat de Sainct Pryvès
Et Rellequin de Noeroy,
A la malle heure fustes vous neis !
Car telles gens hayr on doit ;
Et qui de Dieu mauldictes soit,
Qui ait aprins de tieulx gloton 2,
Qui ne font ne droit ne loy :
Mauldictes soit la trayson !
Au cappitaine de Chaivancey
Il ont fait leur apointement
Pour nous vandre et pranre ainssy
En trayson et en dormant ;

1. Poulier (polire dans Zéliqzon), chatière, trou dans la porte par où les poules
peuvent entrer et sortir.
...
2. Et que Dieu maudisse ceux qui ont formé de pareils brigands.

216 1491 N. ST., JANVIER. — VERS COMPOSÉS PAR PHILIPPE DANS SA PRISON

Il en ont resseus argent ;
Nous ont vandus comme mouton ;
Une fois n’aront leur paiement
Qu’il mauldiront la trayson !
Deux ou trois jour nous espiairent,
Tant qu’il nous ont trouvés à point ;
Par ung merdi nous visitairent,
Comme ceulx qui ne dormoient point ;
Lé dyables les apourtirent à point
Rompre fenestre, fer et angon 2.
Une fois n’aront ung point
Qu’il mauldiront la trayson !
Par la fenestre entrirent
Piccavat et Rellequin,
Pour leur proye mieulx saisir,
Comme brochet ou chiens mattin ;
Alors oymes le huttin,
Nous qui estions en la maison ;
Tout nuds au lit fûmes souprins :
Mauldictez soit la trayson !
Les aultres estoient à l’uys devant
Qui gairdoient le passaige ;
Y les firent entrer dedans
Secrètemant à leur ouvraige;
Se leur fut grant adventaige
De s’y trouver quaitre compaignon,
Sans les deux maistre et leur paige :
Mauldictes soit la trayson !
Sans plus à dire, comme enraigiez,
Nous ont batus tout à leur guise,
En nous tirant hors par lez piedz,
Sans chausse, robbe ne chemise ;
Puis nous menairent en telz guise,
Battant, frappant de leur batton,
A la froydure de la bise :
Que mauldictes soit trayson !
Les maistres qui faisoient le guet,
Il ont oy tout le huttin ;
1. Un jour ils en; liront la récompense, si bien qu’ils maudiront, eux aussi, la trahison
2. Je comprends : les diables les apportèrent à point pour rompre fenêtre, fers et
angons (gonds).

-1491 N. ST., JANVIER.— VERS COMPOSÉS PAR PHILIPPE DANS SA PRISON 217

Sy s’en vindrent, sans faire arest,
Comme lairon font au buttin,
Follant aux piedz de leur roussin
Par dessus nous, corne fellon ;
Peu leur cottoient à nous noury 1 :
Mauldictes soit la trayson !
Rien n’y vailloit cryer hahay !
Doulce parolle y pardoïent tamps ;
Souvant nous faisoient dire : hélas !
En nous faisant passer avant ;
Mais le grant froyt qu’il fist du tamps 2
Nous fist geller jambe et talion ;
Parmi les bois nous vont baitans :
Mauldictes soit la trayson !
Quant les bois furent passés,
Nous estiens comme gens perdus :
Depuis la ville à Sainct Privés,
Il nous avoient menés tous nuds,
Tant que souffrir n’en polloient plus,
Ce nous n’aviens robbe ou gippon,
Car nous estiens tout morfondus :
Que mauldictes soit trayson !
Lors Rellecquin en oit pitiet
De se qu’il nous veoit soufîrire,
Sa robbe nous donne et ses solliet,
Et se print à repantire ;
Et ung aultres, sans mantire,
Donna mon perre son chapperon,
Qui des aultres estoit le pire :
Mauldictes soit la traison !
A l’arivés près d’ung villaige,
Voir, quant le jour fut venus,
En ung bois hoirs de passaige
Nous ont bouttés jusques la nus.
Là ne mangeasmes ne cuit ne crus,
Oyez rotties, ne pourcillon,
Aultres que de neige, sans plus 3 :
Que mauldictes soit trayson !
1. Il leur avait peu coûté de nous élever : notre vie n’avait pas beaucoup de prix a
leurs yeux.
2. Du temps, à ce moment.
.
, ,
3. Nous ne mangeâmes ni oie rôtie, ni cochon de lait, pas autre chose que de la
neige, sans plus.

218 1491 N. ST., JANVIER.— VERS COMPOSÉS PAR PHILIPPE DANS SA PRISON

Quant le jour heust fait son cour,
Il nous firent tirer pays
D’Uxerables à Gondrecour,
Le grant chemin droit à Beilley ;
Là, il nous ont donnés respey
De faire ung peu collacion ;
Moult mieulx vailloit enssy que pis :
Mauldictes soit la trayson !
Là, nous ont fait ung peu chauffer,
Car il jailloit à droitte glaisse ;
Puis il nous ont fait cheminer,
Jay ce que nous estiens moult laisse,
Le chemin droit à la plaice,
Les yeulx bandés comme layron
(Bandiaulx nous mirent devant la faisse) :
Que mauldictes soit trayson !
Prindrent ung chemin pour nous logiés
Auquelle n’y oit que bois et haye,
Poignant d’aguillon corne bouviés,
En renovellant souvant nous plaie ;
Là nous fûmes en grant esmaye,
Quant nous nous vîmes en la prison ;
Sens rien debvoir il fault c’on paye :
Mauldictes soit la trayson !
En ung chaisteaulx emmey lez champs
On nous ait mis pour nous gairder,
Et s’y fûmes assés loingtemps
Avant que puissions eschapper ;
Ne font qu’ailler et pourmener :
C’est pour nous mettre à ranson,
Le plus souvant eulx demener :
Que mauldictes soit trayson !
Avant se fait par plusieurs jour
Nous cuydiens estre eschappés
Et desvaillîmes de la tour,
Quidant passer mur et fossés ;
Mais la fortune c’est tournés
Encontre nostre intencion,
Car par les chiens fûmes encusés :
Mauldictes soit la traison !
Puis nous firent moult languir
Avant que avoir espedimans,

1491 N.

ST., JANVIER.— VERS COMPOSÉS PAR PHILIPPE DANS SA PRISON

219

Et ne se voulloient consentir
Que l’on aillait quérir l’airgens ;
Nous y fûmes près d’ung quairt d’ans,
En atandant nostre ranson,
Moult ennoie cil qui a tamps 1 :
Que mauldicte soit trayson !
Le cappitaine de la tour
Dit qu’il nous ait bien gouverné :
C’est celluy Jehan de Harcour
Qu’ency par nous est appelle ;
Je prie à Dieu de majesté
Qu’i l’en doinct telle guereudon
Comme envers nous l’ait mérité :
Mauldictes soit la trayson !
Pour tant vous prye que vous gairdé
Entre vous, ses grant marchamps ;
En bourg, en ville ou en cité,
Ne soyens pas négligeas,
Et vous gairdés bien sur les champs
D’encheoir en mains des lairon ;
Vous pourriez bien chanter se champs :
Que mauldictes soit trayson !
Paireillement vous, vigneron,
Et aultres laboureus des champs,
Car, quant entrappés on y son,
Du repantir il n’est pas tamps ;
Et qui vouldray sçavoir comment
On appelle ceste chanson,
On l’appelle communément :
Mauldictes soit la trayson !
Celluy qui fist ceste chanson
Bien en debvoit sçavoir perlés,
Car il estoit en la prison
En une tour fort 2 enfermés,
Et, pour mieulx son tamps passés,
Souvant en désollacion,
Il ce mestoit au chantés :
Que mauldictes soit trayson !

1. Celui qui a le temps de s’ennuyer, qui n’a que cela à faire. Ou : celui qui attend ?
2. En une forte tour.

Et qui vouldray sçavoir la plaice
Et le lieu où nous fûmes mis,
C est en ung lieu plains de mairaice x,
C’on appelle à Chaivencys ;
Pour tant priés Dieu, mes amis,
Qu il gairde de mal tout proudon,
Et à la fin doinct paradis :
Mauldictes soit la trayson !
Durans le tairme de XII jours, en attandant le retours de mon perre,
comme dit est devant, furent par moy, Philippe, estant en la prison!
et a la clairté du feu, ses présans vers grossement et rudement compousés. Et pour ce, c’il vous plaît, vous supplierés et supporterés mon
mnorance, et les faulte que y sont corrigerés ; car je les faisoie et compousoie tel que les voyés et comme il me venoie au devant, cuydant
sertamement estre bien en haitte délivrés. Mais, las ! le dés fut pour
moy bien retournés ; et rescheus en plus grant ennuyt que encor je
n avoie estés. Lesdit XII jours passés, ce partit le devant dit Pier de
Chavency, avec sertaine aultres gens ad ce commis, lesquelles tous
ensamble, bien armés et am point, s’en sont allés au lieu devant dit
de Nostre Damme de Mane, qui est une chappelle en France, enmey les
champs, là où la dictes ranson devoit estre pourtée.
Or vous dirés aulcune chose pour quoy en partie ledit mon perre ne
retourna ne n’envoia audit lieu de Nostre Damme de Mane. Vous debvés
sçavoir que, en se tamps, y avoit aulcuns parsonnaige en Bairoy, se
disant jantil homme, et lequelle aultre fois avoit estés cappitaine de
Chaivencey, et avoit celluy personnaige aulcunement estés cause et
motif de nostre prinse, comme on disoit. Et, pour ce qu’il veoit que la
chose se pourtoit mal, voult celluy complaire a deux partie, et, se
voullant monstrer grant amis dudit mon perre, fut celluy, avec la
défiance de ses seigneurs, qui le destournait de ne me point raicheter ;
et dit que l’on me raveroit bien par aultre voye, et sans ranson paier.
Puis, quant il oit, se fait, comme traïstre, mandait au cappitaine de
Chaivencey qu’il ne se trouvait point au lieu de Nostre Damme de
Mane, et que ceulx de Metz y devoie envoyés de leur gens d’armes pour
les prandre. Par quoy, ses chose oyes, le cappitaine n’y aillait point,
mais y envoyait de ses gens, ainssy armés comme avés oy. Or, quant il
vinrent là, il se tindrent couvertement par l’espaisse de trois jours, sans
oyr nouvelle de parsonne ; puis s’ans sont retournés arrier. Et Dieu scet
en quelle doulleurs je estoie ses trois jour durant, et en quelle paine !
Au debout des trois jour, vécy Pier venir de cost moy en la prison ;
et estoit bien tairt quant il arivait, tout moulliez et tout crottés, car il
faisoit ung orible tamps. La premier salutacion qu’il me fist, se fut en
me détravant 12 et mauldissant, qu’il sambloit que pier en deussent
1. Marais (Zéliqzon, Dictionnaire, art. Mèrâhhe, s. f.).
2. Destraver, injurier, insulter.

1491 N. ST., FÉVRIER. — DÉCEPTION DE PHILIPPE

221

partir ; et, pour plus me agrever, me saluait de la malle sanglante nuyt,
et se monttroit sy couroussiez et innumes 1 que je pansoie qu’il me
deust baitre. Ha ! las ! moy, dollant, quant je le vis einssy courroussés
et demenés, je ne sçavoie quelle contenance je deusse tenir, et moult
humblement en plourant me humiliay, et luy dis : « Hélas ! Pier, mon
amis, que vous fault il ? Quelle nouvelles sont ce que m’apourtés ? »
— « C’est », dit il, « le dyables qui vous empourte, vous et voustre perre,
qui à tel maichîef nous avés mis ! Traïstres », dit il, « que vous estes, et
qui estes cause de son allée : car, par la chair !, se je le tenoie, jamaix ne
mangeroit de pains. Mais ne vous chaille !, vous l’acomparés bien chier,
puis que pour luy avés demourés. Et saviés bien qu’il ne revenroit
point. Je vous jure et vous promet », se dit ledit Pier, « que devant que la
nuyt soit passée, vous vouldriés que jamaix ne fussiez estés nez. Mais,
au fort, ne m’en chault ; et au grant dyables soiés donnés ! »—« Hélas ! »,
dit je, « que je le seusse, non faisoie, sur ma part de paradis ! J’eusse
estés bien malheureux de voulloir demourer. » — « Par la chair ! »,
se dit il, « s’en serés vous mis en toursure 2 et en gehine avant que la
nuy soit passée. Or avisés à voustre cas, et comment vous le ferés !
Le dy[a]bles vous faisoit bien demourer pour luy. » En ses parolle ou
samblables fûmes loing tamps ; et ne me sçavoie comment escuser, car
il n’y avoit point de droit pour moy ; et jurait ledit Pier et tripoit, qu’il
sambloit qu’il fust enraigiez. Or estoit venus le jour que je cuydoie
estre délivrés ; mais j’ettoie pis que devant et en plus grant dangier.
Alors bien furieusement m’ait dit ledit Pier que je me adoubaisse, se je
voulloie, et que l’on me vanroit tantost quérir. Et, en disant, ferma l’uys
à la clef, et me laissa illec.
Dieu scet en quelle desconfort je fus lors ! Et ne sçavoie que panser.
L’une fois me venoit au devant que mon perre avait estés errier prins et
rués jus avec l’airgent ; ou possible qu’il fût encor léans détenus, et
qu’il ne l’eussent point envoiez corne il disoie. Et tant d’aultres diverse
pansée me venoye a devant que c’estoit merveille que je ne morie de
dueil. Toutteffois, je reprins mes esperit, et, en faisant le signe de la
crois et en me recomandant à Dieu, je me adoubas de celle pouvre
sairge que j’avoie, cy la mis en eschairpe, comme ung Égiptien, ung
bras dehors, noéez dessus l’espaille (car aultre abis je n’avoie, avec
mon bonnet et ma chemise, que j’avoie apourtés, et qui estoit desjay
à demi porris et huzés). En cest estât fut jusques à mynuyt, comme
celluy qui atant pour morir. Dieu scet en quelle tritresse mon pouvre
cuer estoit ! Dieu en gairt tout bon preudhomme de l’assaier ne santir !
Environ après la minuyt, arivait ledit Pier, et, entre plusieurs aultres
perolle, me dit qu’il avoit priez au cappitaine que je ne fusse bougiez
pour celle nuyt (car alors il faisoit le plus oribles tamps que jamaix
home vit de pluye, de vant et de grésil). La nuyt se passait en grant
1. Inhumain.
2. Ce dérivé du verbe tordre n’a pas en français le sens de torture (torture est un lati­
nisme).

222

1491 N. ST., FÉVRIER. — NÉGOCIATIONS AU SUJET DE PHILIPPE

dolleur ; et le lundemain vint. Auquelle furent les yaue sy grande et
hors de rive, comme j ’ai dit devant, que nul ne sceust entrer léans par
l’espaisse de VIII jour durans. Et par ainssy je demouras et n’en fus
pas menés ; mais journellement je estoie menassiés ; et me furent
plusieurs chose faictes et dictes, que tropt loingue seroie à raconter.
Les VIII jour passé, et dès tantost que l’on polt cheminer, l’on
m’apourta ancre et papier ; et me firent escripre une lettre se adressant
à mon perre. La lettre bien piteusement escripte, avec les rescommandacion, fut leutte présant le cappitaine ; auprès duquelle estoient
plusieurs que, oyant la lecture, ne se polrent tenir de plourer. Puis fut
envoyez à Mets par une femme, et fut donnée a dit mon perre. Quant le
pouvre homme la vit et entendit la tenour d’icelle, Dieu scet se son
pouvre cuer fut estrains et sarré de doilleur ! Et ne sçavoit que dire ne
que faire, sinon plorer et lamenter ; car, se de mon cousté je avoie du
mal, il en avoit bien sa part en porchassant tousjour de mon affaire.
La lettre fut pourtée au Conseil à Mets et fut leuste devant tous lez
seigneurs. Lesquelles incontinant comirent aulcuns d’entre eulx à cest
affaire ; et, avec sertains messaigier, furent envoiez devers le duc René
en Loheraine, luy remonstrant qu’il woussît tenir ses gens à tel qu’il
rendissent lez prisonnier qu’il tenoient. Et fut celle lettre leustes en sa
présance. Alors, incontinant, furent mandés le cappitaine Jehan de
Harcourt, le Loherains et Grégoire ; lesquelles nyairent tout le cas, et
maintindre forte et ferme qu’il ne sçavoie où je fusse. Très bien disoit
Jehan de Harcourt, cappitaine de Chaivancei, ad cause qu’il ne le
povoit nyer, qu’il nous avoit loigiés VIII jour, ou environ, cuydant que
nous fusiens prins de bonne guerre ; mais il nous avoit heu randus, et
plus n’en sçavoit. Et plusieurs aultres parolles furent pour cestuy fait
randue, que je lesse pour abrégier ; et plusieurs requeste en furent faictes,
qui longue seroie à raconter. Après ces chose, chacun retourne en son
lieu, sans aultres chose faire.
Quant Petit Jehan fut retournés à Chavencey, il commendait encor
que une lettre fût escriptes et envoiéez à Mets, comme l’aultre, en
monstrant qu’il ne donnoit guerre de ce que lesdit de Mets avoie fait b
Durant ses chose, je estoie tousjour en grant doilleur et affliction ;
aussy estoit mon pouvre perre, lequelle, avec sa grant bairbe de pri­
sonnier, ne faisoit journellement aultre chose que pourchaissier. Et luy
venoient souvant de bien estrainge nouvelle. Entre lesquelles, ung jour,
vindrent à Mets plusieurs personnaige de Chaivencey, dont l’ung estoit
chaistellains du lieu, nommés le Hault Dediet, ung aultre estoit boullungiet, et l’aultre estoit despanciet. Tous ceulx ycy ont dit et tesmoigniez, avec ung aultre, nommés Pier, de Puix, que j'estoie à Chaivencey
prisonnier ; desquelles perolle en print ledit mon perre instrument de

1. Qu’il ne se souciait nullement des démarches des Messins.

1491, 21

MARS. — JEAN PAPPEREL CRÉÉ MAITRE-ÉCHEVIN DE METZ

223

nottaire. De quoy celluy chaistellain en fut deschaissiet, et le boullungiet en oit les oreille coppée à Chaivencey.
Par quoy le cappitaine, sçaichant ses chose, me thint plus rudement ;
et n’y avoit de jour que je ne fusse menassiet : car Pier me disoit souvant que, se l’on ne oyoit aultre nouvelle, il ne atandoit que l’eur que.
l’on me deust despeschiés.Ces parolle,et plusieurs aultres, me faisoient
entrer en désespéracion, se Dieu ne m’eust aydiés. Et tellement que,
comme celluy qui voit que tout alloit au rebour, ayant autant la mort
que la vie, et comme à demy désespérés, me aprouche de la fenestre
par laquelle je avoie voullus eschapper, et, d’ung couraige mellés de
tritresse et doilleur, avec mes fer au piedz, fist tant, à plusieurs foys,
qu’elle fut aulcunement destouppée, et que je vis la clairté du jour ;
et, de fait, vis enmey la court les montaigne et les vallée. Dont se me fut
grant consolacion, pour tant que de grant tamps, corne il me sambloit,
je n’avoie veu le jour ; et me sambloit que ung nouviaulx soilleil fût nés.
Mais cella fut sy subtillement fait et sy jantillement retouppés que l’on
ne s’en sçavoit appersevoir. Et ainssy me maintins par plusieurs jour,
en atandant quel advanture Dieu m’envoieroit.
Et, durant celluy tamps, vint à Mets mon seigneur l’évesque de
Verdun, auquelle estoit parans damps Guerans, abbé de sainct Mertin
et seigneur de Vignuelle. Et à celluy firent les seigneur de la cité ung
biaulx recueille. Et fut conseilliet audit mon perre de luy perler de
mon fait ; comme il fit, car il luy compta nostre cas tout du loing. Et il
promit audit mon perre que, pour 1 amour de damps Guérans, son
pairans, il luy ayderoit à son povoir.
Gy lairés quelquez peu de ses chose à parler, et retourneres a maistre
eschevin de Mets, et à plusieurs aultrez besoingne.

[l’ANNÉE

I/f9I

; CAPTIVITÉ DE PHILIPPE DE VIGNEULLES
AU CHATEAU DE CHAUVENCy].

Mil iiijc iiijxx et xj. — A la sainct Benoy après, qui est le XXIe jours
du moix de mars, fut fait, créés et essus pour maistre eschevins de la
cité de Mets, pour l’an mil quaitre cens IIIIXX et XI, le seigneur Jehan
Papperel. Qui fut l’an LIIe de l’ampire du devant dit seigneurs Phéderich, ampereur de Romme, et l’an VIe au Royaulme des Romains de
Maximilian, son filz.
Et, en celluy tamps, pourchaissoit tousjour ledit mon perre pour le
fait de ma délivrance. De quoy le cappitaine Jehan de Haircourt se
doubta, pour tant qu’il vit et congneut que plusieurs grand parsonnaige, telz que ledit seigneur évesque de Verdum, et aultres, s en
melloient. Par quoy, et à celle fin que je fusse mieulx cellé, il me fist

224

4491,

MARS. — PHILIPPE EST CHANGÉ DE PRISON

oster du lieu là où je avoie tousjours estés pour me mettre en ung
aultrez, comme vous oyrés.
Il est vray que, deux jours après, c’est assavoir par ung jour de
maicredi, de nuyt, XXIIIe jour de mars, et la sourveille de la Nunciatte,
vinrent, à l’heure de mynuyt, en la prison en laquelle je estoie, le
devant dit Pier le tourier, avec plusieurs aultres ; et, eulx venus, bien
subitement et furieusement me esveillairent, qui dormoie. Et dès
incontînant, sans aultres chose me dire, prindrent ung grand noir
chaipperon fait à la fasson du pays, comme ung petit mantellet, qui
couvre tout jusques à la corroie. Et celluy me minrent en la teste : c’est
assavoir que cella qui doit venir devant me mirrent derrier, affin que je
ne veïsse goutte ; et puis me l’ont loyez avec une corde parmy le col.
Hélas ! comment je ploiroie quant je me vis ainssy mener ! Car aultre
défiance n’avoit en moy si non plourer et lamanter. Et, à l’ocasion de ce
que tant de fois du passés l’on me avoit menassier de morir se mon
perre ne venoit de brief, je pansoie et creoie fermement que ma fin fût
venue. Par quoy, à cest heure là, je trambloie comme la fueille de
dessus l’airbe, et n’atandoie que le copt de la mort. Quant je fus ainssy
adoubés avec mon chapperon, la courde a col, comme avés oy, le
devant dit Pier le tourrier me chairgeait dessus son col, ad cause que
pour mes fer je n’eusse sceu cheminer, ne monter ny avaller les desgrés.
Et me pourta ledit Pier tout hors de la prison, en mey la court. Et faisoit alors ung merveilleux tamps de froidure ; et estoit le tamps hideux,
noir et obcur. Avec ce, à l’ocasion que je avoie les jambe toutte nue,
avec lez bras, et n’avoie que celle pouvre chairge 1 en eschairpe autour
de moy, par quoy, avec la crainte que je avoie, je trambloie tout.
Et, nyantmoins que j’eusse desjay bien voullus estre mors, et lasoubhaitoie souvant, sy estoit nature résistant à cella ; et craindoie fort.
Alors, quant il m’eurent portés assés loing, je santiset apersus qu’il me
montoie dessus aulcune muraille ou aulcune tour ; puis je oys le bruyt
de l’yawe courant après d’icelle, dont poveis panser que alors j’eus une
merveilleuse peur ; et n’avoie encor heu la paireille. Et, pansant que je
avoie lez groz fer au piedz, avec ce la courde au col, estouppés et bou­
chiez, puis il estoit nuyt, que l’on n’oyoit rien, avec ce que de loing
tamps l’on m’avoit durement menassiet, touttes ses chose considérée,
je ne cuydoient jamaix veoir aultres journée. Et alors, en me rescomandant à Dieu et à sa benoitte merre et à tous les saincts et sainctes auquelle je avoie dévocion, je me prins treffort à estraindre ledit Pier,
que me pourtoit sus celle muraille, comme dit est ; et, tout en plourant
et tramblant, luy demandis à haulte vois, on non de Dieu, que du moins
j’eusse confession, et incessamment luy demendoie confession. Celluy
Pier, ayant pitiet de moy, luy vinrent les lairme aux yeulx, et me print
à conforter, et m’ait dit à baix voix que je ne mouroie pas pour celle
fois, et qu’il sçavoit bien que l’on me faisoit tort. Alors fut pourtés
1. Serge. Voyez p. 199 .

1491, MARS. — PHILIPPE EST CHANGÉ DE PRISON

225

longuement par dessus celle muraille, tant que je santis que nous
amtrîmes en une tour, à l’ocasion de se que je perdis une grant pertie de
l’oyes du bruit de l’yaue.
Et adoncque me deschairgea Pier ; et me osta celluy chaipperon, et
vis cler. Cy firent alumer du feu en une petitte cheminée qui estoit là,
et me firent très bien chauffer. Et, jay ce que le lieu ne fût pas tropt
biaulx (car c’estoit là où se faisoit la pouldre de bombarde), néantmoins
je me prins à réconforter, pansant que, se Dieu me faisoit celle graice
que je puisse là demourer, encor ne serait pas du pir. Hélas ! il ne m’avint
pas tant de biens ; ains me fut donnés aultre logis, comme vous oyrés.
Dès incontinant que je me fus chauffés, je vis Pier qui, avec de la chandoille et avec une clef, s’en alla deffermer ung groz guichet ou huis
couchant \ espès de demy piedz, qui estoit en ung anglet de celle tour ;
et me dit lors que j’eusse la pacience, et que force estoit que je fusse
léans desvaillés. Et plusieurs aultre parolle me dit, touchant mon perre,
que longue seroie à raconter. Cella dit, en tout humilité je me mis en
devoir ; et m’enseigna ledit Pier comment je me devoie tenir à une
grande eschielle qu’il avoiet mis léans pour me desvailler ; et estoit
force de me tenir aux mains, et dessande sus mé genoulx à chacun
escheillon, tous deux à une fois. Or vous pouvés panser en quelle dolleur
estoit mon dollans cuer, quant je me trouva ainsy seullet en celle fousse !
Car, incontinant que je fus dedans, fus l’échielle ostée, avec la chandelle,
et demoura là, en ung lieu auquelle jamaix je n’avoie veu, sans clairté
ne lumier. Hélas ! je n’y fus pas ung jour ne deux seullement, car je y
fus XI moix sans partir. Chescun de vous qui cecy lirait ou oyrait lire,
je vous prie que du moins vous pansés en quel tritresse je fus lors, et en
ayés compacion en vous cuer, priant à Dieu qu’il vous en vueulle tous
gairder ; car je vous promès qu’il wauldroit mieulx morir, se me samble,
que de en autant souffrir.
Puis, après ce que je me fut quelque peu pourmenez parmy celle
fosse, qui estoit bien estroitte, avec mes fer aux piedz, m’en allait
santant12 de mur à aultres ; lesquelles estoient tant moiste et ors qu’il
me gaistoie tous les mains. Alors je vis bien que j’estoie mal loigiez ;
cy me couchais Sus ung peu d’estrains que on avoit là mis, et atandis
ainsy, escoutans se je oyoie riens, jusques le mattin. Lequelle venus,
je n’en fus de rien resjoys. Car c’estoit la vigille de la Nonciatte en
karesme ; laquelle fut de moy bien jeûnée, pour ce que se jour l’on ne
m’apourtit à boire ny à mangier ; ne ne me vint on visiter ne veoir
qu’il ne fût une heure en la nuyt. Pansés que se jour, pour plusieurs
raison, me fut bien grant, et auquelle me vinrent de diverse pansée.
Je croy que, se je ne me fusse réconfortés en Dieu, en sa benoitte merre
et en ses saincts, j’avoye telz tritresse et dollour au cuer que je me fusse
désespérés : car je me veoie estre en grant misère et pouvretés, en ma
1. Une trappe.
Philippe tâte les murs de sa prison. C’est par inadvertance que Michelant ,
Gedenkbuch, etc., p. 81, a lu sautant.
2.

1491, 3

AVRIL. — VIE CHÈRE A METZ

florissante jonnesse, à tort et sans cause, sans avoir espérance ne nou­
velle d’estre tost délivrés (et moins encor que la primier journée que
je fus prins), qui estoit la chose que plus me faisoit desconfortés. Hélas !
les diverse pansée qui me venoient au devant incessanment, en dorm ant
et en veillant, me baitoit le cuer au vantre ; et ne m’estoit possible de
fermement dormir ne repouser.
Mais, pour revenir au prepos, quant se jour fut passés, et environ
une heure en la nuyt, l’on m’apourta à dîner ; c’est assavoir Pier vint,
et m’apourta une escuelle de pois, du pains et de l’yaue, avec ung petit
de chandelle ; et avec l’aichelle se availla de cost moy, de quoy je fus
quelque peu réconforté. Et plusieurs parolle oit à moy, touchant mon
perre, que je laisse pour abrégiés ; puis s’en alla ledit Pier et retira
l’aichelle, et je demoura léans enfermés.
Quant le lundemains fut venus, qui fut jours de la Nonciacion de la
glorieuse Vierge Marie, je me prins à dire en grand dévocion mes souffraige et oréson acoustumée ; puis, me rescomandant à la glorieuse
damme, qu’elle me gairdait en mon bon sans et sains entandemans, me
mis lors à besoingnier. Or avés oy cornent le devant dit Pier me avoit
le jour devant apourtés de la chandelle. Cy vis que en ce lieu y avoit
auprès de terre une archier *1 laquelle on avoit tout nouvellement murée ;
par quoy je me tirait vers ce lieu, et fis tant que je en ostas deux ou
trois pier, puis osta la dernier, qui touppoit le jour, et fist tellemant que
je vis cler. Alors je vis que celle archier respondoit tout sus la ripvier
és foussés ; laquelle estoit en se lieu grande et perfonde. Et estoit le
lieu là où elle se despairtoit ; et bruioit celle yaue incessanment, de nuyt
et de jour, comme fait Wauldrinowe à Mets ; qui estoit pour moy une
chose fort ennoieuse et malplaisante à oyr. Cella fait, je laissa en celle
archier ung partuis au dehors, comme pour bouter une pomme ; et, du
dedans, je remis tout à point comme il estoit devant, fort que une pier
carrée, que je ostoïe quant il me plaisoit pour veoir aulcunement l’air
des champs ; puis je la remettoie avec de la poulcier, sy gentilment que
l’on ne s’en sçavoit a aparcevoir. Et, par ce petit de clairté, je passis
plus aiséement mon dueil. Plusieurs fois y resgairda Pier avec de la
chandoille, mais jamaix n’y sceust rien veoir : car tant estoit subtillement fait ce trous qu’il n’y avoit rien mieulx. Cy se paissait ainsy le
tamps jusques à Paicques, sans oyr aultre nouvelles.
Les vigne trappée, de force de l’y ver. — Et fut en celluy tamps que,
par le grant yver qu’il avoit fait, il fut force de trapper la plus grant
partie dez vigne. Et estoient alors les ouvrier merveilleusement chier.
Chier tamps de chair et aultre vivre. — Aussy, à la Paicquez ensuiant,
estoit la chair sy très chier que l’on n’en povoit finer : car ung châtron
coustoit ung escus, et ung viaulx deux florin d’or ; les euf et fromaige
à l’avenant.
a. Sçavoir.
1. Archière, meurtrière.

1491, 12 AVRIL. — JOUR NÉE TENUE EN VAIN A GORZE

227

Nanle en Brelaingne prinse par le roi de France, ei pillée. — Item, le
VIIIe jour d’apvril de celle année, on apourta nouvelle en Mets — et
aussy il estoit vray — que le roy Charles de France avoit de nouviaulx
prins Nante en Bretaigne (qui alors luy estoit rebelle et contraire).
Et y entrait à grant puissance ; de quoy il y oit grant tuerie et grant
pillerie ; dont se fut grant pitié et dopmaige.
Les prince électeur à Nurembergk. — Paireillement, en ce tamps
estoient l’empereur avec son filz Maximilian, Roy des Romains, et avec
les éliseurs et plusieurs aultres grant prince et seigneurs de leur alliance,
à Noiremberch, pour conclure de ce qu’il avoient affaire pour le temps
advenir.
Liège asseigiéez. — Aussy, en ce meisme tamps, estoit tousjour la
guerre des Liégeois contre leur évesque. Et tellement que, à la faveur et
requeste dudit évesque, tenoit le sciège devant Liège le duc de Salce,
acompaigniez de V ou VI mil combattans.
Item, durant que ses chose se faisoie, je estoient tousjour seul en
prison, en grant engoisse et tritresse, en atandant nouvelle, jusques
devers la Paicque, comme dit est devant. Et tellement que, en celluy
tamps, ung jours se availlait Pier de cost moy en la prison (car il y
avoit environ XV ou XVI jour qu’il n’y avoit estés, ne luy ny aultres,
et m’availloient ma viande, du pains, de l’iaue et du pottaige avec une
corde en une corbille ou ung petit panniet) ; alors, à ce jour, se print
ledit Pier à deviser à moy assés plus cordiallement que les aultre fois.
Et me dit que le cappitaîne s’en alloit dehors pourchaissiet ma délivranse, et que -de brief on en oyroit bonne nouvelle ; et espéroit que, au
plaisir de Dieu, je seroie délivrés. Sur ses parolle je prins grant espérance,
et en fus merveilleusement resjoys ; mais aultre chose il ne m’en voult
desclairés.
Journéez tenue à Gorse entre les Lorains et Metsains. — Or entendés
que c’estoit. Il est vray que, durans celluy tamps, le pouvre homme mon
perre avoit tant de dueil que plus n’en pouvoit endurer ; et tellement que
journellement il pourchaissoit tous ses amis pour ma délivrance. Aussy
faisoit Fourquignon, le marchamps de Fornerue, pour le fait de son filz,
que Blaize et Jehan Billon avoient heu prins, comme dit est devant.
Par quoy, pour ses chose, et aussy pour ce que en celluy tamps se
tenoient en Loheraine et en Bairroy plusieurs malvais guerson, lesquelle
journellement courroie et faisoient plusieurs pillerie et lairsin sur lesdit
de Mets, et aussy pour traictier de plusieurs article qui estoient encor
en différant touchant le fait de la guerre qui avoit estés en l’an devant,
pour toutes ces chose, fut mise et assignée une journée amyable au
lieu de Gouxe par les partie a XIIe jour d’apvril ensuiant, pour veoir
se amyablement l’on polroit pacifier leur différant. Et à ycelle journée
fut, pour la partie des dit Loherains, quaitre commis, desquelle mon
seigneur l’évesque de Verdum et abbé de Gouxe en estoit ung ; et, de
la partie desdit de Mets, estoient prins maistre Jehan Noé, chainoigne
et sairchier de la Grant Église de Mets, qui alors estoit au gaige de la

228

1491, 12 AVRIL. — JOURNÉE TENUE EN VAIN A GORZE

cité, avec seigneur Régnault le Gournaix et le seigneur Wary Roucel,
ambedeux chevaliers, et avec eulx seigneur Conraird de Serrier l’eschevin. Maix à celle journée, pour aulcune raison que je lesse, ne s’y trouva
point le seigneur Wary devant dit. En se lieu de Gouxe fut menés ledit
mon perre, auquelle le devant dit évesque de Verdum promist de rechief,
comme il avoit fait l’aultre jour à Mets, et présant plusieurs seigneurs,
de me faire revenir franc et quictes : de quoy le pouvre homme mon
perre fut bien joieulx, et en le remerciant se gectait à ses piedz et luy
baisait la mains.
Or acomence celle journée à se tenir ; dont plusieurs prepos furent
randus d’ung coustés et d’aultres, que je laisse pour abrégiez. Et fut
alors que ledit Petit Jehan de Haircourt, luy et ses complise, le Loherains et Grégoire, avoient estés mandés ; et vinrent à celle journée,
comme dit est devant. Léquelle, jay ce que ledit mon perre eust ses
tesmoing tout prest, nyantmoins il nyoient, et soubtenoient qu’il ne
m’avoie point, ne ne sçavoie là où je fusse ; et en présantoie à combaitre
en champs de baitaille ; et plusieurs aultre parolle disoient, qui tropt
longue seroie à raconter. Toutefïois la chose estoit en bon trayn ; et
estoient sur point de s’acourder, se ne fût estés ad cause que le seigneur
Wary Roucel, qui estoit l’ung des commis, comme dit est devant,
n’estoit pas venus ; par quoy lesdit Loherains ne voulurent riens passer
ne procéder plus avant, c’il n’y estoit, luy en personne ou ung aultre
commis en son lieu. Et, à celle occasion, l’on renvoya bien vistement à
Mets Jehan Dex, le secrétaire de la cité, le maicredi, de nuyt, pour
tesmoignier à messeigneurs du Conseil comment les dit Loherains ne
voulloient rien faire ne passer c’il n’avoient seigneur Wary, ou aultres
pour luy. Par quoy le Conseil y comist le seigneur Françoy le Gournaix.
Mais il fut ung peu lointains x, et ne partit de Mets, le jeudi, qu’il ne fût
les XI heure sonnée. De quoy lesdit Loherains se despitairent ; et prindrent instrument de noctaire de leur atante ; puis sont montés à chevaulx, et, avant que le seigneur Françoy fût venus, s’en retournairent.
Et ainsy ne fut rien fait pour celle fois.
La journée, ainsy despartie sans riens faire, causa grant doulleur au
cuer de mon perre ; et, pareillement, l’espérance que j’avoie peu devant
heu à l’ocasion dez parolle que Pier m’avoit heu dit fut perdue. Tou­
tefïois ledit Pier me dit que le capitaine n’avoit point esté au lieu là où
il cuydoit, et que une aultre journée estoit prinse pour le may ensuyant ;
et me donnait celle espérance, laquelle ne me fut de nul vaillue, nés que 12
devant. Et ainssy demoura 3 là assés longuement ; car jamaix ne fut la
chose en sy bon tairme comme elle avoit estez à la journée précédant.
Item, en celle dicte année, le jour de la sainct George, il fit grant

1. Lent.
2. Neïs que, pas plus que.
3. Le sujet de demoura est « la chose ».

1491, MAI. — COMMENCEMENT DE LA « GUERRE BURTAL »

229

froit, et se muait treffort le tamps ; et durait celle froidure plus de
X jour, que l’on cuydoit que tout fût gaistés et perdus de gellée.
Commencement de la guerre Burtalz, dont la fin n’en fui faicte jusques
en l’année mil vc et xviij. — Paireillement, en celle année et environ
celluy tamps, se esmeust nouvelle guerre, à l’ocasion d’ung citains de
Mets, nommés Pier Burtaul, duquelz je vous ay heu par cy devant parlés,
et pour lequel vint moult de mal, comme vous oyrés ycy après. Celluy
Pier avoit estés condampnés à Mets, pour le fais d’ung mollin, en l’en­
contre de Sainct Vincent. Puis demandoit à ung merchamps de la cité,
nommés Jehan Rollat, et à Guillemin, son frère, une debte de XL livre,
laquelle debte, avec le droy du mollin qui gist dessus le rus de Wallier,
il vandit a prévost de Forpach, appellés Xenappoffe. Lequel prévost,
à l’ocasion de ce, envoia ses deffiance en la cité. Et puis assamblait
environ une XXe de malvais guerson, avec lesquelle il courrut. Et fist
grant dompaige à Sanry ; car il y print et gens et beste. Puis, en ladicte
sepmaigne sainct George, il courust par trois fois on pays de Mets : la
premier fois fut à Wery, l’aultrez à Vigney (ety prinrent deuxhomme), et
la tiers fois futàWalcremontet à Hessenge.Et futcelle guerre l’acommancement d’ung grant mal qui avint depuis,et qui durait moult longuement
et coustait plusieurs denier à la cité, comme cy après vous serait dit.
Item, en celle année, le. premyer jour de may, qui fut le dimenche,
à celluy jours plusieurs des seigneurs de Mets s’en allirent bien matin
quérir du may on bois d’Ollery ; et estoient moult bien armés et montés,
faisant grant feste ; dont le peuple en fut tous resjouy.
Au lundemains, second jour de may, le seigneur Conraird de Serrier
fiansaist une jonne damme, qui estoit fille à seigneur Pier Baudoiche,
et niepce à seigneur Robert de la Mairche. Et fist on se jour grant feste
en la grant court de Sainct Vincent, en dance, en joste et en plusieurs
esbaitement.
Item, en ses meisme jour, le tamps se muait de mal en pir. Et telles
ment que les vigne, qui n’avoie point estés engelléè d’yver, furent
toutte gaistée ; et lez couvint trapper. Dont se fut grant pïtiet ; car le
vin estoit desjay fort chier.
Aussy en celluy tamps, avint une merveille, et de laquelle 1 on fut
bien esbahis. Le cas fut telz que touttes lez soigne du pays dez duchiez
de Bar et de Loheraine s’ans allirent en voie, que l’on ne soit qu elle
devindrent ; et celle de la cité de Mets ne se bougirent. De quoy aulcuns
pronosticquoie quelque grant guere ou mortallité à advenir.
La vie de Grisélidis juée par personaiges. — Item, en celluy tamps,
la troisiesme feste de Pantecouste, fut juez en Mets le jeux de Grisellidis, et celluy jeux qui se dit de Corrigier le Manifical.
Durant que ses chose se faisoie, j’estoie tous jours comme celluy qui
n’attant que la mort, et nyantmoins que mon perre faisoit tout devoir
de procurer ma délivrance, et plus cenc fois que je ne le vous sçaveroie
conter, tant a pourchas dudit évesque de Verdum, comme du seigneur
Anthonne de Port sur Saille, qui, à la requeste dudit mon perre, en

230

1491, JUIN. — PHILIPPE DEMEURE TOUJOURS EN PRISON

îaisoit tous son effort ; et tellement que alors le duc René délibéra que,
pour en sçavoir la vérité, il feroit visiter les prison dudit Chaivancey ;
comme il fist, mais, de leur malvîstiet, je fus transmués d’ung lieu en
aultres, pour ung jour seullement, et ne fus pas trouvés. Et me faisoit
acroire ledit Pier que, pour ce que le cappitaine avoit pourchaissiet ma
délivrance, mes maistrez estoient venus, comme enraigiés, qui m’en
voulloie mener. O Dieu ! Comme à cest heure je fus desconfortés !
Car je vis bien, au terme que l’on me tenoit, que j’estoie mal venus de
tout coustés.
Puis, après ses parolle, s’an retourna ledit Pier ; et je demoura là en
grant desconfort, et ne me sçavoie à quoy pranre, sinon au plourer.
Puis me venoie au devant tant de diverse pansée et de merveilleuse
cogitacion que, se je ne me fusse réconfortés en Dieu, à la glorieuse
damme sa bonne mère et au benoît sainct et sainctes, en pansant au
martir qu’il avoient pour Dieu souffert, je croy que je me fusse déses­
pérés ; mais, en considérant la mortelle vie où nous somme, et que nous
n avons point de demains, quant Dieu veult, aussy en contemplant les
joie de paradis, lesquel joie les benoît sainct ont gaigniet par martir
et par passience des maulx qu’il ont voulluntairement ressus, aussy des
paine d enfer, qui sont appareilliés aux maulvais, et l’une et l’aultre
est pardurable, touttes ces chose considérée, je pernoie la plus grant
pacience qu’il m’estoit possible. Non ostant que moult me faisoit le
cuer mal : car alors je estoie ou devoie estre au plus joieulx tamps de
mon eaige. Et avoie en prime, ung peu devant ma prinse, acommanciet à faire mes premier amours. Desquelles j’ay joys depuis ; mais, las !
je me veoie à cest heure en piteux point, plains de vermine, de pusse
et de poul. Et, encor, se qui me faisoit le pir, c’estoit le jour insertains
de ma délivrance, et que tout les jours je desclinoie et estoie en plus
grant dangier de ma vie : car les pous et la vermine me menoie sy malle
guerre que je ne povoie vivre ne repouser 1 ; et tellement que, environ
le moix de jung, je fus deux ou trois nuyt sans dormir.
Or avint que, de plains jour, je me couchait sus la nue terre ; et
m endormis sy treffort que, quant ledit Pier availlait son crochet en la
prison avec une pinte d’yaue et du pains pour moy soupper, je ne l’oys
point venir. Alors ledit Pier se couchait dessus son vantre endret du
guichet par lequelle on dessandoit en ycelle fosse et me print à appeller ;
mais je dormoie alors sy treffort que je ne l’oys pas. Par quoy il oit
peur, cuydant que je fusse mort ; cy print l’eschielle, et, avec de la
chandelle, se availlait dedans de cost moy, là où il me trouva estandus
gisant. Et tellement me boussa du piedz qu’il me fist resveillier. Alors
me print ledit Pier à tanser ; mais, las ! de ce ne me chailloit. Et, en
moy escusant, je luy monstra mes fer et la pitier où je estoie : car il
sambloit de mon corps que se fût ung laidre, et me prins à plorer.

1. Gedenkbuch, éd. Michelant, p. 87 :« et [Philippe] n’en pouvoit dormir, ne repou­
ser, ne menger, ne boire. »

1491, 25 JUILLET. — MARIAGE DE CONRARD DE SERRIÈRES

231

« Las ! » dis je, « Pïer, mon amis, que îerés vous de moy ? Vous ne me
gairderés pas longuement en cest estât. Pour Dieu, mon amis, Pier,
m’apourterés vous jamaix milleur nouvelle ? Seray je jamaix délivrés
de cest captivité ?» A ! Quelle fortune et quelle doilleur je enduroie
chacun jour ! Nulz, c il ne l’ait essaiés, ne le sçairoit panser. Car, pour
ce que yceulx fer me escorchoie les jambe, pour lez cloz qui estoient
raibaitus, je lez avoie envelloppés de viez drappiaulx. Léquelle estoit
sy très plains de pusse et de vermine que je n’en povoie durer ; et, se ne
fust estés se peu de clartés que Dieu m’avoit proveus, comme dit est
devant, je croy que lé vermine m’eust estranglez. Car je n’avoie depuis
ma prinse (ne n’olt jamaix) aultrez chemise que celle avec laquelle je
avoie estés prins, qui estoit desjay toutte pourrie. Toutteffois Pier,
voiant la pitiet, ait dit, pour tout réconfort, que tout se mal me venoit
de mon perre. Et, se dit, m’apourta ung fairdiaulx d’estrains nouviaulx
pour moy couchier. Et ainsy en grant tritresse se passoient les jours et
les semaignes. Et fut loing tamps après que l’on ne me venoît guerre
visiter : car j’estoie aulcune fois bien trois semaigne ou XV jour sans
moy venir veoir, sinon que avec celluy croichet l’on m’availloit mon
pains et mon yaue, et aulcune fois ung peu de pottaige ou chair saillée.
Item, durant ses jours se faisoie en Mets plusieurs besoingne, qui
longue seroie à raconter. Entre lesquelle, le XXVe jour du moix de
juillet, fut espousée damme Claude, fille a seigneur Pier Baudoiche ,
et la print à femme le seigneur Conraird de Serrier. Celle damoiselle
estoit niepce au seigneur Robert de la Mairche, comme dit est devant.
Et fut en son tamps la plus puissante femme de corps, haulte et eslevee,
que je vis de ma vie : car elle sambloit une demi joyande L Ausdictes,
nopce y oit grant triumphe de ménestrez, simballe et tambours, rebech,
leus et vielles, et de plusieurs aultres instrumens, jusques au nombre
de LVII, qui tous juoient devant elle en la menant au moustiet.
Bequesle faicle a seigneur de Mets par une espousée.
Et, quant elle
vint devant la Grand Église, elle mandait messeigneurs de la Justice,
auquelx elle requist moult affectueusement qu’il luy voulussent faire
cest honneur de quicter la sentence et huchement qu’ilz avoient faiz
contre Jehan, de Liocourt, le boullengier, qui estoit forjugiez ; et, avec
ce, que leur plaisir fût de mettre hors de l’ostel du doyen Simonatte,
sa femme, qu’il détenoient. Et demandait paireillement à messeigneurs
les Comis de la terre Lévesque du Vaulx, qui estoit en gaige à la cité,
que leur plaisir fût de pardonner à Collignon le boullangier, de Sciey,
une amande de LX libvrez, dont à celle occasion il estoit détenus
passés avoit trois ans en la maison de la ville. Lesquelx seigneurs
Trèzes et messeigneurs les Commis, à la requeste et péticion de 1 espou
séez, oit ce qu’elle demandoit, et luy fut celle graice donnée.
Item, assez tost après, moy pouvre misérable estant tousjour en la
prison, en laquelle je n’avoie nulle consollacion, sinon de se peu de
1. Géante.

1491,

AOUT. ■— PHILIPPE DEMEURE TOUJOURS EN PRISON

clartés et du petit partuis par lequelle je veoie quant il estoit jour ou
nuyt, et nyantmoins on en oit sur moy suspicion ; et ne sçay, moy,
à quel occasion ; mais ung jour, environ le mey ouost, vint ledit Pier
en la prison, en laquelle il availlait plus de X hottée de pier, avec
lesquelle il estoupait et bouchait encore mieulx la dicte archier ; et
tellement que alors je pardis toutte espérance et toutte ma consollacion. Hélas ! je ne sçavoie qu’il espéroie faire de moy ; maix il me
tenoient tous les jour en plus grant subjection ; et se doubtoie plus de
moy qu’il n’avoie encor fait : car, de peur c’on ne lez aperseût, il
ne me apourtoie plus à mangier que de nuyt. Toutteffois il ne se debvoie
pas dobter que je puisse sans miracle de Dieu aulcunement eschapper :
que, quant je n’eusse heu quelque fer, ne parsonne pour moy gairder,
et j eusse heu eschielle ou corde pour moy aydier, encor eust il estez
force de rompre plus de X fermetés et pont levis fermant à gros vairoul,
voir pour aller par le droit huis, avant que d’eschapper ; ou, autre­
ment, j eusse trouvés le mur, de XV piedz d’espesseur, et passer la
ripvier avec mes fer ; laquelle chose estoit impossible de faire ; oar
quoy il ne se debvoie tant doubter. Touteffois, pour revenir a pre os,
combien que ledit Pier eust encor mieulx touppés la devant c icte
archier, cy trouvay je, par ma praticque, la fasson et manier, moye ant
la graice de Dieu, d’y avoir encor quelque peu de lumier, ne jai aix
ne s’en sceurent appersevoir.
Après ses jours passés, vint une aultre fois ledit Pier en la prison r yec
de 1 ancre, du pappier et de la chandoille ; et me fîst escripre une lettre
qui, paireillement comme les autres, fut pourtée par une femme, et à
mon perre fut délivrée. Celle lettre faisoit mansion que j’estoie au pais
de Liège ; et plusieurs autre bourde m’y avoie fait mettre, qui longue
seroie à raconter. La lettre fut pourtée en justice par ledit mon perre ; le
pouvre homme plouroit et lamantoit que c’estoit pitiet, et à deux
genoulx requéroit à Justice qu’il me laississent racheter. Et vous Seroit
chose annuoise 1 se tout dire voulloie, et compter lez lamentation et les
plains que faisoit ledit mon perre. Et tant en dit et d’une et d’aultre
que, de pitiet, se mirent les aulcuns d’eulx à ploirer ; et promirent alors
audit mon perre que jamaïx paix ny acort ne se feroit que premier je
ne deusse estre délivrés. Par quoy, pour ses promesse, et pour plusieurs
aultrez nouvelle que journellement l’on luy rapourtoit de moy, il estoit
tousjour après eulx pour ma délivrance pourchaissier.
Mais tout tant que l’on en soit faire ne me vallurent deux denier.
Par quoy ledit mon perre, voiant qu’il y despandoit le siens en dons et
en messaige, et qu’il ne faisoit rien, fist escripre une lettre et l’envoia
à Mouson, à ung nommé Bassort. Celluy estoit l’ung dez traïstre qui
pourmenoit toutte la besongne, et auquelle le capitaine de Chaivancey
renvoioit tousjours, pour ce qu’il n’en voulloit point avoir la nommée 2.
1. Ennuyeuse.
2. Nommée, renom, bruit. II ne voulait pas que son propre nom fût mêlé à cette
a naire.

1491, OCTOBRE.

ÉVÉNEMENTS DIVERS A METZ

233

El, faindant celluy Bassort qu’il sceût bien là où j’estoie, il mandait
que de brief il yroit au païs de Liège, en ung fort chaisteaulx sur la
ripvier de Meuse, et qu’il en rapourteroit toutte nouvelle. Maix le
tràïstre s’en vint à Chaivancey ; et pei'lairent luy et le cappitaine
ensamble. Et tellemant que, XV jour après, il rescript audit mon perre
qu’il sç’avoit fort traveilliez pour mon fait ; et avoit tant fait qu’il
nravoit. trouvés ; et avoit perlés à ceulx qui me détenoie prisonnier.
Lesquelle, corne il disoit, estoient gens enraigiés, sans prince et sans
seigneur ; et que ledit mon perre avoit biaulx à pourchaissiet pour me
cuidiez ravoir, car yceulx estoient malvaix lairons, qui n’en feroie pour
roy ne pour prince qui fût au monde. Et, pour ce que ledit mon perre
n’avoit tenus sa promesse, il avoient. jurés qu’il aroie XII cenc escus
a soilleil, c’il me voulloit ravoir. Et, avec ce, demandoit celluy Bassort
cenc florin d’or pour ses paine, c’il en povoit besoingner. La responce
oyees, vous povés panser en quel desconfort fut ledit mon perre ; et ne
se sçavoit en qui fyer. Et demourait la chose ainsy ung moix ou deux,
durant lesquelles j’estoie tousjours en grant mesaixe, et ampiroie tous
les jours.
Durant que ses chose se faisoie, et que mon perre pourchaissoit
journellement pour mon fait, avindrent plusieurs petitte adventure en
Mets, desquelle j’en metterés ycy aulcune.
Deux Alemans pendus. — Premier avint, en celluy ans, que, le
VIe jour du moix d’octobre, vinrent ariver en l’ostel de la Croix Blanche,
devant les Carmes, deux Allemans. Lesquelle aultre fois, en partant
de la cité, avoient rués jux ung mairchamps de Mets et luy avoyent
ostés cenc florin d’or : par quoy il furent prins et pandus. Touteffois,
à la prière et requeste d’aulcuns seigneurs, pour tant que 1 ung estoit
gentilz homme, il fut despandus, et pourtés à Sainct Loys.
Disposition de temps. ■— Item, en celle année, il flst ung très pouvre
temps ; et estoit sy très mal dispousés et sy froit que, le XXIIIIe jour
de septembre, on [n’jeust sceu encor trouver ung roisin « noir. Et
vandoit on la quairte de fromant XV sols, et le soille, XII sols , et le
vin, XX deniers la quairte. Et durait celluy temps de pluyes plus de
VI sepmainne, sans passer ung jour qu’il ne pleut. Tellement que, le jour
de la sainct Andrieu, les yawe estoient sy grandes et hors de ryve que
l’on ne povoit enhanés en beaucopt de lieu ; par quoy le bief se remon­
tait encor.
Requesles par les seigneur de Mets aux abbés et abbesse.
Aussy, en
celluy tamps, régnoit tousjours ce maulvais garson duquelle je vous
ait heu par cy devant pairlés, appellé Biaise. Et, non obstant les maulx
qu’il faisoit, estoit journellemant receu en beaucop de lieu en la terre de
Mets. Pour laquelle chose messeigneurs les Sepz de la guerre ont remonstrés le cas à messeigneurs de justice pour y donner provission. Et alors

a.

Rousin.

234

1491, OCTOBRE. — NÉGOCIATIONS POUR LA RANÇON DE PHILIPPE

lesdit seigneurs de justice mandairent quérir les abbés et abbesses et
tous aultres gens d’Église qui possédoient terre et seigneurie ; et firent
une ordonnance ensamble que tous leurs subgectz fussent embastonnés ;
et que, c’il advenoit que les soldoieurs vinsent à chassier après ledit
Biaise ou aultres annemis de la cité, qu’il fussent soubtenus, et qu’il
heussent vivre pour leur argent, et, oultre plus, qu’ïlz fussent aidans
et adhérans ausdit soldoieurs ; ou, aultrement, que on les repputteroit
estre telz que lesdits annemis de la cité.
Régnés en Brelaigne conqueslée par le roi de France. — Paireillement,
en celluy tamps, vîndrent nouvelles à Mets ■— comme aussy il estoit
vray — que Charles, roy de France, avoit de nouviaulx gaingnié Rengnes en Bretaignes. En laquelle alors damme Anne, duchesse de Bretaigne, et tous les Bretons, c’estoient retirés. Et, après ce que le roy fut
en paisible pocession de la dicte duchiez, il espousa la dicte damme
(nonobstant que devant elle avoit espousé le Roy des Romains par
procureur ; dont on fut moult esbahis).
Marguerite de Flandre renvoyée en son paiis. — Et, se fait, renvoiait
en Braibant la fdle dudit Roy des Romains, nommée damme Margue­
ritte de Flandres, comme dit est devant ; laquelle paireillement ledit
Charles avoit heu espousé, jay ce que en celluy tamps n’avoit encor
que XI ans de aige.
Touttes ses chose avindrent moy estant tousjours en prison.
Or avés par cy devant oy et entandus la responce fourée de mallice
que Bassort de Mouson rescript à mon perre touchant le fait de ma
ranson. Par quoy ledit mon perre ne sçavoit qu’il en deust faire ; car,
chacun jours, l’on luy rapourtoit tant de nouvelle et manterie qu’il ne
s’an sçavoit à quoy tenir ; et n’y avoit hommes qui n’en pernît du siens ;
et tout ne luy vailloit pas maille, ny à luy, ny à moy. Et meisme de
ses propre frère estoit il bien peu aidiés ; car il s’y monstrairent tant
ingrat que pour luy ne pour moy il n’eussent pas fait ung pas s’il n’eus­
sent estés paies ; et, avec ce, ne luy eussent pas voullus prester ou
aydier d’ung denier. Par quoy le pouvre homme se repantoit grandemant qu’il ne m’avoit raichetés dès la premier fois. Et ainsy, depuis la
responce dudit Bassort, demourait la chose ainssy par plusieurs jours,
sans oyr aultres nouvelle de moy. Jusques environ V ou VI sepmaigne
après, que ledit mon perre, pansant à son cas, envoiait quérir ung
Frère de l’Observance, du couvant de sainct Françoy en Mets, nommés
frère Nicolle a deux doye 1. Et eurent conclusion ensamble que ledit
frère Nicolle yroit à Chaivency, assavoir mon s’il pouroit oyr nouvelle
de moy (car aultre home n’y eust oussés aller, ne femme ne messaigier,
pour tant que c’estoit une lairsin, et qu’il me voulloie celler). Cy fiât
tant ledit frère Nicolle qu’il arivait a lieu ; et prescha a villaige meisme
joindant le chaistiaulx. Puis, après le sermon fait, s’en aillait pairler au
1. Frère Nicole aux deux doigts.

1491,

OCTOBRE. — NÉGOCIATIONS POUR LA RANÇON DE PHILIPPE 235

cappitaine du lieu ; et luy desclaira une partie de son couraige, et, on
non de mon perre, luy présanta de bouche de luy faire donner une
sertaine somme pour moy ravoir. Le cappitaine, oyant les parolle
d’icelluy biaulx Perre, fist samblant d’estre moult ayrés, et, comme en
grant courous, luy dit ainssy : « Commant ! biaulx Perre, cuydés vous
que je soie ung lairon, pour à force et sans cause tenir aulcuns pri­
sonnier ? Quelle parolle sont ce que me distes ? Dont vous vient cecy ?
Je ne sçay se le dictes pour vous juer, ou en pansant que je l’aye, ou se
vous venés scéans pour nous espier. Mais je fais veu à Dieu, se ne fût
pour ung peu, je vous feisse saulter des dessus la muraille és foussés,
comme desjay en y ait heu d’aultres qui ont saultés ». Le pouvre Frère,
oyant ses parolle, eust grant peur, et fut bien estonnés ; et ne sçavoit
plus que respondre, sinon que gracieusement se escuser. Et, après
plusieurs langaige, se despart ledit Frère, et s’an allait au villaige pourdîner. Ledit cappitaine Jehan de Harcourt, pansant à 1 offre que cellui
Frère luyfaisoit,mandait incontinantung secretmessaigierauditBassort,
affin que, se le Frère y alloit, il fût advertis de ceu qu’il devoit respondre.
Puis, se fait, mandait arrier quérir le biaulx Perre ; auquelle il dit que,
c’il voulloit avoir novelle de moy, qu’il s’en allait à Mouson pairler à ung
homme d’arme nommés Bassort. Et ainssy en fut fait. Mais la responce
fut comme elle avoit estés devant : c’est assavoir de XVe escus, et cenc
florin d’or pour ses paine. La responce ouyes, s’en retourna ledit frère
Nicolle à Mets, sans aultre chose faire ; et compta le tout à mon perre
de seu qu’il avoit trouvés.
Plusieurs jours se passairent après se fait sans oyr aultres nouvelle.
Jusques ung jours que à Sainct Martin devant Mets arivait ung homme
d’armes, lequelle manda mon perre ; et, après plusieurs parolle, que je
laisse, et qui longue seroie à raconter, il fist merchiés que, en lui donnant
cenc florin d’or, il me devoit ramener. Et ne voulloit rien jusques qu il
eust fait son devoir. Or s’en allait celluy homme d’arme à Chaivency ;
et perlait au pourtier, auquelle il avoit congnoissance ; puis entrait
dedans, et pairlait au cappitaine. Avec lequelle il eust plusieurs parolle ;
et fut interrogués de plusieurs chose, pour sçavoir qu’il venoit quérir ;
mais il respondit prudentement et au plus loing de son cuer. Le cappi­
taine, ayant crante 1 de luy, le convoia au dîner. Et, en dînant, eurent
plusieurs perolle ensamble touchant de ses affaire ; et dit cellui homme
d’arme qu’il estoit là venus pour besoingnier d’aulcune chose à ung
aultre villaige là emprès, qui se nomme Chaivencey Saint Humbert.
Et, de fait, quant il oit dînés, il laissait ces deux chevaulx au chaistiaulx, et tout de piedz s’en aillait à celluy villaige, affin^ que pour
l’amour de ses chevaulx il eust occasion de retourner : car il avoit oy
dire au cappitaine qu’il voulloit aller dehors deux ou trois jour , par
quoy il pansoit, se tamps durant, de besoignier. Le cappitaine envoia
ung secret messaigier après, pour sçavoir qu’il besongnoit. Et fut
1. Créante, agrément, consentement. Avoir créante de quelqu’un, accepter de colla­
borer avec lui.

236 1491,

NOVEMBRE. — NÉGOCIATIONS POUR LA RANÇON DE PHILIPPE

trouvés tout le contraire de ce qu’il avoit dit. Par quoy il fut suspect ;
et, luy revenus, après plusieurs langaige que je laisse, fut mise la mains
à luy, et fut boutés en une tour en la muraille dudit Chaivencey. Mais,
deux ou trois jour après, l’on luy fist voie, et eschaippa. Et ne soit on
comment, sinon qu’il fut dit que se avoit fait le pourtiet, qui estoit de
son pais. Touteffois, à celle occasion, il y laissait ses deux chevaulx ; et
furent perdus pour luy.
Durant se tamps et que ses chose se faisoient, j’estoient en plus grant
pansée que jamais ; et me ennuoit le tamps formant. Et tellemant que,
par une manier de tritresse et desconfort, j’estoie délibérés de me mettre
en voye d’eschaipper. Et avoie desjay deffay l’ung de mes fer. Puis, avec
une scisure 1 que je trouva en la prison, et avec aulcuns baston et de la
corde, je avoie fait ung angiens. Duquelle je me passe d’en plus dire :
car la chose est desjay tropt prolixe, et seroit ennuoyse à raconter 2.
Mais, à l’ocasion de cellui homme d’airme, je fus encor tenus plus
court ; et me venoit on souvant visiter, et ne me fut possible de besoingnier.
Environ XV jours après ses chose ainsy faictes, vint Pier en la prison
de cost moy. Et m’apourta de l’ancre et du pappiet, et me dit qu’il
estoit conclus de rescripre une lettre à ung religieulx des Piedz Deschault de Mets, nommés frère Nicolle a deux doys. Et me compta
comment celluy Frère s’avoit fort travailliés pour mon fait ; et dit que
je misse en la lettre qu’il priait fort à mon perre, et, avec ce, qu’il luy
remonstra qu’il me voussît raicheter, se jamaix me voulloit veoir ; et,
encor, que je misse comment j’estoie au pais de Liège, et que Bassort
m’avoit fait escripre la lettre, et qu’il avoit perlés à mes maistre :
lesquelle toutteffois ne voulloie riens laissier de la somme devant dicte.
Et plusieurs aultre chose y avoit en celle lettre, qui tropt loingue seroie
à raconter. Celle lettre fut pourtée a frère Nicolle ; lequelle la monstra
audit mon perre : mais cella le réconforta bien peu, ains luy donna grand
tritresse au cuer.
VIII jour après, retourna encore ledit Pier avec de l’ancre et du
pappier en la prison de cost moy. Et me trouva très desconfortés et
dollans, et causy tout désespérés : car journellement, de nuyt et de jour,
j’estoie comme celluy qui languist ou qui n’atant de jour en jou[r]s que
la mort, et ne povoie dormir ne repouser. Touteffois cellui Pier me
conforta à celle fois aulcunement ; et me dit qu’il c’estoit pansés ung
bon remide, et qui me seroit vallauble, se rien me debvoit aydier.
« C’est », dit il, « qu’il fault rescripre une lettre au cappitaine de Chaivancey, qui est homme de bien et piteux, et ait grant congnoissance
à vous maistre ; et je sçay bien qu’il vous ayderait, car je trouvanrait
1. Cisure, cisures dans les Mémoires (éd. Michelant, p. 93). Ce sont des ciseaux'de
lailleur. En ancien français, ciseure signifie seulement : « action de couper avec des
ciseaux ».
2. On en trouvera le détail dans les Mémoires, p. 93-94.

1491,

NOVEMBRE. — NÉGOCIATIONS POUR LA RANÇON DE PHILIPPE

237

bien la manier de luy faire pourter ». Et faindoit ainsy ledit Pier que je
ne fusse point à Chaivencey. Mais moy, congnoissant essés leur mallisse,
m’estoit force de dissimuller ; et fut la lettre escripte. Hélas ! qui eust
oy les parolles que je y avoie mis, il n’y ait sy dur cuer qui se sceût
tenir de plourer. Celle lettre fut pourtée devers le cappitaine pour la
visiter ; mais aulcuns mot il en royait, et la glosait de sa propre mains ;
et puis me fut rapourtée pour la mettre au net. Et, quant se vint à la
fin d’icelle, comme la manier est de faire, là où il se mest : « escripl en
ung tel lieu », je le voullus mettre ; et avoie desjay mis : « escript » ;
puis souldains je m’avisay que l’on ne voulloit pas nommer le non du
lieu, et, en faisant fin, mis ung cetera, ainssy mis : « etc. » a Lequelle mot
fut par le cappitaine interpétrés que je voulloie entandre que celle lettre
estoit escripte à Chaivencey. De quoy vous ne viste jamaix telz huttins.
Et fut renvoiés ledit Pier, qui me cuida estranglier, ne pour chose que je
puisse dire ne se voulloit espaisanter. Touttefïois la chose se passa,
et fut celle lettre escripte de rechief tout du loing, pour la thier fois.
Laquelle lettre fut par ledit cappitaine pourtée à Gouxe.
Et, en son chemin, manda au devant dit frère Nicolle, lequelle alors
estoit à la Chaippelle au Boix, qu’il vînt bien en haitte pairler à luy.
Mais ledit Frère s’en vint primier à Mets parler à mon perre, pour
sçavoir qu’il deveroit respondre. La conclusion faictes entre eulx, se
partit ledit frère Nicolle de la cité qu’il estoit bien tairt. Et faisoit ung
tamps merveilleux, et le plus diverse qu’il avoit fait de XX ans. Car
celluy jour estoit la vigille de la saincte Katherine, de laquelle la nuyt
ensuyant ung des trèzes jurés de la cité, homme de grant lignaige, saige
et ingénieulx sur tous aultres, devoit trayr la ville et la délivrer en la
mains de ces anciens annemis les Lorains. Mais le vray Dieu miséricordieulx, avec sa glorieuse merre, defïanderesse de la cité, parmirent que
cellui tamps vînt. Par quoy ne polrent riens faire les annemis, et demoura la chose pour celle fois, comme ycy après serait dit.
La cité de Grenade prinse par le roy d’Espaigne. — Paireillement,
à celluy jour saincte Katherine, fut le propre jour que le roy d’Espaigne,
après plusieurs grant baitailles et essault, et plusieurs chose faictes et
dicte, que je laisse, antrait en la grande et fameuse cité de Grenaide
avec son armée et la print. Car, celluy jour, moyennant la graice de
Dieu, fut la dicte cité prinse et faictes creistienne, que par avant estoient
Mor blanc *1 et païens. Et y fist se jour le roy son antrée. Et, en se meisme
jour, y fut chantéez en grand triumphe et sollainité la primier messe
que jamaix y avoit estés chantée. Laquelle fut dictes par ung archevesque au grand pallas de la ville, només le grand Melchita. Et fut celle
noble conqueste faictes en partie par la bonne dillïgence de la noble

a. Nous résolvons Vabréviation commune de etc.
1. De même dans les Mémoires, p. 97. Philippe a-t-il mal lu ou mal transcrit un
mot tel que mariant, dérivé de More ?

238 1491, NOVEMBRE. — NÉGOCIATIONS POUR LA RANÇON DE PHILIPPE

royne d’Espaigne, que fort y aida ; car, sans elle, tout se fût laissiés, et
n’eust on point parcévérés, comme le livre que de ce en est fait le
devise.
Mais, pour revenir a prepos, pour le malvais tamps qu’il faisoit, à
grant paine et à grant meschief vint frère Nicolle à Gouxe ; et sambloit
que le vent l’en voussît pourter. Le lundemains, du mattin, chantait
messe à l’abbaïe de Gouxe. Le cappitaine devant dit, saichant sa venue,
avoit envoiés aulcuns de ses serviteur devers luy pour le faire venir.
Et furent yceulx serviteur tout du loing de la messe attandant qu’elle fût
dictes ; puis luy ont dit que leur maistre le mandoit quérir. Auquelle
frère Nicolle ait respondus que, c’il avoit besoing de luy, qu’il vînt là en
l’église. Et incontinant ledit Jehan de Haircourt vint au lieu devant dit,
et parla à frère Nicolle, et dit : « Je me travaille journellement et tant
comme je puis », ait dit le traystre, « pour le fait de ce que vous m’aviés
l’aultre jour parlés. Et ait tellement besoingniés que j’en ay oy nou­
velle ; et pour tant1 je vous ay mandés quérir, pour resgairder se l’on y
pouroit trouver quelque bon appointemant. » — « Je croy bien se que
me ditte », ait respondu frère Nicolle, « et devés randre graice à Dieu
de ce qu’il ne vous fault mye aller fort loing de vouStre maison, ne
vous en fault jay lever plus mattin pour en oyr nouvelle, par quoy le
travail n’est pas fort grant ». A ces parolle, le cappitaine, cognoissant
qu’il le fairsoit et se truffoit de luy, fut comme enraigiés d’ire et de
couroulx. Et, pour mieulx coullorer et couvrir son fait, luy monstra la
devant dicte lettre que je avoie escript. « Tenés », dit il, « biaulx Perre,
lisés là, que c’est qu’il me mande, et vous verrés se je l’ay ou non ».
Ledit Frère la reboutta arrier et ne la voult oncque resgairder ; de quoy
le cappitaine se coursa plus que devant. « Hé Dieu ! », dit-il, « biaulx
Perre, que vous estez fier, quant ne voullés resgairder qu’il y ait dedans ».
_« Je n’en ay que faire », dit frère Nicolle, « car l’aultre jour me fut dit
de se lairon de Mousson, vers lequelle vous m’envoiaistes, qu’il n’es.chaipperoit point à moins de XIIe escus au soilleil, et cenc florin d’or
pour son vin ; par quoy, sus ses prepos, je ne m’en veult plus traveillier : car son perre, sur la hairt et sur paine de tout perdre, ne l’oseroit
raicheter, ne n’y oyseroit mestre ung seul denier. Mais, touttefïois,
j’ay tant fait et pourchaissiet que les amis du jonne fllz vanderont tout
le siens, c’est assavoir tant qu’il luy est escheus et apparthient de part
sa merre au lieu deNoeroy, qui n’est pas de la jurediction de Mets, et le
raicheteront de la somme de Ve florin d’or, c’il sevueullent contanter;
ou, sinon, dictez leur qu’il en faisse des pattés ». Ces perolles dictes, le
cappitaine voulloit que ledit frère Nicolle s’en aillait à Mousson dire ses
nouvelle à Bassort :.« Car on m’ait dit », fait le traïstre, « et sertiffiet
qu’il scet le lieu au vray où c’est que gist le prisonnier. Et, se fait, vous
me sçairés tout à dire, et je vous promès, puis que le guerson m’ait
rescript, que j’en besoingneres ». Frère Nicolle, oyant son pairler, de
1. Et c’est pour cela que je vous ai fait chercher, pour examiner si...

1491,

NOVEMBRE. - - NÉGOCIATIONS POUR LA RANÇON DE PHILIPPE

239

mal tallans se print à rire ; et puis, en, le resgairdant du travers, ait dit :
« Hé Dieu ! comment vous me la baillez belle, de m’envoier à Mouson
perler à Bassort. Vrayement, sire, il ne me fault pas aller sy loing, car il
ne fault parler à aultre que à vous meisme, qui le destenés, le pouvre
guerson. Vous luy faictes biaulcopt de mal à tort et sans cause ; ne
jamais ne vous meffit, et se luy faictes tant souffrir, et après le voullés
despouïllier tout nudz et voullés avoir le sien. Mais ne vous chaille !
Dieu vous en randerait le louuier cellon que vous le desservés ». A ses
parolle rougit le cappitaine de malz tallant, et se print à tripper, qu il
sambloit estre enraigiés. Et, en despit de luy 1, ait prins celle lettre
qu’il tenoit, et en plus de cenc piesse l’a dessiriés, et en gecta les piesse
parmy le moustiés. « Comment », dit il, « biaulx Perre, me voullés vous
ainssy chairgiez, disant que j’ay le prisonnier ? Et me dictes ycy telz
oultraîge ? Que je croy, se m’en eussiez dit 1 aultre jour autant en ma
maison, je m’en fusse vangiez : car, je fais veu à Dieu, je vous eusse fait
saulter de dessus les mur à l’avallée dedans les foussés !» — « Vraiement », dit frère Nicolle, « il n’estoit pas tamps de tropt parler, jay ce
que je sceusse bien que vous 1 avies, ne aultre que vous ne le destiens ,
mais comme à présant vous me menaissiés, en disant que vous n y
avyés fait2 saulter d’aultre que moy. Or suis je maintenant en terre
d’Église, et ne vous crains en riens ». — « Et qui vous l’ay dit, biaulx sire,
que je l’àvoie, ne où fusse qu’il vous fut dit ? » — «Se fut », ait respondus
frère Nicolle, « en voustre propre maison, et au villaige paireïllement ».
— « Mais qui ? », dit il. — « De tous entièrement ; car il n’y ait hommes
qui ne saiche bien que vous l’avés ». Alors acomance le cappitaine à
maulgrier et à jurer, et, avec ce, à menasser. « Il n’y vault le jurer ne
menasser », dît frère Nicolle, « car une fois fault compter à l’oste. Et
scet on bien tout clèrement et magnifestement que vous, sans aultre,
le détenés. Mais, au fort, se m’et tout ung ; et, comme je vous ay dit
devent se vous ne voullés prandre raison en grez, cy en faictes faire dez
petit paités. Car, se une fois vous renfusés l’ouffre, tant que je vive,
plus ne m’en mellerés. Et, avec ce, puis que le pouvre homme son perre
en ait fais tout son debvoir, avec ses amis, c’il y meurt, j’en prans le
péchiez sur moy, et en donne plainière absolucion et a perre et aux
aultres ses amis ; ne jamaix ne leur conseillers qu’il s’en trauveille
d’ung seul pas ne d’ung demy. » - « Ha ! par la chair ! », ait dit le
cappitaine, « tous ceulx qui dissent que je Hais en ont mentis ! Et, se je
l’avoie, avant qu’il fût trois jours, j’en envoieroye la teste devant les
pourte de Mets, et en voustre sanglant despit !» — « Et le grant dyable
vous en polrait bien empourter », respont frère Nicolle. « Car vous vaillés
pis que ne faisoie lez Juif ou les tirans qui ont tourmentés les Samcts :
lesquelles ne les coignoissoient pas, et pansoient bien faire, cellon leur
loy • mais vous ne faictes pas ainssy, qui tourmentés l’innocent, et avés
bien congnoissanse qu’il est voustre frère crestiens, et que jamaix ne
1 Dp la colère au’il avait contre frère Nicole.
2. Exactement : que vous en y aviez lait sauter d autres que moi.

240 1491,

DÉCEMBRE. — NÉGOCIATIONS POUR LA RANÇON DE PHILIPPE

vous meffit. Pansés vous point, biaulx sire, que en doiez demourer
impugnis ? Nenney non, je n’en fais nul doubte; car vous le tourmenter
à tort et sans cause ; et, c’il le prant pacîemment, se serait essés pour
vous danner à tous lesdyable, et luy en serait saincts en paradis. »
Se le cappitaine n’enraigeoit d’oyr ses parolle, il n’en pouvoit ne mieulx
ne pis ; et comme en grant fureur jura qu’il le vouldroit tenir à Chaivencey. « Voustre menasse prise je peu », dit frère Nicolle, « car je suis
en terre saincte, et ne vous crains ne ne vous doubte. Ne n’ait le perre
fait chose que je ne l’en doie absouldre, comme desjay, vous ay dit. »
Et, en disant le mot, se partit du lieu, et s’en allait son chemin.
Et, luy venus à Mets, conta le tout à mon perre ; lequelle ne sçavoit
qu’il en deust faire ; ains en estoit le pouvre homme en grant soussis.
L’une dé fois, pansoit que, meisme c’il estoient d’acort, à qui il poulroit
livrer l’airgent, pour tant que nostre prinse estoit une lairsin. Et moy,
j’estoie là, tousjour escoutant et atandant aulcune nouvelle ; ne jamaix
je n’en pansoie sortir. Touttefïois, depuis que mon perre avoit fait
offrir argent, jay ce que je fusse bien gairdés, cy me traictoit on mieulx
que par avant. Et demouroit encor lez chose ainsy par plusieurs jours,
depuis le retour du cappitaine, jusquez ung jour, comme cy aprez
vous seray dit.
Ne demourait pas longuement, après ses choses ainsy faictes et
dictes comme oy avés, que à Mets arivait ung prebstre, chaippellains
d’ung villaige en Bairroy, nommez Peux. Celluy chaippellains fut
envoiez à mon perre, et luy dit que, c’il voulloit oyr sertaine nouvelle
de moy, qu’il envoiait aulcuns ses bons amis à la dicte Peux pairler
à ung ansiens gens d’airme, nommés Pier le Gascon ; lequelle demouroit
en se villaige, et estoit fillaître a à Robert l’escuier, demourant à Noeroy
devant Mets. Or ne sçay je, moy, quelle chose il eussent brassé, le
cappitaine et luy ; mais celluy Pier estoit celluy là, sans aultre, qui
avoit envoiez la lettre à Chaivancey, disant que l’on ne se trouva point
à Nostre Damme de Mane pourter la ranson, comme sy dessus ait estés
dit. Car, luy, et ledit Robert, son fillaître, de Noeroy, qui se disoit
jantilz homme, et qui aultrefois avoient estés cappitaine de Chaivancey,
furent ceulx qui destournairent toutte la chose, que je ne fus point
raichetés. Et par ainssy voulloit servir a deux partie, comme Pier,
mon tourner, m’avoit heu dit. Touttefïois yceulx, à la fin, achevirent
toutte la besongne. Et fut de mon perre envoiez à Peux ung mien parans
de Noeroy, nommés Collignon de Gaudiet. Auquelle cellui Pier ait dit
que sertainement il avoit perlés au aulcuns parsonnaige, lequelle me
feroit revenir pour la somme de Ve florin d’or, ce ledit mon perre y
voulloit entandre. Et ses nouvelle rapourta ledit Collignon à mon perre.
Puis, après plusieurs parolle, fut encor renvoiez une fois pour veoir
se l’on en poulroit rien raibaitre. Et, à son retour, ramenait ledit Pier le
a. Le manuscrit porte sire, qui est une ina dvertance de Philippe (cf. cinq lignes plus

loin).

1491, DÉCEMBRE. — NÉGOCIATIONS POUR LA RANÇON DE PHILIPPE 241

Gaiscon, avec Robert, son fîllaître ; lesquelles vinrent parler à mon
perre ez gerdin et masure Devant les Pont (car il n’oisoie antrer en la
cité). Et, après plusieurs langaiges, à la requeste de mon perre, furent
renvoiés à Chayvencey pour veoir se l’on polroit achapper pour la
somme de quaitre cenc florin. Mais, pour toutte conclusion, l’on n’en
polt rien raibaitre. Par quoy ledit mon perre, voyant que toutte les
promesse que l’on luy avoit faictez touchant de me ravoir franc et
quictes ne montoie à riens, ains journellemens despandoit le siens à la
poursuitte (car il n’eust pas heu ung messaigier, pour aller une luez
loing, qu’il ne luy eust faillus paier ; de quoy c’estoit à aulcuns mal
considérer : car, le plus grant mal qu’il eust en prison, c’estoit que luy,
qui estoit dez fiedz de Loheraine, avoit presté argent à la cité ; et fut
en partie la cause que mon seigneur de Verdum et plusieurs aultres en
mirent jus la mains, et ne nous voulurent plus aydier), touttes ses
chose considérée, ledit mon perre les amenait à Mets. Et fut à cest
heure délibérés, puis que les chose estoient ainsy allées et qu’il n’en
pouvoit aultrement eschapper, de leur chairgier celle ranson de Ve florin
d’or pour moy raicheter. Et fist samblant ledit mon perre qu’il l’alloit
enprunter. Gy fut compté l’airgent en leur présance ; puis leur chairgea,
et bien effectueusement leur pria qu’il voulcissent dilligenter.
Et, se fait, se sont partis de Mets, et s’en sont allés droit à Merville.
Là venus, ont mandés celluy Pier le Gasscon à Ghavancey advertir le
cappitaine de leur venue. Et luy fut dit que nullemant la ranson ne se
paierait se premier il ne me veoient ; laquelle chose le cappitaine refïusa,
et dit que ceulx qui me tenoient en leur puissance jamaix ne l’acorderoie. Et y oit grand dificulté à me ravoir, ad cause que c’estoit une
trayson, et que l’ungne partie ne l’aultre ne se oysoit bonnement fyer
en son compaignon. Touttefïois, après plusieurs langaige, il fut conclus
que le cappitaine envoieroit sertains parsonnaige au lieu de Mairville
pour recepvoir celle ranson, lequelle parsonnaige serait tenus de demourer là ; et ne devoit bougier jusques que saints et salve je fusse amenés
audit lieu, et sans nul dangier de mon corps. Et celle conclusion ainsy
faictes rapourta ledit Pier ausdit mez amis qui l’atandoient à Marville.
Et fut ainsy la chose passée et acordée.
Et, incontinant que cest acort fut fait, l’on me traicta mieulx que
devant ; et fut mis deux ou trois heure le jour hors de prison en une
petitte chambre pour moy recréer. Alors me compta Pier mon tourier et
me dit que aulcuns de mes oncle estoient venus avec la ranson, et que, a
plaisir de Dieu, je seroie tostmis à delivre.Seje fus joieulx de ses nouvelle,
il ne le fault jay demander ; car il ne m’en chailloit quoy qu’il cousta,
mais que je fusse délivrés. Et, néantmoins, encor je craindoie qu’il ne fût
vray;et ne fus jamais bien assurés jusques à tant que je me vis tout dedans
les porte de la cité. Hélas ! je y cuydoie desjay bien estre, mais il y oit
encor bien du mistère avant que je fusse laichiez, comme cy après oyrés.
Touteffois, pour revenir a prepos, après celle conclusion faicte entre
ledit Pier et mes amis, fut par le cappitaine celluy homme envoyez à

242 1491, DÉCEMBRE . — NÉGOCIATIONS POUR LA RANÇON DE PHILIPPE

Mairville pour recepvoir la ranson, comme il avoit estés dit. Mais il ne
pleut pas ausdit mes amis, et ne furent pas d’acort de luy mettre l’argens
en mains, pour ce que c’estoit ung malvais guerson, et qui n’avoit
riens à perdre. Par quoy, à celle occasion, fut encor la chose arestée.
Et, après plusieurs parolle que pour celluy fait furent randue, et plu­
sieurs allée et venue, fut par escort des partie prins et esleus le prévost
de Monmaidi, pour ce qu’il estoit de la congnoissance de aulcuns de mes
amis. Et à celluy fut délivrés l’airgent entre ses mains, pour le gairder
jusquez à ma venue à Mairville, comme ycy après il serait dit.
La responce du cappitaine heue, comme dit est devant, fut mandés
le prévost au lieu de Mairville. Lequelle y vint à quaitre ou V chevaulx,
tout au fray dudit mon perre. Et alors luy fut priés et requis de mes
amis qu’il woulcît prendre celle cherge. Et y fut quaitre ou V jour
avant qu’il peult estre apointés : la cause pour quoy qu’il y oit encor
plusieurs différant, pour lesquelle Pier le Gaiscon en fut quaitre ou V fois
depuis Chaivancey jusquez à Mairville. Et estoient alors les chemins
sy ort et plains de fange, et les yaue sy grande, que l’on ne povoit venir
ny aller. Par quoy, se tamps durant, fut encor renvoiez à Chaivencei
pour sçavoir se le cappitaine voulloit avoir aultre pour recueillir l’argens
de celle ranson que le prévost devant dit. Cy fut envoiez on non du
cappitaine Pier, mon tourner, avec une bougette 1 fermant à la clef.
Et encor ne fusse pas fait : car il ne voulloie prendre ne ressoire les
piesse d’or que à leur plaisir, et non pas pour le pris que mon perre lez
avoit mis ; et, pour se différant, fut force de retourner encor une aultre
fois à Chaivencey. Touttefïois, à la fin, fut tout apointés par le prévost
de Monmaidy. Auquelle fut celle bougette mise en mains jusques que je
fusse mené au Heu. Et adoncque se partit Pier de Mairville, avec la clef
d’icelle bougette, pour moy aller quérir.
Item, durant que ses chose se faisoient, le pouvre homme mon perre,
lequelle secrètement avoit fait son cas, comme dit est devant, prepousait d’aisaier ses frère, avec ses aultre amis, et qu’il leur demanderoit leur ayde. Puis s’en allait vers eulx, et à chacun particullièrement,
et causy en plourant, leur monstre sa nécessité, disant qu’il veoit bien
que touttes les promesse que l’on luy avoit faites ne luy vailloie riens,
et que à la fin force luy estoit de me raicheter ; par quoy il leur prioit,
on nom de Dieu (et pour bien leur rendre), que chacun luy voussît
pretter aulcune somme, pour laquelle il peult paier sa ranson et me
délivrer. Ghescuns se escusa au mieulx qu’il poulrent, et s’en sont tous
tirés arrier ; et tellement que le povre homme ne trova en eulx quelque
réconfort, ne n’y oit aulcuns de ses frère que libéralement luy woussît
prester ung denier : ains luy furent durant ma prison les plus rude et
peu chairitauble, tant en cella comme en aultre chose, que jamaîx
furent frère. Et ainsy à son besoing luy faillirent tous ces plus prochain s
1. Diminutif de bouge, s. f., sae de cuir,coffre. Il s’agit sans doute ici d’un coffret.

1491, DÉCEMBRE. — DÉLIVRANCE DE PHILIPPE

243

parans, desquelle il n’olt aulcuns sollas ne ayde. Sinon d’ung citains de
Mets, clerc du Pallas et bon coustumier,nommés Jehan Collairt, d’Oultremuselle. Celluy luy estoit aulcunement pairans ; et, sçaichant la
nécessités dudit mon perre et le dangier auquelle je estoie, libérallement luy abandonna à pretter cenc florin de Mets ou cenc escus au
soilleil, sans piège, sans gaige et sans sûrtés 1 ; de quoy mon perre l’en
remercia biaulcops. Et fit son cas secrètement, comme oy avés. Aulcuns
aultre de mes pouvre pairans, et qui ne me estoient guerre prouchains,
de part ma merre, abandonnaient tous le leur pour moy ravoir.
Mais de ses chose je lairés le pairler pour revenir à mon prepos pre­
mier.
Or avés oy par sy devant commant, l’espasse de XIIII moix ou
environ, je fus demenés et traictés. Et, jay se que je n’aye pas dit la
moitiés des allée et venue, ne pareillement n’ais pas dit ne desclarés la
moitiés de biaulcopt de chose que à celle occasion ont esté faicte et
dictes, sy a je encor estés bien prolicxe, et ait estés histoire pour aulcuns
bien ennoieuse ; mais, vellà, je n’en puis may : détresse de cuer le m’ait
fait faire. Sy prie à tous les liseurs qu’il me vueullent pardonner, et la
fin de cest istoire vueulle veoir et en jusques à la fin continuer.
Vous avés par sy devant oy comment, par le grés dé partie, le pris de
la ranson fut enfermés en une bougette, de laquelle Pier, mon tourner,
en oit la clef ; et fut mise celle bougette en la gairde du devant dit prévost jusques je fusse là menés. Puis, aprez se fait, rest à veoir, pour
conclusion, la manier de me délivrer. Vous debvés sçavoir et entandre
que Pier le Gaiscon, avec Pier, mon tourner, furent envoiés de Maïrville à Chaivencey. Mais lesdit Gaiscon fut laissiés en ung villaige à
demy lue près, ou environ ; et là, on le fist atandre ung jour ou deux,
faindant que le cappitaine m’eût envoiés quérir. Ce tamps durant,
vous oyrés que l’on me fist. Après ce que ledit Pier, mon tourrier, oit
tout contés a cappitaine, et qu’il luy oit baillié la clef de la bougette, il
vint ver moy en la prison, en laquelle je estoie tousjour comme celluy
qui ait le cuer entre deux pier et qui est très desconfortés. Et n’avoie
guerre dormis passés trois jours, en atendant nouvelle dudit Pier. Car
tousjour estoie en crainte que l’on ne me fist quelque fault tour, et que
je ne deusse pas estre délivrés. Et encor me fis pis ; car, en resgairdant
ledit Pier, là où je pansoie à avoir bonne nouvelle, je le vis tout courroussés. Touttefïois il me tirait de prison et me mist en une petitte
chambrette hault ; et puis m’apourta à desjuner. Et, quant je vis qu’il
faisoit sy matte chier, comme en grant peur et crainte, je luy demanda
des nouvelle. Et alors me compta le tout ; et me dit que bien tost je
seroie délivrés. Maix il se tenoit très malcomptant, disant que en
servant mon perre et moy il avoit perdus son tamps, et que le cappi-

1. Parce que la chose devait rester secrète, et qu’on n’en pouvait dresser un acte
authentique.

244

1491, DÉCEMBRE. — DÉLIVRANCE DE PHILIPPE

laine ne voulloit rien de ses despans 1, ne ne voulloit que aulcuns de
léans en eust riens, affîn que l’on ne peult dire ne présumer qu’il fût
cause de nostre prinse, non ostant que c’estoit tout pour luy, ou la
plus grant pertie. Quant je oy ledit Pier, je fus joieulx d’ung cousté ;
mais, doubtant qu’il ne me fût contraire, je luy dis que je luy feroie
baillier se qui luy avoit estés promis ; c’est assavoir, se je pouvoie estre
délivrés, je luy feroie bailliés demi douzenne de florins. Alors ledit
Pier, oyant ma promesse, s’en alla au villaige quérir une lime pour limer
mes fers. Et, luy venus, oit grant paine pour en limer ung ; puis voult
limer l’aultre, et trova qu’il sailloit hors tout à par luy. Dont il en fut
tout esbahys ; et je luy dis que de loing tamps estoit ainsy. De quoy il se
esmerveilla, et me pria pour Dieu que je n’en disse riens à Goubert.
Puis m’ait dit et advertis ledit Pier que il avoit entendus que le cappitaine devoit envoier aulcuns parsonnaige vers moy pour moy interroguer de plusieurs besoingne, et qu’il me feroie faire plusieurs promesse
et sairment. « Par quoy », dit il, « je vous en advertis, et vous prie,
on non de Dieu, que de chose qu’il vous faisse faire ne promettre de
faire ne soiens de riens refusant. Et jurés hardiment et faictes de grant
sermant : car tout tant que vous promecterés ne jurerés, je n en donroie
pas ung denier : pour quoy », dit il, « que vous estes prisonnier, et à tort
et sans cause il vous ont desrobés et vous déthienne. Aussy vous adver­
tis que celluy qui vanrait jà tantost vous fera acroire qu’il est cappitaine, mais c’est », dit il, « ses fièvre 2 : car c’est nostre pourtiet ».
Touttes ses parolles ou samblable me disoit ledit Pier pour ce que je luy
avoie promis de luy faire donner VI florin, comme j’ay dit devant ;
mais toutteffois je ne m’y oisoie fier, et doubtoie qu’il ne dît ses mot
pour moy essaier et décepvoir. Par quoy je redargua longuement à
luy ; et hûmes plusieurs parolle ensamble touchant se fait, et luy disoie
que pour à morir je ne acriproie ne ne prometteroie chose que bonne­
ment je ne deusse ou puisse tenir. « Ha ! », dit il, « gairdés bien, pour
l’amour de Dieu, que escripvés et faictes tout tant qu’il vous feront
faire ou dire 3, ou aultrement vous vous poulriens bien gaister ; car je
vous promest et vous jure que de tout tant qu’il vous feront promestre
vous n’estes tenus de aulcunement l’acomplir : pour quoy, comme je
vous ait dit devant, c’est ung tort qu’il vous font, et n’estes pas prins
de bonne guerre. » Hélas ! je ne sçavoye quelle chose sus ses prepos je
deusse panser, ne comment ne à qui je m’en puisse conseillier. Et
redargua longuement sus ses prepos, que nullement je ne me y voulloie
boutter, doubtant qu’il ne le dît pour moy entraire 4 et essaier. Et en
hûmes plusieurs perolle ensemble, que tropt longue seroie à raconter.
1. Mémoires, éd. Michelant, p. 104 : « Le capitaine ne veult rien prenre de ses
despens ».
2. Terme d’argot :« c’est une blague ». L’expression complète, ses fièvres quartaines,
est fréquente au xvne siècle dans le style bas. La valeur exacte de la phrase est celle-ci
que ses fièvres quartaines le serrent si je ne vous dis pas la vérité !
3. Écrivez et faites tout ce qu’ils vous feront écrire ou faire.
4. Attïrer dans un piège.

1491, DÉCEMBRE.



DÉLIVRANCE DE PHILIPPE

245

Après se dit, s’en retourna ledit Pier ; puis, assés tost après, revint
avec cèlluy fains cappitaine ; et avec eulx estoit Goubert. Or escouttés
quelles gravités qu’il tenoit, de quoy il estoit vestus, et quelle parolle
il me dit. Vous devés sçavoir que celluy portier estoit Gascon, homme
gros, cort, et qui pourtoit cruelle chier ; il estoit honnestement vestus
de vellours, et, en se dominant 1, tenoit ses mains à sa courroie. Et, en
aproichant vers moy, ait dit en cest manier : « Esse ycy », dit il, « le
prisonnier ? » Alors Pier respondit que « oy ». — « Vous sçavés », dit-il,
« biaulx filz, comment je vous ay traictés ; et avés estés longuement
gouvernés scéans (je ne le dis pas pour les despans : car je vous les
donne franchement, et n’en veult riens). En après, vous sçavés comment
tout premièrement vous y futtes amenés ; et comme depuis, par plu­
sieurs fois, vous maistre vous voulloie tousjour avoir. Toutteffois
j’ay tant fait, par la prière de Pier, que ycy est, que vous avés tousjour
demouré : car, c’il vous eussent tenus à leur plaisir, je sçay au vray que,
en despit de voustre perre, il vous heussent fait morir. Et en ais heu
envers eulx de grant hayne. Mais je ne deusse pas se faire : car voustre
perre m’en ait randus le mal pour bien ». Et alors acommence celluy
portier ung sermon, touchant ledit mon perre, qui tropt seroit loing à
raconter. Et, en disant, faisoit bonne mine, en tenant les mains à la
corroie, comme dit est, et contrefaisoit bien le cappitaine. Et moy,
doullans, estoie à deux genoulx devant luy, avec ma pouvre sairge
enveloppée atour de moy, ung bras tout nus, corne ung Égipciens ; et
estoit ma chemise toutte pourrie, qu’il n’en y avoit pas ung piedz
enthier ; et, en cest estât, engenolliez, à nue teste et deschaulx, le
remercioie de sa bonté et de se qu’il m’avoit sy bien trayttés. Hélas !
on dit bien vray que Nécessité fait la vielle trotter et Famine fait chatte
seriez 2. Ainsy en estoit il de moy, qui veoie mes annemis aux yeulx, et
encor m’estoit force de me humiliés. « Or sçay 3 », ait dit celluy portiés,
« vous sçavés et estes essés recors comment voustre perre se mist à
ranson à la somme de mil florin d’or. Toutteffois il ne les ait pas paiés ,
ains, par plufïort raison, vous ay laissiez séans jusque à présant, et en
grant dangier ; et encor n’en présante il que Ve pour vous ravoir.
Et sçay bien de vray que vous maistre ameroie mieulx que fussiés cenc
fois mort de mort honteuse et cruelle que jamaix le deussent faire ny
acorder 4. Mais, en considérant qu’il vous y fauldroit pourir 5, qui
n’aroit pitiet de vous, et aussy à la prière et requeste de Pier, qui m’an
ait fort priés, je suis comptant que vous en retournés et que soiez
délivrés. Voir, par condition telle que, tout premièrement, je veult que
1. En faisant effort pour paraître digne et distingué. Dans les Mémoires, éd. Michep. 106, Philippe écrit :« et faixoit bonne mine comme se ce fût ung capitaine, en
tenant les mains à la couroie comme ung prélat ».
2. Sérié, tranquille. Allusion au chat affamé, qui, au lieu de jouer, guette longuement
la souris.
3. Or çà.
4. Accorder que vous sortiez de cette prison,
5. Mourir dans les Mémoires, p. 106,
lant,

246

1491,

DÉCEMBRE. — DÉLIVRANCE DE PHILIPPE

m’acripvés une cédulle de vouttre mains, en laquelle il serait contenus
que me paierés lesdit aultre Ve florins ; et que, dedans le jour de la
Chandelleur proichains venans, les porterés au lieu là où il vous serait
dit : car lesdit vous maistre n’en prandroie pas moins ung seul denier,
ou il fauldroit que du miens propre je les paiaisse. » Alors, moy estant
à deux genoulx devant luy, comme dit est, luy promis de ainssy le
faire et acomplir, par tel condicion que j’eusse tairme jusques a Bulle,
c’on dit les Brandons. Mais il ne s’y voulloit point acourder ; touttefïois,
à la requeste de Pier, il le voult bien. Et incontinant firent apourter
ancre et pappier ; et devisait celluy la lettre comme il voulloit qu’elle
fût faictes, et comme la tenour s’ensuit :
« Je, Philippe, de Vignuelle, confesse estre debteur a cappitaine de
scéans de la somme de Ve florin d’or et de pois. Lesquelle je promet de
paier en jusques au jour dez Bulle qui vient prochènement venant, et les
porter en ung chaitiaulx qu’il me nommairent, scitués on pais de
Liège, sur la ripvier de Meuse. Et promès cecy à tenir ferme et estauble
sur la part que je prétens à avoir en paradis. Et, encor avec ce, je promet
de jamaix n’en riens dire à homme du monde ; ne pareillement du
lieu là où j’ay estés. »
La lettre faicte, il la prindrent ; et l’ont emportés pour la moustrer
a vray cappitaine ; mais il faindoient du contraire, et ne me le disoie
pas. Cellui cappitaine la glosa, et y remist plusieurs chose escriptes de
sa propre mains. Puis fut par moy remise au net, et encor remonstrée
au cappitaine. Et encor ne fut elle pas du tout à sa guise ; ains se avisa,
et y remist encor plusieurs aultre chose, qui estoient parolle,non pas de
crestiens, mais de Sarrasins fault et malvais : car, à force et malgré
moy, il me fist mettre cornent je renyoie Dieu, Nostre Damme, cresme
et baptesme, en prenant chambre és abisme d’anfer à tousjourmaix
parpétuellement, on cas que, sen nul cy 1, je n’achevissoie tout ceu que
je avoie promis et escript dedans le jour que j’avoie dit ; ne que jamaix,
tant comme je seroie vif, ne diroie à homme du monde le lieu ne la
plasse là où je aroie estés ; ne paireillement je ne nommeroie homme
qui fût en la maison ne en tout l’ostel. Et, avec ce, avoit royés les
Ve florin ; et en avoit mis mil, lesquelle il me firent promettre, comme
dessus, de leur pourter. Et fut celle lettre escripte par trois fois avant
qu’elle fût bien à leur grés. Mais, comme Pier me conseilla, je fis ; et ne
m’en ehailloit, fort que je puisse eschapper 2.
Après se, ne fut pas encor fait. Car, quant le cappitaine oit la lettre
et qu’elle fut tout à son grez escripte, il renvoia encor celluy pourtiés
avec sa robbe de vellour. Et aporta celluy ung mecel 3 auquelle se dit
la messe, et là où sont escripte les Évangille de Dieu ; et devant ycelluy
me firent mettre à deux genoulx, et, en mettans la mains dessus celluy,

1. Sans nul« si », sans aucune restriction.
2. Tout cela m’était égal, pourvu que je pusse échapper.
3. Un missel.

1491, DÉCEMBRE. — DÉLIVRANCE DE PHILIPPE

247

me firent encor recorder tous ce qui estoit escript. Et, encor daventaige,
tant d’aultre sairment hideux et cruelle qu’il n’y ait homme, cil est
crestiens, que lez cheveulx ne l’en deussent dresser en la teste. Et tout
ce me firent promettre et jurer. Puis, après ce fait, les chiens, pir que
Sarrasins, non comptant de tant de chose comme cy devant avés oy,
avoye mis une ostie entre deux fuiellet d’icellui mecel ; et me firent
acroire qu’elle estoit sacrée. Et celluy traïstre pourtier, qui se disoit
cappitaïne, la voulloit prandre avec la mains pour me la baillier ; mais
Pier le tourner luy escria et dit : « Ha ! sire, vous ne la debvés point
touchier ». Allors celluy print ung lairge cousteaulx qu’il avoit, et le
boutta dessoubz l’ostie pour me la bailler et huser. Et me fist celluy
bouriaulx encore jurer, moy qui estoie à deux genoulx devant le livre,
que je tanroie tout se enthièrement et acomplïroie de point en point
comme en la lettre estoit escript (et comme je leur avoie desjay jurés
et promis) ; et, on cas que je ne le tenoie à mon povoir, celle ostie sacrée
que je recepvoie fût à mon dampnement és partie d enfer. Ces parolles
ou semblable me disoient les innumains cruelle ; et moy, dollans,
voiant leur grant chiennerie et malvistiés, me escreva le cuer, et me
prins trefïort à pleurer ; et, avec ce, de peur, je me prins à trambler :
car il me sambloit que à paine en eussent autant fait les infidelle.
Par quoy je différoie de la prandre et ressoire, et y résistoie à mon
povoir. « Comment », ait dit celluy traïstre, « ne la voullés vous res­
soire ? » — « Hélas ! sire », respont je, « pour honneur de Dieu, je vous
prie que vous vous vueuilliés entrepourter. Jay me samble que vous
en avés essés fait. Je suis crestiens ; ne souffrés que je me dampne : car
vous sçavés, sire, que je suis indigne de recepvoir mon Créateur, veu
que je ne suis point confessés, et y ait moult loing tamps que je ne le feu.
Et vous debveroit essés souffire dez sairmant que j’en ay fait. »
«
fault, par Dieu ! que le recepvés », ait dit celluy, « ou mal pour vous .
Et que, en le recepvant, promettés de tenir tout ce que avés desjay
promis ». Alors Pier le tourrier, voiant que je différait tousjour, se tirait
près ; et me dit qu’il estoit force que je ressusse celle ostie sacrée, puis
que a cappitaine plaisoit, et que je le povoie faire sans nul dangier ,
puis me dit tout bas en l’oreille que je ne craindisse rien, et qu elle
n’estoit pas sacrée. Et depuis me l’ait jurés plusieurs fois quant nous
estions à Mairville, comme cy après oyrés. Aussy me disoit ledit Pier
pour moy réconforter (et comme aussy il est vray), que de tout sairment
fait en prison l’on ne sont pas tenus de les tenir ne observer. Et amssy
fut l’ostie mise sur le bout du mecel ; et, en faisant le serment, me a
firent prandre et huser.
Quant tout ce fut fait, il estoit desjay tairt. Par quoy la longue
atandue ennuoit fort à Pier le Gascon, qui estoit au villaige, corne j ay
dit devant, en atendant ma venue. Alors le cappitaine, pour abuser ,
1. Il s’agit de faire croire à Philippe qu’il n’est pas à Chauvency.

248

1491, DÉCEMBBE. — DÉLIVRANCE DE PHILIPPE

luy mandait dire qu’il c’en aillait sus la montaine, en ung lieu qu’il luy
nomma sus le hault chemin, pour atandre ma venue. Et luy fit dire que
la gaitte qui estoit tous les jours en la lanterne du donjon de Chavencey
m’avoit veu de loing venir, et qu’il mairchait seurement devers ce lieu,
qu’il me rencontreroit. Alors, aprez ce fait et dit, l’on fist monter Pier le
tourner à chevaulx ; et s’en aillait vers le bois au dessoubz de Chaivencey, environ ung quairt de lue, là en droit où il sçavoitque l’on me
devoit mener. Et, se fait, Goubert, le despancier, avec celluy portiés
qui se disoit estre cappitaine, me menairant hors de celle chambrette
là où j’estoie. Et longuement m’en ont menés, les yeulx bandés, au
loing de la muraille ; puis me firent desvailler avec eulx en une faulce
portaine \ laquelle respondoit sur la ripvier. Et fut defïermé le guichellet ; lequelle, corne je croy, ne l’avoit estés passé XX ans ; et d’icelluy nous entrâmes en une petitte nacelle, laquelle Goubert menoit à
l’avallée de la ripvier. Et là prime terre, au dessoubz de Chaivencey
environ quaitre arboulletrée. Alors me furent desbandés les yeulx.
Et là, en ce lieu, nous atandoit Pier le tourier, derrier lequelle je fus mis
à chevaulx. Et puis, se fait, ont prins congiez de nous, et s’en sont
retournés arrier. Mais, quant se vint que à resgairder l’air, jay ce que se
fût en yver et qu’elle fût fort baix, j’estoie causy tout auveuglés.
Or ne fut guerre chevalchiez par nous que sur le hault chemin nous
rancontrîmes Pier le Gascon, de Peux, lequelle nous atandoit. Mais,
cellon le tour qu’il me firent prandre, il ne sambloit pas que l’on vînt
de Chaivencey, ains sambloit avoir sortis du bois, pour tant qu’il
m’avoie ainsy tournoiez par la ripvier. Et faisoit le cappitaine faire ses
faintise pour nous abuser. Alors, à celle rencontre, après plusieurs
parolle, ait demandés celluy Guascon et dit : « Esse ycy le prisonnier ? »
— « Oy vraiement », respondit Pier le tourrier. « Ha ! mon Dieu ! »,
dit il, « jamaix ne le vis plus 12, que je saiche ; et moult de chemin ay je
fait pour le ravoir ». Et alors se sont mis on chemin. Et cheminairent
sans granment parler ne deviser, car il estoit desjay fort tairt, et les
chemins fangeux et malvais. Et par dessoubz Mommaidi nous ont passés
la ripvier ; laquelle alors estoit sy grosse et hors de rive que l’on ne veoit
pas le pont, et hûmes grant paine de passer. Et, en chevaulchant, je
pansoie à seu qu’il m’avoie fait ; et demanda à Pier qu’il me dît par son
sairment se celle ostie que j’avoie ressus estoit sacrée ; et il me jura
treffort que non, disant que tout ce que j’avoie fait ou dit, il n’y avoit
point de dangier.
En ces devise et plusieurs aultre, ont tant fait, tant de jour que de
nuyt, que nous arivaimes devent la porte de Mairville : mais elle estoit
fermée passés ung heure ; et estoit desjay bien tairt. Sy furent mis lez
chevaulx on bourg, à l’ostel Sainct Anthonne, jusques à tant que la
guette, lequelle estoit dessus la porte, le fût dire a prévost de Mon1. Poterne.
2. Jamais je ne l’ai vu (exactement : jamais je ne l’ai vu plus, que je ne le vois aujour-

1491, DÉCEMBRE. — DÉLIVRANCE DE PHILIPPE

249

maidi. Lequelle manda que l’on s’en allait de Paultre cousté de la ville,
vers le chaistîaulx, et, là, en ce lieu, nous seroit ouverte une portenne.
Adonc fut tournoiez de nuyt tout autour d’icelle ville, jusques à cellui
chastiaulx. Et, là venus, l’on ne trouvait à qui parler ; mais Pier le
Gascon ait tant rescriez que la gaitte d’icellui chastiaulx c’est resveilliés, et, après plusieurs parolle, luy fut promise une quairte de
vin affin qu’il s’en allait dire a cappitaine de la ville, ou a prévost,
qu’il estoient à la porte, et que leur plaisir fût de nous laissier dedans.
Et là fûmes bonne piesse en atendant : car, jai ce qu’il faisoit bien froit,
le prévost n’olt pas sy tost assamblés ses gens. Touteffoîs, après longue
atandue, fut ouverte une faulce portenne par laquelle on nous fist
entrer.
Or Dieu scet en quelle pansée je fus alors ! Car je doubtoïe tousjours
que se ne fût une traïson, et qu’il ne me transmuassent en aultre lieu
pour moy mieulx celler. Et la cause qui me faisoit plus fort doubter,
c’estoit de ce qu’il me menoie ainsy secrètement de nuit, et que, de
tous ceulx qui estoient présant, je n’en coignoissoie homme que Pier le
t arrier. A sorplus, quant je me vis boutter en celluy chaistiaulx
hideux par celle porterne, je ne sçavoie que panser. Toutteffois 1 on ne
s’y aresta guerre, que je fus menés en une aultre maison, en laquelle il
convenoit desvailler. Et, en allant, me deffandïrent que je ne disse
point ung mot : par quoy je ne sçavoie que cella poulloit signifier.
Puis, a rest, quant je vins léans, je les vis, XVI ou XVIII, estre essus
à haulte tauble ; de quoy je fus tout esmeus, et me prins à esmerveillier.
Et, jay ce que je ne disoîe point ung mot, Dieu scet se je me prins à
doubter : car, de la peur que j’eus alors, le sanc me monta a visaige, et
print tout à trambler. Et la cause pour quoy, c’estoit que Pier le tour­
ner m’avoit dit et fait acroire que là je trouvenroie mes oncle, frère
à mon perre ; par quoy, quant je ne les vis point, je pansoie estre trahis,
et me vint en mémoire que le prévost de Monmaidi estoit le Loherains
ou Grégoire ; ne de tous les aultre qui estoie à la tauble je n’en congnissoie point ung, ne que j’eusse sceu nommer. Alors celluy prévost, me
voyant ainsy esbays, me tandist la mains en demandant « quel chier ?»1 ;
autant en fist Robert de Noeroy, et plusieurs aultre, auquelle je ne
sçavoie que respondre, ne que panser ; et estoit sy esperdus que je ne
me sçavoie contenir, ne à qui je me deusse conseillier.
En celle compaignie et au bout de la tauble, en baix, estoit essis ung
mien parant de Noeroi, de part ma merre, c’est assavoir Collignon de
Gaudiet, duquelle je vous ay heu cy devent parlés. Le pouvre homme,
voiant que chacun me faisoit feste, ne disoit mot ; et avoit le cuer sy
estrains de doulleur qu’il n’eust sceu parler, et encor luy faisoit le
cuer mal de ce que je estoie tout debout auprès de luy, et que à luy, qui
m’amoit tant et avoit tant fais pour moy, je ne faisoie nulle samblant ;
par quoy le cuer luy escreva, et se print treffort à plourer. Alors le
1. Formule de salutation :« comment cela va-t-il ? »

250

1491, 21 DÉCEMBRE. — PHILIPPE EST HORS DE PRISON

pouvre homme se leva et se retourna vers moy ; puis, tout en plourant,
il m’embrasse et m’estraint ; et, de pitiet qu’il oit de moy, à grant
paine polt il parler : «Hélas ! », dit il, «Phelippe, mon chier amis,
comment ne me cognossés vous point, que ne me faïctes aulcune chier ? »
Adoncque je an tendit sa parolle et son langaige, et le recognus a, plus
tost à son parler que a veoir ; et, tout incontinant que je le congnus,
je l’ambrassa et baisa ; et, tout en plourant, je le tenoie sy sairés que
l’on ne me le povoit oster. « Hélas ! », dit je, « mon chier oncle, je ne vous
recongnoissoie ; pour Dieu ! vueuilliés le moy pardonner ! » Plusieurs
aultre parolle furent entre nous deux ; pour lesquelle plusieurs d’entre
eulx se prinrent à plourer. Alors le prévost me print par la mains et me
fist asseoir auprès de luy pour soupper. Chacun me resgairdoit, ayent
tousjour l’ueil à moy ; et n’y avoit celluy, en me resgairdant, qui n’eust
pitiet de ma misère ; et devisoient tous de mon fait et de ma longue
prison à tort et sans cause faictes ; lesquelle devise je laisse pour abrégier. Touttefïois, durant cellui soupper, je entendit aulcuns mot de
Pier le Gascon et de son fillaître Robert, lesquelle se escusoient de la
lettre qui fut envoiéez à Chaivencei disant que mon perre ne porterait
point la ranson à Nostre Damme de Mane et qu’il se gairdasse bien de
s’y trouver ; par quoy je congneus que c’estoie ceulx que Pier m’avoit
tousjours promis qu’il me devoit nommer. Après soupper, chacun s’en
allait couchier ; et moy je fus mis couchier avec Pier mon fourrier.
L’acleur de ceste présente cronicques délivrés de prison parmei vc florin
d’or. —- Et ainssy avés oy comment à celluy jour je fus de la prison
délivrés, le XXIe jour de décembre, qui est le jour de la sainct Thomas
l’Apouste, et V jour devant Noël.
Or maintenant je vous veult dire et conter comment à cest heure,
moy estant à Mairville, je acomplis de faire et achevir ung petit dictier
en vers couppés, lequelles avoit de loing tamps devent estés par moy
acomansé. Car, moy estant en la grosse tour, après le despair de mon
perre, j’en avoie desjay une partie compousés, c’est assavoir quant je fis
ung pertuis en la fenestre par lequelle je veoie cler ; et par celluy je vis
plusieurs fois le cappitaine, qui estoit vestus de gris, et estoit la foureure de blan aignel, comme le dictier ycy après escript le mest, en la
forme et manier comme vous oyrés.
O cappitaine de Chavanceys,
Robbe de gris,
Se me samble, pourtoie ung jour,
Fourrée, sellon mon advis,
D’agniellins ;
Tu m’as fait mettre en cest tour,
Par quoy j’en ay aux cuer dolleur,
Plains de pleur,

a.

Regnon-us.

1491, DÉCEMBRE. — POÉSIE FAITE PAR PHILIPPE SUR SA PRISON 251

Et doye hayr qui m’y ait mis,
Mais encor mauldirait a l’eur
Sçay grant peur
C’oncquez j’entris à Chaivenceys

*1.

Moult longuemant y suis esté,
Qu’achappé 2
N’en pouvoye nullemant,
Et sy avoye de tout cousté
Mal essé
Oui me venoit d’ennuemant3.
Puis m’en alloye le plus souvant
Confortant,
En disant qu’il y avoit tel
Qui ne me lairoit nullemant
Pour argent,
Qu’il ne me deust raicheté 4.
En ce pancer où que j’estoye,
Je chantoye
En mauldisant la trayson :
Fey d’argent et de monnoye,
Qui n’ait joye 5 !
Ne estoisse 6 pas bonne chanson.
Je suis estés loingue saison
En prison,
Où c’est le tamps qui m’y ennoie ;
Et bien souvant me disoit on,
Se ranson
Brief ne-venoit, que je y morroye.
May, graice à Dieu, lequelle gairda
Et saulva
Jonas au vantre d’une baillaine,
La fille la Cananée cura,
а. Mualdirait.
1. Texte altéré. — Le sens est clair : je maudis l’heure où, avec grand peur, j entrai
à Chauvency (qu'à grand, peur onques j'entrai ?).
2. Achappé était écrit achapper, qui, grammaticalement, est correct (je ne pouvais
m'échapper). Il semble que Philippe ait gratté IV pour que achappé rimât mieux avec
esté, cousté, etc. Il a gratté pour la même raison — et plus heureusement — 1 s final de
dellivre, à l’avant-dernière strophe.
.
.
3. Beaucoup de mal (mal assez.) qui me venait de l’ennui (ancien français enoiement)
que j’éprouvais.
4. Allusion à son père.
5. Je comprends : Il fait fi de l’argent et de la richesse, celui qui n a plus de joie
(qui est prisonnier). — Philippe eût donné une immense fortune, s’il 1 avait pu, pour
être délivré.
,, .
б. Ne estoit-ce. —• Le sens du vers est évidemment : et cette chanson n était pas gaie.

252 14S1,

DÉCEMBRE. — POÉSIE FAITE PAR PHILIPPE SUR SA PRISON

Et donna
Eaue vive à la Samaritaine,
En atandant jour et semaine,
En grant paine,
Vinrent nouvelle c’on m’apourta
De par Haircourt le cappitaine,
Oui mes chainne
Fist comander c’on mes 1 osta,
Par une teste de sainct Thomas,
En soullas,
Voir, celle qui est devant Noé ;
Se jour me fut ung bon sabbas 2 :
Ne fut pas
Quant de prison fut délivré ?
XIIII moix y suis esté,
A compté
Tout le tamps et hault et bas ;
Maix, graice à Dieu, quoy c’aye coutté,
Dellivré
Fut ce jour d’ung malvaix pas.
Tous les jours aurais histoire
En mémoire
En ma pouvre âme pécheresse ;
Sy prie à Dieu le roy de gloire,
Qui pour voir
Morut pour nous en grant détresse,
Qu’il nous gairde par sa noblesse
De tritresse
En cest vie transitoire,
Et à la fin en grant lyesse,
En sollas,
Puissions régner lassus en gloire 3.
Le présant dictiers, en vers couppés, fut par moy grossement compousés, une partie en la prison, comme j’ay dit devant, et le rest depuis
que je fus délivrés. Cy vous prie que ne pernés pas garde à la rime, car
je sçay bien qu’elle n’est pas couchié comme estre deust. Mais, telz
qu’elle est, c’il vous plaît, vous la prandré en grez.
Encor fut compousé par moy en la prison une oréson à Nostre Damme,
1. Mes, me les.
2. Je comprends : ce jour me fut un bon sabbat : ne fut-ce pas en effet le jour où je
fus délivré de prison ?
3. Cette pièce est un lai. D’après un Art de rhétorique anonyme, à la fin du xve siècle,
le lai était une « oraison et complainte devers Dieu omnipotent, ou sa gent *.

1491, DÉCEMBRE. — PHILIPPE RETOURNE A METZ

253

en forme d’une ballaide à V baston \ contenant L ligne ; et pareille­
ment une à sainct Nicollas, et une à saincte Barbe, tenant lez deux
L ligne. Lesquelle je n’ait pas voullus escripre ; ains les ais lessée pour
abrégiez.
Maintenant rest à veoir la fin de cest histoire. Laquelle je sçay bien
que à plusieurs qui la liront serait malplaisante et ennoieuse ; et diront
que ce n’estoit pas chose digne de mettre en ces présante cronicque,
et que je m’en deusse bien entrepourter ; mais, vellà, se fut mon plaisir,
pour tant que le cas me touche. Toutteffois, je leur prie qu’il m’en
vueulle pardonner et qu’il aye la passience que je die encor trois mot
pour eschevir. Puis vous oyrés plusieurs aultre advenue, c’il vous plaît
à l’escouter.
Vous avés par cy devant oy la manière comment je fut amenés à
Mairville, et mis entre lez mains du prévost de Monmaidi et des aultre
mes amis qui estoie venus pour moy quérir. Au lundemains, qui estoit
jeudi, le prévost me vint veoir. Et, en resgairdant mon acoustrement, il
oit pitiet de mon fait ; et ordonnait à ses gens qu’il me donnaisse aulcune
piesse de leur abillement, desquel il ce poulroie le mieulx passer. L’ung
me baillait ung viez pourpoint de canevair ; l’aultre me bailla dez viez
soullés ; puis me donna l’ung ung viez chaippiaulx ; l’aultre des mouffre 12 ; et me firent chaudement acoustrer. Et à ce jour leur délivra ledit
prévost l’airgent et la bougette ; et prins congiez de nous et s’en aillait
à Monmaidi.
Celluy jour, ne me laissirent oncque partir de l’ostellerie. Au lundemaîns, du mattin, qu’il estoit vandredi, fut paiet nostre hoste, et
pertisme de Mairville. Mais, toutteffois, que je ne l’oblie, avent que
partir, fut donnés à Pier, mon tourner, ses VI florin (non obtant qu’il
peult mieulx à vailloir qu’il ne les eust jamaix heu prins : car pour
yceulx en oit ledit Pier la gourge couppée par ung chairpanthier de
Chaivencey ; et celluy chairpantier en fut pan dus, comme cy après il
serait dit). Gellui vandredi, fut tellement chevaulchiez que nous visme
couchier à ung villaige en Bairroy nommés Huseraille. En ce lieu l’oste
me compta et dit que se avoit estés son filz qui nous avoit conduit
jusques à Billei, et comment il luy avoie fait acroire que nous estions
pouvre pellerins. Aussy nous compta la prinse de Jehan de Landremont, comme cy après il serait dit. Puis me compta comment le filz
Fourquegnon le merchamps avoit estés prins. Et plusieurs aultre
nouvelle nous dit. La nuyt se passa, et, a lundemains, vîmes à Noeroy
à dînés ; et nous y fist on la bonne chier. Pier le Gascon ne vint point
avec nous ; car il demoura à Peux. Et ne vint sinon mon oncle Collignon de Gaudiet, et Robert, avec ung charton qui m’avoit presté sa
robbe.
Alors, aprez dînés, ledit mon oncle Collignon et moy tant seullement,
1. Cinq strophes.
2. Moufles.

254

1491, DÉCEMBRE. —• PHILIPPE RENTRE A METZ

en vîmes à Mets, par le pont Thiefïroy. Car j’estoie encor honteux de
moy monstrer ; et, pour mieulx me celler, m’en allait par derrier
Sainct Vincent jusques en l’ostel de mon perre, lequelle alors demouroit
en la rue de la Haie, du cousté de la ripvier. Là venus, je dis à mon oncle
qu’il atendît à l’uis, et moy je antrait dedans. Mais je ne fus pas congnus
de la chambrier ; et, pour ce que j’estoie ainsy desguissés et deffait, et
jay ce que aperavent m’eust maintes fois veu, elle me descongneust alors,
et ne me voulloit laissier entrer. La pouvre femme ma mairaistre estoit
à l’ostel ; cy m’atendit à la parolle, et me vint embraissier et acoller ;
et, de grant amour qu’elle avoit en moy, très parfondamment se print
à plourer : car pour mon fait maintes lairme en avoit gectées. Mon
perre estoit alors à la porte du pont des Mors qui nous atandoit : car il
estoit advertis de nostre venue. Le pouvre home estoit en grant soussy,
et non sans cause : car il me sçavoit au champs, et son argent, et n’avoit
dormis passés avoit trois jours. L’on le fut quérir, disant que ung
homme le demandoit ; mais, quant il fut venus et il me vit en tel abis,
il oit le cuer sy estrains et sarrés qu’il ne luy eust estés possible de dire
ung seul mot ; et, en plourant très parfondanment, me tenoit embraissiés estroit sairés, et fondoit tout en lairme, tellement que de le veoir
c’estoit pitiet. Et fut longuement ainssy qu’il n’eust sceu parler. Moy
paireillement, le voiant ainssy estre enweillis, et malz et pouvrement
abilliés (car, de l’anuyt qu’il avoit heu, il estoit chaingiez à moitiet ;
avec ce, il n’avoit encor point fait sa bairbe, et sambloit estre ung
pouvre homme querant son pains), par quoy pour tout le monde ne me
fusse tenus de plourer. Et n’y ait si dur cuer, comme je croy, c’il nous
eust veu nous trois ensemble, qui n’en eust heu pitiet. Touttefïois je
prins aulcuns confort en moy, et réconforta mon perre, qui faisoit
infinis regret. Après plusieur parolle et piteuse lamantacion faictes
entre nous, qui longue seroie à raconter, ledit mon perre print ung
sierge qu’il avoit apresté, et me le mist en mains, et dit que avec luy
m’en allaisse à Nostre Damme la Reonde a Grant Moustiet : car ainsy
l’avoit il woué. Et ainssy en fut fait ; et osta mon bonnet, qui estoit
tout pourris, et laissa aller mes cheveulx, lesquelles avoie tellement
crus en la prison qu’il me venoie à la sainture. Et, pour ce que je n’avoie
encor guernon 1 de bairbe, ceulx qui ne me congnoissoie disoie que je
estoie une jonne fille desguisée.
Incontinant en furent espandue les nouvelle que je estoie revenus
de prison. Par quoy en vinrent après moy plus de deux cenc, pour moy
huchier bienviégnant, jusques en la Grant Église. Et n’y oit, comme
je croy, chainoine en ycelle qui ne me tandît la mains et qui ne fût
joieulx de ma venue. Mais je m’en revins bien tost à l’ostel, pour ce que
chacun me voulloit interroguer. Plusieurs de mes amis y vinrent ;
lesquelles, de pitié entremellée de joie de me veoir, se prindrent tous à
plourer.
1. Grenon. Ce mot, en ancien français, désignait plus spécialement la moustache*

1491,

DÉCEMBRE. — LA TRAHISON DE JEAN DE LANDREMONT

255

Au lundemains, qui estoit la vigille de Noël, fit mon perre dire une
messe devant Nostre Damme la Reonde ; à laquelle messe se trouvait
le devant dit Fourqueignon, avec toutte sa lignié. Plusieurs aultre
gens se y trouvairent, en grant nombre, tant de mes amis comme aultres.
Et estoie bien empeschiez de à ung chacun responde : car chacun
voulloit sçavoir comment je avoie estés traictés, comment j’en avoie
eschappé, le lieu là je estoie mis \ par qui se fut, et comment. Mais je les
faisoie tous égal, et n’en voult oncque rien dire, pour l’amour de la
promesse que j’avoie faicte en prison, jusque ad ce que je m’en fusse
conseilliet et confessé. Plus de VI sepmaigne après, venoie tousjour
gens me faire le bienviégnant ; et que tous désiroie à en sçavoir la
vérité. Paireillement, la Justice, sçaichant ma venue, me mendairent
en la Chambre pour sçavoir de mon fait, et comment j’en estoie
eschaippé. Mon perre leur dit que en paient Ve florin on m’avoit rame­
nés. Touchant de moy, je ne leur voult rien dire pour celle fois (car je
n’en estoie encor pas conseilliez), sinon que je n’avoie pas veu le lieu
auquelle je avoie estés mis, car l’on m’en avoit tirés les yeulx bandés.
Aprez ses chose, retournâmes à l’ostel ; et, là venus, mon perre fist
oster sa bairbe, et à moy laver la teste et coupper mes cheveulx. Puis
fut menés en l’asteuve 12 et en mes abis revêtus et acoustrés : car le viez
linsieulx duquelle je estoie envelloppés, avec ung peu du rest de ma
chemise, furent gectés en la ripvier, pour ce qu’elle estoit toutte flairant
et pourrie.
Le jour de Noé se passa ; aussy firent les feste. Et alors vinrent
plusieurs à qui l’on ne cuidoit rien avoir à faire, au moins bien peu ;
lesquelles demendoie tous argent à mon perre. Car il n’y oit chevaulcheur ne messaigier, non pas ses propre frère 3, que, c’il avoie fait ung
pas, qu’il ne lez faillît contenter. Seigneur Anthonne de Pol, pour son
messaigier, en oit XXV frant ; Pier le Gascon, demi cawe de vin ;
et encor à grant paine en polt on eschapper.
Mais de plus en dire je m’en veult despourter ; car maintenant je
veult à ung aultre advenue retourner.

[DA trahison de jean de landremont].

Or avés oy la prinse, la fortune et le meschief que à tort et sans cause
nous fut fait, nous deux mon perre. Je prie à Dieu, par sa bonté, qu i en
vueulle deffandre et gairder tous seigneurs et jantilz hommes, tous bons
merchamps et touttes aultres leaulle parsonne, et paireillement tous

1. Suppléer : là où je estoie mis.
2. Étuve, établissement de bains.
3. Même ses propres frères.

256

1491, DÉCEMBRE. — LA TRAHISON DE JEAN DE LANDREMONT

ceulx et celles que cest istoire liront ou la vouldront acoutter. Mainte­
nant rest à veojr comme en celle meisme année avindrent de grant
adventure, et bien digne de raconter.
Les seigneur de Mets advertis d'une grant trahison qui se brassoii
contre la cité. —• Premièrement, devés sçavoir comment, en se meisme
moix de novembre, à son acommensement, les seigneurs et recteurs
de la noble cité de Mets furent advertis et dehutement informés d’une
grant traïson, laquelle de loing tampts devant aulcuns traïstres, faulx
et desloiaulx, avoient conspirés et maschinés. Mais, la graice à Dieu,
il ne joyr pas de leur intencion. Or, pour vous desclairer la manier
et comment, il est vérités que, en celluy tamps, estoit aux gaige du duc
René de Scecille ung traïstre Lombert 1, que se disoit jantil homme,
lequelle alors avoit prins femme à Mets, bonne jentilz femme, nommée
damme Clémence, femme que fut a seigneur Jehan Boullay, de la rue
des Bons Anfïans.
La trahison seigneur Jennon de Molise. — Celluy Lumbart ce faisoit
appeller seigneur Jennon, chevalier. Et fut celluy qui premier fut
inventeur et conducteur de toutte la trayson. Puis, après, fist tant
qu’il mist à sa cordelle ung de la cité, c’est assavoir homme de lignaige,
lequelle se nommoit Jehan de Landremont.
Jehan de Landremont trahistre, Trèzes de la cité, et pencionaire du duc
de Lorrainne. — Cellui Jehan estoit homme fort saige, ingénieulx,
caulx et subtil, et avoit ung bon sanc naturel ; et estoit trèse jurés en
cest présante année. Ledit sire Jennon en fist son comperre, et, daventaige, pour parvenir à son intencion, le fist estre pancionaire du duc
René.
Le chastellain de la pourle du meysme fait. — Après ce qu’il furent
d’acort, firent tant et chevallont 2 tellemant les deux ensamble qu’il
eurent Charles, le chaistellain de la porte du pon Thieffroy, de leur
cousté, comme cy après pourés plus à plains oyr, se lire ou entendre le
voullés. Celluy Charles estoit Bretons ; et vint servir en Mets après la
guerre que le duc Charles fist au duc René. Il estoit homme court et
trappe 3, et le milleur luyteur que en mil pays l’on sceût trouvés ;
païreillement estoit homme fort ingénieulx, compousoit bien et juoit
fairse et morallité ; par quoy ledit de Landremont le hantoit voulluntier. Et, avec ce, avoit ledit de Landremont grant congnoissance à luy,
ad cause qu’il estoit Trèze et que, quant son tour venoit, il gairdoit à
celle porte, comme il est en Mets de loingtamps acoustumés. Et je le
sçay bien ; car, durant la guerre devant dicte du duc René, je avoie
plusieurs nuyt couchiez avec luy, durant que sa femme gisoit d’anfïans ;
et, depuis, m’ait heu ledit Charles tout contés.
Le contenus de la trahison. — Mais, pour revenir a prepos, la trayson
1. Un Lombard.
2. Chevaler se dit au propre du mouvement des pattes d’un cheval. Au figuré, en
parlant de personnes, chevaler signifie : s’agiter beaucoup, faire des allées et venues.
3. Trapu.

1491,

DÉCEMBRE. — JEAN DE LANDREMONT ARRÊTÉ

257

fut telle que ledit Jehan de Landremont, avec celluy Charles le chastellain, debvoient, au jour de la saincte Katherine dernier passée, avoir
et estre proveus de plusieurs compaignon, lesquelle estoient de Loheraine, et devoie venir couchier en l’ostel dudit de Landremont. Et,
de fait, ledit Jehan avoit desjay achetés du poisson pour leur soupper.
Lesdit compaignon devoie estre armés à la couverte. Et, à cellui jour
saincte Katherine, de nuyt, les debvoit ledit Landremont amener à la
porte. Et debvoient tuer tous leur compaignon gairdans, avec la chastellaine, qui estoit femme audit Charles. Car alors, à celluy jour et en
celle sepmaine, estoit ledit de Landremont gairde et cappitaine de celle
porte ; avec ce, il estoit Trèze pour l’année. Et, par ainssy, il debvoient
estre maistre du chaisteaulx de la porte et de l’antrée. Et puis avoient
fait mairchiez au Loherains de les laissier entrer ; et debvoient tout
mettre à mort, grant et petit, sans nul espairgnier, et faire une toutte
nouvelle ville, comme ycy après en leur procès vous serait plus emplement desclairés et dit.
Jehan de Landremont constitués prisonier. — Item, pour ses chose,
que vinrent à la congnoissance de Justice, le Xe jour de se meisme
moix de décembre, le sire Michiel le Gournaix et le sire Régnault le
Gournaix, l’eschevins, comme Trèses et comis en cest affaire, s’en
allirent en l’ostel dudit Jehan de Landremont et le prindrent (qu’il s’en
cuidoit foyr). Et fut amenés on Pallas devant les aultres seigneur
Trèse, ses compaignons, qui alors y estoient. Et, tantost après, ledit
de Landremont fut menés en la maison de la Burlette, on hault de
Jurue, là où à présant est la maison de la ville. Et illec furent commis
deux soldoieur pour le garder, avec ung sergent des Trèzes : car l’on ne
le voult point mettre en l’hostel du doyens, pour tant qu’il estoit des
lignaiges, et, paireillement, pour tant que alors il estoit homme de
Justice et l’ung des Trèzez de la cité. Et ledit Charles fut paireillement
prins, et mis enchieu le doyen. Puis, se fait, les seigneurs Trèzes s’en
allirent tout incontinant en l’ostel dudit Jehan de Landremont sceeller
tous ses biens, et, avec ce, sairchier s’ilz y avoit nullez escriptures qui
puissent donner congnoissance de celluy cas.
Lectre de pension. —- Et tellemant ont sairchiez qu’il ont trouvés une
lettre d’une pension qu’il avoit chacun ans du duc René. Et, le lundemains, la femme dudit Jehan de Landremont, et ung siens serviteur,
appellés Adam, avec la femme d’icellui Adam, furent prins et mis en
l’ostel du doien. Mais, pour abrégier, sans faire grant procès, dès incon­
tinant que ledit Jehan de Landremont fut examiné, il congneust tout
le fait, sans forces ne constrainte, en la forme et manier comme ycy
après oyrés.
Le duc René rescript à la cité. — Puis, tantost après, le XVIe jour de
se meisme moix de décembre, le duc René de Loheraine, alors estant
à Bar, fist escripre une lettre en son non à la cité de Mets. Laquelle
estoit bien rigoureusement escriptes et dictées, sans honneurs et sans
18

258

1491, 18 DÉCEMBRE. — LETTRE ADRESSÉE AU DUC DE LORRAINE

salutacion aulcune, et tout ne plus ne moins comme c’il fust estés de
bonne guerre ouverte. Par laquelle lettre il escripvoit qu’il estoit
advertis que on avoit prins et appréhendé au corps aulcuns, entre
lesquelles y estoit Jehan de Landremont, son pansionnaire de loing
tamps ; par quoy il requérait qu’on le volcist délivrer et laichier franc
et quicte. Et, au reffus de ce, que tout ainssy, ne plus ne moins que l’on
le traicteroit, qu’il traicteroit tous ceulx de la cité, dès le plus grant
jusques au plus petit.
Les seigneur de la cité font assembler le commun. — Et, pour tant que
ledit duc récripvoit aux maistre eschevins, trèzes jurés et Conseil de la
cité de Mets, lesdit seigneurs de la cité ordonnairent que, le XVIIIe jour
dudit moix, qui alors estoit ung dimenche, que en chacune paroichez
les paroichiens fussent et se trouvassent assemblés, après la messe
Nostre Damme, devant leur église ; et fut ordonnés que illec se trouvanroit ung des seigneur Trèses, en chacune paroches. Et einssy en fut fait.
Et leur dit et relatay, on non de touttes la Justice, ausdit parochiens,
qu’il élisessent entre eulx deux d’iceulx parochiens en chacune paroches
pour aller ouyr ce que les seigneurs leur voulloient dire et demander,
et aussy pour sur ce respondre. Et furent paireillement mandés plu­
sieurs gens d’Esglise, c’est assavoir de la Grant Église, de Sainct Salvour, de Sainct Thiébault, de Sainct Vincent, de Sainct Arnoul, de
Sainct Clément, de Sainct Siphoriens, de chacune des dictes église, deux.
Ausquelx les seigneurs devant dit monstrairent la dicte lettre ; et, avec
ce, une responce qu’ilz avoient faiz gecter pour envoier audit duc de
Loheraine. Laquelle lettre contenoit, après grant honneur et révérance
et salutacion, en cest forme et manier :
« Nous avons receu les lettre qu’il vous ait pieux nous escripre.
Du contenu vous tenons assés recors 1 ; sur quoy plaise à Voustre
Graice sçavoir, pour responce, que, se nous avons prins et appréhendé
aulcuns de nous manans et subgectz pour en faire ce que au cas appartenra, nous n’avons fait chose que licitement ne puissions faire ».
Et alors fut demandé ausdite gens d’Esglise et ausdit bourgeois
leur oppinion. Lesquelles conclurent tous ensemble que la dite
responce estoit bien faictes. Par quoy elle fut ainssy envoiez audit duc
de Loheraine.
Asmosne faicte par les seigneur de la ville affin de rendre grâce à Dieu. —
Et, tantost après ce fait, affin de rendre graice à Dieu de ce qu’on avoit
estés advertis d’icelle mauldicte trahison, les seigneurs et gouverneurs
de la cité donnairent aux quaitre Ordre Mendians, et paireillement aux
Frèrez de l’Observance de sainct Françoys et aux Seurs Collettes de
saincte Claire, à chacun desdit couvant XXV quairtes de froment, que
adonc valloit XVI sols la quairte.
Seigneur Jennon de Molis[e] criés sus la pier. — Puis, le samedi

1. Recort, qui se souvient. Les Messins évitent, par cette formule, de reproduire les
exigences contenues dans la lettre.

1492

N. ST.,

5

JANVIER. — PROCÈS DE JEAN DE LANDREMONT

259

XXIIIIe jourdese meismemoix de décembre, vigillede Noël, pourtant
que ledit Jehan de Landremont avoit acusé le devant dit seigneur Jennon
de Molise, chevalier lombart, lequelle se tenoit aulcunefois à Mets et
aulcunefois on Barrois, disant que ledit seigneur Jennon estoit de la
traihison, pour laquelle chose l’on fist ung huchement sur la pier que ledit
seigneur Jennon se vînt excuser, dedans VII nuictz, d aulcuns grans cas
dont il estoit accusé à Justice, ou, sinon, lesdites VII nutz passée, Justice
y provoiroit selon que au cas appertenoit. Et, affin qu il ne puist
ignorer ledit huchement estre fait, on luy en rescript la coppie et le
double à luy meisme et à sa propre personne ; et luy fut pourtée la lettre
en ung chaisteaulx devers les coite de Verdun, auquelle alors il se tenoit.
Exécution dudit Landremont en Chambre. — Item, le jeudi Ve jour de
janvier, que est la vigille des trois Rois, fut faictes la justice dudit
Jehan de Landremont par lé manier qui s’ensuit. C’est assavoir que,
ledit jour au mattin, ledit Jehan de Landremont fut mené de l’ostel
de la Burlette par les sergens des Trèzes on Pallais. Et fut ledit jour,
aux X heure du mattin, menés hors du Pallas, et mis sus ung parcque
qui estoit fait en la place devant la Grant Église, auprès du puis. Et
avec luy fut menés ledit Charles, chastellain.
Le procès dudit Jehan de Landremont. — Et, en présence de Justice,
de trois noctaires et de tout le peuple, fut lict par Gillet, alors secré­
taire des Trèzes, le procès dudit de Landremont, contenant en substance
tout ce qui est ycy après escript. Et, premier, entre plusieurs aultre
parolles, fut dit comment, tout à l’acomencement, il estoit vray que
messire Jennon de Molise, chevalier, avoit parlés audit Charles, et l’avoit
requis d’estre aux gaiges du duc René de Loheraine.
Et ne fut rien dit en cellui procès de la longue acointance que ledit
seigneur Jennon oit à Jehan de Landremont. Ne aussy ne fut riens dit
comment les deux ensamble chevaullèrent longuement ledit Charles
avant qu’il le puissent avoir de leur partie. De quoy ledit Chairle
s’esmerveilloit de se que ledit seigneur Jennon luy disoit jornellement
que le duc René l’amoit fort, etqu’il lui vouldroit biens faire ung plaisir.
Dont ledit Charle se conseillait à luy qu’il luy polroit donner en récompance de ces bénéfice. Et dit ledit Chairles qu’il luy envoieroi une
paire de biaulx abris d’arbollette d’acier qu il avoit fait (car il s en
melloit). Mais ledit seigneur Jennon luy dit que se n estoit pas ce qui le
menoit, et que ledit Charles luy polroit bien faire ung aultre service.
Puis luy vint petit à petit à desgorgier toutte sa malvaise voulluntés, en
luy remontrant le grant bien que se seroit ce cest cité estoit à ung
prince tel que le duc René, disant ledit seigneur Jennon que tout
mairchamps polroient venir et aller et vivre à surtés, et que chacun
gaigneroit et viveroit paisiblement soubz luy. Et plusieurs aultres chose
luy dit, collorant son cas, que tropt loingue seroie à raconter Puis, pour
ce que ledit Charles estoit Bretons, comme dit est devant, luy vint
à mestre a devant ung prince de Bretaine lequelle dernièrement avoit

260

1492 N. ST., 5 JANVIER. — PROCÈS DE JEAN DE LANDREMONT

heu secrètement aydier a roy Charles de France. Et tellement que, par
son ayde, ledit roy Charles estoit venus au dessus de ce= entreprinse,
et joyssoit du pais, et triumpfoit maintenant celluy prince en court.
A quoy respond ledit Chairle que cellui estoit ung traïstre, d’aultant
qu’il avoit faulcés son serment en l’encontre de damme Anne de Bretaigne, sa maîtresse. Alors luy respont ledit seigneur Jennon : « Or allés
vous chauffer à son feu, et se luy dictes ». Touttes lesquelles chose ycy
devant mise ledit Charles me les ait comptés luy meisme, de sa propre
bouche, avec plusieurs aultre chose, que je lesse pour abrégier, moy
estant avec luy sus la grant maison de Sainct Levier, on hault de Saincte
Crois. Et n’en fut de tout cecy en son procès faictes nulle mencion.
Par quoy, pour revenir a prepos, fut dit au dit procès, comme dit est
devant, que ledit seigneur Jennon requérait ledit Charles d’estre au
gaiges du duc René. De quoy ledit Charles s’en conseillait audit de
Landremont. Et ledit de Landremont luy dist qu’il le povoit bien faire,
et que, se mon seigneur de Loheraine luy volloit donner trois cenc frans
de pencion, qu’il les prandroït. Et, sur ce, ledit Charles fit le serment
en la main dudit seigneur Jennon. Puis avint que, ung peu après la
guerre qui avoit estés en l’an devant entre ledit duc de Loheraine et la
cité, ledit seigneur Jennon se trouvait à Mets. Et apportait deux lettres
sceellées, l’une d’une pension pour ledit de Landremont, et l’aultre de
la chastellerie de Luppy le Chaistel (qui est une belle plaice devers
Lehécourt on Barrois), laquelle chaistellerie ledit Charles avoit heu
demandés. Et estoit celle lettre faictes on non dudit seigneur Jennon ;
dont ledit Charles la volloit avoir en son non propre : de quoy ledit de
Landremont l’en reprint, et dist que mon seigneur de Lorraine ameroit
mieulx perdre la moitié de ses duchiez qu’il ne luy tenist se qu’il luy
serrait promis. Et donnist ledit seigneur Jennon audit de Landremont
LXXV frans de Loherainne, et audit Charles XXV frans. Desqueulx il
en debvoit quaitre frans audit de Landremont, qu’il luy avoit prestey
en une malladie qu’il avoit heu ; et les aultre XXI frans, il les mist en
la main dudit de Landremont pour les convertir en monnoie. Et ledit
de Landremont fist pareillement le serment en la mains dudit seigneur
Jennon on non dudit duc de Loheraine, son seigneur.
Item, une aultres fois aprez, ledit de Landremont et ledit Charles
se trouvairent ensembles. Et devisairent de leur affaires, disant ledit de
Landremont qu’il failloit adviser comment ilz polroient servir le dit duc
de Loheraine pour luy faire avoir la cité. Et ledit Charles dist qu’il
serrait fort à faire. De quoy ledit de Landremont dist ainssy : « Qu’i
averoit il affaire, quant je serray à la porte, de mener V ou VI compaignons qui fussent armés à la couverte dessoubz leur robbe ?» —- « Voir »,
ce dist ledit Charles, « mais que ferait on des bourjois qui gairde nuit et
jour avec vous, et sont vous compaignon gairdai'ns ?» — « C’est bien
dit », respont ledit de Landremont, « on les metteroit en une chambre,
et paireillement la chaitellaine ».
Après ses devise et plusieurs aultre, luy dit ledit de Landremont qu’il

1492

N. ST.,

5

JANVIER. — PROCÈS DE JEAN DE LANDREMONT

261

debveroit demander une maison à Metz pour luy, avec les biens, ou
aultres choses waillant une bonne maison. A quoy ledit Charles ait
respondus ainssy : « Ha ! comperre, vous dictes bien. Mais que wauldroit le demander ? Car il n’y avérait point de seurtey ; ains serait
tout prins et pilley par les gens d’armes. » Et alors, après se mot, priait
audit Jehan de Landremont, disant : « Comperre, je me suis tousjours
conseillié à vous. Puis que ainssy vait, je vous prie que m’en conseilliez
leallement. » Et ledit de Landremont luy dist et luy conseillait que,
cellon son oppinion, il demendait à avoir une maison bien formez :
« Car », dit il, « j’ameroie mieulx à avoir une maison d’aulcuns de ses
villains, telle comme Jaicquemin de Moievre ou Mertin Clausse, qui
ont or et argent et waxelle à grant abondance, que je ne feroie une
aultres ».
Et alors, après ces parolles dictes, fut conclus de faire la dicte entreprinse en la sepmaigne de la saincte Katherine a en ensuiant (mil
quaitre cenc IIIIxx et XI). Car en celle sepmaine le tour dudit de
Landremont venoit pour gairder à la porte du pont Thieffroy, de
laquelle il estoit cappitaine à son tour. Par quoy, sans la graice et
miséricorde de Dieu, la cité estoit en grant dangier, puis que le cappi­
taine, qui estoit homme de lignaige, et Trèze pour l’année, avec le
chastellain, estoient d’une alliance et acord avec ledit seigneur Jennon.
Or avint encor, une aultre foix, que ledit de Landremont demandait
audit Charles, en présance dudit seigneur Jennon : « Compère », dit il,
« comment feron nous de voustre femme, ma commère ? Car, c’elle oye
aulcuns huttin, elle polrait faire bruit et clamour ». Et ledit Charles
dist : « Je ne sçay. J’en vouldroie bien estre quicte. Vous m’entendés
bien : vous m’en trouvenriens bien une aultre en Loheraine ». Et adoncquez ledit seigneur Jennon luy demendait s’il en sçavoit point en
Loherainne qui fût à son plaisir. Dist ledit Charles : « Ouy ; je vouldroie
bien avoir Vallance *1 ». Et ledit seigneur Jennon luy acordait et promist
(celle Vaillance estoit une demoiselle qu’il avoit en son hostel, et qui
estoit cousine à sa femme).
Mais, ainssy comme il pleut à la bonté de Dieu, il fîst alors le plus
merveilleux tamps du monde de pluye et de vant ; et devindrent les
eaue sy très grandes et hors de ryve qu’il ne polrent faire leur entrep[r]inse. Et fut alors que le devant dit frère Nicolle de l’Observance
sainct Françoys s’en alla à Gouxe pairler au cappitaine de Chaivencey
pour le fait de ma ranson, comme sy devant ait estés dit. Et, aussy, se
fut à celluy jour que par le roy d’Espaigne fut la cité de Grenaide
prinse ; et y fist son entrée.
Mais, pour revenir a prepos, voiant les traïstres le tamps ainssy mal
disposés, remirent errier la chose à la sainct Pol en janvier, qui estoit
justement VII sepmaine franche après, et au tamps que ledit de Lan-

a. En marge, (Vune main récente : La traïson Jean de Landremont ; mil iiijc iiij*x
1. Vallante dans Au b Rio n, p. 281.

262

1492 N. ST., 5 JANVIER. — PROCÈS

de jean dë landremont

dremont debvoit a arrier estre à la porte. Et fut alors conclus par ledit
Charles qu’il tueroit ung anciens homme, nommés Niclosse, lequelle
gairdoit tousjour à la dite pourte pour les abbés et abbesses, et n’en
bougeoit point en nulz tamps. Et fut encor conclus que, s’ilz eussent
apparceu auloune chose, ilz debvoient errier contremander les Loherains par aulcune enseigne secrette qu’il avoîent audit seigneur Jennon.
Ung peu de tamps après, ledit Charles ce advisait sur cest affaire, et
oit aulcune bonne inspiracion ; par quoy il dist audit Jehan de Landre­
mont : « Mon comperre », dit il, « je me suis advisé sur ce fait. Et vous dis
vraiement que je n’en veult plus estre, et renonce dès maintenant à la
besoingne ». De quoy ledit Jehan de Landremont fut fort malz comp­
tant, et luy dist : « Ha ! compère, vous estes Normans : on ne se congnoît en vous, car vous estes tousjours à rescointier *1 ». Touteffois la
chose demourait par aulcuns jour ainssy ; esquelle durant, pour tant
que ledit seigneur Jennon le sollicitoit tousjours, ledit Charles dist
audit de Landremont : « Compère, je me donne merveille que ses gens
ycy me poursuivent ainssy, veu que j’ay renuncié à tout ». Alors luy dist
ledit de Landremont : « Ha ! comperre, il ne fault pas dire ainsy. Car
soiés certain et vous tenés tout essurés que mon seigneur le duc aymeroit mieulx perdre la moitié b de Loheraine qu’il ne vous tenist ce qu’il
vous ait promis. »
Puis, une aultre fois, ledit de Landremont se trouvait devant la porte
a pont Thieffroy ; et ledit Charles et luy s’en allairent se pourmener par
dever les gerdins. Et adonc dist le dit Charles audit de Landremont :
o Compère, avisés bien se lieu. Il vous faulrait faire venir les gens d’armes
par dairier ces gerdins ycy ; car il vanront plus secrètement ycy endroit
pour venir à la porte que aultre part ». Et, sur ce, durant que ses chose
se faisoient ou disoient, ledit seigneur Jennon vint en la cité. Par quoy
ledit de Landremont se trouva devant la Grant Église ; auquelle lieu il
trouva paireillement ledit Charles, et luy dit : « Compère, pour Dieu,
gardés vous de messire Jehan Chaverson ! car on vous en polroit tenir
suspect ». Respondist ledit Charles : « Le dyable y a part ! Je le crain
plus que vous ne faictes ». Et alors s’en allait ledit de Landremont disner
avec ledit seigneur Jennon. Et ledit Charles, qui alors estoit tout
délibérés, y allait tantost après disner ; et hurta à l’huis franchement.
Et, quant il fut dedans, il trouvait ledit de Landremont, lequel luy ait
dit : « Ha ! dya ! compère, vous estes maintenant plus hardis que ne
solliez estre. Il nous fault besoingnier. Et vous prie que ne me tirés
point les vers du nez : car il nous convient 2 estre tout ung ou tout
aultre ». Sur ses devise vint le seigneur Jennon, et leur demandait de
a. Debvoir.
b. Moitrié.
1. Recointer, gagner de nouveau par des promesses, etc.

2. Faut-il corriger :« il vous convient »? On peut comprendre, à la rigueur :« il faut,
pour nous, que vous soyez tout un ou tout autre ».

1492 N. ST., 5 JANVIER. — EXÉCUTION DE JEAN DE LANDREMONT 263

leur nouvelle ; et ledit de Landremont luy dit que : « bonne ; je me suis »,
fait il, « desclairiez à Charles, nostre amis, plus avant que jamaix ».
Et lors ledit seigneur Jennon, désirant d’expédier la besongne, les
requist fort ; et dist qu’il luy sembloit que les seigneurs de la cité se
dobtoient et craindoient aulcunement ; et qu’il faisoient gros gait.
Dont ledit de Landremont dit qu’il ne se soussiaït de ce, et qu’il ne s’en
dobvoit point esmerveillier, car on faisoit tousjours ainssy quant on
approichoit des bons jours 1, ou que l’on sçavoit gens d’armes ensemble.
Puis luy dit en oultre ledit de Landremont qu’ilz estoient délibérés, luy
et Charles, de après lé bon jour servir le duc de Loheraine tout à son
appétit ; et en firent ledit de Landremont et ledit Charles le serment
en la mains dudit seigneur Jennon, sur peinne de regnier Dieu le Créa­
teur, et prendre le dyable à maistre et à seigneur. Et ledit seigneur
Jennon leur promist paireillement, et jurait sur les saincte Euvangille
de Dieu qu’il leur ferait avoir tout ce qu’il leur avoit promis. Et, ce fait,
donnait encor de l’argent audit de Landremont et audit Charles (car
ledit Jehan de Landremont debvoit avoir X mil florins, c’il besoingnoit). Et, encor daventaige, luy disoit ledit seigneur Jennon qu’il
demandait ce qu’il vouldroit, et que riens ne luy serait refïusés. Et, sur
ces promesse, respondit ledit de Landremont qu’il se fioit bien en la
graice du duc de Loheraine, et qu’il avoit espérance qu’il luy ferait plus
de bien et d’honneurs qu’il ne luy oyseroit ne sçairoit demander.
Et tout ce, avec plusieurs aultres chose, qui longue seroie à raconter,
congnut et confessait ledit de Landremont estre vray ; et que en cest
manier debvoient délivrer la cité audit duc de Loheraine. Et de ces
chose en prindrent les seigneurs de la Justice instrument.
Puis, tantost après celluy procès ainssy leu devant le Grant Moustier,
comme dit est, l’on mist ledit de Landremont sur ung chevaulx ; et
paireillement Gillet, le clerc des Trèzes, le maistre sergent et Michiel, la
trompette de la ville, furent à chevaulx ; et ledit Charles, avec tous les
aultres sergens et les Contes, furent tous de piedz. Et, ainsy acompaigniés, en ont menés ledit Jehan de Landremont sur sondit chevaulx,
avec ledit Charles à piedz, corne dit est, par tous les carrefours de la cité.
Et à chacun carrefours fut par trois fois sonnée la trompette ; puis à
haulte vois fut ainsy cryés : « Vécy Jehan de Landremont, qui ait voullu
trahir la cité de Mets et tous les habitans d’icelle. Duquel Jehan de
Landremont l’on en ferait la justice aux deux heures aprez midi en la
place En Chambre ». Et ledit Jehan de Landremont, à voix baix, disoit
par des fois : « Vécy piteuse santance ». Et, quant on oit cryés par tous
les carrefourt, l’on le ramenait on Pallas.
En après, quant ce vint à deux heures aprez midi, fut ledit Jehan de
Landremont erriers prins on Pallaix, et mis par maistre Waulter, le

1. Les bons jours, ordinairement : les fêtes de Pâques. Il s’agit évidemment ici des

264 1492

n. st.,

5

janvier.

—-

exécution de jean de landremont

bouriaulx, en une brouuette, et mené, en présence des seigneurs Trèzes,
des Contes et sergens des Trèzes, en la place En Chambre. Puis fut mis
sus ung grant parquez (ou ung hours *), qui estoit fait tout propice
pour cest office et eslevé en hault, comme se ce fût pour juer ung jeux.
Sur lequel n’y avoit que ledit Jehan de Landremont, avec plusieurs
hommes d’Esglise pour luy remonstrer la foy, et avec aussy plusieurs
apoticaire et médecin, et avec les sergens des Trèsez et le bourriaulx.
Et, là venus, fut monté de environ ung piedz ou deux plus hault que le
pairque, contre une estaiche 12, laquelle estoit fîchiéez enmey celluy
pairquez, en manier d’une lairge planche : contre laquelle ledit de Lan­
dremont fut loyés et estaichiez, tant par le col comme par les bras et
par les jambe ; et avoit le dos contre ycelle planche, qui estoit fort
espesse, et tournoit la fasse devers la Grand Église.
Jehan de Landremont mys en quairlier. ■— Et alors fut encor lis une
fois son procès. Et, après plusieurs aultres parolles, fut fandus par le
ventre, et, après, mis en quairtiers en la manier corne ycy après oyrés.
Premier, après ce que Seigneur Conraird de Serrier luy oit dit et deman­
dés se jamaix il sç’avoit repantir, et c’il eust point fait de conciense de
faire morir ung tel peuple que alors il veoit (car à celle heure y avoit
tant de gens en la place En Chambre que l’on ne s’y povoit tourner; ne
jamaix ne n’y fut tant veu pour une fois, ad cause de la bonne nuyt, et
que tout ceulx du païs entour, tant de Baîrois comme d’aultre part, et
qui estoient venus en la cité, l’on n’en laissoît nulz dehors jusques à tant
que justice fût acomplie), et après ce que ledit Jehan de Landremont
oit respondus à la demande dudit seigneur Conraird, disant que non,
et que jamaix n’en avoit heu respantance, dit encor qu’il avoit délibérés
de faire son cas tout joliettement. Alors, après cella dit, les gens d’Es­
glise luy remostroie la foy ; et luy, comme en soubriant, dit qu’il
avoit bon couraige. Puis tantost vint maistre Waulter, le bouriaulx,
qui luy fandit sa chemise ; et mist ung cuviaulx devant luy entre ces
jambe. Puis samblait à plusieurs qu’il lui eust couppés le mambre
viril avec les génitoire, et lez gectait on cuviaulx. Et en ung meisme
instant fut laichiez ung engiens ou contrepois qui estoit du derrier ;
par quoy la corde qu’il avoit parmi le col le estraindit tellement qu’il
devint aussy noir par le visaige c’une moure 3. Puis le bouriaulx, tout
en laichant, cellui contrepois, luy bouttait son coustiaulx, tranchant
corne ung raiseur, en l’endroit du petit ventre ; et luy fandit droit
amont jusques la foussette du cuer ; après, luy fandit du travers en
croix ; et, ce fait, il boutta sa mains dedans le ventre, et luy en tirait le
cueur et luy monstra. Puis, après, luy tirait touttes la tripaille en celluy
cuviaulx. Et alors randit l’âme.
Celluy Jehan de Landremont estoit ung homme gros, court et gras ;
1. Hourd, sorte d’échafaud.
2. Estache, sorte de poteau.
3. Mûre (Zéliqzon, Dictionnaire, art. moûre). L’expression :« noir comme mûre »
est courante au moyen âge.

1492 N. ST., 10 JANVIER. — PROCESSION GÉNÉRALE A' METZ

265

et estoit en sa chair aussy blanc que neige. Cy fut le corps destaichiez ;
et, après ce que les médecin et appoticcaire l’eurent bien à leur ayse
avisés, l’on luy tranchait la teste d’une haiche ; puis fut mis en quaitre
quairtier. Et avoit trois doy de lairt dessus le col et par les cuisse ;
par quoy plusieurs furent descourés de mengier chair pour celle nuyt
dez Roys.
Charles, chastellain, découlpés. — Item, tantost après ce fait, par le
comendemant de Justice, ledit Charles, qui estoit présant, monta sur le
parcque. Et Gillet, le secrétaire dez Trèze, luy dist tout en hault, par une
cédulle qu’il tenoit en sa main : « Charles, vous avez veu l’exécucion de
voustre compère Jehan de Landremont. Pour tant que n’avés pas
persistés en voustre entreprinse, et pour aultre cause mouvant ad ce,
messeigneurs de Justice vous remettent la vie, et vous restituent en vostre
franchise et libertés comme par avant ». De quoy il remerciait Justice.
Les quertier pendus entour la ville à des potences. — Puis, tantost après
ce fait et dit, le bouriaulx print les entrailles et les trippes dudit de
Landremont, qui estoient ondit cuviaulx ; et fist ung grant feu tout
devant l’ostel au Chaudron ; et là brûlla cuviaulx et tout. Puis print la
teste et les quaitre quairtiers dudit de Landremont. Et fut celle teste
mise au bout d’une grant lance barbellée, et toutte couvert de blan fer,
pour plus durier ; et, aïnssy au bout de celle lance, fut mise sur la porte
au pont Thieffroy, tout au plus hault, entre lez deux pommiaulx de la
grosse tour, pour tant qu’il en estoit l’ung des cappitaine, et que c’estoit
la porte par laquelle il dévoient faire la trahison et mettre les Loherains
dedans. Et ung des quairtiés fut mis au dehors de celle meisme porte,
auprès de la croix qui est au dellà du pont ; et ung aultre d’iceulx
quairtiers en fut mis devant la porte Serpenoize ; le thier à la porte à
Maizelle ; et le quairt à la porte du pont Rémont, auprès du pont du
reux de Wallier.
Et moy, Philippe de Vignuelle, escripvains de ces présante, vis touttes
ses chose faire et acomplir. Et couchait deux ou trois nuyt à la dite
porte du pont Thieffroy avec ledit Charles, que sa femme gîsoit d’anffans, et durant qu’il pourmenoit celle trayson.
Et, tantost le samedi après celle exsécucion faictes, la femme dudit de
Landremont, avec ledit Adam et sa femme, furent mis à delivre et hors
de l’ostel de la ville.
Porcession généra[lle]. — Item, pour tousjour mieulx louuer et
regracier Dieu, le Créateur, de la graîce qu’il avoit fait aux habitans de
la cité (c’est de ce que, par sa bontés, il avoit parmis et mis on couraige
dudit Charles de advertir en tamps et en lieu les seigneurs gouverneurs
et recteurs de la chose publicque de la dite cité d’icelle traïson), et
affin que les devant dit seigneurs et habitans de la dicte cité ne fussent
reprins devant Dieu du péchié d’ingratitude, fut alors par lesdits sei­
gneurs ordonnés une belle procession généralle en l’église de Nostre
Damme des Carmes, le merdi Xe jour de ce meisme moix de janvier

266

1491 N. ST., 10 JANVIER. — PROCESSION GÉNÉRALE A METZ

après ladite exécucion faictes. Laquelle procession fut la plus belle, la
plus triumphante et la plus honnorable et dévotte, et avec ce la mieulx
ordonnée que jamais fût faictes en Mets. Car, par l’ordonnance de
messeigneurs de la Justice, il y oit, de chacune paroche de Mets, sept ou
huit prebstres du moin, chacun revestus d’une chappe, et pourtant
chacun ung juaulx ou relicquiair en leur mains ; et y oit de chacune des
dite paroches deux torches. Et y estoient tous les relligieulx des Frères
de l’Observance, des Carmes, des Augustins, des Prescheurs, des Cordelliers, et de tous les aultre relligieulx, tel comme de ceulx de Sainct
Vincent, de Sainct Arnoulz, de Sainct Clément, de Sainct Siphoriens, de
Sainct Mertin devent Mets et de Sainct Éloy. Et, avec ce, y furent tous
les chainoignes de la Grant Esglise, de Sainct Salvour, de Sainct Thiébault et de Nostre Damme la Ronde, et tous revestus de revestemans
d’esglise riche et précieulx. Desquelles chainoigne les plusieurs pourtoîent relicquiair en leur mains ; et y furent pourtée les fierte sainct
Estienne, sainct Livyer, sainct Sébaistien, la Vraye Croix de Sainct
Éloy, la fierte sainct Clément, sainct Siphoriens, sainct Pacient, sainct
Soibert et saincte Lucie. Et y avoit XXXVI pillés de cire, que la cité
y avoit donné, pour alumer et conduire lesdicte fiertés. Et, en allant
à ycelle dévotte procession, furent sonnée la cloche de Meutte et touttes
les aultres cloches de touttes les église de la cité ; qui estoit une chose
piteuse et esmouvant les cuer à lairme et à dévocion. Et se partit celle
belle porcession en belle ordonnance de la Grant Église ; et sortirent de
la cité par la porte du pont des Mors, et rentrirent dedans par la porte
du pont Thiefïroy. Et puis l’on s’en allait en l’esglise des Carmes.
Etillecengrantmanificence fut chantée la messe devant la benoit te Vierge
Marie,Nostre Damme d’Espérance, à chantre, à deschantre et aux orgues.
Et là y oit grant teste et grant sollempnité merveilleuse. Et y oit ung sermontfait par ung des relligieux d’iceulx Carmes ; et, on non de Justice,
en son sermont il remonstrait et desclairait la graice que Dieu avoit faicte
aux habitans de la dite cité ; et, après, dit et desclairait comment,
par la graice de la benoitte Vierge Marie, ledit Charles avoit révélé
la chose aux seigneurs de bonne heure, par quoy on en estoit tenus à luy •
Rétribution des seigneur de Mets à Charles, pour son bénéfice d’avoir
décellés la dite trahison. — Et, pour tant que on avoit murmurés de ce
que ledit Charles, par le procès dudit de Landremont, estoit entachiez
de la dite trahison, disant qu’il debvoit morir, pour ces chose fut ordon­
nés et publiez par messeigneurs de Justice que ledit Charles estoit bien
deschargiez dudit fait, et qu’il l’avoit anuncié de sy bonne heure, et s’y
avoit tellement conduit, que non seullement l’on le remectoit en sa
franchise et libertés, mais, avec ce, messeigneurs de la cité estoient
délibérez de luy faire des grans biens. Par quoy l’on deffandoit qu’ilz
ne fût nulz ne nulles qui luy fist ne desist rien touchant celluy fait
contre son honneur; ou, aultrement, quiconcques y mesprendroit, il
serait acquis de corps et de biens. Et, affin qu’il en fust encor mieulx
deschargiez, il fut huchié par tous les carrefours de la cité, on non de

1492 N. ST., 14 JANVIER. — DIFFICULTÉS AVEC LE DUC RENÉ

267

Justice et à son de trompe, tout ainsy et ne plus ne moins comme ledit
sermont l’avoit desclairiez. Et, affin que, ce au temps ad venir aulcuns
veoit ou ouyoit pourchassier aulcuns maulx encontre la cité, et aussy
affin qu’il fût plus enclin de l’anuncier aux seigneurs gouverneurs et
recteurs d’ycelle, lesdit seigneurs, que ne furent jamaix ingrat à ceulx
que bien leur font, donnairent audit Charles deux cenc livres pour une
fois. Item, encor luy fut donnés la grant maison Sainct Levier, au hault
de Saincte Croix, sa vie durant. Paireillement, luy fut encor donnés, sa
vie durant, la haulte prébande de l’Ospital ; et, à chacun moix, cenc sols
de gaige à la cité. Et, c’il moroit devant que sa femme, la dicte sa femme
averoit demi prébande, et tous les moix L sols. Et, paireillement, debvoient avoir tous leur anffans qu’il aroie en leaulx mariaige, à chacun
L sols leur vie durant. Et, avec ce, fut ledit Charles affranchis de tout
débit de ville, comme de gait, de malletoutte, de crouuées, de pavés, et
de toutte aultre chose, en quelconquez manière que se fût ou peust estre.
Et de touttes ces chose l’en furent bonne lettres faictes, lesquelle furent
sceellées du grant sceaulx de la cité et des pairaige, comme ledit
Charle luy meisme me l’ait heu dit et contés.

[suite DE

l’année

T492 i PAIX AVEC

l’ÉVÊQUE

DE METZ,

AVEC LE DUC RENÉ DE LORRAINE, ETC.].

Vous avés par cy devant oy tout le procès de la trayson Jehan de
Landremont, de Charles, son compère, et du Iraïst.re seigneur Jennon.
Rest maintenant à veoir plusieurs aultres besoingne digne de mémoire
qui avindrent encor en celle année.
Les embassadeurs de la cité retourne de devers l’empereur.
Premier,
avint que en celluy tamps, le XIIIIe jour de janvier, revindrent maistre
Jehan Noël, pancionaire de la cité, et Martin d’Inguenhen, clerc des
Sept de la guerre, de devers l’empereur et le Roy des Romains. Lesquelles
y avoient estés envoiez pour le fait de la cité ; et avoient assés bien
besoingniez.
Requeste du duc René à aulcuns des subjecl du païs de Mets. — Item,
en ce jour meisme, le duc René de Loheraine, lequelle tousjours enfraindoit l’escort et l’apointement qu’il avoit fait et sceelé encontre la cité,
enyoiait gaigier ceulx de Maixier et de Semécourt ; et demendoit, pour
chacun conduit, trois frans de Loheraine. A quoy ilz n estoient en riens
tenus ; ne jamaix ne avoient rien paié ne estez requis d’en paier. Et,
aussy, il n’estoient ne ne sont encor de riens subjectz à luy ; ains d encienetés apperthiennent en toutte seigneurie et souverainneté à ceulx
de Mets, et ne sont d’aultre ressours que de la cité. Toutteffois, les sei­
gneurs de la cité, eulx advertis du cas, pour tant qu’il ne volloient point
enfraindre ledit traietiez, ordonnairent aux seigneurs des dite villes

268

1492 N. ST., JANVIER. — PAIX ENTRE L’ÉVÊQUE ET LA CITÉ

qu’ilz dissent à leur bonne gens qu’il deffandissent leur gaige, et, c’il
n’estoient assés fors, qu’il protestïssent par devant noctaire et tesmoing
que c’estoit à force et malgrey eulx, pour le rescripre et signifier à mon
seigneur de Triesve et à ceulx de Strabourg, lesquelles estoient chargiez
de tous les difïérans estant “ entre le duc René et la cité, comme sy
devant ait estés dit au traictiez de la paix.
Paix entre la cité et l’évesque d’icelle. — Item, en ce meisme tamps fut
faicte la paix entre la cité et leur évesque, touchant pour le fait du plait
qu’il avoit prins à Romme encontre la dite cité pour cez jurediction
spirituelles ; et aussy pour le fait de l’abbé de Sainct Siphoriens. Telle­
ment que la chose demourait en tel estât, et demourait la cité comme
elle estoit auparavant. Par quoy ceulx qui estoient à Romme pour
la cité debvoient revenir ; maix aultrez nouvelle leur vindrent, pour
lesquelles y les y convint encor demourer.
Car, alors, les Loherains, par leur malvaise voullunté et par hayne,
avoient informés Nostre Sainct Perre le Pappe, disant que aulcuns des
seigneurs de la cité avoient voullus empoisonner plusieurs des seigneurs
de Loheraine, et que lesdit de Mets disoient que de ce faire il en avoient
dispance du pappe. Lesquelle chose estoient faulce, et n’estoitpas vray ;
ne de tout cecy il n’en estoit riens. Car les seigneurs de la cité ont
tousjours estez sy francz et remplis de sy grant noblesse et de sy bonne
voullunté que jamaix n’eussent vollu faire ne parmettre estre fait telle
meschante besongne. Et fut Nostre Sainct Perre le Pappe à la fin essez
dehument imformés de la véritey.
Les chemin de Lorainne, Bar et Lucembourg fermés contre ceulx de
Mets. — Puis avint, encor en ce meisme tamps, que le devant dit duc
Régné de Loheraine et le merquis de Baude, qui alors estoient gouver­
neurs de la duchiez de Lucembourg, tenoient tellement leur païs et
chemin clos que on n’en amenoit rien quelconcque en la cité ; ne les
cens et rantes propres qui estoient dehue à ceulx de Mets en les trois
duchiez, c’est assavoir Lucembourg, Bar et Lorraine, ne laissoient pas
venir. Dont, à celle occasion, le froment ce vandit à la Chandelleur
XX sols la quairtes ; le sel, XX [sols] ; la grainne de navel, XX sols ;
et touttes les aultrez chose à l’avenant. Et paireillement le vin, lequelle
se vandit, le milleur, à XII deniers la quairtes, et le nouviaulx, à VI de­
niers.
Course sus le paiis de Mets par Biaise et Crantze. — Paireillement, en
ce meisme tamps, Hannès Crance et Biaise, duquelle Hannès et Biaise
j’ay jà heu par cy devant pairlés, et qui estoient de guerre à la cité,
courroient tousjours sur la terre d’icelle. Par quoy il n’y avoit homme
qui oisait seurement aller ne venir sans grans compaignie. Et, de fait,
en la sepmaine de sainct Anthonne, ledit Cransse vint courrir à Berlise
et à Witoncourt ; et y firent de grant dompmaige. Item, le XXVe jour
dudit moix de janvier, le jour sainct Pol, ledit Hannès Crance courust

a.

Entant.

1492

N. ST.,

2

FÉVRIER. — CONFIRMATION DE LA PAIX AVEC RENÉ

269

à Demangeville et à Sanrey sur Niedz ; et y print gens, bestes et aultres
biens ; et brûlla une moitresse à Demangeville, appertenant au seigneur
Conrard de Serrier.
Le duc René s’en vait en France. — Item, en cellui tamps se partit le
duc René de Loheraine pour aller en France. Et, à celluy jour, il flst
lever la mains des cens et dismes appartenant à ceulx de Mets, sur les­
quelle il avoit fait mettre arest.
Charbonnière brûllée à Ays par aulcuns annemys. — Aussy, en ce
meisme jour, XXVe dudit moix de janvier, aulcuns malvais gairnement
bouttairent le feu en ung monciaulx de cenc chers de charbon, qui
estoient appareilliez en une nuesve forge de fer que les seigneurs et
gouverneurs de la chose publicque de la cité avoient nouvellement fait
faire, toutte nuefve, à Airs sur Mezelle. De laquelle la misne du fer
avoit esté trouvée et annunciéez ausdit seigneurs depuis poc de temps.
Et fut ce fait par envie et malvïstiet. Mais, non ostant tout cecy, la cité
flst refïaire la forge toutte nuefve, et du charbon nouviaulx ; et, malgrez
les envieulx, firent ouvrer et forgier.
Ladite forge transmuée. — Toutteffois, peu de tamps après fut celle
forge translatée on Saulcis, dedans Mets, là où à présant est le mollin
pour enmoudre les taillemans h
Confirmation de la paix entre le duc René et la cité. — Durant que ces
chose se faisoient, c’est assavoir le VIIe jour de febvrier, vinrent en
Mets pour ambassaulde de part le duc René de Loheraine et de par la
duchesse, sa femme, l’abbé de Gorse, maistre Nicolle de Selve, official
de Toul, seigneur Errard de Harracourt et seigneur Hertowy de la
Gelle, pour faire la paix des différans qui estoient entre le duc René et
la cité, pour lesquelle la guerre avoit esté esmeute. Et furent lesdite
embassauldeurs logiez en l’abbaye de Sainct Vincent, réservé le seigneur
Hertowy de la Gelle, qui es toit logiez en l’ostel seigneur Charles de
Beavair, chevalier, en la grant rue d’Oultresaille, passés y avoit X sepmaine, pour se faire reguérir d’aulcune malladie qu’il avoit. Et, à celle
cause, l’on thint les journée en l’ostel dudit seigneur Charles, pour
aller ver ledit seigneur Hertowy. Et à celle journée y estoient commis
pour la cité le seigneur Régnault le Gornaix, seigneur Michiel le Gornaix, ambedeux chevaliers, seigneur Conraird de Serrier et seigneur
Jehan Ghaversson, ambedeux eschevin. Et estoit bien à veoir et à
congnoistre que le duc René demandoit la paix, quant il envoioit ses
embassaldes tenir les journées tout dedans la cité ; en quoy faisant la cité
y avoit grant honneur.
Item, le IXe jour de se meisme moix de febvrier, vindrent nouvelles à
Mets par certaines lettres envoiées de Romme ; lesquelles contenoient
comment l’abbé de Sainct Denis estoit allé à Romme pour le roy de
France pour avoir dispance du mariaige de luy et de la duchesse Anne
1. Êmoudre les taillements, aiguiser les armes tranchantes.

270 1492

N. ST., FÉVRIER. — COURSES ET PILLERIES AU PAYS DE METZ

de Bretaigne, qu’il avoit espousée, laquelle avoit premier espousé le
Roy des Romains, comme cy devant ait estés dit. Et contenoie ces
lettre que ledit abbé n’avoit encor rien fait pour celluy mariaige. Et,
oultre plus, que, le jour de Noël, le pappe avoit chanté la messe à Sainct
Pier de Romme, et que, après la messe, il avoit donné à ung duc d’Allemaigne, qui alors estoit à Romme, le chappel et l’espée ; de quoy l’on se
esmerveilloit qu’il ne l’avoit donné aux embassaides du roy. Et se préparoie en ce tamps grosse armée en Allemaine, au tiltre du Roy des
Romains, pour se vangier d’icelluy mariaige.
x compaignons des gens Hannès Cranlze tués. — Item, le XIe jour
du meisme moix de febvrier, l’an dessus dit, les embassaides de Loheraine estant encor à Mets pour traictier la paix, environ XXX compaignon à piedz dez gens Hannès Crance vindrent courre aux Estans ;
et y prindrent en une maison les bestes et plusieurs aultres biens. Et,
tantost lez nouvelles venues à Mets, on fist monter à chevaulx XXIIII
soldoieurs ; lesquelx chassèrent après jusques bien près de Hellimer, en
ung villaige auquelle y avoit X desdits compaignons ennemis, lesquelles
furent assaillis par yceulx soldoieurs, et tellement que tous X furent
tués et brûllés en une maison d’icelle ville en laquelle il s’avoie retirés.
Et à cest assault y oit ung des dit soldoieurs qui fut tuez d’une collevrine tirée par lesdit annemis.
Puis, deux jours après, c’est assavoir le XIIIe de se meisme moix, se
partirent de Metz les dit embassaideurs de Loheraine ;et c’en allèrent vers
la duchesse, à Bar, pour aulcune article qui n’estoient encor point passée.
Huchement contre les courreurs et pillair. — Item, le XXIIIe jour de
ce meisme moix de febvrier, pour lez grant malz que Biaise et ces gens
journellement faisoient sur la terre et pais de Mets, et que à 1 ocasion
de ce l’on [n’joysoit aller ne venir, les seigneurs de la cité firent faire
ung huchement contenant que, quiconcque amènerait en Mets ledit
Biaise en vie, l’on luy donroit deux cenc livre, et quiconcque le tuerait
averoit cenc livre ; et qui amenroit aulcuns de ces gens à chevaulx, il
averoit cenc livre, et qui en tuerait, il averoit L livre ; et quiconcque
amènerait aulcuns de ses piettons, pour chacun, XXX libvrez. De quoy
fut dit de la commune que c’estoit bien fait, et fut par eulx se huchement
bien louués ; jay ce que ce ne fût point la coustume de faire tel huche­
ment en Mets : maix, comme on dit, il fault faire selond le tamps les
coustumes.
Aussy, en celluy tamps, y oit ung grant procès à Sainct Pier au Dammes pour le fait de damme Yollant, qui alors estoit nonnains de Saincte
Glossine, et, nonobstant, elle voulloit estre abasse de Sainct Pier au
Damme devant que la vielle abbasse fût trespassée ; et estoit fort
soustenue du duc René de Loheraine. Mais, de tous ce qui en avïnt et de
tous le procès qui en fut, je le laisse pour cause de briefveté ; car la chose
serait tropt longue à raconter L
Médecin avivés d Mets, merveilleusement expert en l’art. — Item, en ce
1. On en

trouvera

le

détail dans Aubrion, p.

289-291.

1492 N. ST., MARS. — UN CHARLATAN A METZ

271

meisme tamps vint et arivait ung médecin en Mets, appelle sire Sixte,
chevalier et docteur en médicine. Celluy seigneur estoit le nonpaireille
de tous les aultres : car il faisoit chouse incrédible à gens qui ne l’aroie
veu. Premier, il tailloit de la pier et de la roture 1 *ou gravelle ceulx qui
en estoient entaichiez sans leur faire mal, et sans les lier en nulz fasson.
Et, encor plus, dès incontinant qu’ilz estoient tailliez, il les faisoit aller
par la ville comme s’il n’eussent malz ne griefz, et comme c’ilz n’eussent
eu ne pier ne rotture. Item, a gens qui avoient perdus la vueue, il se
faisoit fort, aux aulcuns, de leur oster les oîeul hors de la teste, et de les
remettre à point, et puis leur remettre en la teste, et en veoir clair.
Item, à aulcuns aultres qui avoient dolleur de teste, et à ceulx qui
cheoient de chault mal ■*, il leur fandoit la teste, et ostoit ce qui leur
causoit la malladie, et puis subbitement les recloioit ; et estoient telle­
ment reguéris qu’il n’en laissoient jay l’aller et le venir par la ville. Puis,
à ceulx qui entroient en la malladie de leppre, il les garissoit. Et, brief,
faisoit ledit sire Sixte, chevalier et docteur en médecine, tant d’aultre
belles cures de plusieurs et diverse malladies que c estoit chose incré­
dible à ceulx qui ne le veoient. Et de ses euvre en estoient les plu­
sieurs fort esbahis ; et fist plussieurs belles cures à Mets, tellement que
tout le monde courait après luy. Celluy seigneur Sixte, chevallier,
estoit desjay homme enciens, groz et court, et de moienne estauture.
Et avoit une très belle damme à femme ; et plusieurs serviteurs . car il
tenoit grant famille et pourtoit, luy et sa femme, estât de prince. Il
avoit plusieurs grant lettres escriptes en parchamin, dont les plusieurs
estoient, à leur acommencement, d’or et d’assur ; et en avoit jusques
a nombre de IIII** ou de C. Lesquelles luy avoient estés faictes et
donnée de plusieurs grant prince permy le monde, tant spi[ri]tuelz
comme temporel, et tant chrestiens comme sarrazins ; et pandoient
audite lettres de plusieurs manier de grant seaulx, comme ce fussent
burle de Romme 3. Lesquelles lettres ung jour ledit sire Sixte les estendit
ou fist estandre par ces serviteurs au loing d’une corde depuis le portai
du Grant Moustier de Mets jusques au portai du Pallas. Et en ycelle
lettres estoit escript en latin et en plusieurs langaige plusieurs belles
cures qu’il avoit faiten diverse pais et région parmi le monde. Touttefïois,
quoy qu’il fist merveilles, et qu’il eust les dictes lettres, qui faisoient
encor foy de plus grant chose, néanmoins plusieurs gens murmuraient
tout plains de son fait. Et disoient les aulcuns que ce qu’il faisoit estoit
par art magicque et par art du dyable ; car il sembloit mieulx juifz
que crestiens. Et n’avoit celluy maistre nulles oireille ne nulz cheveulx,
maix portait ung chief de Paris 4 de cheveulx jalne et tandus, qui luy
sceoit très mal. Et fut environ deux ou trois moix à Mets ; auquelle
durant il despandit grant chose au trayn qu’il tenoit.
hernie ». Pierre : gravelle.
1. Routure, en ancien français, signifie habituellement
?.. Hault mal, dans Aubrion, p. 291 ■
3. Comme si ç’avaient été bulles papa les.
4. Sans doute une perruque. C’est à cette époque que la chose et le mot apparaissent
pour la première fois .

272

1492, MARS.

PILLAGE D’UN BATEAU MESSIN

Ledi médecin brûllés en Flandres. — Puis s’en allay en Flandres *
auquelle lieu, peu de tamps après, vinrent nouvelles certaines à Mets
que il fut prins, et en fist on du feu, et fut brûllés. Mais je ne sçay com­
ment ne pour quoy.

[l’année

i491
2]-

Mil iiijc iiijxx et xij. — A la sainct Benoy après, qui est le XXIe jour
du moix de mars, fut fait, créés et essus pour maistre eschevins de la
cité de Mets, pour l’an mil quaitre cenc IIIIXX et XII, le seigneurs
Conraird de Serrier. Qui fut l’an LIIIe de l’ampire du devant dit sei­
gneurs Phéderich, ampereur de Romme, et l’an VIIe au Royaulme des
Romains de Maximilian, son fîlz.
Détrousse faicte sur ceulx de Mets. — Item, en celle année, le jour du
Grant Vendredi, Hannès Crance, accompaignié de XX chevalx et
XL piettons, s’en allairent tandre au dessoubz de Ciercque sur la
rîpvier de Mezelle. Et là assaillirent une nef venant à la montée, qui
venoit de Triève à Mets ; et emmenairent le nectoinier *, avec quaitre
hommes de la cité : entre lesqueulx estoit l’appoticaire de l’Ospital
et Jullien le pellethier, qui estoit fîlz à Naimerey le pellethier, l’ung des
riche pellethier de Mets.
Joyeulx passetemps. — Item, en celluy tamps, le XXIXe jour de mars,
advint en Mets une adventure et une chose essés estrange, et de laquelle
plusieurs gens furent esmerveilliés, et s’en esbaïssoient. Car, en cellui
tamps, il y avoit sur le Pallas de la cité ung nidz de soigne ; et pareille­
ment en y avoit ung sur la haulte cheminée de la Court l’évesque.
Or advint que, à ce jour, le masle du nidz de dessus le Pallas courrut
sur à celluy de la Court l’évesque, et très âprement le commensa à
baittre, tellement que ledit de la Court l’évesque fut contraint de luy
despartir et s’en fouir hors de son nidz ; et l’aultre tousjour après, sans
le laichier, tellemant que, comme deux champion qui se sont défilés
à oultrance, ce mellirent ensamble pelle melle l’ung sur l’aultre. Et tant
que, à la fin, se vindrent à gecter en la rue de Vazelle ; et, là, ce tinrent
ampoigniez en fasson telle que cellui de dessus le Pallas battit tellement
celluy de dessus la Court l’évesquez de son becque parmy le corps qu’il
le tuait tout roide et le laissait illec mors en la plaice. Et, ce fait, non
comptant, comme ung champion vandicatif, s’en alla ce lancier on nidz
de son adversaire ainsy mors, et, comme en despit de luy 2, avec son
becque et avec les piedz, deffit tretous celluy nidz de la Court l’évesque
et en ruait à terre une grande partie. De laquelle chose plusieurs gens,
1. Nautonier.
2, Pour se venger de son adversaire.

1492, AVRIL. — RÉUNION DES « ÉTATS » DE LA CITÉ DE METZ

273

que ce virent, et plusieurs aultres qui l’oïrent dire, en furent moult
esmerveilliés. Et n’y avoit homme qui peult présumer que ce pouvoit
signifier.
Le duc de Gueldre délivrés des prison du roi. ■— Item, en celluy tamps
le duc de Gueldre fut mis hors des prison du roy Charles de France.
Et debvoit paier la somme de cenc mil libvrez tournois pour sa ranson.
Et, incontinant, il assamblait environ VIra hommes pour conquester
son pays.
Les seigneur de la cité mande les estât. — Or escouttés une chose digne
de mémoire pour le fait de l’union de la cité et pour gairder et préserver
la franchise et libertés d’icelle. Vous avés par cy devant oy et estes essés
recours des grant tourcion et moleste que le duc René de Loheraine et
ses gens faisoient journellement encontre la dicte cité avec les manans
et subject d’icelle, et comment il se parforsoit de tout son povoir de leur
oster et abaistairdir ycelle franchise à eulx donnée et concédée dez
amperreurs. Pour laquelle aidier à soubtenir et à defïandre, le mardi
XVIIe jour d’apvril, les bons seigneurs et recteurs d’icelle mandirent
leurs peuple devant eulx, tant spirituel que tamporel, en la manier
qui s’ensuit. Premier, debvés sçavoir que de chacun colliège furent
mendés deux hommez ; et paireillement de chacune pairoiche deux
hommes, lesquelles seraient elleus par les paroichiens.
Le duc René demende XX mil florin. — Et alors, quant il furent venus
et assamblés au lieu qui leur avoit estés ordonnés, l’on leur fist la
devant dicte exposicion : faisant mencion que, pour la guerre que le duc
de Loheraine faisoit et prétendoit à faire à la cité, le devant dit duc
n’en voulloit point faire la paix et ne voulloit entendre à nulz acord,
sinon moyennent que l’on luy bailla la somme de XX mil florins de Rin.
Mais, pour tant que par les guerres et aultres inconvéniant que la cité
avoit heu et soubstenu du passés, esquelles y avoit heu de merveilleux
frais et coustenge, par quoy il n’estoit possible de fournir à la dite
somme de XX mil florin, se dont n’estoit qu’il fussent trouvés et paiés,
et avec ce contribuez par les estatz de la cité. Gomme les devant dictes
parolles furent dictes et profïérés par la bouche de seigneur Gonraird
de Serrier, alors maistre eschevin de la dicte cite de Mets, désirant, on
non de la Justice, de sur ce sçavoir la responce et voulunté des gens
d’Église, et paireillement du peuple, lesqueulx 1, après ce qu il heurent
oy la relacion dudit seigneur Conraird, demandairent jour d’avis pour
entre eulx parler en conseil et sur ce respondre ; lequel leur fut donnés
au XXVe jour dudit moix d’apvril. Et, se pandant, lesdictes gens
d’Église mirent ensemble tous leur collièges et tous les prébandiés
d’icelles ; et paireillement les commis des dictes pairoiches, par la
licence dez seigneurs de Justice, mirent ensemble tous les parochiens,
chacun en droit soy en sa pairoiche. Et illec leur fut exposé le cas,
1. Pour la régularité de la phrase, il faut remplacer lesqueulx par : ceux-ci.

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1492, AVRIL. — RÉPONSE DU COMMUN DE METZ

et fut demandés à chacun son oppinion. Et puis, ce fait, furent encor
esleu de chacune paroche VI hommes, avec les deux qui y estoient
jà devant, pour faire la responce pour tout le peuple à leurs seigneurs.
Besponce du commun de Mets aux seigneur d’icelle. — Et, au jour dit,
XXVe d’apvril, qui alors estoit le maicredi des festes de Paicque, les
commis pour la spirituallités, avec les commis des paroiches, se trou
vairent a lieu ordonnés, à l’eurs qui leur estoit dictes. Et, là venus,
lesdit seigneurs d’Église, tout premièrement, donnaient leur responce
par escript. Laquelles, toutte honneurs salve, estoit essés soubre et de
petit effect. Et le peuple donnairent leur responce verballement par la
bouche de Jehan Abrion l’escripvain, homme noctaible, bourjois de la
cité, très élocquant et bons coustumiés du Pallais de Mets, lequelle fut
esleu et à ce faire commis par tous les commis de tous le peuple de la
cité de Mets. Et hardiement, froidement et élocquamment acomensa
ledit Jehan Abrion on non de touttes la cité, sa responce ethairengue,
qui fut tel :
Premier, après les honneurs faictes, dit ledit Jean que, « veu l’entreprinse faictes par feu de noble mémoire le duc Nicollas de Loherainne
à l’encontre et sur la cité, le IXe jour d’apvril mil IIII cenc LXXIII,
et, après son trespassement, la paix qui en fut faictes par feue de noble
mémoire damme Yollant et par le duc René, son fîlz, succédant à la
dicte duchié, par laquelle ilz promirent, crantairent et jurairent de faire
taisans tous ceulx que à l’occasion d’icelle entreprinse volroient aulcune
chose demander à la dicte cité ;
« et que, depuis la dicte paix ainssy faicte et scellée, Hannès Crance
corrust sur la cité et sur les subgectz, et y fit de grant dompmaige,
et puis, après ce fait, envoiait ses deffiances à la cité, de quoy, plusieurs
jours après, la paix en fut faictes par le conte de Linange ; et comment,
depuis celle paix faictes, ledit Hannès fist venir Arnoulz Crantze, son
frère, et luy fist prandre pareille querelle comme avoit heu ledit Hannès,
son frère ; et n’avoient aultre cause ne n’estoit leur deffiance fondée
sur aultres chose fors que sur ce que Bartelle Crantze, leur père, avoit
estez tué à la dicte entreprinse du duc Nicollas, qui estoit bien à entendre
que ledit duc René les debvoit faire taixant selon le contenu de la dite
pais 1
« _ et, après, seigneur Geoffroy de Bassompier avoit arriers pnns
guerre contre la cité, non obstant toute présentacion raisonnable que
on luy présentoit ; et, pairellement, le bastard de Tantonville, tous
yssant, entrant et receus on pais de Bar et de Loheraine ,
« __ en aprez, ledit duc René meisme, qui ait prins guerre contre la
cité, sans cause et sans raison, et par ycelle guerre fait dompmaige à la
cité et au manans, habitans et subgectz d’icelle de plus de deux cenc
mil florin de Rin ;
« et, puis que d’icelle guerre la paix en avoit este faictes par mon
1. Ces éloges sont de Philippe de Vigneulles (voyez Aubhion, p. 293).

1492,

AVRIL. — RÉPONSE DU COMMUN DE METZ

275

seigneur l’arehevesque de Triesves, par laquelle le dit duc ait crantey,
et, avec ce, scellés que, se nulz volloit entreprandre aulcune chose
contre la cité, qu’il ne les doit soubstenir ne eulx permettre voie ne
chemin par ses païs, et estoit passés qu’il ne debvoit clore ses chemins
ne pays, maix debvoient fréquenter et aller lez ung avec les aultres,
comme il avoient fait du tamps passés ;
« et, au contraire de ce, tantost après la dicte paix faictes, ledit
Hannès Crantze, qui est propprement nommez en la paix, ait recommenciet, et, de fait, cour journellement et fait de grant dopmaige sur
la cité et sus ses subgectz, et est soubstenu ez païs de Bar et de Loheraine ; et paireillement Biaise de Flocourt, qui est annemis de la cité :
et ait ledit duc tellement clos ses païs et chemins contre la dicte cité
que non seullement ne laisse mye venir les vivres et aultres merchandie
pour vandre, mais, par plus fort raison, ait arrestés les censes et rentes
que sont dehues aux dit de Mets ;
« par quoy, en ce faisant, il monstre bien que de touttes lesdite
deux paix il n’en ait riens tenus :
« — pour lesquelle chose, l’oppinion de tous le peuple, par commun
accord, est c’on ne luy doit rien donner pour faire la paix ; et disent
tous qu’il ne sont pas délibérés de y riens contribuer.
« Et, encor daventaige, vous prie tous et requiers qu’on ne luy donne
riens, pour plusieurs raison.
« La premier, pour tant que, se on luy donnoit argent, se serait à la
deshonneurs de la cité : car ledit duc, et luy et les siens, desprisent et
mesprisent assez la cité ; et encor, se on faisoit ce qu’il demande, la
priseroie il moins, etpoulroient dire que, après tous les malz, dopmaiges
et insolance qu’il ont fait à la dite cité, et aprez tout ce qu’ilz ont
conspirez et queru contre ycelle, tant du fait de Jehan de Landremont
comme de plusieurs grant cherges qu’il ont donnés (à cause des sei­
gneurs de la cité qu’il ont voullus chairgiez, disant que les aulcuns de
vous avoient voullus donnés aulcune poison, dont la chose en ait
estés jusques à Romme envers Nostre Sainct Père le Pappe), que
encor l’en averoit la cité voulluntier donnez argent pour avoir paix à luy.
« Secundement, il ait desjay voullu gecter taille sur les villaiges en la
terre de Mets, et des proppres villaiges de franc allieuf, sur lesquelx il
n’avoit rien que veoir ne que congnoistre ; et, de fait, en ait levés et
faict lever en plusieurs desdit villaiges par force : par quoy, se on luy
donnoit argent, il polroit dire qu’il ait tailliez non mie seullement on
païs et jurediction de Mets, mais aussy tout dedans la cité ; que serait
contre l’honneur de la dicte cité.
« Thiercement, on peult présumer que, se on luy donnoit lesdit
XX mil florins, que de nostre argent propre il nous polroit faire la
guerre ; et, c’il ne le faisoit ainsy et qu’il convertît l’argent aultre part
à son proffit ou à son plaisir, quant il serait failly, en brief temps, par
luy ou par aultre de pairt luy, il poulroit tousjours racommencier,
pour tant qu’il n’ait jay rien tenus de ce qu’il ait promis et sceellés ;

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1492,

AVRIL. — RÉPONSE DU COMMUN DE METZ

et par ainsy, de trois ou de quaitre ans à aultres, il volroit tousjours
avoir une grant somme d’argent de la cité ; que serait une chose bien
contraire à ycelle, et une malvaise conséquence pour le tamps ad
venir.
« Quairtemant, quant on luy averoit donné tout ce qu’il demande,
l’empereur, qui en serait advertis, ou le Roy des Romains, son filz,
en polroient aussy demander ; et, se on s’en volloit escuser, il polroient
dire que, depuis que on en avoit1 donné audit duc de Loheraine, auquelle
on n’estoit de rien tenus, que par plufïort raison on leur en debveroit
bien donner : qui est une chose où il apparthient bien avoir grant
resgairt. Et, combien que, par la guerre darrier 2, la cité ait heu de
grant coustange et merveilleux frais, par quoy il n’est possible que
l’argent de la cité ne soit grandement diminuez et évacuez, et que les
habitans et subgectz d’icelle y aient heu grant dompmaige ; et, avec ce,
que les manans aient estez fort traveilliez de la multitude des gens
d’armes qui estoient en la cité (ceulx qui lez avoient en leur hostel l’ont
bien sceu), et aussy qu’il estoient à sy grant puissance, comme vous
sçavés, qu’il fut telle heure que on les dobtoit plus que les annemis de
dehors ;
« — or, maintenant, parlons d’ung aultres, et considérons le tamps
présant, et que tout est chier ; et, avec ce, considérés que la cité est
mal fornie de bief, de vin et de gens, lesquelles chose sont nécessaire
à mener la guerre, et adventaigeables pour eulx, considérés aussy les
biens des champs, de grant apparance, qui seroie en dangier d’estre
perdus c’il estoit guerre ; — par quoy, tout considérés, il serait bon de
faire paix, pourveu qu’elle fût bonne et seur, et tenable mieulx que les
aultres par avant faictes, et qu’elle fût à l’honneur et utilité de la cité,
en observant les franchise et libertés d’icelle, sans luy donner argent.
«Touttefïoix, à touttes résolucion et conclusion, nous sçavons bien que
vous estez nous seigneurs, et ceulx ausquelx nous debvons et voulions
obéir, et qui sçavés l’estât de la manier et comment les articles du
différant se peuvent acorder à l’honneurs de la cité : on cas que ledit
duc ne se vouldroit contenter de raison en traictant lesdit articles
raisonnablement, sans argent, et on cas que ce faire ne vouldroit,
et il voulloit faire la guerre à la cité, nous sommes tous délibérez de
vivre et de morir avec vous, comme vous vray subgectz et obéissans. »
Et, sur cest parolle, fist ledit Jehan Abrion fin à celle présante
hairangue et narracion. Mais, touteffois, il dit encor un mot on non de
touttes la comune : c’est qu’il avoyent encor aulcune chose à dire aux
seigneurs devant dit à part, lesquelle chose il ne voulloie mie que tout le
monde sceût. Par quoy on fist despartir les gens d’Église. Et, quant il
furent hors de la chambre, ledit Jehan Abrion ait dit et remonstrés

1. Puisqu’on en avait donné.
2. Dernière. — Curieuse contamination entre les formes derraine (derrienne) et
derrenière (dernière).

1492, MAI. — LETTR-ES CONTRE LES SEIGNEURS DE METZ

277

à yceulx seigneurs, on non de tous le peuple, « que pour l’amour de
Dieu il fussent unis ensemble et qu’ilz heussent bon accord entre eulx,
et que, s’il avoient aulcuns difïérans pour leur fait particulièrement,
qu’il se volcissent traictier d’eulx meisme ou par leur amis, et, se faire
ne povoient, qu’ilz prenissent la voie de justice, comme anciennement
s’ait heu fait, afïin que les affaires de la cité ne du bien publicque n’en
fussent retardéez. »
Et leur dit tout ainssy ledit Jehan Abrion comme ycy devant il est
contenus et escript. De quoy et de la dicte responce du peuple les
seigneurs devant dit ad ce faire commis de part tout le Conseil furent
très contans. Et, par la bouche dudit seigneur Conraird, alors maistre
eschevin de Mets, remerciairent le peuple du bon volloir qu’ilz avoient
à eulx et à la cité ; et, avec ce, priairent audit peuple qu’ilz volcissent
continuer en leur bonne volunté, et que, permy ce, ilz estoient aussy
délibérés de vivre et morir avec eulx.
Leclre semée (et decepcioneuse 1 ) contre les seigneurs de la cité par les
Lorains. — Or oyés qu’il advint assés tost après, et vous oyrés chose
merveilleuse et digne de mémoire. Car, voyant les Loherains les Messains estre ainssy ferme, et que, par guerre ne grief dopmaiges qu’il
eussent fait à la cité, ne que par cautelle ou traïson qu’il eussent queru
ne machiné, ne paireillement par prières ne par menasse, la seigneurie
d’icelle cité n’en estoit de riens amendriez2de ses franchises et libertés,
ains, comme la pier fort et dur, estoit plus ferme que par devant, par
quoy, voyant ce, il ont sairchiez une aultre voye. Et tellement que,
le quaitriesme jour de may en ensuyant, furent trouvées en la rue de
Fornerue, qui est quaisy en mey lieu de Mets, environ dix ou XII lettres
liéez ensemble ; et est bien à croire que celluy qui les pourtoit les cuydoit
semer en plusieurs lieulx parmy la ville. Esquellez lettres estoit contenus
une grande malvistiez et une subtillités malvaise pour décepvoir le
peuple. Et disoient ycelle lettres ainssy : « Très honnorés seigneurs
messeigneurs les bourgeois de Mets et tout le peuple, celluy qui ayme
voustre honneur, utillité et proffit vous salue tretous, vous advisant
que bien brief ung dompmaige très grant vous advenrait, se remède
vous n’y trouvés. Car vous avez en voustre cité XXV ou XXVI compaignons, qui se disent vous seigneurs, qui vous pillent, rongent, mengussent et destruissent jusques aux osses, vende bledz, boix, faixin
et plusieurs aultre chose, qui est praticque mécanicque de merchant.
On sont bien advertis de voustre bonté et leaulté ; et, se vous voullés
mettre en l’obéissance de mon très redoubté seigneur monseigneur
de Loheraine, sy noble, sy hault et sy puissant prince, vous serés et
vivrés en paix en voz libertez et franchise telle comme au tamps du
roy sainct Loys. Et encor mieulx que vous n’estez : car la cité est entre
France et Allemaingne, par quoy touttes merchandises vous vanroient,
1. Trompeuse, menteuse. — L’adjectif déceptionneuse zst de la création de Philippe.

2. Du verbe amendroier, amoindrir.

278

1492,

MAI. — COMMENCEMENT D’ÉMEUTE EN METZ

et ne seriens plus en cest pillerie en laquelle de présant vous estes. Et,
sy vous y voullés entendre, vous le trouvenrés comme bon prince ».
Et plusieurs aultres chose estoient encor en la dicte lettres, lesquelle
je laisse pour abrégiez.
Deux homme de Crantze pendus. ■— Quaitre jours après, qui fut le
VIIIe de may, furent menés au gibet de Mets quaitre compaignons.
Desqueulx il en y avoit deux des gens de Crance. Et les aultres deux
estoient piettons advanturiés, qui, en passant chemins, avoient osté à
une josne fille qui s’en alloit vers ses gens en son pais ung florin d’or ;
et avoient ostez à ung messaigier du Roy des Romains deux gros de
Mets. Mais, yceulx deux piettons dernier, messeigneurs les Septz de la
guerre les demandèrent, pour ce qu’ilz avoient heu servy la cité, et que
le larcin estoit petit. Et les deux hommes de Crance furent pendus et
estranglés.
Item, le Xe jour de may ensuiant, le chaisteaulx de Mousson fut
brûllé par ung batton à feu qui fut tirés, par lequelle baitton le feu ce
bouttait en la pouldre de léans.
Ung aultre brigant pendus. — Aussy, en ce meisme tamps et on dit
moix de may, fut pandus et estranglés au gibet de Mets le devant dit
Piccavat, pour des chevaulx qu’il avoit desrobés. Et est ce Piccavat
l’ung d’iceulx lairons qui nous avoit heu vandus, mon perre et moy,
comme cy devant ait estés dit.
Aultre lectre déceptive contre la cité. — Puis, après, en ce meisme
tamps, la vigille de la Panthecoste, fut encor trouvée une lettre on fond
de la Grant Église de Mets, en laquelle estoit ainssy escript : « Messei­
gneurs de Mets, soiez sur vouttre gardes », avec beaulcops d’aultres
perolles lesquelles je laisse pour abrégiez. De quoy on fut bien esbahis ;
et ce esmerveilloit on de quelle lieu celle lettre povoit venir.
Emotion dedens la ville, à peu d’occasion, à une feste saint Mamyn. —
En ces entrefaictes et durant se tamps, l’on fut en aventure d’avoir
ung grant huttin et ung grant desbat en Mets ; et causy pour ung rien,
comme vous oyrés. Il est vray que, le jour de la feste sainct Mamy,
alors que les jonne filz de la paroiche faisoient leur feste, aulcuns des
verlet d’ostel vindrent aprez la marande parmy ycelle feste et tout
parmy les dances ; et menoient avec eulx ung tabourin de xouuiste 1
lequelle il faisoient tambourer ; et, comme en desprisant les verlet de
la feste 2, alloient et venoient, et leur faisoient ampeschement. Et de
rechief firent dancer après soupper en la dicte paroiche, assez près de
lieu là où la dicte feste se faisoit. Dont les compaignons d’icelle festu

1. Tambourin de Suisse. — La caisse du tambourin est plus longue et plus étroite
que celle du tambour. Le tambourin de Suisse était un instrument assez répandu (voyez
le Roman de Jehan de Paris, éd. Wickersheimer, p. 54).
2. Les verlets de la feste sont les garçons de fête. Sur cet usage, voyez Zéliqzon et
Thiriot, Textes patois recueillis en Lorraine, Metz, 1912, p. 187 et suivantes ; et aussi
Me y rac (Albert), Traditions, Légendes et Contes des Ardennes, Charleville, 1890,
p. 93 et suiv. Les verlets d'ostel sont les domestiques des grandes maisons.

1492, 18

JUIN. — JOURNÉE A TRÊVES ENTRE LORRAINE ET METZ

279

furent mal contens ; et disoient que de toutte ensiennetés, le jour de la
dicte feste, il ne debvoient avoir nulles dances ne en aultre lieu quel­
conque en la dicte parodies forque les dances de la feste. Par quoy il leur
dirent et priairent qu’il woulcissent cesser de plus corner ne dancer, et
qu’il vincent dancer avec eulx, c’il voulloient. Et, pour ce qu il n en
vouldrent riens faire, lesdit de la feste se muttinairent et s’entreprmdrent contre yceulx verlet d’ostel : de quoy il y oit plusieurs parolles
dictez et randue, assés mal plaisantes et malz essites, par les bonnes gens
d’Oultre Saille ; et y oit grant mutacion. Et tellement ce amboulla *1
la chose qu’il coururent aux bâtons, corne se les annemis heussent estés
aux portes. Et, en celle entrefaicte, Jehan de Viller, qui alors estoit
Trèzes, voyant leur fureur, fit prendre ungdesbon hommes qui corroit
à la meslée avec une hallebarde, et le fist incontinant mener en l’ostel
du doien. Mais, tantost que les aultres bons homes le sceurent, il vindrent devers seigneur François le Gournay en la grant rue d OultreSai lie, et luy requiert que leur homme leur fût tantost randus hors de
l’ostel du doien, francque et quicte, ou aultrement luy dirent que mal
en venroit. Et ledit seigneur Françoy, voyant leur fureur, leur dit et
priait moult amiablement qu’ilz heussent pacience jusques au londemain, et que, cellon la coustume encienne de Mets, l’on ne le povoit
ravoir, se se n’estoit par toutte la chambre dez Trèses, pour tant que,
par l’usaige d’icelle cité, ung Trèze seul ait bien la puissance de faire
mettre ung homme on l’ostel du doien, maix il n’ait point puissance
de le faire mettre hors sans ses compaignons. Et lesdit bons hommes
n’en volrent rien faire et dirent que, s’on ne le rendoit tantost, qu’ilz
yroient rompre la maison du doien pour le reprendre. Dont ledit sei­
gneur Françoys et seigneur Conraird de Serier, alors maistre eschevin
de Mets, et demourant Oultresaille, avec le seigneur Michiel le Gournaix, chevalier, et le seigneur Pier Baudoiche, veant la volunté désor­
donnée desdit bons hommes, envoiairent quérir celluy prisonniers en
l’ostel du doien, et leur rendirent franc et quictes, cy pnns cy mis.
Et encor furent bien empeschiez de les appaisanter, et a plus doulcement qu’il polrent ; et, daventaige, leur donnait ledit seigneur François
ung florin de Rin pour aller boire, affin qu’il fussent bon compaignon
ensemble et qu’il fussent comptant.
Journée tenue à Triève entre le duc René et la cité. — Puis, apres le
XVe jour de jung de celle année, se partirent de Mets pour aller à
Tresve, à une journée a qui estoit assignée par mon seigneur l’airchevesque de la dicte Tresve et par les seigneurs de Strausbourg pour les
difïérans estans entre la cité et le duc de Loheraine, corne cy devant ait
estés dit (et se thint celle journée le XVIIIe jour dudit moix de jung),
c’est assavoir, ceulx qui partirent de Mets pour celluy fait, se fut sei-

a. Journenée.
1. S’enfla, s’augmenta. Du verbe ampouler.

280 1492, 18 JUIN. — JOURNÉE A

trêves entre

LORRAINE ET METZ

gneur Régnault le Gournaix, seigneur Wiriat Roucel, ambedeux cheva­
liers, seigneur Pier Baudoche et seigneur Nicolle de Heu, ambedeux escuiers et eschevin du Pallax ; accompaignié de quaitre notables seigneur
chanoinnedela GrantÉglise de Metz, c’est assavoir, pour le premier, maistre Henry de Morfontaine, vicaire etchancellier,maistre Jehan Chardelly,
chantre, maistre Jehan Noël,serchier,et seigneur Arnoul de Cléry, chainonne du Grant Moustier et prévost de Nostre Damme la Ronde ; et
maistre Claude Mergueret, licencié en loix et en décret. Puis y furent Jehan
Dexet Mertin d’Inguenhen,ambedeux® secrétaire des seigneurs Septz
de la guerre, et Jehan Aubrion, procureur en la cité ; et plusieurs
serviteurs, soldoieurs, bombardiez, collevreniez, arbolletriés, cuysenier,
ung boullengier et ung tonnelliers. Qui en tout estoient environ LX per­
sonnes. Et s’en allirent par la ripvier, en deux grant nefz : en l’une
estoient yceulx seigneurs et les plussieurs des aultrez, et en l’aultre
estoit la cuysine et plussieurs personnes. Et en menairent force pains
cuyt et grant foison de farrine, VII cawe de vin, ung beufz gras que
coustoit XVIII frans, XII chattrons, cenc poullet ; puis enmenairent
toutte aultrez chose nécessaire, comme febves nouvelles, poix nouviaulx, frèze, serize, oignon, racine x, baccon, fromaige dur et mol, beure
fresches et sallées, œufz, vin aigre, verjus, espice, succre, huille d’ollive,
et tout aultre chose nécessaire pour leur es*at à tenir. Et de Metz se
partirent, et s en aillirent couchier à Remich ; et le lundemain à Trefve.
Et avoient une maison à Tresve, qui estoit audit seigneur Pier Bau­
doche, où il estoient logiez ; en laquelle ne demouroit personne.
Et, le lundemain, mon seigneur de Tresves et deux de ceulx de
Straubourch, c’est assavoir ung chevallier et le maistre des bourgeois,
et les Loherains, vindrent à Tresves. C’est assavoir, pour la partie
desdit Loherains, le seigneur de Crehange, seigneur Jehan Baier, che­
valier, bailly de l’éveschié de Mets, seigneur Jehan de Guenmange 2,* 1
chevalier, et Willaume de Wernepach, le prévost de Ciercquez, Jehan
Lenffant, secrétaire de mon seigneur l’évesque de Mets, et ung des
secrétaire du duc de Loheraine ; et aultres plusieurs. Que en tout
estoient environ XVI personnes.
Et, pour dire et desclairer la manier comment l’on procéda en cest
aflaire, vous debvés sçavoir, comme dit est devant, que la journée
se tint ledit jour, XVIIIe de jung, en l’ostel du Pallas de mon seigneur
de Tresve, en une grande salle haulte. En laquelle y estoit le siège de
mon dit seigneur de Tresve, moult bien parés de tapisserie depuis la
terre jusques à la traveure 3 ; et, au plus hault, y avoit ung ciel de
moult riche tapisserie ; et, tout à l’entour, par le lieu où le Conseil dudit
seigneur de Tresve debvoient estre assis, estoit tappicerie sur les bancque
a. Le manuscrit porte andeux corrigé sur anbeuy (?). Aubrion, p. 300, a emplorjé la
forme ambeduit.
1. Carottes.
2. Jehan de Guenemange (Aubrion, p. 301).
3. Traveüre, ensemble de poutres qui constitue le plafond.

1492, 18 JUIN. — JOURNÉE A TRÊVES ENTRE LORRAINE ET METZ 281

et au dolz, jusques à la haulteur de la teste d’ung homme. On quel
sciège s’èssit mon dit seigneur de Tresves, vestus d’une robe longue
jusques à terre, de fin rouge sattin cramoisin, très belle, et ung bonnet
de rouge escarlette. Et au plus près de luy, à la mains destre, estoit
mon seigneur l’abbé de Sainct Maximien de Tresve ; et après estoient
les aultres docteurs et gens d’Église du Conseil de mon dit seigneur de
Tresve ; qui estoient environ XII parsonnaiges spirituel. Et, à la mains
senestre, au plus près de mon dit seigneur de Triesve, estoit assit le
chevalier d’Astrabourg ; et après estoient les contes, chevaliers et
aultres nobles du Conseil de mon dit seigneur de Triesve ; lesquelles
estoient en nombre environ XIII nobles temporel. Et les seigneurs
commis de la noble cité de Mets estoient assis sur ung bancquez qui
estoit mis au travers de la salle, couvert de tappicerie, le visaige devers
mon dit seigneur de Triesve. Et les Loherains estoient sur ung aultre
bancque, assez prez dudit bancquez où les seigneur commis de Mets
estoient assis.
Et, pour acomencier à entrer en la matière d’ycelle journée, maistre
Jehan Noël, qui estoit au gaige de la cyté, se leva et avansa de perler.
Et, premier, fist la révérance à mon dit seigneur de Triesve ; puis, après,
voult ledit maistre Jehan acomencier à proposer et à dire sa hairangue,
cellon ce que ordonné luy estoit. Maix alors se avansa le prévost de
Ciercquez et luy rompit son propos, et luy meisme acomensa à préposer
et à parler ; et en ce point parloient l’ung parmy 1 aultre, et ne selaissoient dire, tellement qu’on n’y entendoit rien. Et tout pour tant que
chacune partie désirait estre acteur et de parler premier. Touttefïois
mon seigneur de Triesve, voyant ce, fit retirer les parties. Et assambla
son Conseil entour de luy, [et] conclurent du fait. Et puis fist venir
mon seigneur le chancellier de Triesve, mon seigneur le conte de Salmes
et le maistre des bourgeois d’Astrabourg devers les seigneurs commis
de la cité de Mets ; et leur fist prier que, saulf préjudice, il volcissent
souffrir que les Loherains parfissent les premiers, et que ilz responderoient dessus, et puis feraient leur demande comme bon leur semblerait
sur cest requeste 1. Et prièrent et respondirent les dit seigneurs commis
que, pour honneur de monsseigneur de Triesve et à sa requeste, il
estoient contans.
Alors ledit prévost de Ciercquez commansa à parler. Et, pour son
commencement, demandoit à avoir réparacion à monsseigneur de
Loheraine dez poison, et de ce qu’il disoit (comme ilz en avoient jay
tant parlez en Bar et en Loheraine) que aulcuns de messeigneurs de la
cité avoient vollu empoisonner et enherber ledit duc de Loheraine
madamme la duchesse, sa femme, et le marquis du Pont, leur filz.
Item, pareillement, de seigneur Jehan Papperel et seigneur Jehan le
Gournaix, qu’il disoient qu’il avoient vollus empoisonner mon seigneur

1. Ici Philippe reproduit mal Aubrion, p. 302. Il faut corriger : » comme bon leur
semblerait. Sur cest requeste nos seigneurs respondirent que, etc. ».

^82 1492, 18

JUIN. — JOURNÉE A

trêves entre

LORRAINE ET METZ

l’évesquez de Mets. — Item, d’ung homme que ledit prévost de Ciercque
avoit fait prandre pour aulcuns cas ; et, luy estant en prison, il luy avoit
fait jehir 1que deux souldoieurs de la cité, Allemans,l’ung nommésBrache
et l’aultre Xenorbach, avoient vollu par trahison prandre Ciercque. —
Et, avec ce, demandoit plusieurs prisonniers etplussieurs aultres choses
qu’il disoient qui avoient estés faictes depuis la paix faictes par mon dit
seigneur de Tresves, et qu’il disoit estre atantalz sus ledit appointement.
Sur quoy luy fut respondus par ung notable docteur et grant clerc,
résidant à Tresve, que de loing tamps la seigneurie de la cité de Mets
avoient retenus pour leur conseil et pour pourter leur parolle, ad cause
qu’il convenoit parler en allemant. Et dit celluy docteur et respons que,
au fait des dites poisons, les Loherains à tort et sans cause en chergeoient lesdit de Mets, car jamaix ne furent ne sont ne ne seront tel ;
et comme il estoit à croire et à entendre par ce que lesdits Loherains
en avoient desjay tant parlés que les nouvelles en estoient venues
jusques aux oreilles de Nostre Sainct Perre le Pappe, et que, pour
celluy fait, le chose en estoit déterminée à court de Romme, tellement
que les seigneurs de la cité en estoient et debvoient bien estre quictes
et deschergiez. Et alors en fut monstrée la sentence en présence de mon
seigneur de Tresves, de son Conseil et de ceulx d’Astrabourg ; et fut
celle sentance leute tout en hault. — Et, quant au fait du seigneur
Jehan Papperel et seigneur Jehan le Gournaix, il est tout cler qu’il son
ignorant2 du cas à eulx imposés, comme il appert par ce que, aprezce
que ledit duc de Loheraine leur oit escript la cherge que ung compaignon qu’il avoient fait panre à Geuville leur donnoit, et qu’il s’en
volcissent excuser, ilz leur rescriprent qu’ilz estoient contens d’eulx
aller excuser, par ainssy que mon seigneur le duc de Loheraine leur
donnait bons essurement et soufïisant saulconduit pour y aller : ce
qu’il ne voult jamaix faire, comme il fut monstrez par les lettres et par
ledit essurement. Et fut leute tout en hault devant mon dit seigneur de
Triesve, son noble Conseil, et devant touttes la compaignie. — Quant
au fait de Braiche et de Xenorbach, fut monstré par instrument de
notaire que, à l’heure que ledit malfacteur de Ciercquez fut exécutez,
il cognut que ledit Braiche et Xenorbach n’avoient jamaix parlez
à luy, et qu’il ne les congnoissoit, et qu’il en debvoient du tout estre
quicte et deschargiez, et que, ce qu’il en avoit dit, c’on luy avoit fait
dire par force. Et fut aussy monstrez par lettres sceellées de plussieurs
gentilz hommes qui avoient estés présant à la dicte exécution à faire,
que tesmongnoient que ledit malfacteur avoit descorpés et deschargiez
lesdit Broiche et Xenorbach, tout par la forme et manier dessus dites.
Et fut ledit instrument et lesdite lettre leuttes tout en hault devant
monsseigneur de Triesve, son Conseille, et devant ceulx d’Estrabourg. —
Et, sur chacune desdites aultres articles de cez demandes, il fut res­
pondus par la partie de la cité souffisamment.
1. Gehir, confesser.
2. Corriger : innocent.

1492, 18

JUIN. — SENTENCE RENDUE EN FAVEUR DE METZ

283

Item, après lesdictes responcez faictes, celluy scientificque docteur
fist les demandes de la cité en la manier cy après escriptes. — Et,
premier, dit que le duc de Loheraine tenoit ses païs cloz. — Et soffroit
que Crantze et Biaise corroient en la terre de Metz, et qu’il estoient
receuptz en Bar et en Loheraine, ce qu’il ne debvoient faire selond le
traictié de la paix faicte par monsseigneur de Triesve. — En après,
commen il ne volloit point souffrir que nulz de ses païs paiessent rien
de nulz grains ne rantes qu’ilz debvoient à ceulx de Metz. — Oultre
plus, que luy meisme ne volloit point paier le sel qu il doit tous les ans
à la cité. — Aussy, qu’il ne volloit point souffrir que l’abbé et couvent
de Sainct Mertin devant Mets paissent rien à ceulx de Mets, ne qu’ilz
responde en rien devent les Trèzes. — Et, paireillement, fist demande
d’estre restituéez la cité et les habitans et subgectz d icelle de tous les
maulx et dompmaiges à eulx fait par Crantze et les siens, et par Biaise
et les siens. Et desclairait celluy scientificque docteur, article pour
article, tous les maulx fait audit de Mets depuis la paix faicte par
monsseigneur de Triesve.
Sur quoy fut respondu par celluy prévost de Ciercque, pour ledit
duc de Lorraine, son seigneur, une responce d assez petit effect. Et ne
dit aultre chose fors que lesdit Crantz et Biaise n estoient point à luy ,
et que son païs n’estoit mie clos de murailles, et qu’il ne povoit tenir
trois ou quaitre cens hommes à ses gaiges pour eulx deffandre qu il ne
venissent en la terre de Mets. — Et, au fait des païs cloz, que cecy
n’estoit pas nouvelletés : car on l’avoit fait en France, en Bourgongne,
en la duchiez de Lucembourg et en plusieurs aultre lieu, pour tant que
les païs estoient mal fornis de vivre. — Au fait des deffances c on ne
paie rien à ceulx de Mets, dist qu’il estoit seigneur de son païs, et qu il
y povoit faire telle deffence et ordonnance comme bon luy sembloit. —
Au fait des dopmaiges fait par Crantze et Biaise, dist qu’il n’estoit en
rien subgetz à luy et qu’il ne les povoit constrandre.
Après touttes ces choses dicte et respondue, il estoit tairt (car il
estoit environ lez VI heures après midi) ; par quoy mon seigneur de
Triesve donna congié aux parties jusques au lundemain aux VI heures
du matin. A laquelle heure lesdite parties s’y trouvaient, jusques aux
dix heures devant midi. Et puis y retournaient à une heure après midi,
jusques aux V heures. Et y firent leur réplique d’ung cousté et d’aultre.
Et tellement qu’il se fermirent en droyt. Et n’estoit seullement se droit
couchier que de se qui avoit esté fait depuis la paix faictes par mon
seigneur de Triesve en ensçay x, sans rien touchier au principal de la
matière pour laquelle la guerre avoit premier esté esmeute, et dont mon
seigneur de Triesve et ceulx d’Estraubourg estoient chaîrgiez.
Et, tantost au lendemain, aux VII heures, les parties furent mandée
devant mon seigneur de Triesve, devant son Conseil et devant lesdit
d’Estrabourg. Et illec fut donnée la sentence d’icelluy droit couchiez,
touchant lesdite atantal, a proffit et à l’honneur de la cité. Dont les
1. En en çà.

284

1492, 18

juin.

•—

sentence rendue en faveur de metz

seigneurs commis à cestui fait pour la cité remerciairent grandement
mon seigneur de Triesve, son Conseil et ceulx d’Estrabourg, et le bon
droit. Et incontinant les Loherains, malz comptant et despiteux, se
despartirent du lieu ; et s’en allirent hors de l’ostel mon seigneur de
Triesve, bien maris et confus. Et, comme par despit, firent pourter leur
bagues et proviance en leur nefz, pour en intencion de s’en retourner.
Néantmoins, combien qu’ilz en fussent allez, lesdit de Mets priairent
à monsseigneur de Triesve et à ceulx d’Estraborg que, puis que les
atantalz estoient vueudiez et qu’il avoîent journée assignée au fait
principal, qu’il leur pleut d’oyr les demandes de la cité ; et, par faulte
de respondre, réputer le duc de Loheraine contumas ; et par ycelle
contumas le condenner au principal et aux despens. Et, quant monssei­
gneur de Tresve oyt ce, il mist son Conseil atour de luy. Et puis, quant
il olrent conclus de cest affaire, il fit dire audit de Mets, en sa présance,
par monsseigneur son chancellier, qu’il leur prioit qu’il heussent paciense
jusques à une heure après midi ; et qu’il manderait après lesdit Lohe­
rains ; et que, se il retournoient, il olroit les demandez de la cité, pour y
respondre se bon leur sambloit;et, s’il n’y venoient, que en leur obsence (sic) il olroient lesdictes demande, et y procéderaient comme au
cas appartenroit. Et alors lesdit seigneur commis pour la cité en furent
contens.
Et retornairent à heure assignée. Et aussy firent lesdit Loherains :
car ilz c’estoient ravisés, et avoient fait rapporter leur baigues hors de
la nefz en leur logis. Touttefïois on n’entront point en la matier au
principal ; maix monseigneur de Triesve et ceulx d’Estrasbourg ont
pairlés aux parties, et leur remonstrairent que Ton ne polroit weuidier
le fait principal : car, le lendemain, il estoitle jour du Sainct Sacrement,
par quoy il n’estoit mye jour pour besoingnier ; et le dimenche aprez
estoit le jour de la sainct Jehan Baptiste : Tarbitraige s’eppiroit L Par
quoy il n’estoit possible que, le vandredi et le samedi, on peût oyr les
demandes, responces et repplicques des parties, et pour une sy grande
matier donner la sentance. Et, pour ces chose, priairent aux parties
qu’ilz volcissent ravancier la cherge 2* jusques
1
à Noël, tout en telle forme
et en telle manier corne elle avoit desjay esté faicte ; et que, le temps
pendant, on pernist une journée amiable pour veoir s’ilz se polroïent
accorder ; et, se non, il leur essèneroient3 journée aux parties pour
ouyr leur demande, prandre et recepvoir leur bons 4 et en déterminer
par droit dedens ledit jour de Noël. De laquelle chose à faire a les
Loherains prindrent dilacion de XV jour pour en parler à monsseigneur
le duc de Loheraine, s’il le vouldroit consentir ; et ainssy prindrent
congiez et s’en partirent de Triesve. Et les seigneurs commis de la cité
a. Affaire.

1.

Aubrion,

p. 305 :,« le jour de sainl Jehan Baptiste, que Tarbitraige s’expiroit ».

2. Il s’agit de proroger la mission des arbitres.

3. Ils assigneraient.
4. Leurs preuves.

1492, 10

JUILLET. — JOURNÉE A GORZE ENTRE LORRAINE ET METZ

285

demourairent encor à Triesve le jour du Sainct Sacrement et le lende­
main. Et souppairent cellui jour avec monsseigneur de Triesve, que leur
fist la bonne chier et grant honneur. Et, le samedi, se sont pertis de
Triesve pour retourner à Metz.
Or, pour vous dire de l’estât que yceulx seigneurs commis tenoient
audit lieu de Treisve, sçaichiés qu’il estoient moult noblement et riche­
ment vestus de belles robbes de vellours, de camellot et de fin draps ; et
estoient tous les jours renouvellés ; et aussy estoient les gens d’Esglise.
Et, quant il alloient à la court ou à l’esglise, il avoient tousjours L hom­
mes après eulx du moins. Et tenoient courte ouvertes à touttes gens
que on congnoissoit, réservés aux Loherains. Et tousjours a disner et au
soupper avoient avec eulx des chanoïnnes de Triesve, ou des docteurs,
ou les maistres des bourgeois et les gouverneurs de Triesve. Et tellement
que monsseigneur de Triesve, son Conseil, les bourgeois de Triesve,
tout le peuple de Triesve et les seigneurs d’Estrabourg tenoient grant
compte desdit de Mets et de leur estât, et estoient très content d’eulx.
Item, le jour meisme que les devant dit seigneurs commis pour la cité
retournirent à Mets, revint et retourna en ycelle Hainzellin de Bourgoingne, le merchamps, qui avoit tuez Hannez Hernex, comme cy
devant en aultre lieu ait estez dit. Lequelle Hainzellin, avant son
despart, avoit estés moult longuement fuitif en la Grant Église de Mets
pour celluy fait ; mais, quant il santit c’on le voulloit prandre, il deffigurait son visaige tellement, avec yawe fort et aultre colleur, que, le
jour du grant jeudi, il s’en aillait hors de la cité avec les laidre sen estre
aperseus ne congneus. Toutteffois, depuis, il heust sa paix, comme dit
est devant1 ; mais il perdist ses draps et tous ces aultres biens.
Grant vent. — Et, en celluy tamps, le Ve jour de juillet, il fist une
grande tempeste en Mets et ung grant vent. Et abatit ce vent et reiait
plusieurs airbre ; néantmoins il ne fist aultrez mal.
Course du seigneur de Boursette en la duchiés de Bar. — Item, aussy
en ce meisme jour, Ve de juiellet, le seigneur de Boursette courust et
fist de grant dopmaige en la duchié de Bar : car il y print bien XXX pri­
sonniers, et environ VIIe piesse de bestes.
Le feu en l’hospitalt Sainct Nicolas. — Puis, deux jour après, VIIe jour
du meisme moix de juillet, par ung samedi, le feu se print en la grant
hospital on Neuf Bou[r]ch à Mets. Et y fist de grant dompmaige : car,
dès l’enfermerie jusques à l’esglise, elle fut toutte brûllée ; et aussy
furent touttes les chambres des dammes. Et, se n’eust esté la grant
diligence que on y fist, il y eust heu ung merveilleux dopmaige. Touttef­
fois, quoy qu’il en fût, sy oit il pour plus de mil libvrez de dopmaige,
tant en l’esglise comme en la menandie de léans. Mais tous les aultrez
biens n’eurent point de malz.
Journée tenue à Gorse. — En cellui tamps, c est assavoir le Xe jour

1. P. 133 et 135

286

1492, 27

et

31

juillet.



nouvelles journées a gorze

de juillet, y oit une journée mise à Gourse pour le fait dez desbat qui
alors estoient entre la cité et le duc de Loheraine. En laquelle journée
y oit plusieurs articles faictes, et raportée pour les monstrer à messeigneurs du Conseil. Sur lesquelles lesdit seigneur firent errier reappeller
et remectre ensembles les gens d’Église et le peuple de la cité : c’est
assavoir, de chacune église, aulcuns commis et députés, et, de chacune
paroiches, VIII personnes. Et à yceulx fut monstrés lesdite articles, et
priez qu’il y volcissent aviser. Lesquelle commis, tant pour les église
comme pour le peuple, ainssy le firent ; et corrigeairent ycelle article
emsemble ; puis les ont arrier délivrés à messeigneurs de la cité ; et leur
dirent les causes et raison pour quoy il leur sembloit qu’elle se debvoient
passer \ et non point aultrement (car celles que le duc avoit fait gecter
estoient du tout à la destruction des franchises de la cité). Et dirent
yceulx commis pour la partie du peuple que aultrement l’on ne lez
debvoit passer. Mais les commis pour la part de l’Église disoient que
très bien ycelle article ainsy corrigée estoient à soubtenir et à deffandre,
et que celle que le duc avoit fait gecter estoient périlleuse et dange­
reuse ; et, néantmoins, estoit leur oppinion tel que, se on ne povoit
aultrement avoir la paix, il conseilloient que l’on passait yceulx articles
tout au grés du duc ; et encor, avec ce, que l’on lui donnait argent pour
avoir paix. Et, quant les seigneurs et gouverneurs de la cité virent que
lesdit de l’Église et lesdit commis pour le peuple estoient de diverse
oppinion, alors leur requiert qu’il voulcissent ellire VIII personne de
chacune pertie (c’est assavoir VIII pour l’Église et VIII pour le peuple) ;
et que les XVI personne devant dicte se woulcissent trouver à une
heure dictes en la chambre du Conseil avec les seigneurs commis pour
débattre et discuter de cest affaire, et pour concorder lesdictes article,
s’il estoit possible. Ce qu’il firent ; maix, quoy qu’il en fût, les gens
d’Église demourairent tousjour en leur oppinion et ne volrent rien
oppiner avec les seigneurs devant dit ne avec les commis du peuple ;
et s’en despartirent sens aultre chose faire. Et alors lesdit seigneurs,
avec les commis du peuple, oppinairent et riglaïrent lesdit articles, et
les mirent en bonne forme par acort.
Puis, après, au XXVIIe jour du meisme moix de juillet, y oit de
rechief une journée à Gorse. A laquelles furent les seigneurs commis en
cestui fait ; et, là, ont monstré les articles corrigée pour la pairt de la
cité. Et, au lundemains, retournairent à Mets, pour tant qu’il y avoit
aulcune desdites article que les Lorrains différaient. Et pour cest cause
fut errier le Conseil assemblez pour en conclure. Et tellement que, le
dernier jour de juillet, lesdit seigneurs commis s’en rallirent à Gorse
pour ce fait. Et retournirent encor, pour le meisme jour, sans rien
faire.
Le feu à la Hongrie à Méclowe. — Par quoy, tantost après, c’est

1. Il faut suppléer, pour le sens :« que les articles se devaient ainsi passér *, qu’ils
devaient être rédigés sous cette forme (avec ces corrections).

1492,

SEPTEMBRE. — INTERDICTION DE SORTIR DES VIVRES DE METZ

287

assavoir le premier jour d’aoust, Biaise boutta le feu à la Horgne à
Mescloive 1 ; et fut tout te brûllée.
Et, le 1111e jour après, fut prins et pandus a gibbet de Mets l’ung des
homme dudit Biaise 2.
Et, deux jour après, VIe jour du meisme moix, seigneur Nicolle de
Heu, grant aulmonnier, espousait sa femme; et y oit grant triumphe.
Puis, le VIIe jour dudit moix, Biaise corrust à Foville, tuait ung
homme, et fist grant dopmaige : car il emmenait plusieurs beste.
Item, le IXe jour dudit moix d’aoust, les seigneurs commis pour la
cité s’en retournairent à Gorse. Et pairellement ne firent encor rien
pour le fait de la paix.
L’empereur à Strasbourg. — En celle année, l’empereurs et le Roy
des Rommains, son filz, firent une merveilleuse armée pour aller en
l’encontre de Charles, roy de France. Et estoient ledit ampereur et son
filz à Strabourg le XIIIe jour d’aoust. Et, en ce meisme tampts, vinrent
nouvelle que le devant dit Roy des Romains voulloit venir à Mets ;
par quoy, pour en sçavoir la vérité, fut envolés le seigneur Jehan
Chaverson devers luy. Lequelle se partit de Mets pour cest affaire le
XVIIe jour d’icelluy moix d’auost.
La mort du pape Innocens. — Et, aussy en ce meisme tamps, le
XXIIIe jour du meisme moix, mourut Nostre Sainct Perre le Pappe
Innocens.
Et, le XXVIIIe jour dudit moix d’aoust, retournait erner en Mets
le devant dit seigneur Jehan Chaverson d’Astrabourg de devers le
Roy des Romains. Et rapourta bonne nouvellez pour la cité. Et luy
fist, le Roy grant chier : car il luy donnait XII aine de fin vellours ; et a
deux secrétaire donnait le Roy à chacun ung pourpoint de sattm. Et
pairlait ledit seigneur Jehan plusieurs fois à luy.
Deux compaignon pendus. — A ce meisme jour furent pandus et
estranglés deux compaignon : l’ung estoit des gens de Crantz et 1 aultre
avoit tués sa femme.
Le tamps fut essés bien dispousés pour celle année, et oit on les vivres
à compétant merchief, cellon le tamps dez guerre, et cellon que les
chemin estoient tousjour cloz. Et fut l’anné essez atampérée et par
tans 3 : car les chaukeu estoient cloz VIII jour devant la sainct Remey.
Huchement. — Et, tantost après la vandange, fut fait en Mets ung
huchement et ung commandemant par toutte la terre d’icelle que nul
ne menait ne ne vendît rien pour mener hors de la terre et jurediction
de Mets : c’est assavoir bledz, grains, ne vin ny aultre vivre. Et a portes
de la cité fut ordonnés de paier, pour chacune cawe, XXII sols d issue :
encor permi que l’on feroit serment que ledit vin n’estoit point pour
mener en Bar ny en Loheraine. Par quoy, les nouvelle venue à la
1. La Horgne à Mécleuves ; sans doute La-Horgne-au-Cheval-Rouge, ferme, commune de Chesny (Moselle, Metz, Verny).
2. Un homme de Crantze, d’après Aubrion, p. 308.
3. Par temps, précoce.

288

1492,

NOVEMBRE. — LE ROI DES ROMAINS A METZ

coignoissance du duc René, fist close ses chemins plus que devant, et
remforser ses commendemant contre lesdit de Mets.
Enffans congé de part Justice. — Item, en cellui tamps, y avoit des
josnes enffans, et filz de riche bourjois de Mets, lesquelles se gouvernoient très mal : c’est assavoir en vouluptés et mondanités ; et despandoient toutte leur sustance. Et avoient yceulx anffans fait entre eulx
ung abbé qu’il appelaient de Mal Gouverne, et pareillement ung
prieur ; et faisoient raige ensemble. Par quoy les seigneurs de la Justice,
voyant leur gouvernement, les mandairent devant eulx, puis leur
remonstrairent la dissolue vie que de jour et de nuyt il menoient,
comme de juer aux jeux deffandus, taverner, ribaulder et plusieurs
aultres dissolucion ; et leur fut dit que, s’il n’y mestoient remède, on les
pugniroit comme a cas apartenroit. Touteffois leur fut priés desdits
seigneurs qu’ilz y donnissent provision. Mais, non obstant celle bonne
et courtoise remonstracion, V jour aprez, une pertie desdits anffans se
trouvaient de nuyt par la ville ; et tellement se combaitirent ensemble
qu’il en y oit des navrés. Pour laquelle chose ceulx qui estoient corpable
du fait s’en fuyaient aux Carmes. Et tantost fut fait ung huchement
sur eulx, qu’il ce vincent escuser dedans VII nudz, ou l’en procéderoit
sur eulx. Et fut encor huchié que on ne leur donnait à boire ne à manger,
vestemens ne aultre chose nécessaire, ne perler à eulx ; et, qui autre­
ment le ferait, il serait acquis de corps et de biens. Et entre yceulx
anffans y estoit Jehan Faubel, le filz du chainge et de la monnoie, et
plusieurs aultres de bonne maison, jusques à V personnaige. Mais, pour
ce que lesdit V anffans ne se vinrent point escuser, il furent condempnés
à paier entre eulx VIXX livres d’amende, ou perdre chacun ung poing ;
et furent encor comdempnés à paier le barbier et la giste jus 1 de ceulx
qui estoient blessiés.

[MAXIMILIEN, ROI DES ROMAINS, A METZ].

Le Boy des Romains arivés à Mets avec xvjc chevaulx. ■— Tantost
après, c’est assavoir le VIe jour du moix de novembre, que fut ung
mairdi, vint à Mets Maximilian, Roy des Romains et filz à l’empereur
Phédrich, lors vivant. Et entrait par la porte du pont des Mors, accompaignié de plusieurs princes et seigneurs, et aultres gens, au nombre de
XVIe chevaulx ou environ. Et vint sy subittement que on ne s’en
gardoit point. Par quoy la seigneurie de la cité firent tantost préparés
leur trayns et luy volrent aller au devant, et aussy firent les gens
d’Église : mais il mandait que l’on ne s’en travaillait de riens, et que

1. Les frais de médecin (barbier) et les soins (gîte jus).

1492,

NOVEMBRE. — PRÉSENTS OFFERTS AU ROI DES ROMAINS

289

l’honneur en appartenoit à son perre, comme empereur. Touteffois les
seigneurs luy allairent au devant jusques au chïef du pont des Mors ; et
là print le maistre eschevin le serment de luy. Et jurait ledit Roy qu’il
lasseroit la cité en ses franchises et libertés, et qu’il, luy ne les siens, ne
feroient desplaisir ne dopmaige à la cité. Et en mairchant tout doulcettement s’en vindrent, tousjours avec luy, jusques à la Grant Église. Et
avec eulx vinrent et estaient ordonnés plusieurs anffans, vestus de
sorpellis, ayant chacun ung pillés de cire en la mains ; et les gens d’Église
l’atendoient en la Grant Église. Et, quant il vint devant ycelle église,
là trouvait ung biaulx paille ou ung ciel que l’on avoit apereilliez pour
pourter sus luy. Et fut celluy ciel pourtés par quaitre seigneurs : c’est
assavoir par le seigneur Conraird de Serrier, alors maistre eschevins de
Mets, seigneur Andrieu de Rineckquez, seigneur Régnault le Gournaix
et seigneur Wyriat Rouscel, tous trois chevaliers. Et, quant il vint
devant le portai de l’église, le souffragant de la cité estoit revêtus en
abit pontifïical, la mitte en la teste ; et tenoit en ses mains la vraie
Croix, laquelle il donnait à baiser audit Roy. Et puis, se fait, entrairent
tous en l’église, et alors les orgues commensairent à sonner, les chantres
à chanter Te Deum laudamus, à grant feste et à grant honneur.
Le Roy des Romains logiés à la Court l’évesque. — Et, quant le Roy oit
fait son oréson, il s’en vint logier au logis que l’on luy avoit fait aprester :
c’est assavoir en la Court l’évesque, laquelle les seigneurs commis en
cest affaire avoient fait moult biens apointez de lictz, de linge, de
mesnaige, de cuxine ; et avoient fais refîaire touttes les verrières,
remettre à point les huys, les fenestres, les serres ; et l’ont proveu de
bois, de fagotz, de charbon, de foing, d’avoine, d’estrain, de chandoille.
Et avec ledit Roy vinrent en Mets le merchault du Sainct Empire,
qui portoit l’espée devant le Roy des Romains, l’évesque d’Anstat, le
duc de Roussewich l, le merquis de Brandeburg, le conte de Naussowe,
l’embassade du roy de Hongrie, le conte de Tristain 2, le conte de Biche,
le seigneur du Fay, seigneur Mertin de Pollen, chevalier de l’ordre du
Toison, et plusieurs aultres grant seigneurs.
Présent jail audit Roy. — Le lendemain de sa venue, la cité luy fist
présent de VIII gras beufz, L chastrons, XII cawe de vin, cenc quairte
d’avoine. Et luy furent ses chose présentée par seigneur Conraird
de Serrier, alors maistre eschevin de Mets ; lequelle estoit ung biaulx
parsonnaige et révérand. Et aussy luy avint moult bien à luy dire qu’il
prenist en grey se petit don, et en disant qu’il thînt la cité pour escusée
d’autant que le présent n’estoit pas grant, et qu’elle et le pays entour
avoient naigaire estés fort traveilliez, foullés et adopmaigiez de la
guerre de Loheraine, et que, se ne fût cella, la cité eust mieulx fait.
Et le Roy fist responce, par ung de sez conseilliers, qu’il prenoit ledit
don bien agréable, et que bien lui plaisoit.
1. Bronssewich dans Aubrion, p. 312.
2. Triesten dans Aubrion, loc. cit.

290 1492,

NOVEMBRE. — SUBVENTION ACCORDÉE AU ROI DES ROMAINS

Doléance du Roy des Romains aux seigneur de la cilé. — Et luy fit dire
qu’il estoit venus en la cité pour deulx chose prïncipalle. La premier,
pour manifester et faire assavoir l’injure que Charles, roy de France,
luy avoit fait, tant de ce qu’il avoit heu espousé sa fille et que depuis
l’avoit lessée, comme de ce que encor luy avoit prins et ravis sa femme,
la duchesse de Bretaigne : pour lesquelles chose il estoit délibéré de luy
faire la guerre, et en avoir la raison, s’il estoit possible. Et l’aultre
cause estoit qu’il estoit bien informés que le duc René de Loheraine
avoit faict et pourté grant dopmaige à la cité et au païs subjecgt, et que
encor n’en estoit point la paix faictes, et qu’il avoit intencion d’en faire
la paix avant son despertement. Et pour ce mandait audit de Lohe­
raine qu’il vînt ou envoiait devers luy en Mets.
Aullre présent fait de part la cité. — Paireillement, après les présent
fait au Roy comme cy devant est dit, furent par la cité faict plusieurs
aultres présens, particulièrement aux princes du devant dit Roy.
Et, premier, au duc de Bronssewich, deux beuf, deux cawe de vin et
XX quairtes d’avoines. Et, au lantsegreve de Hesse, deux beufz, deux
cawes de vin et XX quairtes d’avoinne. A l’évesque d’Anstat, ung beuf,
une cawe de vin et XX quairtes d’avoinne. Au merquis de Brangbourg,
deux beufz, deux cawe de vin et XX quairtes d’avoine. A ceulx de
Triesves, deux bouttelles devin, chacune de VII quairtes. Aumareschal
du Sainct Empire, VI bouttilles de vin, chacune de VII quairtes, et
XX quairtes d’avoine. A ceulx de Haguenowe, deux boutteille de vin,
chacune de VII quairtes. Au merquis de Baude, deux beufz, deux
cawe de vin, XXV châtrons et XL quairtes d’avoine. Au conte de
Sorne, ung beuf, une cowe de vin et XX quairtes d’avoine ; au conte
de Naussowe, autant ; et au conte d’Aithault 1, autant. Et au conte de
Salmes et à une ambassaude de Collongne, VIII grosse boutelles de vin,
et pour LXIII sols de poissons 2.
Le Roy mande les comys de la cité. — Item, le lundemain, deusiesme
jour de sa venue, le Roy mandait les commis de la cité. Et leur fit plu­
sieurs demandes bien estranges. Et, premièrement, que la cité luy fût
ouverte, pour luy et pour ses gens, en faisant la guerre au roy de France ;
et que on luy prestait l’artillerie de la cité ; et que on le voulsist fornir
de vivre ; et que chacun mesnaige de Mets et de tout le pais et jurediction d’icelle luy donnaissent ung florin d’or.
Les commys s’acorde d donner aux Roi XIII mil florin pour ung colpt.—
Alors lesdit seigneurs commis rapourtairent au Conseille les demandes
devant dictes ; [et] conclurent ensemble que ce n 'estoit point chose
raisonnable, et qu’il redonderoit à grant et dangereuse conséquence ; et
que mieulx luy valloit à donner une somme d’argent pour une foix.
Et, pour abrégier, furent d’acort de lui donner XIII mil florins de Rin,

1. Enhault (Aubrion, p. 313).
2. Ici Philippe semble avoir confondu deux présents différents (Aubrion, ibid.).

1492,

NOVEMBRE. —■ SÉJOUR DU ROI DES ROMAINS A METZ

291

en condicion telles qu’il debvoit faire la paix au duc de Loheraine ;
et en debvoit on paier la mitté comptant, et l’aultre mitté quant
celle paix serait faictes. Et alors furent mandés plusieurs bourjois de la
cité pour pretter argent pour fornir la dites somme. Laquelle en brief
espaisse fut trouvée, en leur donnant bon gaige. Car, alors, la cité n’avoit
point d’argent, pour la grant despance qu’il avoient heu fait durant celle
devant dicte guerre.
L’estât dudit Roy. — Le tamps durant que le Roy estoit en Mets,
comme dit est, plusieurs fois il oyt messe à la Grant Église et aus
Augustins, et aulcunefois en la Court l’évesque. Auquelle lieu il se
tenoit en une chambre hault qui prant clartés devant le Moustier a ; et
estoit celle chambre toutte tandue de tappicerie. Et en celle chambre
dînoit le Roy tous lez jour et souppoit, tous seul à une tauble, réservés
son folz qui luy tenoit compaignie. Et à tous les repas, tant au dînés
comme au soupper, y avoit dix que trompettes que clérons qui trompoient et businoient. Et, avec ce, y avoit deux groz tamborins de fin
couvre, en manier d’une chaudier, lesquelles estoient couvers de grosse
piaulx d’asnes, et tenoient environ X chauderon d’yaue ; et estoient
ses instrument sur ung chevaulx, d’ung cousté et d aultre, comme deux
benaistres 1 ; sur lesquelle chevaulx y avoit ung homme, essis au meylieu, qui avec gros batton les frappoit et tambourroit. Et acordoit
avec ycelles trompettes, à la mode de Turquie et de Honguerie, qui
estoit chose merveilleuse et triumphantes à ouyr.
Avec le Roy des Romains vint en Mets ung Cordelliers, qui perloit
ung langaige en manier d’ung Piémontoy. Cellui Cordelliers fist plusieurs
biaulx sermon de la conception Nottre Damme ; et courrait tous le
monde après pour l’ouyr. Et tellement que, par l’airmolne des bonne
gens, il fist faire ung autel de boix en l’église des Frères Cordelliers
Sur le Mur, auquel autel se firent plusieurs miracles. Par quoy, tantost
après, on fist rompre le mur ; et y fist on faire la neufve chappelle de la
Conception Nostre Damme que à présant y est.
La chapelle édifiée aux couvent des Cordellier. — Puis, par aulcune
année après, ung merchamps de la cité, nommés Hanry, de Maizelle,
fist faire là après la chaippelle de l’Anonciacion telle que à présant vous
la veés.
Guet ordonnés pour garder la ville. — Item, pour vous advertir quelle
gayt on faisoit en la cité tant de nuyt que de jour, premier sçaichiés
que les porte estoient bien gairdée, à chacune porte de quaitre bourjois,
corne la coustume en est ; et estoient souvant visitée par les Trèzes et
sergens. Paireillement, de nuyt, on faisoit le gait à chevaulx autour de
la cité ‘ et par dessus les murailles se faisoit l’essairgaitte à piedz , et
chevalchoient les soldoieur toutte la nuyt parmy la cité pour ouyr et

a. Moustrier
1. Bancaire
un panier sur

292

1492, 16

novembre.

—•

le roi des romains quitte metz

escouter que aulcuns bruyt ou mocion se fist. Et y avoit feu ordonnés à
brûller toutte la nuyt par tous les carrefours, et gens qui y gairdoient
touttes la nuyt ; et, avec ce, estoit ordonnés que chacun ménaige eust
une lumier ardant devant son huys. Et fist on venir plusieurs des bonnes
gens du païs, embastonnés ; et les avoit on mis en des grainges par la
cité, pour s’en aidier s’il fust estés de besoing.
Le lundi après, le Roy fut sur les woultes de la Grant Église et és deux
grant clochiés.
Arras prime par les gens du Roi des Romains. — Item, en se meisme
jour vindrent nouvelles audit Roy, luy estant encor à Mets, que la cité
d’Aras estoit prinse par ses gens ; desquelles nouvelles il fut fort joieulx.
Au lundemain, qui fut mairdi, vindrent à Mets le bailly de l’éveschiez,
le présidant de Loheraine et le prévost de Ciercque en embassaude
devers le Roy des Romains.
Ambassade de Flandre à Mets. — Puis, le macredi, le Roy se cuidoit
partir de Mets ; maix il luy vindrent nouvelles que le roy d’Angleterre
et le roy d’Espaigne avoient triesves au roy de France et qu’ilz estoient
sur le point de faire paix, et que l’embaissaude du roy d’Angleterre
debvoit venir parler à luy. Par quoy ledit Roy demourait et ne partit
encor point de Mets.
Et, le jeudi ensuiant, XVe jour de novembre, vindrent et arivairent
en la cité plusieurs seigneurs du Conseils de Flandres pour parler audit
Roy des Romains.
Prisonniés délivrés. ■— Item, à la venue dudit Roy, ceulx desquelle
par cy devant je vous ais heu parlés 1, qui estoient en franchise aux
Carmes, olrent leur graice de l’amande en quoy il estoient jugiés ; et en
furent tous quictes, par la graice du Roy, réservé qu’ilz paierrent le
barbier et la giste jeu de ceulx qui avoient estés bréciez 2. — Et pareille­
ment olrent graice quaitre compaignon qui avoient estés forjugiés, pour
aultre cas qu’il avoient fait ung poc devant sa venue. — Item, aussy
à sa venue, fut donné graice à ung compaignon d’Ancey, appellés
Fumier, lequelle, pour certains cas criminel dont il avoit estés accusé
à Justice, estoit condempné à estre toutte sa vie en l’ostel du doien ; et
y avoit desjay estés X ans et X moix ; mais alors il fut délivrés franc et
quicte, combien qu’il avoit perdus les piedz et lez jambe.
Le Roy des Romains se part de Mets. — Puis, après ses chose ainsy
faictez, le vendredi XVIe jour de novembre, se partit le Roy des Ro­
mains de la cité de Mets, et tous les princes avec luy, à noble compaignie. Et paiait chacun son hoste gracieusement. Et s’en aillait le Roy
couchier à Raville. Et fut conduit par plussieurs des seigneurs de la cité
environ demi lue loing : c’est assavoir par seigneur Conraird de Serrier,
alors maistre eschevin, seigneur François le Gournaix, seigneur Ré­
gnault le Gournaix le josne, seigneur Jehan le Gournaix, seigneur
1. P. 288.
2. Blessés.

1492, 30 NOVEMBRE. — JOURNÉE A BRISACH ENTRE LORRAINE ET METZ 293

Jaicque Dex, et par le seigneur Jehan Xavin, et par plusieurs des
souldoieurs de la cité. Et estoient yceulx seigneurs moult noblement
armés et abilliez, et leur chevaulx bardés de riches bardes x, avec grosse
campaigne 12 d’argent sur la croippe et on col de leur chevaulx, et avec
riches chanfrains et grant plomairt3 dessus. Et en cest estât conduirent
le Roy jusques à la Croix du Mont ; et, là, ont prins congiés de luy.
Promesse, de petiîte value. — Et promist le Roy, avant son despart,
que dedans brief terme il ferait la paix de la guerre esmeutte entre la cité
et le duc René de Loheraine. Et, parmi ce, on luy promist de luy encor
donner VI mil et Ve florin de Rin. Et alors le Roy fist tant que les
chemin de Bar et de Loheraine furent ouvers ; et fist assigner entre les
partie une journée à Brisacque pour le dernier jour de novembre. Mais,
dès incontinant que le Roy en fut allé, le duc René fist errier recloire ses
chemin comme devant.
Aprez le despairt du Roy, furent renvoiés lez gens de villaige du païs
de Mets chacun en sa chascune ; et fut cessés de plus faire l’aissairgaitte,
ne de faire les feu par la ville, ne de mettre la clairtés a huys.
Les seigneur de Mets à Brisack.— Item, le XXVIe jours de cemeisme
moix de novembre, se pertirent de Mets on nom de la cité le seigneur
François le Gournaix et le seigneur Jehan Chaverson, maistre Jehan
Noël et Mertin, le clerc des Septz de la guerre, et plusieurs aultres, au
nombre de XV chevaulx, pour aller à la journée devant dicte à Bri­
sacque, devant la personne du Roy des Romains, en l’encontre du duc
René de Loheraine.
Le merquis de Bande à Mets. —- Et, durant le tamps que les seigneurs
devant dit estoient devers le Roy, comme dit est, vint de rechief en
Mets le mairquis de Baulde, acompaigniez de cenc chevaulx, bien en
point, et ses gens furent lougiés par les villaige ; mais il n y furent que
une nuyt.
Durant ce tamps que le Roy vint en Mets, et plusieurs jours après,
il fist ung merveilleux tamps de pluye ; par quoy les yawe furent fort
grandez et hors de rive.
Huchemenl de raicheter les meubles qu’on avoit aux Lumbair.
Item,
le XVe jour de décembre, l’on fist en Mets ung huchement sur la pier,
que tous ceulx et celles qui avoient aulcuns gaiges au Lombairt les
heussent raichetés dedans le jour de la Chandelleur après venant, ou que,
aultrement, la cité en ferait son proffit. Lesdit Lombairs se tenoient en
une belle maison Dessus le Mur, qui fait le coing devant les Cordellier.
Et estoit tout le proffit à la ville ; qui estait ung moult grant plaisir et
ung moult grant bien pour pouvre gens : car, à touttes heure, et pouvre
et riche y estoient recouvers sus gaige, en paiant ung petit pris, qui

1. Barde, armure défensive du cheval. C’est précisément à cette époque que les
bardes prirent une grande importance décorative,
2. Campane, cloche.
3. Plumart, panache.

294 1493 N. ST., JANVIER.— INTERDICTION

AUX LORRAINS D’ENTRER A METZ

n’estoit pas le dire « grant mairsy ! ». Mais, à la requestes des Frères de
l’Observance, il furent ostés et abaitairdis.
Tantost après, le XXIIIe jour du meisme moix de décembre, revin­
rent en Mets les seigneurs commis pour la cité de devers le Roy des
Romains. Mais ilz ne ramenairent point l’ung des secrétaire de la cité,
nommé maîstre Henrey : car il se laissait cheoir à l’avallée dez degrez en
une maison à Lure, en Bourgongne, et fut ass[ommé] a tout roide ;
et voult on dire qu’il avoit estés bouttés. Et [ne] fut rien fait à celle
journée touchant de la paix.
En cellui tamps, il fist ung merveilleux froit, et plus qu’il n’est de
coustume, souverainement les feste de Noël durant.
Item, durant ce tampts, le Roy des Romains conquestoit fort le pays
de la Haulte Bourgoingne. Et vinrent nouvelle à Mets que le roy Charles
de France y envoyoit plus de X mil combattans ; desquelles estoient
chiefz et cappitaine le prince d’Orange.
Les ij filz de Ferrando de Naples à grant triumphe. — Durant ce
tamps, c’est assavoir le XXIIIIe jour de janvier, retournairent plusieurs
gens de biens de Romme à Mets ; lesquelles dirent pour vray que, peu
de tamps avant leur despairt de Romme, le roy Ferando de Neaple
avoit heu envoyés deux de ses filz par devers Nostre Sainct Perre le
Pappe pour reprandre de luy. Et estoient yceulx anfïans du roy acompaigniez de VI cenc chevaulx moult noblement parés et vestus. Et,
entre les aultres choses triumphantes, le chevaulx de l’ung d’yceulx filz
avoit ung chanffraîn qui fut estimés et prisiés par trois orphèvres de
Romme à cenc mil ducatz. Et avoyent yceulx frères cenc et LXXV mulletz tout chairgiés d’or et d’argent, de draps d’or et de soye, et de plu­
sieurs aultres chose précieuses, servant aux estatz desdit frère, anfïans
de Farrando, roy de Neaples, de Pouylle, de Callaibre et de toutte lé
grant Cecillye.
Edict en la cité contre ceulx de Lorenne. — Mais, en retournant à mon
prepos, pour tant que le duc René de Loherainne tenoit tousjours ses
chemin clos, comme dit est devant, et ne laissoit riens amener à Mets,
fut ordonnés par les seigneurs et recteurs d’ycelle cité que l’on ne laissait
entrer en Metz nulz, queulx qu’ilz fussent, des deux duchiés de Bar ne de
Loherainne, se on n’avoit enseigne de trois Trèze du moins.
Cris publiés aux paiis de Lorainne. — Item, en ce meisme tamps, le
devant dit René, duc de Loheraine, fist crier à son de trompe par tous
ses pays que de [se jour] en avant l’on ne l’apaillait aultrement que rcy
de Jhérusalam et de Secille, et que à son filz, qui alors estoit merquis
du Pont, fût donnés le tiltre de duc de Callabre.
François deffaid près de Sallin en Bourgongne. — Tantost après, le
XXVIe jours de janvier, vinrent nouvelles à Mets que le Roy des
Romains avoit desjay gaingniez Sallin en Bourgongne ; et qu’il voulloit
a. Une légère déchirure du papier a enlevé quelques lettres.

1493

N. ST., MARS. — SOLDATS BOURGUIGNONS AU PAYS DE METZ

295

aller asségier le chasteaulx de Brachon, sceant devant la dite Sallin.
Et y faisoit conduire son artillerie par environ IIIIXX chevaulx et
Ve piettons allemans. Sur lesquelx vindrent frapper bien quaitre mil
François ; et se combaitirent environ VI heures et plus ; mais à la fin
furent les François desconfis, et en y oit bien deux mil des tués, entre
lesquelles y avoit plus de cenc noble hommes sur chevaulx bardés,
et fut Partellerie rescousse.
En ce meisme jours que ses chose se faisoient vint Biaise en Mets.
Dont plusieurs gens de la cité furent bien embahis, veu les grans mal
et dompmaîges qu’il avoit fait on païs de Mets. Maix on dit communé­
ment qu’il fault faire cellon le tamps.
Ordonnés en Mels de n’adm[ener] nulz poisson des deux duchiés.
Item, paireillement durant ce tamps, pour tant que le duc de Loherainne tenoit tousjours ses chemin clos, corne dit est devant, il fut encor
ordonnez par les seigneurs et recteurs de la cité que l’on ne lessait entrer
en Mets nulz poissons quelconques de la duchié de Bar ne de Loheraine.
Par quoy ledit duc et ceulx de ses pays en olrent grant dompmaige :
car, en ce tamps, l’on peschoit l’estang de Dueuse, l’estang de la Chaulcié et plusieurs aultres estangz en Bar et en Loheraine ; lesquelles
furentàdemi gaittées ad cause que l’on ne les sçavoientàqui vandre. Dont
il leur convint recloire plusieurs desdictes estangz,et cessèrentde peschier.
Porcession ordonnée pour [plusieur] cause. — En celle meisme année,
le XXVIIe jour de febvrier, on fist une belle porcession généralle à
Metz ; en laquelle furent pourtées la plus part des fiertés et relicques de
Mets. Et fust celle dicte pourcession faicte pour quaitre raison prin­
cipales : premier, pour la disposicion' du tamps ; secondement, que
Dieu, par sa bonté, vueille mettre paix entrez les roy des Romains et de
France ; tiercement, que Dieu mist paix entre le duc René et la cité ; et,
quairtement, que Dieu garde la cité d’ipidimie et pestilance (car tout le
pays entour en estoit pugnys).
vj mil Bourguignon permei le paiis de Mels. — Item, le IXe jour de
mars ensuiant, vindrent logier en la terre de Mets, souverainement
on Hault Chemin, environ VIm Bourguignons qui alloient à l’ayde du
Roy des Romains. Desquelles il en vint grant quantittés en la cité
pour eulx refl'aire et pour achecter ce que besoing leur estoit. Et estoit
leur cappitainne le petit Salzaire. Et faisoient yceulx gens d’armes
dopmaiges innumérables ez villaiges où ilz estoient logiez.
Trêves entre le roy de France et Maximilian; dont le paiis de Mets fut
intéressé}. — Puis, tantost aprez, c’est assavoir le XIIe jour du meisme
moix de mars, vindrent nouvelle à Mets (et aussy il estoit vray) que lez
roy de France et des Romains avoîent triêve quaitre moix durant.
Pour laquelle chose lesdit Bourguygnons retournairent ; et s’en vindrent
logier en la terre de Mets, par sur la ripvier de Niedz. Et y firent de
moult grant dopmaiges : car, là où il ne trouvoie point de vivre, il
bouttoient tout à destruction et à ruyne, comme c’il fussent estés de
bonne guerre.

296

1493, 26

mars.



départ des bourguignons

Mais de ces chose vous lairés le pairler et revenrés a maistre eschevin
et à plusieur aultrez besoingne.

[l’année

i493].

Mil iiijG iiijxx et xiij. — A la sainct Benoy après, qui est le XXIe jour
du moix de mars, fut fait, créés et essus pour maistre eschevin de Mets
pour 1 an mil quaitre cent IIIIXX et XIII le seigneurs Jacques Dex,
d’Oultresaille ; qui fut alors l’an LIIIIe et dernier année du devant dit
seigneurs Phéderich, ampereur, et l’an VIIIe au Royaulme des Romains
de Maximilian, son filz.
Violance perpétrée par les Bourguignon en la personne d’ung seigneur
chief de Mets. -— Or avint, à celluy meisme jour, que aulcuns de yceulx
devant dit Bourguignons se bouttairent et à force ce vinrent lougier
à la forte maison de Montoy, apertenant au seigneur Jehan Chaverson ;
et tellement ont battus le maire dudit seigneur qu’il luy ont rompus
bras et jambes. Pour laquelle chose ledit seigneur Jehan, comme
malcontent, montay à chevaulx, luy quaitriesme de souldoieur, et s’en
allait à Montoy. Et alors saillirent hors de la plaice les Bourgongnons, et
mirent à la chaisse ledit seigneur Jehan, avec ses gens, jusques au
bourde à Vaillier ; et là se combaittirent tellement que ledit seigneur y
fust fort navrés par le visaige, et oit quaitre dens de la bouche coppés
tout parmi. Et y fut tués ung appelles Jehan de Loheraine, qui estoit
oncle bastairt dudit seigneur Jehan Chaverson (car il estoit filz bastairt
du seigneur Nicolle Grongnat). Et fut Pier, de Nouvian, le souldoieurs,
prins et menés à Montoy. Toutteffois, cellui qui frappait ledit seigneur
Jehan ne l’oit pas du tout d’aventaige 1 : car il fut navrés par ung des
compaignon soldoieur de la cité, appellés Lodovicque.
Ceulx de Mels sur leur gairde. — Et, tantost après, le XXVIe jour de
mars, se partirent tous yceulx Bourguygnons de la terre de Mets ; et
s en aillirent lougier on Bairroy. Et, alors, l’ung d’iceulx Bourguignon,
qui avoit estés à Montoy, défilait la cité, pour aulcune meschante de­
mande qu’il faisoit au seigneur Michiel le Gournaix à cause d’ung pri­
sonnier de Rombay. Et, assez tost après, destroussairent une chairette
de draps apertenant au aulcuns drappier de Mets qui venoient de fouller
à ung mollin foullant par devers Moyeuvre. Par quoy, pour ces chose
et plusieurs aultres, l’on faisoit en ce tamps aussy gros gait à Mets que
durant la guerre, tant aux portes que par les feux des carrefors.
Maison brûllée en Mels. — Item, durant ce tamps, le premier jour
d’apvril, à VIII heures de nuyt, fust arse une maison oultre la ripvier

1. Ce ne fut pas pour lui tout bénéfice. Du tout, entièrement.

1493, MAI. — MARIAGE DE PHILIPPE DE VIGNEULLES

297

de Saille. De quoy on en fut fort troublé en la cité, pour l’occasion des
gens d’armes qui estoient en l’entour.
Et, le second jour aprez, qui alors fut le grant mécredi, à l’heure que
l’on chantoit les Ténèbres, se troublait tellement le tamps, et se print
treffort à tonner et à aloyder, et causy aussy fort que se fût esté 1 en
jung ou en juillet ; et durait tout parmy les Ténèbres, jassoit qu’il faisoit
bien froit.
Fouriune advenue auprez de la ville de Longe[ville]. — En ce meisme
tamps, avint plusieur aultres avanture. Entre lesquelles avint que, le
XXIIIe jour d’apvril, jour de la sainct George, y oit ung charton qui
emmenoit une femme et trois enffans de Rouserieulle à Mets ; et, quant
il vint à Longeville, en passant par l’yawe de Mezelle, l’ung de ses
chevaulx s’effrayt tellement que la charette fut desvoiées du chemin en
la ripvier. Et alors le charton, la cuidant remettre a droit chemin,
entrait en la ripvier, et volt boutter de l’espaulle à la rue ; maix le
chevaulx tirait tellement que le charton cheut en l’yawe, et passait la
charette par dessus luy ; et fut noyez. Et paireillement, ad cause que
nulz ne menoit ne ne conduisoit la dicte chairette, y oit une fillette de
VIII ans qui cheut en la ripvier ; et fut noyée. Et alors la pouvre femme,
bien désollée, print ung petit enffans qu’elle avoit en la faircette 2 ; et le
cuidoit bien tenir, maix, de force qu’elle estoit troublée, luy eschappait
ledit anfïans et cheut en la ripvier ; et s’en aillait cellui anffans aval
l’yawe jusques à Waldrinowe ; et illec fut prins et rescous tout vif, ne
n’olt oncque mal ne grevance. Et, ainssy, ce que Dieu veult garder, nulz
hommes ne luy peult nuyre.
Grantde gellée; vigne emgellée. — Item, en,ce meisme jour, avint une
froidure merveilleuse ; et durait jusques au premier jour de may ; et
gellait quaitre nuyt touttes l’une aprez l’aultre. Et tellement qu il y oit
bien la moitiet des vignes engellées par tout le païs de Mets ; et pai­
reillement furent les vignes de Verdum et de Toul et du Pont et du petit
Vaulx et de Corse à peu près touttes engellées. Et aussy furent les
arbres tous gaistés et destruit de froidure et de vermine. Maix,toutteffois,
par le biaulx tamps qu’il fist après, le rest de ce qui avoit demouré des
vigne crust et amandait fort ; et couvint xawoultrés dès 1 acommencement du moix de may.
Vous avés par cy devant oy, et vous ay heu bien amplement compté
la prinse et trayson que nous fut faictes, mon perre et moy. Puis avés
oy cornent et par quelle manier j’en fus dilivrés. Rest maintenant à dire
que, depuis se tamps, je fus environ VI sepmaine, après mon retour de
prison, en l’ostel de mon perre. Puis fut mis arrier chiez Dediet Baillot,
le merchamps, pour eschevir mon tairme et fornir mes année. Les­
quelles durant l’on pairlait de plusieurs fille pour moy marier. Entre

1. Se ce fût été.
2. Au maillot (Zéliqzon, Dictionnaire, art,. Fèhhate).

298

1493, 27 mai. — paix définitive entre lorraine et metz

lesquelles Ysabellin, fille à Jehan le Sairte, de Lessei, qui me fut à peu
près acordée : touttefïois je ne l’eus point pour celle fois, pour plusieurs
raison que je lesse. Ains fut en la Garresme passée le merchief fait de
moy et de Mariette, fille à Niclosse, c’on disoit le maire le Loups, d’Agondange en Allemaigne. Et tellement que les nopce et apoussaille en furent
faictes en ce meisme tamps, par ung merdi à l’acommencement du moix
de may. Auquelles y oit environ Ve personnes, néanmoins que le vin
estoit fort chier, pour les vigne qui estaient engellée.
Paix entre le roi de France et le Roi des Romains. — Item, en cellui
tamps, le XXVIIe jour du dit moix de may, vindrent sertaine nouvelles
à Mets que la paix estoit faictes entres les roy des Romains et de France.
Paix du tout confermée entre René, duc de Lorenne, et les seigneur de
Mets. — Et, en se meisme jour, seigneus Régnault le Gournaix, che­
vallier, seigneur François le Gournaix, son frère, et seigneur Conraird de
Serrier, acompaigniés de XXX chevaulx, partirent de la cité pour en
aller à Nencey vers le duc René, qui alors se disoit roy de Sicille, pour
t.raicter la paix. Et, quant ilz vindrent là, il les receupt moult honnorablement ; et fut celle paix faictes et crantées. Et présenta le prince
aux seigneurs devant dit grant amitié ; et leur dit et serti liait qu’il
tanroit ladite paix, et qu’il voulloit que tout le tamps passés soit obliés
et qu’il fût laissés comme une chose non advenue. Puis, le samedi après,
retournairent à Mets les devant dits seigneurs.
Feu de joye. — Et, au lundemains, jour de la Trinités, second jour de
jung, devant la Grand Église de Mets, fut celle paix à son de trompe
manifestée et criées. Par quoy, le soir, on fist en plusieurs lieux des
grans feux par la ville en signe de joye.
Porcession généralle faicte à Mets. — Et, à celle occasion, le vendredi
après, VIIe jour de se meisme moix de jung, fut faicte une belle et noble
généralle procession en l’esglise et monastère de Sainct Arnoul pour
remercier Dieu de la paix, en luy priant que la paix faictes entre les roy
de France et des Romains, et aussy la paix d’entre le roy de Sicille et la
cité puissant durer et tenir ; et, paireillement, qu’il vueulle garder la cité
et le païs d’ipidimie, et amender les biens de terre. Et fut celle pourcession l’une des sollennelle que de loing tamps en fût point faictes : c’est
assavoir là où ce thînt la milleur ordre. Et y furent tous les chainonnes,
les noir moines et touttes les Ordres mendians, avec aussy tous les curés
et chappellains, jusquez a nombre de trois cenc et XXVIII prebstres,
pourtans chacun beaulx relicquiaires en leur mains. Et y furent portées
la plus part des fiertés de la cité ; et y avoit grant luminaire. Et fut une
chose fort triumphantes : car en belle ordre venoient, les homme
devant et les femme après, jusques à la Grant Esglise ; et, en entrant
dedans, à haulte voix fut chanté Te Deum laudamus à chantre et à
deschantre et aux grosses orgues ; et sonnoient, touttes les cloches, qui
estoit belle chose et piteuse à ouyr.
Le duc René se monstre à présent du tout amys à la cité. — Item, le
XXe jour de se meisme moix de jung, à l’ocausion de ce qu’il estoit

1493, AOUT. — THIONVILLE EN PARTIE INCENDIÉE

299

paix, Henry de Gorse, Anthoïnne Liénard, ambedeux amant, et Jehan
Fabelle, le changeur, avec aultres, revenoient de Sainct Nicolas. Et
furent rancontrés de Hannès Crantze, qui les print prisonniers, fors que
ledit Henry, qui eschappait. Toutteffois, après plussieurs choses, ledit
Hannès les laissait aller sur leur foidz, promectant de retourner à sa
voluntey. Maix les seigneurs de la cité en ont rescript au roy de Sicille ;
lequel tint à tel ledit Crantze qu’il ne se osoit trouver devant luy. Et ne
retournairent point les devant dit prisonniers. Et, par cella, monstroit
le roy que à celle fois il voulloit tenir la paix.
Huchement contre touües femme et fille dissolue. — Puis, tantost après,
furent fait plusieurs édit et huchement en Mets. Entre lesquelx fut
criés que touttes femmes mariées en sus de leur maris 1 s’en allassent
au bourdeau ; et que nulz ne leur louaist maison en bonne rue ; et
qu’elles ne se trouvassent point aux dances, aux festes ne a nopces, et
que nul ne les menait dancer. — Et que nulz ne gettait point d’ordure
ne d’immundice en bonne rue.
Deux homme tués par la fouldre et lempesle. — Item, le dit jour, VIe de
juillet, il flst ung merveilleux tamps. Et cheut le tonnoire sus deux
hommes on chemin d’Ancey et les tuait. Et, avec ce, cheut de grosse
grelle : laquelle gaistait beaucoup de biens en plusieurs lieu.
Présent à iiijc Bourguignon passent près de la cité.— Et, à ce meisme
jour, vinrent logier en la terre de Mets, c’est assavoir à Mescluvre, à
Orgney et à Ponthoy, environ quaitre cenc Bourguignons qui retour­
noient de la Haulte Bourgongne. Et leur fut envoiez par les seigneurs
de la cité une cawe de vin, deux tonne de servoise et X quairtes de pain
cuyt, affm qu’ilz ne fissent point de dompmaige aux pouvre gens. Et, le
lendemain, on lez fist passer la ripvier au Grant Faixm. Et leur fut
encor donnés du pain et du vin à la croix a pont Thieffroy, pour eulx
repaistre et reffraichier. Et puis, ce fait, on les conduit jusques hors du
pais.
Le paiis gaistés de gresle. — Item, environ la fin de ce meisme moix
de juillet, il cheut tant de grelle qu’elle gaistait toultes les vignes du
Hault de Vacchon, et une partie de celles de Wappey et de Savellon, et
aulcuns peu par Oultre Saille ; avec plusieurs ville en Loheraine, sou­
verainement autour du Pont.
Grant chailleur. — En ce moix de juillet, et celluy d’aoust après, il fist
une merveilleuse challeur, et plus que de raison. Et tellement que la
ripvier de Mezelle n’estoit en aulcuns lieux point plus large que ung
russiaulx. Et furent les prey et pâturaige sy séchés de la challeurs qu’il
sambloit que ce fussent terre labourées. Par quoy les rasins des vignes
furent cy arrestés de chault qu’il ne povoient croistre en plusieurs lieu.
Lé mitté de la ville de Thionville bruslée par fortune. — Item, en ce
1. Aubrion : « arrière de lor maril » (p. 329). Il s’agit des femmes mariées qui
ont abandonné leur mari, ou que leur mari a abandonnées, et qui se conduisent
mal. Aubrion spécifie que les jeunes filles qui se conduisent mal sont aussi visées
par ce huchement.

300

1493, SEPTEMBRE. — PAIX ENTRE METZ ET HANNÈS CRANTZE

meisme moix d’aoust, avint en la ville de Thionville, à quaitre lue au
dessoubz de Mets, ung grant cas de fortune de feu : car plus de la mitté
d’icelle ville fut arse et brûllée. Et ne polt on jamais sçavoir dont ledit
feu vint.
La mort de Phiedrick, empereur. — En celle meisme année mil quaitre
cenc IIIIXX et XIII, à la fin du moix d’auost, morut et desviait de ce
sciècle, à Noremberch, le devant dit Phéderich l’empereur ; et assés
tost après en vinrent les nouvelle à Mets ; et en fist on le service en
temps deu, comme cy après il serait dit.
Argent donnés aux Bourguignon affin d’aller hors du paiis. — En ce
meisme tamps, c’est assavoir le XIIe jour de septembre, vinrent et
arivairent en Loheraine environ deux mil Bourguignon, lesquelles
retournoient de la Haulte Bourgongne. Et avoient délibérés de logier
on païs de Mets ; maix, permy une somme qui fut donnée au cappitaine, il passairent oultre, et s’en allairent leur voye par aultre chemin.
La paix entre la cité et Hann'es Crantze. — Et, aussy en ce meisme
tamps, fut assignée une journée encontre Hannès Crantze pour ouyr les
demandes qu’il faisoit à la cité, comme cy devant est dit. Et à ycelle
journée en fut faictes la paix.
vj conte logiés en Mets. — Item, le XXIIIe jour de ce meisme moix de
septembre, vindrent logier à Vallier et à Vantoul cenc et cinquante
chevaulx des gens au roy de Sicille ; lesquelles estoient en la conduictes
du conte de Salmes, seigneur de Viviers et bailly d’Allemaigne. Et en
celle compaignie y avoit VI contes, lesqueulx vindrent en la cité pour
logier la nuyt. Et leur fut envoiés à leur soupper, on non de la cité,
VI gros flacon de vin. Et fut faictes celle assamblées affin de c’en aller
en la terre commune, pour gairder que les Bourguygnon n’y fussent
tropt longuement logiés.
Course faide on païs de Mets. — Or advint que, le lundemain au
mattin, ainssy que lesdit contes s’en alloient à Vallier de cost leur gens,
que ung appellé Bernard de Lucembourg, maistre d’ostel du merquis
de Baulde, alors gouverneur du païs de Lucembourg, acompaigniés de
environ quaitre cenc chevaulx, vindrent à boutter les feux à Viguey p
à Mercy, à Pawilley, à Ollexey, à Créancey 12, 3à Antilley, à Chaifley, à
Ennerey et à Trémery ; et prindrent bestes et gens tout tant qu’ilz en
polrent trouver ; et emmenairent tout avec eulx. Que fut une grande
pitiet et dopmaige : car l’on ne s’en gaîrdoit en riens. Et fut doubtés
que ce ne fût une chose affaïctées 8, et que yceulx Loherains n’en fussent
consentans. Toutteffois il n’en estoit riens ; et se présentairent à la cité
de servir en leur péril et fortune, et de chassier après lesdit ennemis.
De laquelle chose les seigneurs et gouverneurs de la cité les remerciairent

1. Vigey (Aubbion, p. 333).
2. Arcancey (id., ibid.).
3. Afaitiêe, une chose machinée, un coup monté.

1493, OCTOBRE. — COURSE SUR LE PAYS DE METZ

301

grandement ; et, jay ce qu’il en eussent heu bon besoing, sy ne fussent1
pas leur oppinion de les mettre en besoingne : car les aulcuns estoient
d’oppinion et disoient qu’il n’estoit encor gaire de tamps que la paix
d’entre eulx et la cité estoit faictes, et que, se on s’en fût servis et que,
par aulcune adventure, il y eust heu aulcuns desdit contes tués, prins ou
bléciez, ou aulcuns chevaulx perdus, que l’on n’en eust peu estre quicte
et que la cité en eust peu avoir grant coustange au tamps ad venir.
Iceulx annemis apaitairent 2 plusieurs maisons és villaiges dessus dit ;
et meismement à Antillei ; et en ostaige emmenairent deux femme
d’icellui villaige : qui estoit une chose contre droit et honneur, et que
jamaix on n’avoit plus veu 3 ; car il ne fut jamais de coustume que gens
d’airme prenissent femme pour ranson.
Deux des annemis tués par ceulx de Mets. — Par quoy, tantost au
lundemain, VIII des soldoieurs de la cité furent envoiés jusques à
Rodemacque après lesdit annemis. Et, là, ont encor trouvés VIII
d’iceulx ennemis : cy furent assaillis, et en tuairent deulx, et en ramenairent ung à Mets, qui estoit serviteur du seigneur de Bourxette.
Défiance du seigneur de Bourxette contre la cité. — Puis, assés tost
après, c’est assavoir le thier jour d’octoubre, ledit de Bourxette envoiait
ses deffîances à la cité. Laquelle chose estoit à luy grant déshonneur :
veu qu’elle furent envoiées X jour après ce qu’il avoit desjay courru,
bouttés les feux, et aidier à faire le grant dopmaige devant dit. Et cy
n’avoit on rien affaire à luy.
Tantost après, le VIe jour d’octobre, quaitre josne homes de Mets, en
retournant de la feste à Piereviller, ramenairent aulcuns compaignon,
qui estoient a seigneur de Grantmont, pour ce qu’il avoient heu prins
des beste à la petitte Stappe ; et furent yceulx mis en l’ostel de la
ville.
Vielle femme bruslée par justice. — Paireillement en ce meisme tamps,
c’est assavoir le VIIIe jour d’octobre, fut arse et brûllée entre les deux
Pont par justice une bourjoise de la cité de Mets, nommée Jennette, et
femme à Guidon, l’orfèvre, de Fornerue. Laquelle estoit desjay vielle
et ridée ; et, pour ce que les fais dudit son marey ne luy plaisoient pas,
elle en entretenoit d’aultres. Et désirait à en 4 estre quictes : par quoy
jour et nuyt pansoit comment elle le pouroit faire morir par poison,
affin qu’elle peult mieulx faire à sa guise (combien qu’elle ne faisoit
que aller et venir, et acomplissoit grant pertie de sa désordonnée voulluntés). Touteffois, non comptant, ait voullus mettre sa pansée à exsécucion. Et tellement que, ung jour, luy donnait à mangier de la poison

1.
2.
3.
4.

Toutefois ce ne fut pas (ne fut ce pas) leur avis.
Du verbe apatir, rançonner.
Jamais on n’avait vu pareille chose. Plus doit ici se traduire par davantage.
De son mari.

302

1493, OCTOBRE. — SERVICE POUR L’EMPEREUR FRÉDÉRIC

eu une mullette 1 de chaistron ; mais il s’en aperseust à l’amertume, et la
ruait aux chat. Une aultre fois luy donna en son potaige et en son
brevaige de l’yawe fort, du sallepeltre, du vert de gris et de plusieurs
aultre meschante viande : tellement que ledit Guidon devint tout sec
et tout éticque. Maix, voyant qu’il ne moroit pas, elle voult merchander
à ung sien voisin, nommés Jaïcommin, le bonnetier, de faire morir ledit
son marey par poison. Lequelle, comme saige et bien advisés, n’en voult
rien faire. Puis la faulce vielle descouvrit son cas à ung aultre gaillair,
compaignon cloweteur de clouz 2, qui estoit marié, nommés Guillaume ;
et à ycelluy fut le merchief fait de ampoisonner ledit Guidon. Et en
ressut ledit Guillaume argent, et par plusieurs fois, jay ce qu’il n’eust
aulcune voulluntés de ce faire ; mais, afïin d’avoir argent, il entretenoit
celle vielle. Et, à l’une fois, luy en demendoit pour acheter aulcune
poison, comme il disoit ; et puis, voiant que ce ne proffitoit de rien à la
volluntés de la vielle, luy en redemendoit de l’aultres ; et tant qu’elle ne
polt plus fornir. Et, voiant3 ledit Guillaume, luy dit et fîst acroire que
leur fait estoit décellés et acusés, et que, c’il n’avoit argent (une bonne
somme qu’il luy nomma) pour donner à seigneur Jehan Papperel, affin
qu’il ce teust et qu’il ne les décellait, il les feroit prandre et mettre à
mort. Puis, de rechief et à une aultre fois, luy dit que le seigneur Jaicque
Dex, alors maistre eschevin de Mets, en estoit advertis ; par quoy, c’il
n’en avoit autant, qu’il feroit mettre la mains à eulx. Et disoit que pour
fornir celle somme il en estoit pressé et contrains par maistre Martignon, le sergent. Alors la dicte Jennette, craindant le dangier, rançontrait maistre Mertignon, auquelle elle priait qu’il eust pitiet d’elle, et
qu’il eust la pacience jusques ung jour qu’elle eust fait son argent.
Et ledit maistre Martignon, que de tout cecy ne sçavoit rien, fist tant
qu’il soit tout le secret ; par quoy ne l’osait celler, et l’anonsait à la
Justice. Et à celle occasion fut la dicte Jennette prinse, airseet brûllée,
comme dit est devant.
Justice d’ung homme décapité. — Et audit Willaume fut la teste
tranchée, et mis sus la rue, jay ce qu’il prînt sur sa mort que jamaix
n’oult en voulluntés de faire le fait, c’est assavoir d’empoisonner ledit
Guidon. Mais seullement morut pour ce qu’il avoit chairgiés Justice,
disant qu’il en avoient ressus argent. Et ainssy ce dit communément
que de bonne vie, bonne fin.
L’obsecque et funérailles] de l’empereur Phiedrich fait en Mets. —
Trois jour après, assavoir le XIe jour d’octobre, fut fait le service de
l’emperreur Phéderich en la Grant Église de Mets. Et y firrent messeigneurs de la Justice et du Conseil prier, par deux sergent vestus en
dueil, touttes maniers de gens. Et, le jour venus, lesdit seigneurs, avec
1. Estomac. Le mot de mulette, qui s’applique seulement à l’estomac de certains
animaux, survit dans les patois du nord de la France.
2. Guillame, le clawetor du petit Cloz (Aubrion, p. 334). Il faut traduire sans doute :
Guillaume le cloutier.
3. Voyant cela le dit Guillaume, voyant qu’il ne pouvait plus en tirer d’argent.

1493, OCTOBRE. — DÉMÊLÉS AVEC LE SEIGNEUR DE BOURCETTE

303

le peuple, se retirent, au Pallas ; et alors vinrent les chainoignes de la
Grant Église, avec croix et yawe béniste, quérir lesdit seigneurs au
Pallas. Et, de là, s’en allirent tous ensemble en la dicte église, là où le
servïse fut commencé, sy bien et sy triumphamment, avec grant
sollemnité, comme à empereur appartient ; avec grant puissant lumi­
naire, auqueulx les armes dudit empereur estoient atachiés. Et paireillement estoient lesdictes armes en plusieurs aultres lieu parrny la dicte
église, avec aussy ung riche draps d’or estant sur la présence L Et les
seigneurs spirituel et temporelz, avec ceulx qui portoient les torches et
pillés, estoient tous vestus de noir. Et y fut fait beaulcopt d’aultres
mistères, que je lesse ad cause de briestey.
Places brûllées par ceulx de Mets, apertenant aux seigneur de Bourcette. — Item, le XVIIIe jour de ce meisme moix d’octobre, XXVI des
soldoieurs de la cité s’en allirent brûller une place que le seigneur de
Borcette avoit à quaitre lieues par dellà Lucembourg ; et brûllairent
aussy plusieurs gaingnaiges et maisons appartenant audit Bourcette.
Et, avec ce, ont ranssonnés ung de ces villaiges à la somme de IIIIXX flo­
rin de Rin.
Détrousse de chrestiens faicte par le Turcquez. — En ce meisme tamps
vinrent nouvelle à Mets comment le Roy des Romains avoit heu une
grosse armée contre les Turcques ; et y avoit perdus plusieurs de ces
gens. De quoy se fut pitiet et dopmaige ; et en fut on bien maris.
Journéez tenue en vain par les seigneur de Mets contre le seigneur de
Bourcette. — Aussy, durant celluy tamps, c’est assavoir le XXIXe jour
du meisme mois d’octobre, les seigneurs et gouverneur de la chose
publicque en Mets olrent une journée au lieu de Thionville encontre ledit
Borcette et ledit Bernaird de Lucembourg, pour les différans et dompmaiges devant dit qu’il avoient fait contre la cité. Et heurent à peu près
acord ; maix tout fut rompus, et ne flst on riens pour celle fois. —
Puis, tantost après, vinrent en Mets seigneur Loys, de la Grainge devant
Thionville, et Jehan Moienet, secrétaire de Thionville, pour remettre
sus la journée touchant pour le différant devant dit.
Item, celle saison fut belle et bonne, et la vandange aussy. Et oit on
compétant merchiés de tout biens.
Durant ce tamps avindrent encor plusieurs aultres besoingne en la
cité de Mets et és pays joindant.
Bourguignon deffaid auprès de Saincl Humbert. — Premier, tantost
après, c’est assavoir le Ve jour de novembre, vindrent nouvelles en
ycelle que les Bourguygnons, qui naiguères avoient passés auprès de la
dicte cité, se estoient aller lougier à l’entour de Sainct Humbert. Et y
1. Ce mot assez extraordinaire, qui est peut-être une inadvertance de Philippe,
désigne évidemment la bière elle-même (remarquer que le mot cén-tapie n existe pas
encore en français). Aubrion précise qu il y avoit 4 un tabernacle de bois, plain de
cheville, où il y avoit cent cierges ou environ », et : « après le tabarnacle (sic), y estoit
, la bière, couverte d’une cousse perse, et ung drap d or bien riche dessus » (p. 335).

304

1493, NOVEMBRE. — RÉUNIO N DES « ÉTATS » DE LORRAINE

faisoient plusieurs mal et dopmaige, et ne ce voulloient deslougier.
Par quoy ceulx du pays se mirent ensembles et frappirent sus lesdit
Bourguignons, et en mirent tant à mort qu’il n’en eschaippait qu’ung
bien peu.
Prebstre contrefait bruslés à Joiei. — Paireillement, durant ce tamps
fut trouvés ung josne homme, natif de Mets, lequelle, luy estant marié,
en païs estrange x, en Lombairdie et aultre part, par plusieurs fois, se
avoit mis en habit de prebstre ; et ce avoit ingérés de chanter messe
(ou du moins il en faisoit le samblant). Et, avec ce, print et desrobait
plusieurs callices, livres et aultres choses sacrée. Par quoy il fut escusés ;
et fut prins à la ville de Joiey ; et fut amenés à Mets en l’hostel de la
ville ; et, puis qu’il oit congneus son cas, fut arrier remenés à Joiey.
Et, par la santance de la Justice d’icelle ville, le XVIIIe jour de novem­
bre, luy furent audit lieu de Joiey les deux mains coppée ; puis fut
brûllés et mis en cendre. Maix il avoit tant beu pour le jour qu’il ne
tenoit compte de morir.
Les estât du paiis de Lorenne ensemble. — Item, en cellui tamps et on
meisme moix de novembre, René de Loheraine, roy de Sicille, mist ses
trois estât ensemble au lieu de Nancey. Et là leur fist une remonstrance,
disant comment il avoient tousjours bien servis et l’avoient secorus en
ces affaires et nécessités ; et leur dit qu’il estoit de besoing, c’il avoient
bien fait, qu’il feissent encor mieulx. Car alors il avoit guerre au sei­
gneur Robert de la Marche, qui n’estoit que ung simple chevalier, et
quasy rien à prisier sellon sa puissance 12 : « Toutteffois », dit-il, « il ait
une adventaige : car l’on ne trouve rien à prandre sur luy, mais jour­
nellement il trouve à conquester sur moy et sur mon pays. Et, pour ces
chose, il trouve tousjours gens à rechange pour le servir. Par quoy »,
ce dit le roy, « il est de nécessités, pour oster ce dangier, de avoir gens
d’armes pour mettre en garnisson sus les frontiers contre ledit seigneur
Robert ». Et, pour paier lesdit gens d’armes, il requiert à yceulx ces
estas qu’il luy volcissent consentir de lever de chacun feux en ses pays
chacune sepmaigne deux blans, le fort pourtant le fèble, la dicte guerre
durant. Ce qu’ilz firent.
Dont, soubz l’ombre de celluy octroy, il demandait la dicte ayde à
ceulx de la terre de Mets, comme il avoit jay aultreffois fait devant la
guerre. Et, pour tant qu’ilz reffusairent de paier, ilz vindrent courre à
Jeuville et à Trongnuef, que sont et aperthiennent à Sainct Vincent en
toutte haulteurs et seigneurie ; et y prindrent plusieurs corps d’hom­
mes, et les emmenairent à Amance prisonniers.
En celluy tamps, je, Philippe, escripvain et composeur de ces présante, demeuroient à Mets, à Palramport. Et, en tenant mon mesnaige
avec ma femme, me mis à tenir bouticque et à vandre draps et à huser

1. Le texte d’ÂUBRiON (p. 337) est plus clair. C’est à l’étranger que le jeune Messin
se faisait passer pour un prêtre.
2. La puissance de Robert de la Marck n’était rien en comparaison de celle de René,

1494 N. ST., JANVIER. — FAUX MONNAYEUR EXÉCUTÉ

305

du mestiés de chaussetrie. Mais, le VIe jour du moix de décembre, jour
de la sainct Nîcollas, qui fut lors le maicredi, print la malladie à la dicte
Mariette, ma femme ; et tellement luy agrava que, le mairdi après,
morut de paiste. De laquelle mort demoura triste et dollans. Dieu, par
sa grâce, aye pitiet de son âme !
Les seigneur eslise une quantités de compaignon pour s’en servir en
nécessité. — Item, en ce meisme tamps, fut conclus par le Conseil de la
cité de eslire en Mets une cantités de jonne compaignon marié pour aller
au champs, ce besoing estoit. Et, pour ce faire, en furent prins par
toutte les paroiche une cantités, auquel l’on fist faire à chacun une
robbe blanche et noir, qui furent paiées par les aultres paroichiens qui
n’alloient point au champs.
La contés de Rocillon baillée aux roy d’Espaigne; et rétribution donnée.
— En ce meisme tamps, environ le Noël, vinrent nouvelles en Mets que
le roy Charles avoit heu donnés au roy d’Espaigne la conté de Roucillon,
laquelle il avoit loirig tamps tenuee. Pour laquelle chose ledit d’Espaigne,
affin qu’il ne fût trouvé ingrat, envoiait audit roy de France une honnorables embassade, noblement acompaigniés et richement vestus. Avec
laquelle estoient menés L mulletz couvers de brocart d’or, et, avec ce,
avoient les frains tout dorés de fin or ; puis y avoit XXX aultre mulletz
tout chairgiés de fin draps de soye : tous lesquelle présant furent envoiés
par ledit d’Espaigne au roy Charles de France pour luy remercier du
don qu’il luy avoit fait de la dictes contés.
Ung forgeur de faulx escus décap[ité]. —• Aucy en ce meisme tamps,
advint que en la cité de Mets demouroit ung orphèvre, nommés Grant
Jehan, homme estrangier et d’aultres pais. Gellui Grant Jehan estoit
ung des biaulx josne homme de quoy on sceût perler. Et, avec ce, ung
grant ouvrier de son mestier, jay ce qu’il luy failloit une mains et une
oreille, lesquelles autrefois luy furent coppée de ung revers d’une
rappier en ce combaitant, comme il le prouvoit par vive voix et par les
lettre qu’il en avoit. Celluy avoit une mains de cuyvre, de laquelle il ce
aydoit moult bien. Et, de fait, pour ce qu il estoit grant ouvrier, il c en
aydait plus qu’il ne luy fût de nécessité : car, avec ycelle, il firent, luy et
son verlet, des faulx escus a soilleil. Par quoy, son fait congneus, il fut
prins. Et fut jugiés à avoir l’aultre point coppés, et puis la teste. Et
tellement que, ledit ans, le IXe jour de janvier, fut ledit Grant Jehan
menés au pont des Mors, et mis sus ung eschauffault pour luy tranchier
la teste. Mais, quant il fut mis à point, la teste dedans la quenegatte \
et que l’engiens fut fermés, le bouriaulx fut négligent de loier celluy
blocque au planchiés du taublement, ains ait heu prins la mains audit
Grant Jehan, et lui estendit le bras pour luy mettre la mains dessus
ung aultre engiens, pour lui loier, affin de la copper. Mais, jay ce que ledit
Grant Jehan eust les yeulx bandés, il c en aperseust , par quoy il entrait
1. L.e carcan.

306

1494

N. ST., — LE DUC RENÉ FAIT « GAGER » AU PAYS DE METZ

en désespéracion, et, lui qui estoit fort homme, aveccellui engiens on col,
ce levait et ce tournait deux ou trois tour dessus son dos et dessus son
ventre, tellement que ce fut merveille qu’il ne ce tuait, et fist grant
bruit et grant noise ; dont on fut bien esbahis ; et ne c’en faillit guerre
qu’il ne cheust du taublement à l’avallée avec celluy engiens au col.
Toutefïois les seigneurs de la Justice luy dirent qu’il n’eust point de
doubte de sa mains, et qu’elle ne luy seroit pas couppée. Et, quant il
ouyt ce, il cryait mercy à Dieu et à tout le monde ; et se mist arrier
à genoulz, et en bon voilloir se aidait luy meisme à mettre en la quenegatte pour luy copper la teste. Et ainssy finait ces jour, et oit belle
repantence. Mais, pour ce qu’il estoit fort eschauffés, le sanc qui estoit
en luy bouillant se lansait dehors par telle force qu’il sambloit que ce
fût une trinsoire 1 à bairbier, et en furent plusieurs en la compaignie
des gaistés et dessaigniés 2. Et l’aultre, son serviteur, qui estoit présant,
fut menés sur le pont des Mors. Mais, pour tant qu’il ne sçavoit quel
chose son maistre volloit faire desdit escus, combien qu’il l’eust servis
en cest affaire, il n’estoit jugiés que à avoir une oreille coppée. Toutteffois, à la requeste et prières de plusieurs des orphèvres de la cité, les
seigneurs de la Justice luy firent graice ; et oit congiez, sinon qu’il fut
banis de la cité et du pays d’icelle.
Maximilian espouze la seur du duc de Millan. — En ce meisme tamps,
c’est assavoir le XIIe jour du moix de janvier, vinrent nouvelles à Mets
que Maximilian, Roy des Romains, avoit espousés la suer au duc de
Millan (et avoient les nopces estés faictes dès le Ve jour de ce meisme
moix de janvier), et que le duc de Millan luy avoit donné XIIIIC mil
ducas en mariaige. Et fut dit, comment il est bien à croire, que ausdicte
nopces y avoit heu grant teste et grant noblesse, tant en jouste comme
en tournois.
Ung compaignon bruslés pour avoir eheu compaignit d’une vaiche. —
Paireillement avint, ung peu devant, c’est assavoir au tamps que les
Bourguignons passairent par la terre de Mets, que il y oit ung josne
compaignon d’entre eulx, lequelle, par son enraigerie et ordre luxure,
oit affaire à une vaiche. Par quoy lesdit Bourguignons, congnoissant
son cas, le mirent en mains de la Justice de Mets, c’est assavoir des
trèses jurés ; et leur requiert que on en fist justice corne au cas appe[r]tenoit. Pour laquelle chose lesdit seigneurs le détinrent en prison en
l’hostel de la ville jusque au XXIIIe jour de ce meisme moix de janvier.
Auquel jour il fut menés on Pallas, à YI heures du matin, et, ledit jour,
aux deux heures après midi, il fut brûllé entre les deux pont.
Le duc René fait gaigier aux paiis de Mets. — Item, en celluy tamps,
le roy de Sicille fist à force gaigier ceulx de la ville de Louveney, de
Werixe, de Luppey, de Baixxey, de Flocourt et de plusieurs aultrez
ville appartenant à ceulx de Mets, pour les ayde qu’il leur demendoit,
comme cy devant est dit.
1. Seringue (Zéliqzon, Di'tionnaire. art. trtnsûre et trènse).
2 Tachés de sane.

1494, 30 MARS. — ACCORD AVEC RE SEIGNEUR DE BOURCETTE

307

Les recteurs de la ville rescripve à Maximilian. — Aussy, en ce meisme
tainps, les seigneurs de la cité ont heu rescript au Roy des Romains et
au josne duc Philippe l’oultraige et dopmaige que le seigneur de Bourcette et Bernaird de Lucembourg avoient fait en la terre de Mets.
Par quoy le Roy mandait incontinent que cellui seigneur de Bourcette
et Bernaird fussent contrains de restituer yceulx dopmaiges, et d’amen­
der des délitz ; et, en cas de refïus, qu’il fussent cité au perlement
à Mailline. Et, pour tant qu’il opposairent d’icelluy mandement, il leur
fust assignés jour audit lieu de Malline, au XXIIIIe jour de febvrier
l’an dessus dit. Et à ycelle journée y furent envoiez, pour la cité, maistre
Jehan Noël, Martin, clerc des Sepz de la guerre, acompaigniés d’ung
des messaigier de la cité et de quaitre soldoieurs. Et retournirent en
Mets le XVIe jour du moix de mars après.
Esclipse. — Item, en ce meisme tamps, c’est assavoir le IXe jour du
meisme mois de mars, à la nuyt, et le lundemains, au matin, se monstrait en la cité de Mets de grant clartey en l’air, en manier comme ce
fût aloude 1 ; et néantmoins qu’il faisoit alors une merveilleuse froi­
dure. Par quoy les astrologiens disoient que c’estoit signe de grant
guerre ou pestilance.
Mais de ces chose je lairés le perler, pour retourner a maistre eschevin
de Mets.

[l’année

i494].

Mil iiijc iiijxx et xiiij. — En celle année, qui fut l’an IXe de Maximi­
lian, fut et escheust la sainct Benoy le jour du vandredi devant la
Florie Paicquez, c’on dit les Palme. Auquel jour de vandredi se fait
tous les ans en la cité de Mets une généralle porcession, en remerciant
Dieu de la victoire que à telz jour la cité oit en l’encontre du duc Nicollas
de Loheraïne. Et, pour ce que au dit jour sainct Benoy tous les ans on
reffait ung nouviaulx maistre eschevin en la cité de Mets, fut à cellui
jour, à VII heure du mattin, fait, créés et essus pour maistre eschevin le
seigneur Jehan d’Aubrienne, dict Xavin. Et le fut fait a cest heure du
mattin pour et affln qu’il puissent aller à la porcession devent dictes.
Et gouverna cellui seigneur en cest office pour l’an mil quaitre cenc
Illixx
XIIII, lequelle l’avoit desjay estés en l’an mil quaitre cenc
IIIIXX et sept.
Apoinlement fait entre la cité et le seigneur de Boursette. — En celle
année, mon seigneur l’archevesque de Triève mandait aux seigneurs
et gouverneurs de la cité de Mets qu’il ce voulloit entremectre de faire
la paix des différant qui alors estoient entre la cité et le seigneur de
1. Comme se ce fût aloude, comme si c’eût été des éclairs de chaleur.

308

1494, AVRIL. —r GELÉES TARDIVES AU PAYS DE METZ

Bourcette. Et, à sa requeste, en fut tenue journée le jour du grant
mairdi, qui alors estoit le jour de la Nonciatte ; et, le jour de Paicque
ensuiant, en fut la paix faictes.
Paireillement en celle année, à son acommencement du prins temps, il
fist grant challeur. Et ce avensoient les vigne treffort ; par quoy les
ouvriés gaignoient merveilleusement, et oultre le pris raisonnauble : car
ung homme à fichier la vigne gaignoit VII ou VIII sols pour le jour,
et les femme à l’avenant. Et ce avensairent les vigne de cy grant fasson
qu’il convint sawoultrer à la mitté du moix d’apvril, qui estoit une
chose que les plus anciens n’avoient jamaix veu.
Item, en cellui tamps fut perlés de moy remarier. Et tellement que
le merchief fut fait chiez seigneur Arnoult de Clérey, le chainoigne, le
jour de la chier sainct Pier 1, XXVe jour de febvrier, de moy et de
Yzabellin, fille à Jehan le Sairte, maire de Lessey. Et, le VIe jour d’ap­
vril après ensuiant, qui alors fut le jour du Gausimodo, firent les fiansaille, à la dicte Lessey ; puis, le XXIe jour du meisme moix, qui est
deux jour devant la sainct George, furent les nopces et apoussaille.
Et estoit alors ung tamps que tout chacun estoit joieulx, pour plusieur
raison ; car, tout premièrement, il n’estoit alors ne guerre ne mortallité,
et avoit on bon merchief de vivre ; puis c’estoit au prins tamps, au quelle
voulluntier l’on ce resjoyt. Et, avec ce, le tamps estoit merveilleusement
bien dispousés, et en espérance d’avoir des biens tout plains et en
grant abondance : car l’année ce moustroit fort tampérée, et estoïent,
les serises et aultres fruit sy chairgiez et cy avencés que c’estoit belle
chose à veoir. Et estoient les vigne sy plaine de raisin que l’on pansoit
à avoir la quairte de vin pour ung denier, et encor pour moins.
Le paiis de Mets emgellés. — Mais Fortune tournait sa rouue : car,
ainssy comme il pleut à Dieu, le propre jour de mes nopce, au soir, le
tamps se refroidait, et se tournait le vant sur la bise ; puis il pleust une
trefïroide pluye, mellée de grésil ; et puis, la nuyt, l’air devint cler et
froide, et gellait à grosse glaice. Par quoy touttes les vigne du pays de
Mets furent engellée, tellement qu’il les couvint trapper ; et bien peu en
eschappait. Pour laquelle chose le vin que, le jour devant, se vandoit
à III ou IIII deniers la quairte, fut mis à XII deniers, et encor ce n’y
trouvoit poc 2. Et ainsy, pour celle mescheutez 3, furent les gens tout
rebaissés et en grant desconfort.
Fouldres et grant lempeste. ■— Depuis celle fortune advenue fut
tousjour le tamps dangereux de fouldre et de tonnoire. Et tellement que,
le jour de l’Ascencion Nostre Seigneur, au vespres, vint ung tamps de
fouldre, avec grosse grelle comme singles 4, qui tampesta et fouldroiait
plusieurs bief, avec aulcune belle vigne qui estoient demourée, à la ville
d’Ancey.
t.
2.
3.
4.

La fête de la Chaire de saint Pierre tombait alors, en France, le 22 février.
Et encore n’en trouvait-on guère, même à ce prix.
Mescheue, malheur, accident.
Cingle, bille à jouer.

1494, mai.

LA DUCHESSE DE LORRAINE A METZ

309

En cellui tamps, és octaves de l’Ascencion, il y oit ung homme de la
ville de Sainct Nicollas qui vint comme pellerin en dévocion à mon
seigneur sainct Soibert en l’église de Sainct Mertin devant Mets. Et,
ainsy comme ledit homme faisoit sa dévocion, il ouyt celluy corps
sainct se complaindre et dolloser ; et, oyant ce, il appellait deux des
religieulx d’icellui monastère pour escouter que c’estoit, et leur deman­
dait s’il avoit accoustumés de soy ainsy plaindre : à quoy il respondirent
que nenney. Et alors ont appellés le majester de l’escolle dudit monas­
tère, lequel fut très esbahis oyant le bruit ; aussy furent tous ceulx qui
en ouyrent perler.

[la duchesse de LORRAINE, REINE DE SICILE,
reçue a metz].

La rogne de Cecille à Saincle Bairbe et à Mets. — Tantost après, le
XIIe jour de may, qui fut le lundi devant la Pantecouste, arrivait la
royne de Sïcille, femme au roy René, duc de Loheraine et de Bar, à ma
damme saincte Barbe. Au quelle lieu les seigneurs et gouverneurs de la
cité de Mets envoiairent deux cawes de vin, c’est assavoir rouge et
clairet, VI cenc miches, six chattrons, VIII chevriaulx, ung cenc de
poussins et de pigions pour le disner de la dicte dame et de ses gens.
Et luy furent présenter on non de la cité seigneur Andrieu de Rinech
et seigneur Conraird de Serier ; lequel don lui fut moult agréable, et le
receupt bénignement.
Et, avec ce, estoit ordonnés ausdit deux seigneurs de luy présenter
que, se son plaisir estoit de venir en la cité, on luy ferait sy bonne chier
qu’il serait possible. A quoy elle se consentit ; et, après disner, s’en
vint, elle et touctes ses gens, qui estoient en nombre de deux cenc
personnes. Et alors les devant dit seigneurs luy allirent au devant
jusques hors de la porte a pont Remmont, bien montés et honnorablement abillez, et acompaigniés des soldoieurs de la cité. La dicte royne
estoit vestue d’une robbe de draps d’or, et estoit assize en une bierre
chevallereuse 1 pourtée par deux grosse hacquenées ; et avoit autour
d’elle plusieurs groz coussins de drap d’or moult richement ouvrés.
Et sa serourge, suer a roy de Secille, son marit, avec XV dammes de
Loheraine, estoient touttes montées sur des blanches haquenées, et
bien richement vestues. Et en cest estât s’en vindrent, tousjours en
belle ordre, au loing de la rue jusques à porte Mezelle, puis permi
Staixon, en tournant aval Fornerue, et dellà tournoiant à Porsaillis, et
par sur le pont à Saille ; puis fut menée en son logis, c’est assavoir en
1. Sorte de brancard (biere) porté par deux chevaux.

310

1494, MAI. — LA DUCHESSE DE LORRAINE A METZ

l’ostel le seigneur Conraird de Serrier, assés près de la ruelle du Poncel.
Et là fut receupte et logié moult triumphamment et noblement, car
l’ostel est beau, et fut bien acoustrés ; et, avec ce, le seigneur et la
dammes de l’hostel estoient biaulx personnaige : car entre mil hommes
luy estoit ung biaulx homme ; et de la damme, qui estoit niepce au
seigneur Robert de la Marche et fille a seigneur Pier Baudoiche, sambloit que ce fût une géandes, non obstant qu’elle estoit encor bien josne.
Et estoient gens propices pour recepvoir une telle princesse.
Présent fait à la dite royne. — Puis, tantost après que la dammes fut
arrivées, vinrent en l’hostel dudit seigneur cinq seigneurs pour et on
non de la cité de Mets, c’est assavoir le seigneur Michiel le Gournaix,
seigneur Régnault le Gournaix, seigneur Andrieu de Rinech, seigneur
Wirîat Roussel, tous quaitre chevaliers, et le seigneur Pier Baudoche,
l’eschevin. Et ce présantairent devant la dicte damme et luy firent le
bien viégnant. Et puis, aprez ce fait et qu’il ce furent humiliés devent
elle, ilz luy firent présant, on non de la cité, de deux gras buef, XXV
chastrons, ung chevreux salvaige, XXV chappons, trois cenc que
puissins que pigeons, LX quairtez d’avoine, une cowes de vin rouge,
qui coustoit XII libvrez, une cawe de vin blan de X libvrez et une cawe
de vin clairet de X libvrez ; et une belle coppe d’argent dorrée, que bien
valloit LX libvrez, et quaitre cenc florin de Mets dedans la dicte coppe,
que vailloient pour lors deux frans pièce. Et donnaïrent à la suer du
roy une chaînnette d’or où il pendoit ung fermillot 1, que bien vailloit
deux cenc frans. Et les seigneurs de la Grant Église luy donnairent ung
bichey d’argent prisiés à la vallue de cenc frans ; et à la suer du roy ung
fermellet prisiés la vallue de L frans.
Item, ledit jour, après souppés, la dicte royne fut en Bibra, près de
Sainct Élizabeth. Et vint veoir en l’ostel de seigneur Loys de Lenoncourt, chevalier, en la rue des Allemans ; et là dansairent les dammes
et bancquetairent. Et puis s’en retournairent au logis.
Au lendemains, que fut le mardi, la dicte royne, et touttes ses dammes
et damoiselle et toutte sa noblesse, et plusieurs des seigneurs et dammes
de la cité, furent oyr la messe en la Grant Église ; et les chanonnes luy
vinrent au devant jusques au portai devant le Moustier, vestus en leur
habis, et luy appourtairent la vraie Croix, laquelle elle baisait en grant
révérance, et entrait en l’église. Et, après, allèrent disner à Sainct
Vincent : car alors y avoit ung abbé appellé seigneur Balthasar du
Chastellet, cousin germains à l’abbé de Gorse. Et, après disner, furent
dancer on grant jardin, nommés le Clos, dudit monastère. Et puis la
dicte royne, avec touttes les dammes et damoiselle et avec tout son
trayn, s’en allirent marender on gerdin Jehan Dex, secrétaire de la cité,
en la rue de la Haye, nommés Bonne Adventure. Et retournairent
soupper en l’hostel seigneur Pier Baudoche, appellé Passe Temps,
1. Fermeillet (petit fermait) . pièce d’orfèvrerie de formes et d’usages extrêmement
variés.

1494, MAI. — DÉPART DE LA DUCHESSE DE LORRAINE

311

scitués sur Mezelle, devant Sainct Vincent. Et, après le soupper et que
l’on eust dancier et fait grant chier, en remenant la dicte royne en
son logis, et*1 affin de veoir la cité, elle fut conduictes par sur le Moyen
Pont, par la Hardie Pierre, par derrier le Pallas, par la rue des Clerc,
par Rommesalle, par devant Sainct Martin en Curtis, par devant
l’Ospital, par le Neuf Bourg, par le Quairtal, par le Champs Passaille,
par la rue des Chainge, c’on dit en Wesigneuf, et, de là, en la grant rue
d’Oultresaille, et ainssy jusques à l’hostel dudit seigneur Conraird.
Item, le seigneur Jehan Papperel luy donnait une cawe de vin clairet
et XII hairons tout vifz. Et mon seigneur de Sainct Clément luy don­
nait XXIIII cailles toutes visves a, quaitre faisans et XII chappons
tout vifz. Et de ces présant en fut menés au roy ung desdit buefz, une
cawe de vin clairet, demi cawe de vin viez, avec lesdit hairons, cailles,
faisans et chappons, lesquelles la dicte royne envoiait a roy son marit,
tout par triumphe et feste.
Prisonier délivrés. — Oultre plus, à la requeste de la dicte royne et
pour l’honneur d’elle furent délivrés de la prison et de l’hostel de la
ville plusieurs prisonniers.
Au londemains, que fut le mécredi, la dicte royne se pertit de Mets
très contente de tous les seigneurs de la cité et des dons et bonne chier
que on luy avoit fait. Et s’en allait disner a Sainct Arnoult (car 1 abbe,
appellé seigneur Berthemin de Lucey, estoit alors prieur du prioré de
Flavegney sur Muzelle, qui est en Loraine, où ledit abbé se tenoit
continuellement) ; et là luy fut faictes la bonne chier, et à toutte ses
gens ; et donnait ledit abbé à la royne ung bichiez d argent waillant
XL libvrez. Et, après le disner, s’en allait couchier au Pont à Mousson.
Et les seigneurs et soldoieurs de la cité l’aconduirent environ deux
lieux loing.
Et ainsy avés oy l’antrée et le despairt de la dame et la bonne chier
qui lui fut faictes.

[l’année t494 ; suite].

Déluge d’yawe, et grant ruyne par ycelle. — En celluy tamps se muait
le tamps en pluye. Et pleut tant en diverse lieu permy le monde que
jamaix depuis le delluge l’on n’avoit veu paireille awaige 2 comme il fit
alors. — Et, premier, on mois de jung, sur la ripvier de Loire, en Poitou,
furent les yawe cy desrivée que la dicte ripvier fut hors de rive plus de

a. Visiees.
1. Il faut supprimer et pour la régularité de la phrase.
^
2. Dérivé de eau; exactement : eauage. Le verbe âwer, dérivé de awe, existe encore
en patois messin (Zéliqzon, Dictionnaire des patois romans de la Moselle).

312

1494. — CHARLES VIII EN ITALIE

X piedz de hault plus qu’elle n’avoit de loingtemps estes ; et tellement
qu’elle emmenait maison et granges et gens ; et y oit, comme l’on disoit,
plus de trois mille personnes noiez ; dont ce fut pitié. — Paireillement,
en ce meisme tamps il pleut cy fort à Sainct Awoul qu’il y avoit tant
d’yawe en la ville qu’il couvint aux gens ce aller tenir en leurs greniers,
ou ilz fussent estés noiez. Et, par force de la dite yawe, il cheut ung
grans pans de leur muraille. — Item, aussy en la ville d’Offambach, en
Allemaigne, pleut sy treffort que l’yawe emmena les vignes et les bief,
avec la terre, qui estoient sur une montaigne au dessoure de la ville,
et tellement que la rouche demourait toutte nue. Et corroient de la
montaigne à l’avallée les grosse pierres, aussy grosse que ung tonnel,
par force de la dicte yawe. -— Puis, à Liverdun a, cheut de grosse grelle,
aussy grosse que ung poing ; et fist dopmaige innumérables.
Plussieur pellerin à saincte Bairbe. — En celle année vindrent en Mets
autant de gens estraingier pellerin de saincte Bairbe, tant seigneur
comme aultres, que jamaix on avoit veu. Entre lesquelles y fut le
seigneur du Wergiez, acompaigniés de L chevaulx ; lequelle, on nom du
roy de France, s’en alloit en embaxade devers le Roy des Romains. —
Aussy, en celle meisme sepmaigne, y vint le seigneur du Fay, qui
venoit de Bourgongne, et s’en alloit à Malline devers l’archeduc.
Item, la pluye vint derechief le tier jour de juillet. Et pleut tellement,
par VII nuyt et VII jours durant, que les bief et foingz se gaistoient.
Mais, voiant le tamps ainssy mal dispousés, l’on fist une porcession
généralle à Sainct Arnoul ; et incontinant le tamps cessait.
Le duc de Gueldre à Mets. — Et, tantost après, c’est assavoir le
sabmedi XIIe jour de juillet, vint en Mets le duc de Gueldre, frère à la
royne de Sicille. Ausquelle les seigneurs de la cité firent présent d’ung
gras buef, XII mouton, et une escuelle de poisson, c’est assavoir grosse
carpes, baichet, berbel, perches et anguilles, et L quairte d’awaine.
Et le lundemains, bien matin, il se pertit ; et emmenait le buef, les
mouttons et XXV quairtes de la dicte awaines.
Item, en celluy tamps, je, Philippe, escripvains de ces présantes,
achetait la maison qui fut à Mangin le tailleur, scituée à Mets, derrier
Sainct Salvour, sur le tour de la rue des Bons Anffans ; et y ait demourez
loing tamps.

|LE ROI CHARLES DE FRANCE CONQUIERT LE ROYAUME
DE NAPLES].

Commencement du voyage du roy Chairle aux royalme de Naples. —
Paireillement avint, en celle meisme année mil quaitre cenc IIIIXX
et XIIII, qu’il print grant voulluntés a roy Charles de France de c’en
et.

I-uvendum (?). Aubrion, p. 346, écrit Liverdun.

1494. — CHARLES VIII EN ITALIE

313

aller avec grosse armée au royaulme de la Grant Sîcille, lequelle il
estimoit à soy appartenir par droit de patrimoyne. Et n’y oit jamais
homes qui l’en peult divertir de son opinion : car il ne voulut ouyr ne
escouter les ambassadeurs de Paris lesquelles estoient pour cest
cause vers luy envolez ; aïns, à sa pétission et requeste, fus levés une
grosse armée, et de grant multitude de gens d armes, tant par mer
corne par terre. Espéciallement par l’enhortement du pape Alexandre
sixiesme, lequelle, de lomg tamps devantque les anffans du royEerando
le fussent venus veoir, corne dit est devant, et qu il eussent heu repeins
de luy le royaulme de Neaple et de la Grant Sicille, avoit ledit pappe
par ses ambassaulde heu ennortés ledit roy de se faire. Et avoit desjay
estés du tamps d’icelluy roy Ferrando daïrnièrement décédé ; et encor
au tamps de Alphonce, son filz, lequelle par avant se disoit duc de
Callaibre, auquelle cellui pappe et plusieurs aultres prince du royaulme
estoient contraire. Et tellement que, en celle devant dictes année, le
XXIXe jour du devant dit moix de juillet, le dit roy Charles, VIIIe de
ce nom, ordonna par bon conseille de cest armée. Et fut alors l’assamblée cy grande et cy merveilleuse que ce fut chose oribles de veoir la
multitude dez gens qu’il avoit. Lesquelles estoient de plusieurs nacion
et de plussieurs arts : car, de tout les mestiés qu il estoit possibles de
trouver, il en avoit assamblés, tant sur mer que sur terre, espéciallement
des art appertenant et servent au mestier de la guerre.
Guyot de Losières principalz capitainne. — Et de touttes les navières,
et aussy de l’armées qui fut Sur mer, fut fait cappitaines général ung
noble personnaige nommés Guyot de Lousières, lequelle auperavant
estoit conseillier et maistre d’ostel du roy. Et soubz luy fut fait son
lieutenant ung noble seigneur, nommés Jehan de la Grainges. Et à
yceulx fut principalement données la charges de plusieurs bateaulx
qui alors furent chargiez à Lion sur le Rosne. Et en yceulx furent mis
tout le baigaiges jusques à tant qu’il arivairent sur la marines ; auquelz
lieu estoient plusieurs grosses navières que illec les attendoient, et
desquelz je vous nommerés ycy les nons des plus renommée et principalles.
Apresie de plussieur grant navytre et artillerie. — Et, pour la prunier,
y estoit la grant nefz de France nommée Charlotte, laquelle alors estoit
l’une des belles du monde : car, pour pourter XXII cenc pipes de vin,
elle les portoit, sans l’apareille d’elle, que on estimoit le thîer d aultant.
Et, avec ceu, estoit formes a de grosse artillerie, dont les aulcunes
gectoient pier aussy grosses qui est ung homme permy le corps , et
avoit encor en la dicte navier, d’aultres bâtons à feu, tant gros que
petit, environ quaitre cenc pièces : de quoy c’estoit choses merveilleuses
n’oyr le bruyt et le tabourement qu’elle faîsoient. — Avec ycelle grant
defz en y avoit encor une aultre qui s’appelloit la grande nefz Loize ,

a. Fonies.

314

1494. — CHARLES VIII EN ITALIE

laquelle estoit moult légier à aller quant elle avoit vent propices. —
Puis, après, y avoit encor d’aultre grant navières dont les noms s’enauivent. Pemier, la Franches Nau, la Signe, la Devises, la Grant
Navières la Signes, la Marguerittes, le Chiens de Mer, la Jacquette, la
Vollande de la Rochelles, et aussy la Gouvernante ; et tant d’aultres
que c’estoit chose merveilleuse, tant grosse carracques, galères, galiaces,
fustes, bregandines et carvelles. Touttes lesquelles nef estaient fornie
de gens et de divers instrument de guerres, comme lances, espées,
haubergons, hermetes L faulsés 12, curasses, haiches, rapières, woulges,
masses, bec de faulcon et dars, et tout tel instrument. Et en belle ordon­
nances, avec le vent qui leur fut bon et propices, se mirent à naviguer
sur la haulte mer le chemin tout droit à la cité de Neaples, en intencion
de la conquerre.
Monsseigneur d’Orléans à Genne. — Item, après ces choses ainsy
faictes, furent envoiés plusieurs grant personnaige par terre pour
traycter devers les cités d’Italye, comme à Millan, à Gennes, Florences,
Luc, Venise, Sene, Viterbe, Romme, et plusieurs aultres. Et fut monssei­
gneur d’Orléans envoyés à Gennes, à Pavye et à Millan : auquelles lieux
il traicta encontres le seigneur Ludovic et le conte Galiach (lesquelles,
touteffois, furent depuis fort contraires a roy à son retour de Neaples,
comme cy après serait dit).
Le conte de Never capilainne. — D’aultres coustés marchoit la grosse
armées, laquelle incontinant passa les mons. Et d’icelle estoit cappitaines général ung second Hectour, nommés Angillebert, conte de
Nevers. Et avec celle belle compaignie entrirent yceulx en Lombardies
à grant puissances, estant encor le roy à Lion, lequelle disposoit des
affaires de son royaulme.
Monsseigneur de Bourbon régenl de France. — Or entandés quelle
ordonnance yl y mist. Et, tout premièrement, pour maintenir ledit
royaulme en paix, il ordonnait monsseigneur de Bourbon estre seul
régent de Frances. Puis, du pais de la Haulte Bourgongne fut fait
gouverneur monsseigneur de Bauldricourt ; et de Bretaigne le fut le
seigneur d’Avaugourt ; et pareillement, de Rouan, monsseigneur d’Orvaulz ; et fut commis en Champaignes (sic). Puis, en la Picardies, fut
commis l’admirai de Graville ; et monsseigneur d’Angolesmes fut aucy
commis pour son pays et pour le pays de Guyennes. Et alors, après ce
fait et ordonnés, chacun desdit seigneur s’en allait au lieu auquelle il
estoit commis.
Le roy aryve à Grenoble. — Item, le vendredi XXIIe jour du moix
d’auost, se pertit le roy et la royne de Viennes pour aller à Grenobles.
Ausquellz lieu leur fut faictes une somptueuse entrée, et de grant
magnificence. Et y furent faictes chose singuliers, qui seroient loing
1. Armet, petit casque fermé.
2. falsart, faussart, arme de hast composée d’une hampe à laquelle était ajustée
un fer tranchant, primitivement une lame de faux.

1494. — CHARLES VIII EN ITALIE

315

à raconter. Et illec demourait le roy et la roynes l’espaces de VI jours ;
auquelz durant fut déterminés grant perties de leur affaires ; et furent
renvoiés arrier tous les cher et chairettes, et furent prins grant nombre
de mulles et mullet pour passer tout le baigaiges oultres les mons.
Plussieur embassadeur envoies de pari le roi. — Et furent encor alors
envoyés plusieurs grant personnaiges en embassaulde, tant devers le
Roy des Romains comme devers les princes et les seigneurs et gouver­
neurs des cités d’Ytalye. Desquelz les nons s’ensuyvent : premier,
monsseigneur de la Trimoille, seigneur Loys Lucas, le seigneur du
Bocages, le seigneur d’Argenton et. le seigneur d’Albigney, monssei­
gneur d’Aultum, le général Bidaut et monsseigneur de Guynait. Yceulx
seigneur furent envolés en embaissaulde és cités devant dictes.
Item, aussy, pour aidier à conduire l’armées furent ordonnés plusieurs
notables chevalliers et grant personnaiges. Entre lesquelz y estait
monsseigneur d’Orléans, monsseigneur de Brécé, le seigneur de Monpencier, monsseigneur de Foix, monsseigneur de Lucembourg ; et avec
yceulx estait monsseigneur de Vendosmes, puis le vaillant Angillebert e
Elèves, monsseigneur de la Trimoilles, monsseigneur d Albigny a, e
seigneur de Pienne et le seigneur Jehan Jaicques, princes de Salernes.
Item, avec yceulx estaient les trois marquis : c’est assavoir Salus,
Viennes et Rothellin.
Grant lempesle vers Trêves en Allemaingne. — En ce meisme tamps,
il fist un g tempeste et fouldre merveilleux autour de la cité de Tnesves
en Allemaigne. Et par espécial cheut se tamps en l’église et maison de
Sainct Mathie ; et empourta le fouldre la croix de dessus eg ise ,
aussy romppit les vairiers. Et fist encor plusieurs grans dopmaiges,
montant à la somme de plus de mil francz : car ce tamps emmena es
foingz des prés, les bledz et avuaines des champs, fistcheoir les edihce
et araicha les arbres de la terre.
Et de cecy ne dirés plus, pour retourner a roy Charles et a son allées.
Le roi à Agab. — Mais, pour revenir a prepos d’icelluy voyaiges que
fist le roy Charles à Neaples, le vandredi XXIXe jour dudit moix
d’aoust, print ledit roy congiez de la roynes ; et ce partist de Greno e,
la comendant à Dieu, elle et ces gens ; et retournait alors la damme en
France. Puis, ce fait, chevaulchait le roy, luy et les siens, tan que
lendemains, au gist, il ariva en une petitte cité on Dau p mois 1°™
Agab. Auquel lieu luy fut fait ung biaulx recueilz ; et fut le roy log
l’ostel de l’évesque du lieu.
Au lendemain, tirait la court oultre ; et furent loges a Nostre Damme
d’Ambrun, là où pereillement le roy fut logez enchiez 1 evesque.
Le roi à Briençon. - Item, le lundi au matin, premier jour de septem­
bre, après la messe oyee, se pertit le roy d illec, luy et es siens , e
allairent couchiez à Briençon. Et fut le roy logez pour celle nuyt en une

a. Abbigny.

316

1494.

—• CHARLES VIII EN ITALIE

hostellerie hors de la ville, laquelle est la plus grande du royaulme de
France.
Le roi à Suze. — Au lendemain, il ce pertist. Et chevaulchait tant par
ces journée, desquelles je ne veult compte tenir, qu’il arivait au pays de
Sçavoye ; et fist son antrée en la ville de Suze. En laquelle Dieu scet le
biaulx recueille que luy fut fait : car ma damme de Sçavoye en fist tout
son possible.
Le roi â Turyn. Puis, après, se deslogeait le roy ; et chevaulchait
tellement, en passant plussieurs villes et villaiges, que, le vendredi après,
aiivait dedans Turin. Et en ycelle cité ce trouvait errier ma damme de
Sçavoye, acoustrée et vestue au plus richement et noblement qu’elle
peult, pour faire honneur au roy ; et valloient ces attour et habit ung
grant avoir. Et avec elle estoient venus tous les princes et seigneurs du
pays, lesquelles paireillement estoient escoustrés de meisme, et faisoient
tout ceu que leur estoit possible pour honorer le roy. La dicte damme
estoit montée sus une haguinée 1 blanches, laquelle estoit menée par
ces lesquaie 2 ; et estoit vestue d’ung fin draps d’or brochés, tout chergés
de piererie et grosse perles : bref, c’estoit chose merveilleuse de veoir la
richesse. Car alors n’y avoit sy meschant chevaulx qui ne fût bandés de
vellours de divers colour et descoppés a tors et au travers. Puis, dedans
la ville, estoient les rue tandue et toute encourtinée de fin draps d’or et
tapis de soye, que mou biaulx les faisoit veoir ; sur eschefïault se fai­
soient monstres de plusieurs personnaige en plussieurs fasson et manier
pour esjouyr le roy. Puis, aprez plusieurs noble chose faictes, que je
laisse, la dicte ma damme s’en allait soupper avec le roy. Et avec elle y
menait son josne filz, qui s’appelloit Amés, lequelle alors estoit vray duc
et héritier de Sçavoie.
Le roi à Quyers. — Au lendemain, se pertist le roy ; et s’en allait
couchier à Quiers. Auquelle lieu il fut magnificquement ressus ; et, pour
perler de 1 honneur c’on luy fist, se seroit chose longue à raconter : car la
dicte ma damme de Sçavoye avoit illec fait préparer son entrée sy
triumphant et manificque qu’il n’est à croire ne à dire. Et, tout pre­
mièrement, au devant dudit seigneur vinrent toute la clergie, avec crois,
yawe bénitte et anssanciés d’ergent ; puis les mignons de la villes estoient
montés, berdés et bigairés de tors et au travers, et faisoient saulz et
penaydes 3 pour la bien venue du roy. Alors le roy entrait en la ville.
Et, sy je volloye compter touctes les choses manificque que pour son
honneur furent à se jour faictes, je seroie tropt loing et prolixe : car
tant de diverse mistère, qui parloient de divers matier, furent ce jour
monstrée et juée sur escheffault, que c’estoit chose merveilleuze. Entre
lesquelles les noble damme de la cité firent une monstre d’une escouchée,
la plus triumphant chose que jamaix fut vehue : car elle avoient prins
et elleus la plus belle crestienne de tout le pays, ne que possible fût en
■ 1. Haquenée.
2. Laquais. Le mot est alors nouveau en français.
3. Penades, cabrioles.

1494. — CHARLES VIII EN ITALIE

317

dix reaulme, et sembloit d’elle que ce fût une vraye déesse ou une
ymaige, tant estoit belle et bien acoustrée ; et d’icelle avoient fait leur
acouchée. Et, autour d’elle, y avoit tant d’aultre biaulx visaige angélicque qu’il n’est possible de le croire, qui ne l’aroit veheu. Icelle escouchée tenoit entre ces bras l’ung des biaux petit anfïans que des deux
yeulx peûlt estre regardés. Le lict, la couche, le ciel et la curtinne là où
elle estoit, avec la nourisse, estoient sy richement escoutrée de grosse
pierrerie et grosse perle orientalle que ce valloit ung grant trésor. Et
tant d’aultre chose sumptueuse furent encor faictes permy la ville pour
honorer le roy que ce fut chose merveilleuse. La feste durait trois jour ;
puis, au quatriesme, ce pertist le roy et toute la court.
Le roy à d’Ast. — A celluy jour, qui fut mardi IXe jour de septembre,
s’en alla le roy disner à Villenove, et au soupper dedans la ville d’Ast.
En laquelle y fut joyeusement receupt. Et, alors qu’il y entra, n y
estoit pas mon seigneur d’Orléans, auquelle la ville appartenoit : ains
estoit sur mer avec les navire.
Le prince de Tarenie déconfis. — Et, en ce tamps durant que le roy
estoit à Ast, vint ung fault messaige qui apourta nouvelle que tout
estoit perdus sur mer ; de quoy on fut bien esbahis. Mais tantost après
vinrent bonne nouvelle, et au vray '• car le prince de Tarante, annemys
au roy, estoient venus auprès de Jennes avec grant navière pour assaillii
les gens du roy ; sy furent prins et rués jus la plus part, et demeurait le
duc d’Orléans victorieulx. Desquelles nouvelles en eust le roy grant joie.
En ces jours vint devers le roy le seigneur Ludovic ; et avec luy
amena sa femme, qui estoit fille au duc de Farare, laquelle portoit la
plus grant goure 1 que oncque damme üst. Mais celluy Ludovic retour­
nait à Millan ; puis revint tantost après. Et ne disoit pas la trahyson
qu’il machinoit au roy, comme cy après serait dit. Le roy fut en celle
ville par plusieurs jours en disposant de ces affaire, et jusques au VIe joui
d’octobre.
.
. ,
Advenue à Gennes. — Et, durant ce temps que le roy séjournoit a
Ast, corne dit est, il advint une bien estrainge adventure en la mei
auprès de Gennes : car, à la veue de plus de mil personne, se baignoient
plusieurs mignons françois ; entre lesquelles vint ung grant poisson de
mer qui empoigna l’ung d’iceulx, et, non obstant quellequez deffence
qu’il y mist, il fut tirés dudit poisson au partons de la mer, tellement que
jamais on ne le vit.
Le roy à Moncalie. — Vous avés par cy devent oy le biaulx recueille
qui en la ville de Quiers fut faicte au roy Charles de France, et com­
ment il séjournait par plusieurs journée en la ville d’Ast en Piémont.
Rest maintenant à veoir et que je vous dye comment, le jeudi sixiesme
jour dudit mois d’octobre, se pertist le roy, comme dit est, et s en alla
couchier dedans Moncalie, premier place de Lombardie. Et est l’une des
belle place gorgiaze et bien escoutrée qui soit point en dix pais. Et
1. Gorre, luxe, élégance.

318

1494. — CHARLES VIII EN ITALIE

apperthient celle place au merquis de Montferrat ; lequelle en tout
honneur ait le roy recueillit, luy et les siens, et luy firent une gorgiase
entrée.
Le roy à Casa. — Au lendemain, se pertist du lieu, et s’en alla disner
et soupper à Casa, ville capitalle de tout le marquisage. En laquelle,
au commandement du merquis et de la merquise, fut fait au roy une sy
noble et manificque entrée qu’il n’est à croire ne à dire. Et, se je vouloie
tout raconter les mistère et les manificque gorre que pour l’amour du
roy fut ce jour faicte, je seroie trop prolixe à perler : car le merquis et la
merquise, avec toutte la ville, tant en vin comme en viande et en aultre
sumptueuse despance, n’y volrent rien espargnier.
Le roy d Mortore.— Au lendemain, qui fut le vendredi, se pertist le
roy du lieu ; et allait couchîer à Mortore.
Le roy à Vigene. — Et, au lendemain, qui fut le samedi XIe jour
d’octobre, couchait à Vigene, une belle petitte bonne ville ; là où paireillement luy fut fait ung biaulx recueille de plusieurs mistère, entre
lesquelles on avoit a elleus mil petit anffans de celle ville, qui tous ensamble à une voix escrioient : « Vive le roy ! Vive le roy ! »
Le roy aux Granges. — Puis de là ce pertist la court, et, le lundi
ensuivant, s’en allairent au Grainge, qui sont à demy leue de là. Ces
Grange apperthiennent au duc de Millan ; auquelle sont beste de
toutte sorte, et a sy grant nombre qu’il n’y ait homme au monde qui le
sceût croire, s’il ne les avoit veu. Et d’icelle beste, tant en chevalx, en
beuf, en vache, en berbis et en aultre bestaille, en ait le duc de Millan
tout les ans ung merveilleux proffit et une grant revenue. Et sont ces
Grange esseutte en une praierie contenant environ quatre ou cinque
leue, tant en longe comme en lairge ; et sont ces preis tout plains de
belle fontainne pour arouser et nourire les bestialles. Léans y ait capi­
taine et gens de sorte *1, auquelle respondent tous les aultres de la maison.
Le roy volt tout veoir ces choses, car ce sont les nompareille du monde.
Le roy à Corpelle ; le roi à Pavye. — Puis, après dînés, s’en alla cou­
drier dedans Courpette ; et, au lendemain, fist son entrée en la bonne
cité de Pavie. En laquelle Dieu scet le recueille qui luy fut faicte, tant
du josne anffans, duc de Millan, comme de la noble duchesse, sa mère.
Toutte la seigneurie et touctes la borgeoisie de la cité luy vinrent au
devant, avec crois, luminaire et enssancier d’argent ; puis luy ont mis
ung riche paille dessus son chiefz, lequelle pourtoie les quaitre plus
grant de la cité. Le roy fut menés en la grant église, en laquelle il fist son
oraison. Plusieurs mistère furent fait permy la ville, tant de la loy
ancienne comme de la nouvelle. Et y oit tant de nouvelletés et de
oultraigeuze despence qu’il n’est possible de le croire, qui ne l’airoit veu.
Dessus la porte estoient mil petit anffans criant : « Vive le roy ! ».
Le roy â Castel Saint Jehan. — Illec fut le roy et touttes la court
haultement ressus et servis depuis le merdi jusques a vandredi dix
a. On navoit.
1. Gens de sorte, gens de même sorte : officiers.

1494. — CHARLES VIII EN ITALIE

319

septiesme jour d’octobre ; auquelle jour il ce pertist, lui et les siens, et
c’en allait couchier à Castel Saint Johan.
Le roy à Plaisance. — Et, au lundemain, qui fut le salmedi, il ce
pertist, et c’en alla couchier à la ville de Plaisance. De la triumphe qui
à son entrée fut faictes, et des mistère et joieulx recueille qui par la ville
estoient, encor n’y avoyt heu les paireillés : car toucte la ville estoit
parée et tandue de draps de soie et vellours. Et estoit chose de l’aultre
monde de veoir la gourre et la triumphe.
La mort du jonne duc de Millan. — Mais, aincy comme on dit que
rien en ce monde n’est permanante ne estauble, nouvelle vindrent a roy
qui ne luy furent plaisante ne belle : car le jonne duc de Millan fut ce
jour mort et en terre mis. De quoy le roy ne fut jamais plus maris né 1
que alors fut ; et ploiroit comme ung anffans. Cy voult on dire que par
envye on avoit abrégiez sa mort. Incontinant que la vérités en fust
sceue, le roy flst préparer son servise et obsecque. Lequelle fust au
lundemain cy sompnellement fait et célébrés qu’il n’est possible de
mieulx : car le roy y comist gens lesquelles cy bien firent leur devoir
que, quant sc’eust estés pour le plus grant prince du monde, ce n’eust
on sceu mieulx faire au regairt du luminaire et des prebstre et des
dueille, avec une fiction, faicte magnificquement, signifiant le corps du
noble duc. C’estoit chose merveilleuse à regairder ; et n’est possible de
mieulx faire.
Le roy à Florensolle. — Après que tout ce fut fait et acomplis, et que
ceulx de la ville eurent fait plusieurs dons et présant au roy en récornpance de ces paine (espéciallement de groz fromaïge de Plaisance, qui
sont aussi gros, d’aulcuns, comme meulle de mollin, léquelle il envoya
à la royne en France), il ce pertit de celle ville de Plaisance ; et tant
chevaulchait que, le jeudi XXIIIe jour d’octoubre, c’en allait couchier
à Floransolle. Auquelle lieu fut bien ressus, cellon leur possibilités.
Le roy au bourgz Saint Denys ; le roy à Ferneuae. — Puis, le vandredi,
couchait à ung lieu nommés le bourg Saint Denis ; et, le samedi XXVe
jour dudit mois, furent lougiés en ung bon villaige nommés Ferneuue,
là où il y ait une bonne abbaye, grande, belle et plantureuse. Illec est
l’antrée des Arpes et montaigne de Boullongne ; et y est ung ruysiaulx
malvais et périlleux, lequelle par des fois croît et descroît oultre mesure ;
et est le lieu là où fut la périlleuse journée au retour du roy, en laquelle
mainte Lombair y laissaient la vie, comme cy après vous serait dit.
Le roy à Térance; le roy à Bellée. — De là ce pertist le roy, et c’en
aillait couchier à ung lieu nommé Térance ; puis, le lundi, furent cou­
chier à Bellée, là où il furent bien estroittement lougiez.
Le roy à Pontresme. — Et, le mairdi XXVIIIe dudit mois, furent
lougiés à Pontresme ; en laquelle ville luy fut faicte belle et magnifique
antrée. Et en ycelle luy vint au devent Pier de Médicis, de Florence,
lequelle ce mist du tout en l’obéissance du roy ; et, avec ce, luy mist en
1. On dirait aujourd’hui plus marri que alors fut, ou : plus marri que alors ne fut
Voyez, une tournure analogue (non plus nez que) p. 360, ligne 3.

320

1494,

OCTOBRE. — DÉFI CONTRE LA VILLE DE METZ

mains une villette, nommée Sarsaigne, avec une bonne plaice près
d’illec, nommée Sassonville, laquelle appertenoit au Florantin.
Le roy à Yolle; le roi à Sarsaingne. — Le maicredi ensuiant, couchait
le roy à Yolle. Item, le jeudi XXXe jour et dernier d’octoubre, c’en alla
le roy couchier à la dicte Sarsaigne ; auquel lieu fut plusieurs jours.
Durant lesquelle le seigneur Ludovic de Millan le vint arrier veoir ;
puis s’en retournait. Mais il ne disoit pas la traïson que sur le roy brassoit, comme cy après serait dit.
Cy vous en lairés le perler quelque peu, pour dire et desclairer aulcune
petittes a besoingne que durant ce tamps advindrent en la cité de Mets
et és pays joindant.

[ÉVÈNEMENTS DIVERS AU PAYS DE METZ].

Costume et status changés en Mets. — En celluy meisme temps, fut
fait et ordonnés ung estatus en Mets, pour ce qu’il y avoit sy poc de
gens en paraiges de la cité que on ne pouvoit plus trouver XII hommes
de paraige, que ne fussent Trèzes ou trésoriers, pour estre chargiez
des tenour, comme on avoit fait du tamps passé. Il fut adoncquez
faictes celle ordonnance que, dès lors en avant, en lieu des XII, on n’en
donroit que VI par escript.
Disposition du temps. — En la vandange de celle année, il n’y oit
guerre de vin ; par quoy les viez vin ce vandoient à X et à XII deniers la
quairte. Mais il flst l’une des belle saison pour enhainer qu’il estoit
possible de faire. Et avoit on le fin froment pour quaitre et V sols la
quairte ; le soille, III sols; l’avuaine, pour XVIII deniers, ou II sols la
plus chier ; mais la grainne de navéez coustoit XXIIII sols la quairte.
Et furent les mariens des vigne aussy biaulx et aussy mûr que on les vit
jamaix.
Ung anffans trouvés. — Item, le XXVIIIe jour de septembre, qui
estoit dimenche, on apporta au mattin en l’église de Sainct Pier aux
Ymaiges, devant la Grant Église de Mets, ung anffans environ de
trois sepmaine ; lequelle avoit une cédulle sur la teste faisant mencion
qu’il estoit baptisés, et qu’il avoit non Thirion ; et l’avoit on lessié sur
l’autel du grant crucifix. Et y oit après disner ung homme de villaige
qui le demandait au prévost d’icelle église, et il luy donnait.
Défiance contre la cité. — Tantost après, c’est assavoir le XVe jour
d’octobre, y oit ung compaignon, qui se tenoit à Montfacon par dellà
Verdum, appellé Henry d’Ormendaire, qui deffiait la cité de Mets et
tous lez habitans.
Querelle apointée entre la cité et les Bourguignon. — En ce meisme
a.

Petittittes.

1494, NOVEMBRE. — LES « ENFANTS SANS SOUCI » A METZ

324

taraps, environ quaitre mil Bourgongnon vinrent et arivairent en la
terre commune et on ban de Baiseille ; et estoit leur cappitaine général
Loys de Wauldres. Et disoît yceulx Bourguognons qu’ilz voulloient
venir logier en la terre de Mets ; car, en leur compagnie, y avoit deux
compai gnons qui faisoient aulcunes demandes à aulcuns des seigneurs
de la cité, et ce disoient de guerre. Par quoy on accordait à ung cappi­
taine, nommé le cappitaine dez Piètres, lequel avoit puissance de tout
faire ; et, en lui donnant une somme d’argent, il les gairda de venir.
Emfans de ceur desrobés subtillement. — Item, le dimenche IXe jour
de novembre, à heure de mâtine, en la Grant Église de Mets, furent
prins et desrobés deux enfïans de cuer ; et furent subitement empourté,
tellement que l’on ne sçavoit par qui ne cornent. Et, incontinent que la
Justice en fut advertie, il firent clore les pourte, et defïendre par les
barres qu’on ne laissait nulluy dehors sans licence de Justice. Puis,
tantost aprez, à IX heures, l’on fist ung huchement sur la pier devent
la Grant Église, que nulz ne les soubstenist,et que,se nulz savoient où ilz
estoient, que ilz les venist anuncier à Justice, sur peine d’estre acquis de
corps et de biens. Et incontinant, à heure de midi, fut prins pour cestui
fait ung grant jonne clerc qui se tenoit à Sainct Vincent, nommés maistre Estienne ; et fut mis en l’hostel de la ville. Item, le dimenche après
celluy huchement fait, il fut trouvés que lesdit anffans estoient en
l’hostel d’ung appellés Dediet le Lorrains, en Sainct Vincentrue. Pour
laquelle chose ledit Dediet et sa femme s’en fuyairent aux Carmes ;
aussy fit ung appellé Thiérion, le Gorriez, de Salnerie, qui estoit perre à
l’ung desdit enfïans. Et le perre de l’aultre enffans, appellés Jehan de
Lorey, de Franconrue, et sa femme, furent mis en l’ostel de la ville.
Et durait la chose ainssy jusques au XXVIe jour de novembre ; auquel
jour furent délivrés les dessus dit des prison du doien, c’est assavoir
ledit Jehan de Lorey et sa femme, perre et merre au jonne anffans
Andrieu (lequelle depuis ait moult longuement estés maistre des anffans
de cuer d’icelle église de Mets). Et fut aussy à ce jour délivrés le devant
dit maistre Estienne. Et furent les dit anffans remis és mains du maistre
organiste de la Grant Église, leur maistre. Et, ung peu de tamps après,
les aultres cy devant nommés, qui estoient fouys aux Carmes, furent
délivrés. Et furent tous pugnis de somme d’argent et banis.
Compaignons avivés à Mets, faisant plussieur mommerie. —■ Aussy, en
celluy tamps, vindrent à Mets trois compaignons de France, lesquelles se
faisoient appeller les Enffans Sans Soucy. Et venoient yceulx nouvelle­
ment de la court du roy de Secille : car journellement il hantoient les
court des princes et cité. Ses compaignons ycy juoient tant bien de
farces c’on ne sçaroit mieulx ; et, en juant, donnoient aulcuns broccart *,
qui bien leur seoit ; et, avec ce, chantoient tant bien que merveille.
Édict ordonnés par le duc de Lorenne. — Item, durant se tamps, le roy
de Secille envoiait ses sergens à Mairley, à Cuvery, à Joiey et à Corney
1. Brocard, plaisanterie piquante. Le mot est alors nouveau en français.

1494.

— CHARLES VIII EN ITALIE

faire commendement aux manans desdites villes que nul ne venissent
respondre ne sortir à Mets par devant les Trèzes aux adjournez 1 ne
aultrement, ne aussy à la court spirituel ; qui estoit une chose que
jamaix n’avoit estés fait.
Maix de ces chose je vous lairés le perler quant à présant, pour
retourner a roy Charles de France.

[le ROI CHARLES DE FRANCE CONQUIERT LE ROYAUME DE
NAPLES (SUITE)].

Le roy à Masse. ■— Par cy devant avés oy comment le roy séjournait
par plusieurs jour à la ville de Sarsaigne, au territoire des Florentin ;
auquel lieu le seigneur Ludovic de Millan le vint arrier veoir. Or mainte­
nant vous dirés comment, après ce qu’il oit aulcunement besoingniés de
ces affaire, il pertit de ce lieu, le jeudi VIe jour de novembre, et s’en
allait couchier en ung fort chasteaulx bien renommés, qui se apelle
Masse ; auquelz la marquize du lieu luy fist ung beaulx recueille. Auprès
d’icelluy chasteaulx sont les haultes montaignes là où ce prent le fin
mabre blanc et noir ; et est à demy lue près de la mer.
Le roy à Petresainde. — Le vendredi, s’en allait couchier en une
petitte ville nommée Petresaincte, apertenant a Florentin ; en laquelle
le roy mist bonne garnison jusques à son retour.
Le roy à Lucques. — Puis, au londemains, qui fut le salmedi, fist le
roy son entrée à Lucques. Hors de la cité saillirent tous les seigneur en
grant triumphe et gloire, et vestus moult magnificquement, et acompaigniés de grant noblesse, lesquelle en toutte honneur resseurent la
personnes du roy, soy soubmetant à son obéissance. Ménestriers,
trompette et clérons cornoient et businoient, que biaulx le faisoit ouyr.
A son entrée estoient héraulx à masse d’or et d’argent ; et aussy furent
chainoigne, prestre et religieulx, qui tous saillirent dehors avec crois,
fierte, reliquiaire et enssancier d’argent ; cloches sonnoient par tout les
lieux de la cité, qui estoit mélodieuse chose à ouyr. Mil petit anffans
crioient à haultes vois « Noël ! » en disant : « Vive le roy agustes ! »
Dessus luy fut mis ung grant pailles d’orfaverie semés de fleur de lis
d’or, et fut pourtés par quaitre des plus souverains de la ville. Parmy les
rues y avoit en plusieurs lieu certaines mistions 2 très odoriférante ; et
estoient les rues touttes tenduees de draps de soie et de riches tapisserie.
En l’antrée du merchief, on avoit fait ung arche triumphantes, auquelles
ung très beaux jonnes enffans estoit, qui pourtoit ungtableaulx où ces
motz estoient escript : « Verii, vidi, vincet C esar aller ». Grant feu de joye
1. Ajorner, verbe employé substantivement : ajournement, assignation.
2. Mélanges.

1494. — CHARLES VIII A PISE

323

furent fait par toutte la cité ; et furent dressées tables rondes en mil
lieux permy la ville. Brief, ce fut chose de l’aultre monde du biaulx
recueil qu’on luy fist.
Le roy à Pise. — Au lendemains, qui fut le dimanches, après la messe,
se pertist le roy de Lucques, les remerciant de leur honneurs. Et telle­
ment chevaulchairent pour cellui jour que encor fist son entrée à Pise.
De laquelle paireillement sortirent tous les seigneurs et recteurs d’icelle,
lesquelles, en tout humilité, ont receu le roy le plus triumphamment
qu’il est possible. Et à luy firent leur harangue du tort et moleste que
journellement leur faisoient les Florentin ; par quoy il se mestoient du
tout en son obéissance et service. Puis sont entrés en la cité, en l’entrée
de laquelle y avoit mil personne criant à haulte voix : « Libertate ! sei­
gneur, Libertate ! » ; qui vault autant à dire que le roy les mist en
libertés et les gectait de la servitude des Florentin : c est assavoir que
son plaisir fût de les remettre en leur franchise et libertés. Au regairt de
la manificque entrée et du biaulx recueille qu il firent au roy, je n en
sçaroie essés dire ne compter : car diverse mistère se monstroient sur
eschaufïault, avec tauble ronde par les quaireffort, là où clairès et
ypocras n’estoit espairgniés, non plus que yawe 1 ; les rue estoient
touttes tendue de draps de soie et de vellours. Cy firent alors les Pisen
tout leur povoir pour festoïer le roy et tous ces gens.
En celle cité de Pise sont plusieurs chose singulier et manificque, car
c’est une cité de grant antiquité et renommée. Premier y ait deux fort
place à merveille, auprès desquelles passe la ripvière, pourtant grant
basteaulx. Et sont celle place bien fornie de toutte artillerie et defïance
de guerre, et suffisant pour la cité deffandre. D illec on voit le grant pont
de Lingorne, qui est assis dessus la haulte mer. Auprès d’icelluy chasteau
y ait ung lieu somptueusement fait, et couvers dedans, auquelle se font
les grant navière. Puis, dedans la ville, y ait ung lieu appellés Pigranpont : auquelle anciennement solloit avoir ung grant lion de mabre
blanc qui portoit les armes de Florance ; mais, du tamps de leur muti­
nerie, il fut abbatus et mis à ruyne. L’esglise d’icelle est de grande
anticquité et de manificque ouvraige. Auprès de laquelle y ait ung
grant et spacieulx simitier, et le plus beaulx que oncque créature vit .
car, à l’entour d’icelluy, il est enrichit d’istoire faictes en or et en ésur,
qui’ont coustés plus de trante mil ducas ; lesquelle histoires est fugurée
pour le temps, et aucy y sont fugurées touttes les choses digne de
mémoires qui ont estés depuis le tamps de la création du monde , aucy
de l’Incarnation et semblablement de la passion Nostre Seigneur ,
paireillement du grant jugement de Dieu, et de plusieurs aultres choses
dignes de mémoire. Encor plus fort, toutes la terre qui est en ce cymetière, à la requeste de l’empereur Constantin, fut pnnses en plusieurs
lieu de la terre sainctes, et meysmement au mont de Calvaire, et avec

1. Le claret (vin épicé) et l’hypocras (vin sucré et parfum é de cannelle) étaient
distribués aussi abondamment que si c’eût été de 1 eau.

324

1494.

— CHARLES VIII A FLORENCE

grant navières fut amenées et posées en ce meisme lieu : de quoy la cité
en est bien décorée.
Le roy aux Pont du Signe. -— Item, le mardi matin, se pertist le roy de
Pise, luy et ses gens ; et s’en sont allés couchier en ung beaux manoir de
plaisances, à deux lieues de Florence, nommés le Pont du Signe. Et illec
se tint V ou VI jours, durant lesquelz vinrent vers sa signorie les ambas­
sades : c’est assavoir celle de la dicte Florences, celle de Sene et de
Venises. Lesquelz se mirent du tout à son obéissances, souverainnement
celle de Florence, lequel fist tant, par son doulx langaiges, qu’il appasantay l’ire du roy : car tout estoit desjay prest et en point pour assaillir
la ville ; mais, à la requestes desdit orateurs, fut alors le roy délibérés de
les aller veoir et entrer dedans la villes à grant puissances, comme il fist.
Et dès incontinnent fut chairgés tout le baigaiges, et firent troussez
malles et sommier, lesquel au chemin se mirent pour entrer dedens la
villes, en la manier corne vous oyrés.
L’entrée du roi en Florence. — Celle entrée fut, de la pertie du roy, de
sy grant magnificences, avec grant pompe et grant gore, qu’il n’est à
croire, qui ne l’aroit veu. Car, pour monstrer au Florentin la gloire et
honneur de France, fist le roy ce jour mestre tous ses gens en point a
plus richement et au plus gorrierrement qu’il estoit possibles de faire ;
et furent tous mys en ordres, tant les seigneur spirituel que temporel,
avec aucy tous les piétons et homme d’armes. Et fut la plus merveil­
leuses et triumphantes entrée que de loin g temps fist nulz princes. Car
la pluspart estoient vestus de soies et de velours, et les aulcuns de draps
d’or, décoppés et déhaichiés sur leur harnais \ qui estoient blan comme
la neiges et qui reluisoient desoubz ; lesquel il faisoit moult beaulx venir.
L’entrées et la poursuictes 12 dura moult longuement, de quoy Florentin
moult se esmerveilloient : car, des gens du roy, pour celle nuyt, en
couchait cincquantes mil dedans Florences. Le roy fut receu, avec ces
gens, moult humainnement des Florentins ; et furent faictes tant de
choses novelle dedans la cités pour festoier le roy qu’il n’est à croire
ny à dire. Et se soubmetant du tout à son obéissances, et promirent de
tenir quel loy il leur volroit bailler, comme leur droit maistres et sei­
gneurs.
Le roy à Saint Casant. — Le roy fut plussieurs jours dedans Flo­
rences ; puis ce pertist, le XXVIIIe jour de novembre, et c’en allait
couchier en ung biaulx pallaix hors de la cité ; et, aux lendemains, fist
son gist à Sainct Casant, et y fut tout le dimanches enthierrement.
Le roi à Pontgipon. — Puis, le lundi, marchèrent son armées, et s’en
allairent couchier au Pongipon.
Le roy à Sennes. — Le lendemains, après la messes, c’en allait disner
auprès d’ung grant lac, en l’abbaye d’Aye ; et, après le disner, en grant

1. Harnai», armure.
2. Le défilé.

1494. — CHARLES VIII A SIENNE

pompes et triumphes il fist son entrées en la nobles cités de Senes
l’anciennes. Et fut haultement receu et en grant honneur, aultant ou
plus qu’il avoit estes és aultres cités cy devant escriptes. Car, par ung
mairdi, deuziesmes jour de décembres, saillirent hors de la cité les
seigneurs et recteurs d’icelles, et vinrent au devant du roy plus d’une
lues, en luy apourtant les clefz, et se soubmirent du tout à luy et en
son obéissances. Après vinrent belle porcessions, avec crois et eau
bénitte, relicquiaire, fierte et encencier d’argent. Et firent au roy aultant
d’honeur qu’il estoit possible de faire. Parmy la ville furent mys plu­
sieurs hors 1 et eschafïaulx, là où plusieurs mistères se monstroient, tant
de la Loy anciennes comme du Testament nouviaulx. Et, pour monstrer
la grant affection qu’il avoient au roy, firent despandre les grant portes
de la cités hors des angon 2 ; et, avec ceu, firent pertuser 3 leur murailles
en plusieurs lieux, se disant estre pluffort en la sauvegardes du roy que
de touttes les murailles du mondes. Et se faisoient en despitant aulcuns
mutin, lesquelz souvent leur faisoient de grant molestes. Six heures
durant furent François, Suysses et Allemans en passant à grant folle
permy la ville. Et durant ce tamps estoient gens infinie et sans nombres
les regairdant passer ; et de cuer et de couraiges, tout à une voix,
crioient à haulx ton : « Vive le roy ! ». On avoit fait des choses merveil­
leuse dedans la ville pour honneur de sa personnes ; lesquelz seroient
loing à raconter, et pour ce m’en paisse quant à présent.
Le roy à Saind Clerico. ■— Item, le jeudi ensuiant, se pertist le roy
de Senne ; et s’en allait disner a bon couvant ; puis couchait en ung lieu
nommés Saint Clerico, et y fut le vendredi tous le jour.
Le roy à la Paillette; le roy à Aiguependanl. — Au lundemain, il
couchait à la Paillette ; et, le dimanche, couchait à Aiguependant.
De celle cité sortirent les manans et les plus grant, lesquelle thienne celle
cité de part le pape, et en touttes honneur ont receu le roy et son armée.
Le roy à Viterbe.-—Le macredi, se pertist le roy d’icelle ; et tellement
chevaulchait qu’il arivait à Viterbe ; en laquelle il demouray V jour
enthier.
Cy vous en lairés quelque peu le perler, pour venir à aultre mettier 4.
Disposition du temps. — Item, en celluy tamps, l’iver ce monstrat
très aspre et de grant jallée par aulcune journée, espéciallement trois
semaigne devant Noël ; et durait jusques au jour des Innocent, que le
tampts se defïïst. Puis ce muait le tamps en pluye ; et pleut par l’espaisse de VIII jours cy terriblement et à cy grant abondance que les
yawe et ripvier crurent fort et furent touttes hors de rive ; et furent les
chemin cy desrot que l’on ne pouvoit aller ne venyr.

1. Hourd, échafaud.
2. Gonds ; la forme lorraine est encore aujourd’hui angon (Zéliqzon, Dictionnaire
des patois romans de la Moselle).
3. Pertuisier, percer. C’est exactement le lorrain pètcheuhi (Zéliqzon, op. cil.).

4. Matière.

326

1494, DÉCEMBRE. — CHARLES VIII A ROME

Aussy vous sçavés, comme cy devant je vous ait dit, que je, Phelippe, acteur et escripvain de ces présante, fus marié pour cest année.
Et tellement que en ces jours et durant celluy tamps estoit Ysabellin,
ma femme, grosse et ensaintes de son premier anfïans. Mais, ainssy
comme il pleut à Dieu, durant ces grant froidure print à la dicte ma
femme une tous, de laquelle elle oit affaire : car, avent qu’elle ost du
tout acomplis son tarme de pourter, elle délivrait devant que droit, le
IXe jour de décembre ; par quoy l’anfïans ne vesquit guere, et mourut.
Mais, en laissant le perler de ces chose, je retournerés à mon prepos
du roy Chairle. Lequelle fist tant par ces journée, corne cy devent avés
oy, que luy et son armée sont arivés dedans la cité de Viterbe. Or vous
dirés comment il y fut ressus. Vous debvés entandre que à la manier
acotumée ceulx de la cité luy vinrent au devant, avec crois et eaues
bénictes, et luy firent ung biaulx recueil, corne on avoit fait és aultres
villes. Et fut logiés le roy en la maison de l’évesquez ; et y demourait
V jours entiers, lesquel durant il fist passer oultres la pluspert de ses
gens d’armes, avec perties de son artilleries.
Ambassadeurs vers le pape. -— Aussy, durant ces jours, il envoiait
monsseigneur de la Trimolle et plusieurs aultres en ambassades devers le
pape. Lequel promist et jurait d’estre bon et leal au roy ; et, pour plus
grant sertificasion, il renvoya incontinant devers le roy plusieurs
cardinalz et esvesque ; et meismement son confesseur y fut envoiés.
Le roy à Neples. ■— Avec lesquelles le roy appointa tellement que,
le lundi XVe jour de décembres, il ce pertit du lieu, et s’en allait couchier en ung petit villaiges bien renommés, nommés Neples.
Le roy à Bressaingne. ■— Et y fut le roy depuis ce jour jusques au
vendredi, qu’il ce partit et c’en allait couchier à Bressaîgnes. Auquelz
lieu y ait bon chasteaulx, apertenant a seigneur Virgille, romains.
Durant ce tamps que le roy séjournoit illec, il envoiait monsseigneur de
Ligney pour mener une grant compaignie d’Allemans à Ostie. Aucy,
durant ce tamps, vinrent plusieurs cardinalz de pert le papes en embaissade par devers le roy ; lesquelz conclurent de mener l’ost à Romme,
en laquelle estoit pour lors Alphonce, filz a roy Pharando et duc de
Callabres. Mais, quant il santit le roy aprochier, il s’en fouyt bien tost en
la Pouille.
Le roy à Romme. ■— Item, le dernier jour de décembre, sur le tairt, en
grant triumphes entrait le roy à Romme par la porte Flamine, luy et
les siens. Et estoit quasy nuyt quant il entrait ; tellement qu’il y oit
grant feste de torche et de falotz pour les alumer 1 et pour mener le roy
en son logis, lequel lors estoit ordonnés aux palaix Sainct Marc. Et fut
l’artilleries asseigiées toutes à l’entour dudit pallas ; par quoy le pappe
eust telle peur que, sen voulloir perler aux roy, il s’emfermait au chas­
teaulx Saint Ange. Auquelle il fut par plusieurs jour enclos, et ne ce
voulloit monstrer.
1. Pour éclairer les Français.

1495 N. ST. — CHARLES VIII A ROME

327

Ambassalde du roy vers le pape. ■— Par quoy, ce voiant le roy, mist
son Conseil ensamble ; et eurent advis qu’il estoit de faire 1. Et, après
meure délibéracion, il envolait vers ledit pappe plusieurs notauble
seigneurs françois. Avec lesqueulx estoit monsseigneur d’Angiers, dit
maistre Jehan d’Arly. Lequelle perlait au pappe avec ung latin cy bien
aorné qu’il en fut tout adoulcis ; et fut cause de l’apointement et de
l’amitiet que depuis on vit estre entre le pappe et le roy : car par les
perolles de ce noble docteur fut lors la paix faicte.
Cy vous dirés cornent de ces jour en avant le roy ce conthint.
Durant que ces chose ce faisoie, mettoit le roy conseil et orde par
toutte ces affaire. Et en grant dévocion visitoit tous les jours les sainct
lieu et les stacion, et désiroit à veoir touttes les chose estrange.
Et premier, le lundi XIIe dudit moix de janvier, oyt le roy la messe,
acompaigniés de ces archiés, en l’église des Frères Mineurs, c on dit
Arracely : car c’est le lieu propre et la montaigne là où la Sebille monstrait à l’emperreur une vierges en l’air, tenant ung petit enfans entre ses
bras ; et estoit cest anfîans environnés d’ung ray du soleil. Aucy, en
celle églises, y ait le tableaux ausquelz sainct Luc paindist a vif l’imaige
de la Vierge Marie. Paireillement y est le corps de ma damme saincte
Hélainne, qui fut femme à l’empereur Constantin. Et y sont encor
plussieurs aultres choses dignes de mémoires. — Puis, le merdi, oyt la
messe à la Minerve ; puis oyt vespres à Sainct Sébastien hors de la
muraille.
Juif assommés par les François; aulcuns décapité.
Durant ce
tamps, ce levait une noises entre les François et les Juifz estant à
Romme. Et tellement que, de yceulx Juifz, en furent plusieurs tués sur
les carreaulx ; entre lesquelle fut tués ung des chief d iceulx. Et fut
destruictes leur sinagogues, et tous leur biens prins et butinés. Par quoy
le roy, de ce adverty, fist pandre et estrangler en Camps de Flour ceulx
par qui venoit ce délictz. Et, pour monstrer qu’il avoit puissances à
Romme comme en Frances, fist planter permy la ville plusieurs justices,
ausquelz il fist pandre et estrangler. Paireillement fist noyer et décappiter ceulx qui l’avoie déservy.
Ung pan de la muraille du Chasteau[l] Sainct Anges tumbés. - Item,
durant ce tamps, comme chose miraculeuses, cheut et tombait ung
grant pans de muraille du Castel Sainct Anges dedans les fossés ; et jay
ce que c’est une merveilleuses et fortes murailles, et de grosses pier de
tailles, faictes d’anciennetés. Néantmoins, sen luy faire violences, tomba
ce pand de mur, comme dit est. De quoy les Romains tenoient cest
affaires à grant miracles ; et meismement en fut le pappe bien estonnés.
Le maicredi, le roy oyt messe à Nostre Damme de Consolation ; puis
fut dînés à Nostre Damme la Nosve. — Item, le jeudi XVe jour de
janvier, oyt le roy sa messe dedans Sainct Marc ; et, après disner, s en

1. On discuta sur ce qu’il y avait à {aire.

328

1495

N. ST. — CHARLES VIII A ROME

allait veoir le Collisée. — Puis, le jeudi1 XVI* jour dudit moix, oyt le roy
sa messe à 1 esglise de Sainct Pier. A laquelle vint le pappes perler à luy ;
et firent paix et acord ensembles, tellement que l’amour s’y monstroit
sy grandes qu’il n’estoït possibles de mieulx. Et, pour l’amour du roy,
fist alors le pappe monsseigneur de Sainct Malo cardinal. — Item, le
dimenches XVIIIe jour de ce meisme moix, oyst le roy sa messe en la
chappelle du pappes ; laquelle estoit tendues et touttes encourtinées de
drapz d or. Et, à ce jour meisme, fut a François monstrées la sainctes et
très dignes Véronicque. Puis chascun s’en allait en l’esglise du Sainct
Esperit, en laquelle il furent tous absoulx de painnes et de coulpe._
Le lendemain, oyt le roy sa messe dedans Sainct Pier. Et thint ce jour
le pappes ung général consistoires, présant le roy et tous les cardinal ;
et à ycelluy consistoires y avoit tant de gens de biens, tant spirituel que
temporel, que c’estoit choses singuliers à veoir. — Le merdi ensuiant,
oyt le roy messe en une chappelle c’on dit la chappelle de France. En
laquelle, veant plusieurs Italliens, il toucha et reguérîst plusieurs
malades du mal de la gorges ; dont chascun s’esmerveilloit.
Et, ce jour meisme, chantait le pappes la messes aux grant autel de
Samct Pier de Romme, estant le roy présant et touttes sa noblesse, par
quoy chacun y vint pour gaingnier les perdons. En celle messe y oit
XXV cardinal et XXX archevesques et environ XL évesques, et tant
d’aultres seigneur en dignités que c’estoit chose merveilleuses. Puis,
après le services fait, l’on se retirait en une grant places devant l’esglise :
en laquelles publicquement par ung évesques estant dessus ung hour fut
derechief la samctes Véronicque desploiées et monstrées devant tout
le mondes, tant François, Ytalliens comme Allemans, qui de cuer
contrict ploroient. Et, après ce fait, fut monstrés le sainct fer de la
lances duquel Jhésu Crist avoit estés persiés ; et alors tout le monde
à haultes voix crioient : « Miséricorde ! ». Après ce fait, on print le pappe,
vestus de blanches chappe, et fut portés en l’air dedans sa chaire, et fut
ellevés en hault en celle places dessus ung hour. Et auprès de luy fut le
roy, sus 1 espalle duquelle tenoit sa main le pappe ; et alors fist dire à tous
le mondes là estant présent dévotement le Confdeor. Puis, après, ait dit le
Miseriatur bien haultement ; et, après ce dit, donnait à tous les auditeur
qui estoient confèsetrepentans pléniers etgénéralle rémission de tous leur
péchiés, de painnes et de coulpes, comme en l’an jubillé. Et, après ceu que
le pappe 1 ost publiés, il le fist encor haultement dire par trois cardinal, et
entrois diverseslangaiges, c’est assavoirenlatin,enfrançoiseten ytalliens.
Et, alors que ces choses se faisoient, estoit le filz du Grant Turcquez
(et frère au Grant Turcquez qui alors régnoit) sur le Castel Sainct
Anges, qui veoit tout cest affaires ; dont grandement s’esmerveilloit de
veoir tant de gens ensembles. Celluy Turcquez, filz du Grant Turcquez,
estoit pour lors prisonnier au pappes, et en avoit tous les ans moult
grant pansions ; mais il le donnait a roy. Et ne vesquit guères depuis ;
et voulloit on dire que le pappes l’avoït fait empoisoner.
1. Vendredi.

1495 N. ST. — LETTRE DU GRAND TURC AU PAPE

329

Le mécredi, le jeudi, le vendredi ensuiant, et encor le sabmedi, ne
fist le roy aultres choses que de pourveoir à ses affaires. Et, le dimenches,
délibérairent le pappe et luy de se monstrer chevaulchant eulx deulx
ensambles et menant chacun son train permi la cités de Romme ; qui
estoit chose fort triumphantes et magnificques à veoir : car chascun de
son costés avoit tant de gens de gore qu’il estoit possible de veoir.
Item, le lundi, on advertist le roy qu’il se brassoit quelques choses
contres sa personnes. Par quoy, le mardi, fist ses gens tout mestres en
ordres ; puis, au macredi XXVIIIe jour de ce meisme moix, il print
congiés du pappes. Lequel, au despertir, luy donnait sa bénédiction ;
et, encor plus fort, pour mieulx confermer leur alliances, luy donnait
pour aller avec luy son propre filz, lequel pour lors estoit cardinal de
Valences. Et estoit celluy cardinal très bien acompaigniés, et de bonne
gens. Ausey y estoit celluy Turcquez devant dit ; pour lequelle son frère
le Grant Turcquez se doubtoitfort de l’airmée du roy, et avoit tousjour
heu ces espie sus les chemins depuis le despart que le roy fist en France,
Leclre du Turcquez au pape. ■— Par quoy, durant ce tamps, ledit
Grant Turc rescript au pappes et luy envoia ces messaigier pourtant
lettres, desquelles la tenour s’ensuyt :
« Marborum Arrastin, filz du grant roy Olopherne, Dieu Mahon de la
lignée du grant prophète Jhésus de Nazareth, Jaspar de Babillonne,
grant capitaine de Tartarie, emperreur de Aragonie, de Hongrie, de cost
de Beluf, seigneur de haulte Moré, de la basse Moré et de la terre des
Juifs jusques en paradis terrestre, conquesteur de Constantinoble, ayans
espérance de conquester tous les royaulmes qui se dient estre crestiens,
à toy, grant prebstre de Romme, mandons et faisons sçavoir que puis
naguères est venus à nostre congnoissance que toy et ung jeune roy nous
voullés mener guere, à la péticion et requeste de nostre frère, nommé
Babillonîus, lequel par oultraige, pansant avoir ayde et secours, s’en est
allé rendre aux Roddiens, laquelle chose ne pouons croire que le Dieu
de nature te ait donné telle puissance, sy te mandons que, incontinant
ces lettre veues, tu te wueille désister de cest haulte follie, et faire cesser
ta chevallerie. Ou, sinon, sçaichîés que nous te yrons veoir acompaigniés
de soixante six roys atout leur puissance, et ferons de ton temple ainsy
que avons fait du temple saincte Sophie de Constantinoble, de 1 ordre
de Saincte Basille oultre le mont de Sinay. Et mande à ton allyez josne
roy que luy ferons tranchier la teste dedans la millieur ville et cité de son
royaulme. Et, affin que sçaichez que sommes assés puissant de ce faire,
nous te envoions trois dons inestimables, c’est assavoir or en masse,
pierres précieuses et draps d’or. Aultre choses ne te rescripvons, sinon
que le grant Dieu Mahon te gairdes ! Escript en nostre grant cité du
Quaire, l’an de Machomet VIIIe et de nostre resgne le VIIIe. Ainsy
signé : Jaspart a ».
a Le nom de Jaspart est suivi de quatre signes extraordinaires, que l on peut figurer
grossièrement par P, 4, Y et une sorte d’S mal formé. Ces signes ont évidemment la pretention d’être arabes.

330

1495

N. ST. — PRÉTENTIONS DU DUC DE LORRAINE

Or avés oy le contenus de celle lettre, et le voyaige du roy à Romme, et
le congiez qu’il print du pape. Cy vous en lairés aulcunement le perler
pour traïcter d’aultre besongne.

[ÉVÉNEMENTS DIVERS AU PAYS DE METZ].

Le duc René fait requesle à ceulx de Mds. — Item, en celluy tamps, la
sepmaigne devant Noël, le roy René de Secille envoiait son présidant
de Loheraine (auquelle depuis il fist trancher la teste) à Mets. La cause
pour quoy fut pour requérir trois choses : la primier, qu’il ne volcissent
constraindre ceulx de Corny, de Joiey et les aultres des terres tenuez en
fiedz dudit seigneur roy de respondre aux adjournez ; •— la seconde,
qu’ilz ne volcissent contraindre l’abbé et couvent de Sainct Mertin
devant Metz pour les censives qu’ilz doient à plusieurs de la cité ; — la
tierce, qu’on luy volcist faire ouverture de l’église et maison de Sainct
Pier aux Dammes, pour tant qu’il disoit que ledit monastère et ses
appertenances estoient de ses fiedz. Et, pour tant que lesdicte demandes
et requestes estoient choses nouvelles, de quoy jamaix on n’avoit ouy
parler, et aussy que les bonnes gens de villaiges et lesdits abbé et cou­
vent avoient de tous temps passés estés respondans et obéissant à la
cité, et paireillement que ledit Sainct Pier n’est en rien en sa jurecdiction ne seigneurie, par quoy les seigneurs de la cité, aprez le conseil
pour ce fait tenus, envoiairent vers ledit roy à Nancy maistre Jehan
Noël et Jehan Dex, leur secrétaire, pour luy faire responce des resquestes et demandes devant dicte. Et croy que la responce fut telle, en
colorant les causes justes et raisonnables de la cité, et en respondant
gracieusement et en metant raison covenables, que pour touttes con­
clusion messeigneurs de la cité estoient délibérés que de touttes lesdictes
trois requestes il n’en voulloient rien faire.
Cy vous lairés de ces choses le pairler pour retourner a voyaige du roy
Charles.

[le ROI CHARLES DE FRANCE CONQUIERT LE
ROYAUME DE NAPLES (SUITE)].

Le roy à Marigne. — Vous avés par cy devant oy comment le roy
Chairles ce pertit de Romme, et print congiet du pappe et de toutte la
court, et, au despertir, luy baisait la mains. Puis, avec belle compaignies
et infinie puissances, dont tous les regairdans se esmerveilloient, le

1495 N. ST. —- CHARLES VII] CONQUIERT LE ROYAUME DE NAPLES

331

XXVIIIe jour de janvier, il ce misfc au chemin. Et chevaulchairent
tellement que à celluy jour arrivairent et couchairent à Marigne, qui est
une bonnes ville à VIII milles de Romme.
Le roy à Belilre. — Le lendemains, après disner, se pertist le roy avec
ses gens ; et s’en allairent couchier dedans Bellitre, qui est une petitte
cité dedans les bois. Et fut le roy logés enchiés l’évesque. Et là se tinrent
jusques a mois de febvrier. Durant lequel temps se desrobait de nuyt le
filz du pappe, et s’en retournait à Romme devers son perre : dont ce fut
ung villain fait, et une promesses mal tenues ; et en fut le roy grande­
ment esmerveilhés.
,
Montfortin prins par les Fransois. — Et tantost, incontinant apres,
luy vinrent nouvelles comment Angillebert, contes de Nevers, grant
cappitaines des Allemans, avoient prins ung fort chasteaulx leque a
tout le monde sembloit imprenables ; et s’appelait Montfortin, aper enant au conte Jaicques. Touttefïois on luy donnait sy fort assaulx qu i
fut prins, et mis en feu et en fiâmes. Et furent tous tués, femme e
enfïans, en despit de leur maistre b lequel aperavant avoit fait le ser­
ment au roy, et l’avoit le roy fait des chevallier de l’Ordres : mais,
tantost après, il tourna bande, par quoy l’on luy fist ce plaisir. Et a celle
prinses furent prins prisonnier deulx des filz dudit contes Jaicques.
Puis, le dimanche premier jour de febvrier et le lundi ensuiant, qui est
jour de la Chandelleur, ces deux jour ycy fut le roy a repos, luy et ses
gens, en servant Dieu sellon que le jour le requiert. Et chanta la grant
messe monsseigneur d’Angiers, acompaigniés de quaitre cardma e
VI archevesques.
„...
Le roy à Florentine. — Le mairdi ensuiant, se pertist le roy de Bellitt
pour aller à Vallemonton ; et, le mècredi, firent leur giste à Florentine.
Et y demourait le jeudi tous le jour. Et en cest ville y ait une églises en
laquelle reposes en une fiertés le corps sainct Ambroises.
Le roy à Verlic. — Au vendredi, couchait le roy à Verbe. Ausquelle
lieu y ait paireillement une église là où reposes le corps de sametes Marie
Jacobi, propre suer à Nottre Damme. Et vinrent les seigneur d icelle
églises au devant du roy avec grant crois, reliquiaires, fiertés et encencier
d’argent ; et luy apourtairent les clefz, soy soubmettant du tout a son
obéissances.

Bahuc prinse d’assault par les Françoi. - Le lundi ensuiant, sorti­
rent de Verlic ; et vindrent au disnés en ung lieu nommés Bahuc.
Ausquelz lieu y ait une places, l’une des fortes du mondes, devant
laquelles n’avoient pas loing temps que le roy de Neaples y thint VII ans
son sciège avant qu’il la peûlt avoir ; mais, à celle fois, on luy donnait
ung sy merveilleux assaulx, lequel durait VIII heures et fut sy chau t
et sy boullant qu’à la fin fut prinses. Et ne fut pas sans grant tuerie et
d’ung coustés et d’aultres : car léans y avoit gens de touttes nacions
lesquelz moult vaillamment se deffendirent ; et tuèrent des gens du

1. En vengeance de l’attitude de leur maître.

332 1495

N. ST. — CHARLES VIII CONQUIERT LE ROYAUME DE

NAPLES

roy environ XXX ou XL, mais du chasteaux et de la villes en furent
tués environ IX cenc et L. Et fut donnés charges à monsseigneur de
faillebourg de gairder les filles et femme ; laquelle chose ledit seigneur
fîst, et les gairda de deshonneur et de blasmes.
Durant que l’on faisoit ces choses, vinrent novelles au roy que le
duc de Calabre, qui alors se tenoit en une forte places nommée Sainct
Germains, qui est la clef et la serre et l’entrée du royaulme de Neaples,
sy s’en estoit fouy et avoit abandonnés la ville et le chasteaulx. En celle
ville de Sainct Germain y ait une grosse abbayes, là où le corps de sainct
Benoy reposes.
Le roy à Cypriene. — Jeudi XIIe de febvrier, couchait le roy à Cypriene. Puis, le vendredi, c’en aillait disner à la ville d’Aquin, de laquelle
fut nés monsseigneur sainct Thomas.
Le roy à Sainct Germain. ■— Et, ce jour meisme, alla couchier le roy
à Sainct Germain. Et, le lendemains, fut en l’abbaye ; en laquelles luy
fut monstrés le corps dudit sainct Benoy. Puis c’en allait le roy veoir
le chasteaulx merveilleux ; lequelle est fort et imprenables, et est le
lieu propres là où ancienement se tenoit le fort roy Charlemaignes
quant il guerroioit és pais par dellà.
Le roy à Mynagne; le roy à Triagle. ■— Au lundemains, se pertit le
roy et s’en allait couchier à Minagne. Et, le lundi XVIe jour dudit
mois, il couchait à Triagle, là où ceulx de la ville luy firent une magnificques entrées. Et illec oyt novelle comment le duc de Callabre avoit
abandonnés touttes son artilleries et ses gens d’armes, les laissant en la
cités de Cappua, et s’en estoit fouy. Et incontinant ceulx de la dictes
cités apourtirent les clefz au roy, se soubmettant à sa mercy.
L'entrée du roy à Capua, ville ennemye. — Par quoy il se délogeait ;
et, a lendemain, s’en allait disner és faulbourg de la dicte cité de Cap­
pua ; et, après disner, magnifiquement fîst son entrées en la dictes
cités. Dont tout le peuple fut esmerveillés de veoir sy grant puissances.
Et fut ce jour le roy logiés dedans le chasteaulx, lequel est de grant
forces et semblés imprenables.
Le roy à Verse. — Au lendemain, du matin, se pertist et c’en allait
couchier à Verse. Auquelz lieu il fut resseus honnorablement et logiés
enchiés l’évesques. Et, au lendemain, se vinrent présenter à luy plu­
sieurs nobles bourgeois de la cités de Naples, lesquelz, demendant sa
miséricordes, luy apourtirent nouvelles comment son adversaire, le roy
de Neaples, s’en estoit fouys par mer. Par quoy incontinent le roy y
envoyait le mareschalz de Giés, avec plusieurs aultres ; ausquelz les
Neapolitains firent ung beaulx recueil, et se mirent du tout en la sauve­
gardes du roy.
Le roy à Ponge Real. ■— De la beaultés dudit lieu. — Item, le samedi
ensuiant, se pertit le roy de Verses et s’en allait couchier assés près de
Neaple, en ung lieu de plaisances nommés Ponge Reaulx. Auquel lieu je,
Philippe, escripvains et composeurdeces présente cronicquez,aitplusieurs
fois estés : par quoy ycy aprez vous escriprés une partie de sa beaultés.

1495 N. ST. — CHARLES VIII A PONGE REAL

333

Celluy lieu est de grant magnificences en beaultés, et plus qu’on ne
sçaroit dire ; et le fist acomenser le roy Alphonces pour sa plaisances,
et le roy Pharando, son filz, l’ait fait eschevir. En celluy lieu y ait tant
de choses singulières, tant en beau pallas, en gerdins, en fontaines, en
petit préau, en diverses arbres et en diverses bestes, tant privées que
salvegines, qui sont nourrie par léans, qu’il n’est possibles de le croires,
qui ne l’aroit veu. Léans y ait belle escuyries, plusieurs fontaines eslevée
et non eslevée, en plusieurs figures ; et y a ymages de mesme, faictes
de fine albastre. Paireillement y ait de touttes sortes d’oyseaulx, tant
de mer que d’aultres, corne faisans, perdris, paons, conins, lièvres 1 :
car en ce lieu y a ung parc plus grant que celluy du boix de Vincenne.
De touttes manier d’arbre sont en ce lieu, comme orengiers, dactiers,
olliviers, rosiers blans et vermeilz, et à sy grant plantés que l’on en
polroit faire dix pipes d’eaue rose, grenardiers, pruniers, poirieres, les
grans romarins, marjolaines, oeilletz, géroflées, armeries 2, et de touttes
sortes d’aultres fleurs et d’aultre herbages assés. Belle et grande moitresse sont encloise on pourprins d’icelle, auquelle cressent de touttes
sorte de vin blanc, rouge et cléretz, grec, latin et muscadel, assés pour
tous les ans y pranre mil pipes de vin. En ycelluy parc y ait gens d’armes
ordonnés pour penser3 toutes sortes de bestes, comme chevaulx,
jumens, mulles, muletz, asnes, chapons, poullailles, pourceaulx, buefz,
vaches et aultres. Paireillement, léans y ait ung four à faire couver les
œufz à la mode du Grant Caire ; et d’iceulx œufz vinnent lé josne
poullet sans poulie ; et y ferait on, qui vouldroit, dix mil poussin.
En celluy lieu de Ponge Real y ait les plus belle maison et cloistre,
auquelles y ait les plus riche pointure que je vis oncque. Et y ait de
grant gerdins, tout clous par dessus de fis d’archet, et dessoubz pavés
d’ardoize, auquelles sont les orengiés acoustrés et artificiallement fait
comme muraille ; et y sont pourtraitte diverse figure de la fueille
meisme desdit orangier, qui est chose très belle à veoir. Dudit Ponge
Real sourt une cy grosse fontaine qu’elle abreuve toutte la cité de
Neaples qui est à une petitte lue près. En ce lieu de plaisance y ait
deux caves, les plus grandes et plus lairge que par adventure soient au
monde : car on y pourrait mettre mil pipes de vin tout à son aise.
Brief, léans y ait tant de plaisance que c’est à cest heure, comme je
croy 'l’ung des biaulx lieu du monde. Tout joindant y ait ung petit
villaige nommés Dilloïle, lequelle est au piedz d’une montaigne, nommée
Mont Impérial, de laquelle sortissent à grant randon 4 touttes les dicte
fontaines, qui vont à grant tuaulx à Ponge Real et dellà à Neaple.
Et est cest montaigne sus laquelle le duc Jehan de Loherame perdit a
journée en l’encontre du roy Alphonce d’Arragon : en mémoire de
quoy, tous les ans, à tel jour, l’on fait une grant feste en ce lieu de
1
2'.
3.
4.

Philippe énumère ici non seulement des oiseaux, mais diverses espèces de gibier.
Giroflée sauvage ? Ce mot désigne des plantes assez diverses.
Panser, soigner.
A grand randon, avec impétuosité et avec abondance.

334

1495 N. ST. — CHARLES VIII ENTRE A NAPLES

plaisance, et y donne on à boire et à mengier à tous venant ; par quoy
la plus pairt des Neapolitains y vont, en arme, avec les groz tamborins :
les jantilz homme, dammes et damoizelles sont resseut au paillas et
maisons de plaisance, et le commun au gerdins et au praiaulx et soubz
tante et pavillons. Et moy, Philippe dessus dit, y ais estés avec la court
à telz jour que la dicte teste se faisoit.
Mais de cecy ne dirés plus, pour retourner au voyaîge du roy.
Le roy à Naples. — Le dimanches, se pertist le roy de ce lieu de
plaisances, et magnificquement entrait à Neaples. Et, de primes saulx,
print le chasteaulx de Cappoenne et y logea. Et est cellui chasteaulx à
l’entrée de Neaples, du cousté vers Ponge Real ; auprès duquel y ait
paireillement de moult biaulx gerdins de plaisance, qui sont arousés dez
meisme fontaines venant de Ponge Real.
Castel Nove asségiés. — Et, pour ce jour meisme, fut asseigiés Castel
Nove, qui est la propre maison du roy, scituées de l’aultre coustés de
Neaples. Et fut fort batus d’artilleries. Et, tout premièrement, l’on
print la citadelle ; qui estoit une chose moult fort et defîensable. En
laquelle fut trouvées des bien sans nombres, et de l’artilleries et aultres
baston de defïences plus qu’on ne sçairoit dire ; et tellement que l’en
fut VIII jour au les wuidés. Puis, ce fait, ceulx qui tenoïent contraires 1
au roy se retirent dedens le chasteaux ; et furent assaillis et batus de
touttes pars, tellement que, le jeudi ensuiant, lesdit qui estoient audit
chasteaulx tenant le party du roy Alphonces requièrent à perlamenter.
Par quoy l’on cessa l’artilleries ; et alors furent envoiez plusieurs cappitainnes et grant seigneurs pour sçavoir qu’il voulloient dire. Et il
demendairent XXIIII heures de trêves ; lesquelz leur furent acourdées.
Puis, ce termes passés, demendairent à sortir leur baigues salves ;
mais il leur fut renfusés. Et dès incontinent plufïort que devant se
racomensait la bateries et les aproches ; tellement que tout alloit par
terres, et estoit piteuses choses à veoir. Par quoy ceulx de dedans,
voyant soy estre de cy près chassés, furent contrainct derechief à perla­
menter. Et alors cessait l’artilleries de tirer ; et firent leur demandes
aux comis du roy : c’est assavoir qu’il leur fût permis de sortir leur
baigues salves, et qu’il fussent paiet pour trois mois en servent le roy,
s’y luy plaisoit, ou saulconduict pour eulx en aller à leur adventures.
Et durait ce perlement jusques a merdi troisiesme jours de mars.
Ausquelz jour vinrent les seigneurs arrier pour sçavoir s’il se renderoient ; et il firent responces que, se le roy de Neaples ne leur donnoit
secours dedens le sabmedi prochien, il se mecteroient à la mercy du roy
Charles ; et à ce faires baillèrent ostaîges bon et souffïsantes. Et, ce jour
venus, voiant les annemis que leur secour ne venoit, et que l’on racomensoit la bateries pir que jamaix, furent contrains de tout abandonner.

1. Ceux qui tenaient parti contraire au roi.

1495 N.

ST. — CHARLES VIII CONQUIERT LE ROYAUME DE NAPLES

335

Et, de fait, ce rendirent à la personnes du roy meisme ; lequelle, comme
vaillant prince, les receut eulx et leur baigues salves, en laissant 1 ar­
tilleries et tout les vivres qui estoient en la dicte plaice.
Et alors le roy fist saisir le chasteaulx et y mist ses gens.
Castel de Lowe asseigiés. — Puis, ce fait, le mècredi quaitriesme jour
de mars, fist errier le roy mettre le sciège en ung aultres chasteaulx
essés près de Neaples (à ung quairt de lue), nommés Castel de Lowe,
lequel est essis sur ung rochier dedans la mer à ung^ gect de boullè.
Cy fut celluy chasteaulx merveilleusement baitus d artillerie du coustés
dever la terre (pour ce que de l’aultre coustés c’est toutte mer, comme
dit est). Au lendemains allait le roy veoir le sciège ; par quoy les canonier, le voyant, se efïorsairent de bien tirer, tellement que, pour l’abon­
dance des pierres c’on abbaitoit dedans la mer, grant quantitez de
poisson estant dessoubz furent tués et murtry. Par quoy, voyant ce,
environ cinq heure de vespre, ceulx du chasteaulx demandèrent a
perlamenter “. Et alors on envoyait dever eulx monsseigneur de Foves
et le seigneur de Miolan ; sy aportèrent la responce à la personne du
roy.
Bravelés d’une jonne fdle à chevalz. - Ce tamps durant, y oit une
josne fillette, qui estoit fille à la duchesse de Malfy, laquelle estait
montée sus ung confier de Pouille, et, en la présence du roy à brides
avallées, tant qu’il povoit pourter, le fist courir et estrauder quaitre
ou cinq longue course ; et, ce fait, le fist tournoier virer saulter et
pennarder », aussy bien ou mieulx qu’eust sceu faire le mieulx chevaulchant du monde.
, • ,•
Le rou et le prince de Tharenle perlamenle ensemble. — Item, le jeudi
cinquiesme jour de mars, le roy allait veoir son sciège; Et, luy estant
illec, vint dam Phedric, prince de Tarante, pour perler a luy ; et donna
le roy ostaige audit prince saul allans et saul venant. Sy perla ledi
prince a roy en ung gerdin, soubz ung olhvier, joindant 1 artillerie ,
et estoient alors les dit deux prince montés et escoutres cellon que
à leur estas appertenoient ; et tindrent leur perlement ensemble environ
heure et demée, et loing de touttes gens environ ung gects de pierres.
Et après plusieurs parolles, print ledit prince congiez du roy ; et c en
retournait en sa «allée, qui flottait dessus la mer. Et, au commande­
ment du roy, fut conduit de plusieurs princes françoy, auquelle ledit
prince de Tarante se recommanda.
Ft ce jour ne fut tirés aulcune artillerie ne d ung coustés ne d aultre.
Et dùrairent les tresves jusques au samedi Vile jour de mars.
Et pour ce jour meisme, ce partit la gairmson du Chasteaulx Neuf ,
dont 'les aulcuns, comme les AUemans, ce vinrent rendre au roy français,

a. Apperlamenter.
1. Courir sur la route (du mot estrade, ro ute).■
2. Penader, voltiger, en pariant d un cheval.

336 1495 N. ST. — CHARLES VIII CONQUIERT LE ROYAUME DE NAPLES

et les Espaignolle au prince de Tharante. Et tout par saulf conduit.
Et alors, par le commendement du roy, entrait monsseigneur de Cresol,
avec plusieurs aultres, audit chasteaulx ; auquel il trouvaient des
biens infîniement et sans nombre. Et, ce jour meisme, allait le roy veoir
ledit chasteaulx.
Et, quant il l’eut veu à son aise, sy retournait au sciège devant le
Castel de Lowe. Auquel lieu ledit prince de Tarrante vint de rechief
perler à luy. Et fut ce perlement brief, car il estoit tard.
Le prince de Salerne arive au[près] du roy. — Et, en ce jour meisme,
arivait à Neaple le prince de Salerne, lequel avoit estés fuigitif par
l’espace de cincq ans hors du reaulme pour la crainte du roy Alphonce.
Et à ce jour trouvait ung siens petit filz, que ledit Alphons par plusieurs
jour avoit tenus prisonnier ; mais le cardinal Petry ad vincula l’avoit
rachetés, et baillés pour luy grosse ranssons.
Item, le dimanche VIIIe jour de mars, après le dînés, allait le roy juer
en son sciège. Et alors fut donnés la responce à ceulx du chasteaulx : ce
fut qu’il ne ferait pas ce qu’il demandoient, et furent soubmis de ce
randre; ou, aultrement, leur fut dit que l’on leur monstreroit de biaulx
point. Ce que l’on fist : car, en moins de trois heures, on tirait plus de
trois cenc colpt d’artillerie contre ledit chasteaulx. Puis c’en retournait
le roy en son logis à Neaples. Au lendemain, fut la basterïe plus fort que
devant ; et tellement qu’il atonnait fort ceulx de dedans. Puis, le
mardi Xe jour dudit moix, fut errier tant bathus ledit chasteaulx de
bombarde et gros canons, grosse serpantine et groz faulcons, tellement
qu’il abbatirent dedans la mer l’une des plus grosse tour qui y fût ; et
veoit on dedans ledit chasteau tout par tout. Et fut Tâtonnement sy
grant de l’artillerie que les groz poissons venoient flottans tout mors
dessus la merre. Puis, le mècredi ensuyvant, Ton racomansait de plus
belle. Et fut la dicte place sy fort destruicte que ceulx de dedans ne ce
sçavoient où salver ; et tellement que les gens du roy montairent sus la
chaulciée et combaitirent mains à mains. Et fut alors tirés ung copt
d’artillerie qui fit grant dopmaige à ceulx de dedans ; mais, par fortune,
l’artillerie rompit, et tuait aulcuns des gens du roy, et plusieurs en
blessa. Puis, le jeudi XIIe jour dudit moix, fut arrier le chaistiaulx
tant batus d’artillerie que force fut au capitaine de léans sortir dehors
pour venir perler au roy en son sciège, à genoulx, la teste nue. Et estoit
celluy capitaine ung biaulx anciens homme, hault et puissant, et avoit
les cheveulx aussy blan que neige. Et à mains joincte, comme dit est,
requist a roy de avoir triêve jusque au lundemain ; ce que le roy luy
octroiait.
Castel Lowe rendus aux roy. —- Puis, ce fait, perlait ledit cappitenne
au prince de Tarante, son seigneur ; et tellement que, après plusieur
perolle, fut le chasteaulx randus au roy, par tel cy que 1 rien de léans
n’en fût osté. Et dès incontinant le roy y mist nouviaulx cappitaine.
1. Par tel si que, sous telle condition que.

1495, MARS.

LE COUVENT DES CORDELIERS DE METZ INCENDIÉ

337

[l’année i495].

Mil iiijc iiijxx et xv. — L’an *1 Xe de Maximilian, Roy des Romains,
qui est de nostre Rédamption mil quaitre cenc IIIIXX et XV, fut fait,
créés et essus pour maïstre eschevins de la cité de Mets le seigneurs
Andrieu de Rinech, chevalier de Jhérusalem et de Saincte Katherine.
Et, en cellui tamps, en mars, il fist cy trefïroit que les fleurs des arbes
furent toutte engellée on païs de Mets et en plusieurs aultre lieu.
Partie du covent des Cordelier bruslés. — Item, en ce meisme moix,
avint une grande esclandre au Grant Cordelliet de Dessus le Mur, et de
nuyt. Le cas fut telz que léans y avoit ung Frère estrangier, qui preschoit la karesme ; et, celle nuyt, ledit Frère, luy estant sus sa couchette,
tenoit son livre devant luy et estudioit le sermont du lundemains ; mais
il s’endormit, et cheut la chandoille à l’estrains du lict. Par quoy incontinant fut la chambre toutte embrasée, et à paine 2 se salva le Frère ;
touttefïoîs il eschaippait, et s’en fouyt. Et le feu se print au tey de leur
dorteur ; et, jay ce que tout chacun y escoureust, l’on ne soit sy bien
faire qu’il n’y oit plus de cenc libvrez de dopmaige.
Une fille bruslée par justices. — En ce meisme tamps, le vandredi
devant les Paulme, Xe jour d’apvril, advint en Mets une aultre esclan­
dre. Car à ce jour fut accusée une josne fille, eaigée de XVIII ans, qui
servoit Piéron des Mollin, le viez. Le cas fut telz que celle jonne fille,
elle estant en cest eaige, avoit conceus ung anfîans ; et le cella tellement
qu’elle l’enfanta toutte seulle. Puis la pouvre dollante, mal advisée, le
print par les piedz et le frappait contre ung mur, et le tuay a ; et, ce fait,
le gectait en ung puis qui estoit en la maison que ledit Piéron tenoit
decost Saint Anthonne sus les mollin, là où il faisoient la servoize (car
ledit Piéron estoit guernetier 3 de la ville). Et y fut cest anfîans depuis
le jour de la Chandelleur jusques au Xe jours d’apvril. Auquelle jour les
brasseurs qui bressoient la servoize en la dicte maison vollurent essaier
ce qu’ilz n’avoient encor fait, c’est assavoir se l’yawe dudit puis serait
bonne à faire servoise ; et, après la conclusion donnée, acomansairent
à tirer de celle yawe. Mais incontinant ont veu l’anffans sur 1 yawe,
lequelle flottoit et négeoit. Dont il ont estés bien esbahis ; touttefïois,
il n’en ont fais aulcuns semblant, et ont délibérés de le celler tant que
leur maistre Pierron serait revenus de la pourcession. Mais, durant
qu’il en devisoient, la fille les acoutoit ; par quoy, incontinant qu il ce

a. Corrigé postérieurement, sans doute par un autre que Philippe, sur tuyt.
1. Philippe, qui suit assez exactement Aubrion, a négligé ici, dans le Journal, tout
ce qui concerne Metz de la page 352 à la page 356.
2. Avec peine, à grand peine.
3. Grenetier.

338

1495. — CHARLES VIII VISITE LE ROYAUME DE NAPLES

fussent pertis du lieu, elle ce desvallait au cellier, et, par une fenestre
qui respondoit au puis, avec ung rètez L elle print l’enffant, et le allait
gecter en une courtoise 12. Et, quant ledit Piéron fut revenus, son
nepveulx, le jonne Pierron, luy dist et contait comment en leur puis
y avoit ung anffans ; et, de fait, luy voult aller monstrer : mais il n’y
trouvèrent riens. Et alors commencèrent à serchier par toutte la mai­
son ; et, à la fin, fut l’anffans trouvés dedans la corthoise. Incontinant
la fille fut prinse et emmenée. Et, tantost le mardi après, elle fut mise
on pillory ; puis fut menée entre les deux pont. Et là on avoit fait ung
angiens, non pas à la coustume des aultre : car la dicte fille estoit toutte
droitte ellevée en hault et contre ung grant pal. Et, tout premièrement,
oit l’une des mains couppées ; et puis on bouttait le feu, et fut arse et
brûllée : non pas que l’on la laissait consumer ; car, incontinant qu’elle
fût morte, on estindait le feu, et demourait toutte droitte, qui estoit
hideuse chose à veoir. Et lui mist on ung anffans de boix entre ces bras,
avec ung aultres en pointure.
Cy vous lairés à perlés d’elle pour retourner a roy Charles de France.

[LE ROI CHARLES DE FRANCE CONQUIERT LE
ROYAUME DE NAPLES (SUITE)].

Le roi receoit la foy des prince du paiis. — Or maintenant je veult
retourner au roy Charles de France et à son voyaige. Vous avés par cy
devent oy comment il ordonna et mist nouviaulx capitaine au castel
de Lowe. Et puis, ce fait, debvés sçavoir comment, le dimenche après,
XVe jour de mars, et touttes la sepmaigne ensuiant, le roy ne bougeait
du châtiaulx de Capuaine à Neaples ; et ne fist, aultre chose que à recepvoir la foy et homaige des princes et seigneurs tant de Neaples comme
de la terre de Labour, de Callaibre, d’Aubreusse, de la Pouille, du
Bauselicaite et de tout le pays soubject au royaulme de la grant Sicille.
Grant recueil aux roi par la fille la duchesse de Malfy. — Le lundi
ensuiant, pour passer tamps, le roy c’en allait à Ponge Real, qui est,
comme dit est, à ung milliair de Neaple, ou environ. Auquel lieu la fille
de la duchesse de Malfy, cy devent escriptez, ce retrouvait devant le
roy, montée sur grant coursier de Pouille, lequelle elle faisoit saulter,
tourner, virer et penalder. Et estoit chose incrédible que une jonne fille
sceust faire ce qu’elle faisoit, ne chose cy oultraigeuse. Et croy que au
sciège de Troye la Grant les dames 3 qui vindrent au service dé Troyans
n’eussent sceu faire la centiesme pertie des choses qu’el faisoit.

1. Râteau (Zéliqzon, Dictionnaire, art. rété).
2. Cortoise, lieux d’aisance.
3. Les Amazones.

1495. — CHARLES VIII VISITE LE ROYAUME DE NAPLES

339

Chancellerie establie dedens Neaples; office donnée; frapper monnoye,
et aultre cas. — Item, le mairdi, fut estaublie a au lieu de Neaple la
chancellerie comme en France. Avec ce, plusieurs office furent ce jour
donnée. Et fut ordonnés de frapper monnoie du coing du roy ; et plu­
sieurs aultres nouvelle ordonnance furent ce jour faictes.
La cité de Gayette prinse par le roi. — Item, le lendemains, vinrent les
nouvelle comment la cité de Gaiette estoit prinse et randue a roy.
Et, le jeudi ensuiant, fut envoiés monsseigneur le sénéchal de Beauquaire pour en prandre la possession.
Le roy passe son temps à adviser la ferlilité du paiis conquestés. — Item,
que les XV jour ensuyant ne furent faictes chose digne de mémoire,
fort que le roy ce alloit juer puis en ung lieu, puis en ung aultres. Et fut
veoir les douuaines *1, qui sont lieu couvert là où ce thiengne les foires,
et là où ce font les grant navier et plusieurs ouvraiges servant à ycelle. —
Item, le vandredi Xe jour d’apvril et le samedi XIe, fut envoiés grant
compaignie d’Allemans en Callabre ; desquelle estoit cappitaine monsseîgneur d’Aulbigney. — Puis, le mairdi après, arivairent en grant triumphe au port de Neaples plusieurs navières de France ; de quoy le roy
fut bien joieulx. — Item, le mècredi XVe jour d’apvril, le roy oyt la
messe à l’église de l’Anunciade, et ce confessait. Et illec guérit les
mallades des escrouelle, qui est ung don de graîce qui ont les roy de
France ; et y vindrent gens en grant nombre, et de toutte nassion ; et
faisoient ceulx par dellà grant estime et grant conte de veoir le miracle ;
et estoit belle chose à veoir. — Item, le jeudi absolu, XVIe jour d’apvril,
le roy oyt la messe à Sainct Jehan de Carbonnaitte ; auquelle lieu fist ce
jour le roy sa sène, corne en France, à XIII pouvre ; et à chacun 2 son
disner, comme il est de coustume, et XIII escus d’or. Et fist le sermon
ung très notauble docteur de Paris, nommés seigneur Pinelles ; et la
grant messe chantait ung chainoigne de Rouuen. — Pareillement, le
grant vandredi et le grant sabmedi, fut le roy tout le jour oyant le
servisse en la dicte église, et y disna ; et pareillement le jour de Paicque.
Et, cellui jour, touchait les mallades des escrouelle pour la deuziesme
fois ; qui est belle chose à veoir, meismement à ung tel jour : dont la
seigneurie de Neaples ce donnoït grant merveille. — Au lundemain de
Paicque, que fut le XIXe jour d’apvril, ne le mairdi après, depuis la
messe, le roy ne bougeait de son logis. — Item, le maicredi et le jeudi
des festes, furent faictes joites royaulle devant Castel Nowe, en une
plaice qui se nomme l’Ancoronnaite ; auquelle ce trouvairent plusieurs
jantilz homme de toutte les pertie d’Itallie et de Lombardie , et y oit
ce jour grant feste et grant triumphe.
Cy lairés quelquez peu du roy à pairler pour dire aulcune chose les­
quelles durant ce tampts sont advenue en ce pays de par dessay.

a : estaublei.
1. C’est notre mot douane.
2. Il faut suppléer : donna.

340

1495, AVRIL.

DISPOSITION DU TEMPS

[ÉVÉNEMENTS DIVERS AU PAYS DE METz].

Disposition du temps. — Item, en celluy tamps, le Créateurs de touttes
chose monstrait ung biaulx miracle dessus les biens de terre en ces pays
ycy : car, le XXIIIIe et le XXVe jour d’apvril, il fist ung merveilleux
temps de grelle et de froide pluye ; et tellement qu’il n’y avoit créature
qui ne crût que tous les biens de terre, bledz, vins et fruyt deussent
estre tous engellés, fondus et gastés. Toutteffois les citains de Mets,
prebstre, religieulx et aultres, avec les bonne matronne, d’ung cuer
contric, firent ainsy que ceulx de la cité de Ninive, et ce prinrent à
jûner et à demander miséricorde à Dieu ; et, avec ce, à faire de belle
et dévotte procession, tant és religion comme aux aultres église, et
aussy tant de nuyt que de jour. Et sonnoient les cloche par touttes les
église de Mets et du pays, tellement que c’estoit piteuse chose à ouyr.
Et le benoît Créateur blanchit sa fasse et révocca de sa sentence, et
print, comme je croy, la prières de son peuple en greis : en fasson telle
que, le XXVIe jour du meisme moix, le temps se raipaisa ; et n’y oit
rien endompmaigié. Et fist tousjour biaulx temps depuis, et chault.
Par quoy messeigneurs de la spirituallité, avec ceulx de la temporallités,
afïîn qu’il ne fussent reprint du péchiés d’ingratitude, comme fut le fol
Nabal, se joindirent ensembles, et, par bon acord et union, firent
plusieurs procession.
Une femme faisant austère pénitence. •— En ce meisme tamps, fut fort
murmuré sus la femme d’une des baise gairde 1 de la porte des Allemans, nommés celluy pourtiet Jehan Ruxe, et celle femme nommée
Rouse. Et la cause pour quoy, pour ce que la dicte Rouse faisoit la plus
estrêmes pénitance, qu’il n’estoit à croire. Premier, elle n’alloitsynon en
lange 2 et deschausse ; et croy, comme on voulloit dire, qu’elle pourtoit
la hair, ou encor pir. Item, elle fut plusieurs année sans mengier cel ne
chair, ne sans ce gratter ; elle fut plus de XXV ans et jusques à la mort
sans perler, et donnoit sa confession par escript. Par quoy pour ces
chose elle fut prinse et fut bouttées en l’hostel de la ville, pour sçavoir
dont ce luy venoit, mais on n’en polt aultre chose sçavoir, et fut laichée
franche et quicte, sinon que depuis on ne voult recepvoir sa comfession
par escripture, et perlait en ce confessant. Celle femme cousoit en
drappelaige pour aultruy, et leur monstroit autant de pierette en sus
ces doy comme elle voulloit avoir de denier ; et menait celle vie tous­
jour jusques à la fin.
Item, le tamps ce eschauffait tellement que l’on mengeoit desjay du

1. Le portier était sous les ordres du châtelain, d’où l’expression de bas garde (cf.,sous
l’ancien régime, l’expression bas-officier).
2. Vêtements de laine, en particulier : chemise de laine.

1495, MAI. — CHARLES VIII VISITE LE ROYAUME DE NAPLES

341

groz verjus à l’acommencement de jung. Puis, après, il fist cy mer­
veilleusement chault en la semaigne de la Pantecouste et deux jours
après que les raisins des vignes acomensairent à brûller et à coller.
Toutteffois Dieu y mist sa graice ; et vint une pluye, le merdi devant la
Feste Dieu, que durait près de trois jours ; par laquelle le tamps se
reffroidit, et acomensairent lé verjus à devenir gros et les avuoinez à
croistre.
Mais de ces chose je lairés le parler pour retourner à mon prepos du
roy Charles et de son voyaige.

[LE ROI CHARLES DE FRANCE VISITR LE
ROYAUME DE NAPLES (SUITE)].

Vous avés par cy devant ouy comment, le mairdi de Paicque et le
jeudi, se tinrent les jouste à Neaple. Puis, le dimanche troisiesme jour
de may, le roy oyt la messe en la grand église de la cité ; en laquelle ce
jour estoit la feste de sainct Genvy, paltron d’icelle. Et d’icelluy sainct
fut ce jour monstrés a roy sancquez en une empolle, dur comme ung
pîer, lequelle sanc on fist touchier a roy avec une petitte verge d’argent,
et incontinant, en sa présance, il fist miraicle, comme bien souvent il
fait : car il devint tout mol, chault, bouyllant et frémissant ; qui est ung
grant miracle.
Les biens estant aux Chasteaux Neufz. — Puis, le lundi quaitriesme jour
de may, le roy fist mettre les biens qui estoient au Chaistiaulx Neuf par
inventoire : car moult en y avoit, et estoit chose incrédible des biens qui
furent trouvés audit chaisteaulx, tant en vivre comme en aultres ri­
chesse. Et n’y ait de chose de quoy l’on sceust deviser, qui soit bonne
et nécessaire au corps de la personne, souverainement à résister encontre
sciège, qu’il n’en y eust à grant abondance ; et fut alors celle maison
tenue pour la plus riche et a mieulx fornie de tout le monde.
Exécution d’ung Ytalien. — Item, le lundemain, fut coppée la teste
à ung Ytallien qui avoit mangiet le cuer d’ung paige françoy : dont ce
leur fut grant reprouche.
Au mècredi ensuiant, le roy donnait à ces noble plusieurs gallée
nouvellement faictes à Neaple ; et furent mise en mer.
Item, le vandredi VIIIe jour de may, print voullunter a roy de aller
veoir les merveille qui estoient (et sont encor) à trois ou à quaitre mil de
Neaples, du cousté devers Castel de Lowe et en venant devers Gayette.
Et sont ces merveille devers une petitte bonne ville essutte en mer,
nommée Petesoulle : qui est à dire petitte, car ensiennement ce nommoit
Bay, et estoit grant cité du tamps de Virgille ; mais, à cest heure, elle
est fondue en mer, réservés la dicte Petesoulle, qui est restée sur une

342

1495, MAI. — CHARLES VIII VISITE LE ROYAUME DE NAPLES

haulte rouche en mer. Or, pour aller en ce lieu, je vous dirés où il fault
entrer.
Noire Dame de Piedz de Grotte. ■— Premier, debvés sçavoir qu’il y ait
une haulte montaig[n]e par dessoubz laquelle il convient passer. Au
piedz d’icelle montaigne y ait une belle religion, nommée Nottre Damme
de Piedz de Grotte, auprès de laquelle y ait ung grant pertuis, lequelle
par art fist anciennement percer le dit Virgille (car il fut de celle ville,
corne on dit) ; et dure bien ycelle grotte près de demi lieue.
Le roi vail veoir les merveille des grotte du paiis. — Et en ycelle entrait
le roy, luy et les siens, puis vinrent à sortir dehors en ung biaulx pays et
fertille. Et, en passant que ceulx des pays de par dellà font permy
ycelle grotte et par dessoubz la montagne, il ont de coustume de tousjours tenir la pertie à la mains droitte, soit en allant ou en venant,
afïîn qu’ilz ne se rencontre l’ung l’aultre. Et celluy qui vait de Neaple à
Petsolle escrie aux aultres qui viengne contre luy : « A la marine ! A la
marine !» ; et les aultres qui vont à Neaple rescrie : « A la montaigne !
A la montaigne ! » Et est celle montaigne haulte à merveille, et y ait de
bon villaige dessus. Et, quant on ait passés celle grotte, on entre en ung
biaulx plain pays et fertille, comme dit est, essés longuette de la mer,
joingnant aux montaignes, tous plains d’orengiers, ollivier, prey,
fromment, arbres, poiriers, pommiers et grenadiers, et plusieurs aultres
choses plaisante. Et, après ce petit plain païs, l’on va en une petitte
ville sur le bort de la mer, près de la ville devent dicte qui est périe en
la mer. Et paissait le roy lesdictes grottes, bien acompaigniés tant de
grans seigneur que de ses gentilz hommes et ses gardes, et vint prendre
son vin près d’icelle petitte ville cy devant nomméez.
Le lieu où Von fait le souffre. — Et, ung petit arrier de là, est le lieu où
l’on fait le souffres, en une grant montaignes moult fortes. Et est celle
montaignes de telle nature que tousjours ars *, sans feu ; et vist le roy
faire le souffres en sa présences, tant boutailles dudit souffres qui aultres
choses qui s’en font ; et sont aulcunement médicinables quant au corps
de l’homme. Aussy fut monstrés au roy tout ledit lieu, qui est mer­
veilleux à veoir à gens qui jamaix ne le virent.
Deux source d’eawe en celle montaingne, l’une blanche et l’aultre noir. —
Item, en la plaines d’icelles montaignes et souffretries 12, a 3 deux source
d’eaue, dont l’une est chauldes et noires comme ancres, et boult comme
une grant chaudières sur le feu ; l’aultre source est blanche et froides, et
pareillement boult comme l’aultre.
Merveilleux pertuys duquelz sorte ung impétueulx vent. — Puis, en
ycelle vallée, est ung trou merveilleux : car d’icelluy trou sault4 ung
merveilleux vent, lequel est Sy fort et sy puissant au sortir dudit trou
1. Art, du verbe ardre • elle brûle.
2. Soufreterie, lieu où l’on [recueille le soufre. Mot forgé par Philippe, sur le
terme italien ; l’ancien français ne connaît que soufrerie.
3. Il y a.
4. Du verbe saillir.

1495, MAI. — CHARLES VIII ENTRE A NAPLES

343

qu’il soustient pier, bois, et tout ce que on gectes dedens ledit trou, sans
brûller, et est moult chault. Et disent aulcuns des pays de par dellà que,
quant on mest des eufz cuyre en celle eaues dessus nommées, quelques
gardes que on y faces, on en pert ung.
Le lieux là où se fait l’alyn de glace. — Item, après ce lieu, le roy alla
en ung aultres lieu, moult nobles et de grant excellence, où l’on fait
l’alun de roche h Et vit le roy la fasson et chauldières, et l’eau qui se
convertist en pieres d’alun et formes de sel.
Estuves chauldes et seiches. — Après celluy lieu, le roy vint en ung
aultres val où yl y a ung grant lac larges et parfont d’eau froides ; et,
joingnant ce dictz lac, ait des estuves chauldes et saiches, sans aulcun
feu, fort la challeur de la montaignes. Qui est belles choses à veoir, car
tout ce fait sans artifices.
Chose merveilleuse à considérer. — Après touttes lesquelles choses
furent monstrées au roy ung aultre trou rond dedans l’une des mon­
taignes joingnant le dit lac, qui est une choses merveilleuses, et doubteuses : car, dès incontinant que quelque choses vive y est mises, elle
prent mort. Et, devant le roy estant illec, fut le cas expérimentés : car
on y gecta ung asne vif, qui subitement morut , et pareillement y fut
gectés ung chat, qui ait cy très dur vie ; et pour ce est à croire que c est
ung lieu sathanicques et gouffres infernal.
Et touttes ces choses, je, Philippe, escripvaïn et compouseur de ces
présantes, ais aultre fois veu ; et ais plusieurs fois passés et repassés par
dessoubz la montaigne devant dictes.
Le roy, estant sus la montaigne de Ponge Real, advise le paiis.
Mais,
pour revenir au prepos, après touttes ces choses veues, le roy vint
couchier à Neaples en son logis, et repassa les dictes grottes. Puis,, le
samedi IX® jour de may, oyt le roy sa messe aus Chairtreux d en
hault sur la montaigne. Et d’illec l’on voit tous les chaisteaulx de
Neaples, et la ville pareillement, avec la mer, et aucy voit on Ponge
Real. Et illec fut ressus le roy honnourablement des religieulx dudit
lieu. Puis c’en retournait à Neaples ; et y fut jusques au mairdi aprez.
Le roy à Ponge Realz. — Puis, quant ce vint au mairdi ensuyant,
c’en alla le roy à Ponge Real ; et illec assembla tous les prince et sei­
gneurs, tant de France comme de Neaples et des aultres perties d Ita ye.
L’entrée du roi à Neaples. — Et, ce jour meisme, acompaigmés d iceulx
seigneurs, en grant triumphe et en habis impérial fist son entrée a
Neaple. De vous raconter la grant goure qui y fut, ne aussy de vous
nommer les nons dez seigneurs qui à ce faire le acompaignèrent, je m en
tay, car je seroye trorpt prolixe, se tous voulloie dire et compter, n
entrant que le roy fist en la cité, et en passant par les rue, auquel y ait
certains lieu qui se nomment les sciège de Neaples, et en yceulx lieux

1. Il y a cinq sortes d’alun, d’après Furetière (Dictionnaire) : l'alun de glace ou
alun de roche est la première.

344

4495, 20

mai.

— Charles

viii quitte le royaume de naples

furent audit seigneur présantés plusieurs nobles anffans, lesquelles, à la
requeste et prières de leur amis, furent par ledit seigneur fait chevalier.
Et, aprez ce fait, fut menés ledit seigneur en grande et manificque
triumphe jusques en la grant église. Auquel lieu luy furent monstrés
plusieurs noble et digne juaulx, souverainnement et par espécial le chief
du devant dit sainct Genvyn, avec aussy son précieulx sancg. Et illec
fit le roy le sairment acoustumés aux nobles du païs, c’est de les entre­
tenir en leur franchise. Puis, ce fait, fut plusieurs jour en recepvant les
homaige des princes du pays ; et puis disposait son cas pour c’en
retourner en France.
Monsseigneur de Monlpensier ordonnés gouverneurs d Naiples pour le
roi ; le roi perte de Neaples, vait coucher à Verse, et de là d Capua. ■— Telle­
ment que, après plusieurs chose faictes et acomplie, que je lesse, le
macredi XXe jour de may, print congiez humainement de tous les
seigneurs du païs. Et leur laissait monsseigneur de Monpanssier pour
vif roy 3, régent et gouverneur en son obsence a de tout le royaulme.
Et, ce dit jour meisme, s’en alla couchier à Verse ; et, le lendemain,
couchait à Capua.
Le roi avives à Rome. -— Puis chevaulchèrent tant par leur journée
(desquelle ne veult compte tenir) que, au premier jour de jung, entra
le roy, luy et ces gens, en la cité de Rome. Et fut logez en l’hostel le
cardinal Sainct Clément. Et n’estoit pas alors le pappe à Rome ; ains
c en estoit fuys en un g sien fort chasteau.
^ Le roy d Viterbe. —Le mècredi ensuyant, ce pertit le roy de Rome.
Et tellement chevaulchèrent que, au samedi après, vigille de Pentecouste, arivairent à Viterbe ; auquelle lieu il fut ressus entelz honneurs
qu’il avoit estés en allant.
Le roi à Monteflascon ; — le roy à Sennes. — Le lundi ensuiant, pertist
le roy de Viterbe, et c’en aillait couchier à Monteflascon. Et tellement
ont chevaulchiés que, le samedi après, sont arivés à Senne. Et, aprez le
biaulx recueil et la bonne chier que en celle cité luy fut faictes, tant des
seigneurs et gouverneurs d’icelle comme dez damme et damoiselle, en
bancquet et aultrement, le roy print congiez ; et se partist de Senne le
maicredi ensuiant, XVIIe jour de jung.
Le roy à Ponlgiponl. — Et tant chevaulchait, luy et sa compaignie,
que, ce jour meisme, arivait au Pontgipond ; auquelle lieu il fist la feste
du Sacrement de 1 Aultel. Et furent ce jour, luy et ses gens, en grant
triumphe et en grant dévocion à acompaignier le vray corps de Dieu, et
en tous les lieu et place là où il estoit ordonnés d’aller. Et avoit le roy
ordonnés à celle procession tant cierge, torxe, pillés et aultre luminaire
que c estoit merveille ; avec aucy trompette, clérons, ménestrieu, tam­
bourin et de toutte aultres sorte d’instrument, lesquelles juoyent sy
doulcement qu il n’estoit possible de mieulx. Et à ce jours estoient
venus tous les seigneurs et dammes du pays, avec touttes aultres manier
a. Ici et ailleurs le manuscrit porte nettement obsence pour absence.

1. Vice-roi.

1495, JUILLET. — SIÈGE DE BOUILLON EN ARDENNE

345

de gens, que illec se assamblèrent pour veoir la manificence du roy : car
c’estoit chose à amerveillier de veoir sy belle et sy triumphante compaignie.
Le roy à Pise. — Au lendemains, se pertist le roy. Et tellement chevaulchait que, le samedi ensuyant, il arivait en la cité de Pise. En
laquelle il fut receu aussy bien, ou mieulx, qu’il avoit estés à l’aller ;
et y fit on dé chose singulier et des monltre manificque pour l’amour de
sa personne. Et, après ce que, à leur requeste, le roy les eut prins en sa
sauvegarde, il laissait illec grosse garnison.
Le roy à Lucques. —- Puis, le mècredi ensuiant, print congié d’eux ;
et ce pertist de Pise. Et fist son gist en la cité de Luques ; auquelle lieu
fut pareillement haultement et triumphamment receu. Et estoit ce jour
la vigille de la sainct Jehan Baptiste ; par quoy ceulx de la ville avoient
fait apaireiller ung moult grant et merveilleux brandon en mey la place
d’icelle ville ; et, pour l’honneur du jour, ont priés et requis au roy qu’il
boutait le feu dedans, comme il fist, de quoy il se tinrent bien joieulx.
Le roy aux pies des Alpes de Bolongne. — Le jeudi ensuyant, se
despertit de Lucques. Et tellement ont chevaulchiés que, le lundi après,
XXIXe jour de jung, ce pairquait le roy, luy et ces gens, au piedz des
Arpes de Bollongnes. Et là ce thint quaitre ou cincq jour, en estandant
son artillerie ; pour laquelle à passer on en print moult grant paine.
Le roy à Sarcenne. —- Et, le samedi après, luy estant à Sarcenne, luy
vinrent nouvelle comment le duc de Millan, avec les Vénicyen, avoyent
fait grosse assemblée pour luy grever et détourner le passaige. Par quoy
oultre la ripvier yl fit parquerre son camppe ; et illec soubz ces tente et
pouvillons souppait avec tous ces gendarmes ; et toutte la nuyt trom­
pettes et clérons ne sessèrent de juer. Et y fut plusieurs jour ; durant
lesquelles luy vinrent plusieurs nouvelles, et furent faictes plusieurs
chose, lesquelles je laisse à cause de briefveté.
Cy en lairés quelque peu le perler pour vous dire quel chose durant ce
tamps advindrent és païs de par dessà.

[ÉVÉNEMENTS DIVERS AU PAYS DK METZ].

Durans que ces chose se faisoient és pays dellà les mons, advindrent
plusieurs petitte besoingne és mairche du païs de Mets et de Loheraine.
Le scièges devenl Billon. — Et, premier, advint que, le second jour du
mois de juillet, se partit le mairquis de Baude, qui alors estoit gouver­
neur de la duchié de Lucembourg, hors de la dicte Lucembourg, pour
aller mettre le sciège devant Essedam, appertenent au seigneur Robert
de la Marche (qui estoit fort place merveilleusement), et paireillement
devant Billon et devant Monfort. Et avoit ledit mairquis environ X mil
combattans, gens bien em point, et grant quantité d’artillerie de touttes

346

,

1495 JUILLET. — DIFFICULTÉS ENTRE LORRAINE ET METZ

sortes ; et avoit bien trois cenc tonne de pouldre. Et à l’ayde du dit mar­
quis y envoiait monsseigneur de Trièves gens et artillerie ; aussy firent
les Namurois et les Hanouuiez. Et fut premier le sciègemis devant Billon.
Différent entre la cité et l’abbé et covent de Sainct Mertin. — Item, en ce
meisme tamps, advint que, pour tant que l’abbé et couvent de Sainct
Mertin devent Metz debvoient plusieurs censives à plusieurs des sei­
gneurs et bourgeois de Mets, et qu’ilz ne voloient point respondre ne
sortir devant les Trèzes ne au adjournés, ad cause qu’il leur avoit estés
deffandus, comme dit est devant1, les seigneurs et gouverneurs de la
cité ordonnaient que on ne lessait nulz desdit religieulx ne de leur
serviteur en la cité ; et, avec ce, que on ne leur vandît riens ; ne que on ne
laissait riens empourter dehors pour eulx. Et dès incontinant lesdit
religieulx s’en allirent se complaindre devers le duc de Loheraine et
l’informairent, tellement qu’il en rescript à la cité. Et, pour tant que la
chose ne fut mye tantost expédiée, ledit roy fit clore les chemins de ces
deux duchiez, et deffandit par ses païs que nulz dez siens ne venissent
ne n’amenaissent rien en la cité, et que on ne laissît nulz de la cité
entrer en milles de ses bonne villes. Touteffois, tantost VIII jour après
celle delïance faictes, ledit roy de Secille fist errier ouvrir ses chemins.
Et fut une journée prinse pour le fait desdictes censives que lesdit
abbés et convent debvoient ausdit de Mets.
Billon prime par les Borguignon, et arrazée. — Item, le XXVe jour
dudit mois de juillet, vinrent nouvelles à Mets que Billon estoit prinse,
parce que ceulx de dedans s’en estoient fuys ; et avoient abandonnés la
place en ce avallant aval la roche, dont il en y avoit heu VIII des tués
au cheoire. Et fist le merquis tout arazer et brûller la dicte place.
Ung compaignon tués auprez de Vapei. — Tantost après, c’est assavoir
le premier jour d’aoust, il y oit trois compaignons de la ville de Mairange,
qui s’en retournoient de Mets à la dicte Mairange ; et il rancontrèrent
de coste la maladrie de Wappey trois aultres compaignons, qui venoient
du sciège devant Billon : desquelx lesdit de Mairange en tuairent ung,
sans ce qu’ilz leur feissent ne disent aulcune chose qui leurs puissent
desplaire.
Item, aussy en ce meisme moix, le Ve jour, y oit ung josne cerf, qui
avoit environ deux ans, qui estoit à monsseigneur l’acollaître de la
Grant Église de Mets, celluy cerf entrait en la dicte Grant Église, et
puis ce bouttait en une haulte tour, c’on appelloit une des tour Charlemaigne (car alors y avoit deux haulte tour d’ung cousté et d’aultre du
cuer, lesquelles ont estés abbattue pour édiffier le neuf cuer) ; et mon­
tait celluy cerf tout hault sur la dicte tour par ung avif 2 qui y estoit.
Et fut sur le neuf ouvraige sur les alleux 3 de massons ; et puis descendit
1. P. 330.
2. Un avif (un avidans Aubrion, p. 365). L’ancien français employait, pour désigner
l’escalier tournant, l’expression la vis. On a prononcé, à Metz, sans s final, la vi; puis les
mots ont été mal coupés : l’avi, un avi.
_ 3. Allées, dans une cathédrale, passages étroits ou galeries hautes servant pour la
circulation. Ici, échafaudages.

1495, JUILLET. — CHARLES VIII PASSE LES APENNINS

347

en bas sans soy faire mal. De quoy l’on fut bien esbahy : car la dicte
tour estoit aussy haultes comme sont les woulte de la dicte Grant
Église.
Les Bourguignon logiés on paiis de Mets. — Item, au despart du sciège
de Billon se vindrent logier à Aiey, Trémerey, Arcancey, Ollixei et
Malleroy environ IXe piettons et trois cenc chevaulx. Et y furent dès le
samedi jusques au lundi, qu’ilz se despartirent et s’en allèrent en Aliemaigne. Puis, tantost deux jours après, lesdit Bourguygnons retournairent ; et s’en vindrent logier à Corcelle sur Nyel, à Sorbey, à Charley,
puis, après, à Joiey, à Mairlei et à Corney ; et y firent de grant dopmaige.
Maix de ces chose je lairés le pairler pour retourner a roy Charles de
France et à son armée.

[le ROI CHARLES DE FRANCE, A SON RETOUR DE NAPLES,
TRAVERSE LES APENNINS].

L'artillerie du roi passe les Alpes; bon couraige de la gendarmerie du
roy. — Vous avés par cy devant ouy comment par plusieurs jours le roy
Charles ce thint à piedz ferme soubz tante et pavillon, avec son armée,
en atandant l’adventure. Et tellement que, après plusieurs nouvelle
receue, le vandredi ensuyant, troisiesme jour de juillet, fut faicte la
plus grande antreprinse que oneque prince crestiens fit : car 1 on fist
passer l’artillerie, avec tout le baiguaige, permi les Alpes et par des lyeu
là où jamais cher ne chairette n’y avoit passés ; et fut force de estaller
les homme le coliez au col pour monter et pour dessendre la dicte
artillerie. Laquelle chose ne fut pas sans grans peyne, veheu encor la
ehalleur qu’il faisoit. Et n’y avoit sy grant maistre, telle comme monsseigneur de la Trimoylle et plusieurs aultres, qui n’y métissent la mains ;
tellement que, au pourter les grosse bolle et fonte *2 de plong et de fer,
y sambloit que ce fussent charbonniés, tant estoient il embrouuillés et
messurés 3. Et, en ce faisant, pour réconforter les compaignons, on les
faisoit souvant boyre et menger ; et, avec ce, pour leur donner couraige
et pour les resjoyr, l’on faisoit auprès d’eulx corner trompettes et
tanbourins. Car il fut force que pour passer en couppait plusieurs
rouche, et ramplir plusieurs malvais chemins.
Le mareschalz de Gyé aux devent des annemys. — Et, durant ces chose,
le mareschault de Gyé, acompaigniés de VI cenc lance et quinze cenc
Suysses, avec leur capitaines, passait devant lesdites Arpes à l’aven-

1 Atteler.
2* Fonte, objet de métal fondu. Ce mot semble désigner ici les boulets de canon.
3. Mâchurés, barbouillés de noir.

3-48

1495, 6

juillet.



bataille de fornoue

gardes au devant desdits ennemis. Et fut ce bien fait et en l’honneurs
du roy.
Ceulx de Gayete tue pertie de leurs guernison. — Aucy, durant ce tamps,
luy vinrent nouvelles comment, le jours du Sainct Sacrement, ceulx de
Gayette tuairent pertie de leur garnison. Par quoy, pour ces choses et
plussieur aultres, n’estoit pas le roy bien à son ayse.
Le roy à Térence. — Item, celluy vandredi, troiziesme jour de juillet,
ce pertist de son campe, et en moult belle compaignie passait les Arpes
et montaignes ; et disna ce jour à Versay, et couchait à Casse. Au lende­
main fut son gist à Térence. Puis, le dimenche ensuyant, allait disner
a Fournoue. Auquelle lieu yl chevaulchèrent tous en bataille rangéez ;
et illec se réfrèchirent, et firent menger et traicter leur chevaulx.
Le roy et son armée est presste d’entrer en bataille. — Après le disner, se
despertirent du campe toutte en armes, comme devant ; là où le roy
meîsme se emploiait à la conduytede l’ost, et cy estoit armés de piedz
en cappe, comme les aultrez. Et se logèrent pour ce soir en une belle
prayerie plaine de saulsoye et de fontaine ; et y a deux mil de Fornouue.
Et illec ce parquèrent pour celle nuyt, et fut essutte l’artillerie du coustés
devers les ennemys ; et toutte la nuyt fut fait bon gait et escoutte.
Touteffois, deux heure après minuyt, il se ellevait quelque allarme ;
mais tout ce apaisanta, et ne fut riens.

CY ACOMENCE LA JOURNEE DE FORNOUUE.

Le lundi VIe jour dudit mois de juillet, le roy estant en son campe au­
près de Fournouue, comme dit est, auquelle toutte la nuyt on avoit
fait bon gait, et après la messe oye, et qu’il se furent ung petit refïréchiez et tout légièrement dînés, se mirent en arme. Et fut tout le monde
acouttrés et armés comme pour entrer en baitaille. Sy mairchèrent les
compaignies en belle ordonnance, corne a cas apertenoit ; et en meylieu
d’eulx estoit le roy, noblement acoustrés et armés, lequel luy meisme
mestoit grant paine au les ordonner et à leur donner couraige : sy fut
l’avangairde et l’airiergarde, avec les eille au couptés, et la grosse
baitaille, tenant sy bonne ordre qu’il n’est rien mieulx.
Ix mil Véniciens. — Et tellement que en telle ordre vindrent à aprocher leur annemin. Lesquelle alors estoient à sy grant puissance, tant
des Vénissiens que des gens au duc de Millant, qu’il estoient dix contre
ung : car l’on les estimoit de LX et1 IIIIXX mil gens, repousés, et les
mieulx am point du monde ; et le roy n’avoit alors que IX ou X mil
homme. Par quoy estoit à dire que ce fut l’une des grant hardiesse et
l’une des merveilleuse entreprinse que jamais prince crestien fist, veu
1. De soixante à quatre vingts mille hommes.

1495, 6 JUILLET. - BATAILLE DE FORNOUE

349

encor et considérés que ces gens estoient foliés et traveilliés du loing
voyaige qu’ilz avoient fait ; et les annemis estoient fresche et repossez,
et sur leur fumier, comme dit est. Par quoy il fault dire que Dieu y ouvrait
et baitailla ce jour pour le roy.
Victoire du roy. — Car, aprez plusieurs coupt donnés et ressus et d’ung
coustés et d’aultres, gaignay ce jour le roy la baitaille ; et eust victoire
de ces annemins, plus par le miracle de Dieu que par la force de ces
hommes, veu et considéré ceu que j’ay dit dessus.
Celle baitaille fut la plus chaude et la plus subitte que jamaix hommes
vit. Et cuydoyent les annemis que par l’avarice des Fransois il les
deussent desperquer et mettre en deshordre : car lesdit annemis envoiairent grant nombre de leur astradiot1 à frapper sur le baigaige, affin de
les rompre ; mais jay pour ce ne s’en esmeurent, ains tindrent la milleur
ordonnance du monde. Aucy leur faisoit bon mestier 2. Puis lesdit
annemis avoient elleus grant nombre des milleur d’entre eulx pour
frapper sur la bande en laquelle estoit le roy, comme il firent ; mais il
furent cy bien recueillis que plusieurs, et des plus grant personnaige
d’entre eulx, y laissairent le molle du chapperon 3, comme il fut sceu
tantost après par ung messaigier qui fut prins ; lequelle estoit envoiés
des Vénissien au duc de Millan, et pourtoit lettres esquelles estoit
escript les nons des gens de fait que en ycelle baitaille avoient estés tués,
comme cy après serait dit (car celluy messaigier ainssy prins fut retenus
par aulcuns des bienvueullans du roy, et luy fut envoiés).
Merveilleux temps de tempeste. — Celluy jour que la baitaille fut
faictes, et tout le tamps que durait la tuerie et la chasse, oncques ne
cessa de vanter, de pluvoir, de tonner et d’esclairer, comme se tous les
diables eussent estés par les champs.
Item, le roy fut tout le jour armé et à cheval, au moins jusques ad ce
que tout fût retiré en champs ; qui fut une grant vertus à luy.
Ce lieu où fut faicte la baitaille se nomme proprement Virgerra
(et là aultreffois y a heu bataille), et est joingnant le Vaulx aux Rux,
selon le langaige du pais, près de Fornouue environ deux mil (ou,
comme on pourrait dire, environ aultant qu’il y a de Paris jusques au
champs du Landi), et près de Parme à quaitre mille. Et est ycelluy lieu
entre Fernouue et la dicte Parme, du cousté delà les Reux. Et le champs
des annemis estoit joingnant la ripvier qui passe par là.
Item, les mors, tant des leurs que des François, demourèrent au
champs, où il furent toutte la nuyt, jusques au lendemain que lesdit
annemis envoiairent demander saul conduyt au roy pour enterrer leurs
gens mors ; ce qui leur fut ottroié.
Le roy couche on champs de victoire. — Item, le roy et tous les siens,
en signe de triumphe et victoire, coucha audict champ de baitaille.
1. Estradiot, cavalier armé à la légère.
2. D’ailleurs c’était pour eux une nécessité absolue (qu’ils tinssent bonne ordonnance).
3. Le moule du chaperon, la tête, la vie. Plaisanterie militaire commune à cette
époque.

350

1495, JUILLET. — APRÈS LA VICTOIRE DE FORNOUE

Et, jà çoit ce que les pouvres gendarmes eussent toutte jour besoingné
virillement et vertueusement, comme dit est, et eussent deffendu et
servy leur maistre loyaulment en tel dangier où il s’estoient trouvés,
sy furent ilz mal souppés, mal traictez et mal logez. Et meismement la
personne du roy, qui pour cest nuyt en une petite maisonnette qui
estoit là toute seulle, pour cause de la pluye et du malvais temps, s’estoit
retiré ; et fut luy meisme aussy mal souppés en son endroit que nulz
des aultres : car les estradiotz avoient courrus sus les vivres et deschar­
gez sur le baigaige, comme dit est ; par quoy l’indigence de la mengeaille
vint, et oit on grant nécessité pour celle nuyt.
Le roy à Magdelen. — Au lendemain, qui fut mardi VIIe jour de
juillet, le roy, après oyr messe, flst lever son campe ; et c’en alla logier
en ung hault lieu qui s’appelle Magdelen, qui est à ung mil par delà ;
et là demourait tout le jour. Lequel durant fut demandez par les
annemys saul conduyt pour parlamenter au François.
Lé noms principalz des Véniciens et Millannois mors en bataille. —- Et
furent ce jour les mors enterré et d’ung cousté et d’aultre. Desquelles
les nons des plus grans personnaige des Véniciens et Lombars ce ensuyent, celon que les lettres que le devant dit messaigier pourtoit le
contenoient. Et, premièrement, de la pertie desdit Vénicien, le mairquis
de Mentoue ; et, pour le duc de Mïllan, le conte Galiach, et le seigneur
Fercasce, avec d’aultre grant capitaine essez, desquelles je ne sçay les
nons. Et furent encor à celle journée plusieurs aultrez seigneurs mors
et tués, dont les nons s’ensuyent. Premier, le seigneur Redoffo de
Conzaugo, oncle au dit marquis de Mentoua. Item, le manificque
Johanni Maria de Cozaugo, cousin du dessus nommé marquis, bien
aymé et favorisé du puple de Venyse. Item, Guydonne de Conzaugo,
vaillant seigneur ; item, noble homme Anthonio Scalabro de Brunio,
capitaine de cinquante lances véniciennes, fort plaint à Venise. Item,
le filz de monsseigneur Nicolao Dextro, grant seigneur ; item, le filz de
messire Guydonne de Baignors ; item, le seigneur Galiache de Cozero ;
item, le filz du conte Johanni de Gayelle ; item, le filz de messire Johanni
de Corango ; item, le Verto. Item, d’une aultre bande, environ vingt
cinq hommes, tous grant seigneur et de grant maisons, qui aultrement
en la dicte lettre ne se nommoient. Item, d’aultres Véniciens mors : c’est
assavoir messire Remigero, grant seigneur ; item, le seigneur Bernardino des Montons ; item, le conte Ludovico d’Avogardo ; item, le conte
Bernardino Precemo ; et plusieurs aultres, dont le nombre et les nons
estoient en la dicte lettre (mais, pour chacun nons, il n’y avoit seullement que une lettre, que celluy à qui elle s’adressoient entendoit bien).
Item, d’une aultre compaignie millannoise, soubz la charge du seigneur
Galias, enfurent tant despeschiés qu’on n’en sçavoit encor le nombre
ne le conte.
Plussieur des blécié. — Item, des blessiez, c’est assavoir des plus grans
des leurs, estoient Cristoffle de Castillone ; item, le gendre de Lobatuzo ;

1495, JUILLET. — CHARLES VIII REPREND SA ROUTE

351

item, l’ung des capitaines véniciennes ; et plusieurs aultres qui n’estoient
pas de grant estât, de touttes les compaignies, tant de piedz que de
chevaulx. Et est assavoir que, cornant qu’il en allast, il ne demoura
guères de gens de piedz que tous ne fussent mors ou blessez, s’ilz ne
juoient mieulx de la plante que ceulx qui les chassoient de trorps prés.
Et meismement aussy ceulx de chevaulx, auxquelz la milleure pièce
et la plus certaine de tout leur hairnois qu’ilz portoient estoit la pointe
de leur espérons. Item, et en la soubcription desdictes lettres, estoit
ce qui s’ensuyt : « Et dici nunc sepi hec mutacio dextere excelsi (sic). »
Le roy és feurbour de Florensolle. — Item, le mècredi VIIIe jour de
juillet, le roy, avec ces gens et avec toutte son artillerie, se despartirent
du devant dit Magdelan. Et, en la conduite de messire Jehan Jaicque,
le Lombars, c’en allairent couchiez au fuerbour de Florensolle. Auquel,
sur la nuyt, y oit quelque alarme ; mais ce ne fut riens : car c’estoit
monsseigneur de Brécé, acompaigné de sèze à XVIIIe gentil compaignons de guerre, lesquelle passoient oultre et c’en alloient à Gênes ; et
eussent yceulx bien servis à la journée de Fornoue et à l’ayde du roy,
s’il c’y fussent trouvés.
Le roy à Salmedon. — Au lendemain, ce pertist le roy ; et alla couchés
cà Salmedon. Auquel lieu les villains du pays avoyent rompus ung pont
par lequelle devoit passer l’artillerie ; qui fut ung moult grant destourbier et empêchement pour l’armée : car il convint à force refaire ung
pont ; et, ce pandant c’on y besongnoit, la pluye vint à cy grant abon­
dance, et cen cesser durant quaitre grosse heure, que l’otthe 1 et l’armée
furent tout fontriés 2 et gastés. Et furent les chemins sy rompus qu’il
n’estoit homme de piedz ne de chevaulx, tant fût bien montés, qui
peûlt mettre ung piedz avant l’aultre ; et convenoit bien XL ou L che­
vaulx et autant de pionnier pour tirer une seulle pièce d’artillerie.
Et encor, que pis est, il convenoit passer auprès de la cité de Plaisance,
en laquelle, la nuyt devant, c’estoit mis le seigneur Fercasse, nepveu
au duc de Millan, atout quaitre mil chevaulx. Touteffois on passait ce
dangier. Et passait on ce jour la ripvier, qui encor alors n’estoit guerre
grande ! mais, la nuyt ensuyant, elle creut tellement que, le matin,
n’estoit possible de la passer.
Le roy couche aux boix. — Au lundemain, fut le roy dînés au faulbouit
de Castel Saint Jehan. Et, à la requeste dudit messire Jehan Jaicque,
furent pour celle nuyet tandue les tentes et pavillon en ung bois ; et
illec couchait le roy.
Le roy à Tortonne. — Le sabmedi après, XIe jour dudit mois, chevaulchairent tellement qu’il vinrent couchiés à Tortonne. Auquel lieu les
estandoit ledit Fercasse avec son armée, cuydant résister : mais en fin
fut cy doulx et sy débonnaire qu’il offrit corps et biens au roy ; et luy
fist ung biaulx recueil, tant en vivre comme en aultres chose.
Le roy à Ast. — Au lendemain ce partirent ; et tellement ont che1 Ost armée.
2. Fondrier ? Ce verbe signifierait : s’embourber dans des fondrières.

352 1495, SEPTEMBRE. — SOLDATS BOURGUIGNONS AU PAYS DE METZ

vaulchiez et fait plusieurs giste, que je ne nomme pas, que, le mercredi
après, vint le roy couchier a Ast. Auquel lieu il demourait plusieurs
journée, pour refïréchir luy et ces gens.
Et durant ce tamps luy vinrent plussieurs nouvelle, tant du pape, des
Vénicien, comme des Neapolitens, lesquelle c’estoient rebellés contre
luy pour recepvoir le roy Farando. Aucy luy vinrent nouvelle de la
grande assamblé que Ludovic, duc de Millan, avoit fait contre monsseigneur d’Orléans, lequelle alors estoit dedans Noarre.
Le roy se pourmein[ne] quelque temps permi le paiis. — Par quoy,
pour ces choses et plussieur aultres, ce thint le roy longuement en celluy
pays, allant de ville à aultres, comme d’Ast à Thurin, de Thurin à
Quiers, de Quiers retournant à Thurin. Et tellement y fut, en porvoiant
de ces affaire, qu’il y demourait jusques à la fin du mois d’aoust. Auquelle tamps durant y oit de grande besoingne faictes et acomplie ;
desquelles je ne ferés nulle mension, sinon que, durant ce tampts, fut
envoiez en Allemaigne quérir noviaulx gens d’arme, comme je dirés
ycy aprez.
Maix, premier, vous seray dit et comptés aulcune petittes besoingne
lesquelles en celluy tamps advindrent en la cité de Mets et és pays
joindant.

[ÉVÉNEMENTS DIVERS AU PAYS DE METz].

Les Bourguignon log[iés] on paiis de Mets. — En ces meisme jours,
c’est assavoir le XXVe de septembre, c’en vinrent encor lougier envi­
ron Ve piéton Bourguignon on pays de Mets, comme à Maxier et à
Semécourt. Et en ce tampts avoit le roy de Secille bien quaitre mil
hommes ensemble ; et ne sçavoit on à quelle occasion ne pour quoy ce
fut faire. Par quoy les seigneurs et gouverneurs de la chose publicque
en Mets ce doubtoient d’aulcune trayson. Et, pour ce, ordonnairent de
mettre de l’yawe et dez lanternez aux huys, et de faire l’aissairgaitte
sur la muraille, avec le guet à chevaulx parmy la cité. Et fut ordonnés
aux bonne gens de villaige de ce retirer en la bonne ville, eulx et leurs
biens. — Item, pour tant qu’il fut nouvelle que lesdit Bourguignons
volloient venir logier aux bourg Sainct Arnoul et Sainct Clément, il fut
ordonnés de envoier des gens de la cité en lesdit bourgz, pour garder
que lesdit Bourguygnons n’y venissent logier. Et alors c’en allirent
yceulx Bourguygnons logier à Vallier, à Vantoul, à Magney et en plu­
sieurs aultrez villaiges. — Puis, tantost après, c’est assavoir le jour de
la sainct Michiel, XXIXe jour dudit moix de septembre, ceulx qui
estoient logiez à Maixier et à Semécourt, et depuis à Salney, passairent
par Devant lez Pont ; et c’en allairent passer au Grant Faixin, au
dessoubz de Mets, en des nefz que les seigneurs d’icelle cité leur avoient
fais appareillier. Et alors se trouvaient tous les dit Bourguygnons

1495, OCTOBRE. — DÉPART DES BOURGUIGNONS

353

ensemble au mollin à vent on chemin de Saincte Barbe ; et furent a
nombres environ à XVIII cenc hommes. Et illec en ce lieu firent leur
monstre ; et cuydoit on qu’ilz s’en deussent tantost aller. Maix ilz ne
furent gaire loing ; car il s’en allirent logiez à Nowilley, à Failley, à
Verney, à Servigney, à Poix, à Viller l’Orme, à Xuelle, à Roippeney et à
Charley. -— Puis, le thier jour d’octobre, vindrent logier à Aiey, à
Trémerey et à Flevey environ deux cenc d’iceulx Bourguignons. —
Et, le VIe jour dudit moix, il en vint à Bletainge, à Bousse et à Vaudrewange 1 deux cenc chevaulx, tirant tousjour après les aultres cy devant
escript.
Bon merchief de bled et de vin. — Item, en celle année y oit une bonne
vendange, et oit on autant de vin comme on avoit heu de XX ans
devant ; et tellement que on donnoit la cawe d’icelluy vin pour LX sols
et pour L sols. Paireillement fut le bief à grant merchief : car on avoit la
quairte pour III sols, et le milleur pour IIII sols. Et oit on une année
fort fertille en touttes chose, en pois, en feuve, et en graine de nauvée,
et en tout vivre, fore que les fruict et l’avuaine, qui estoit aucy chier
que le bief. Dieu en soit louués !
Durant ce tampts, tous les jours se assambloient en la terre de Mets
Bourguignons nouviaulx, et à sy grant compaignie qu’il estoient bien
deux mil chevaulx, cen ceulx de piedz. Et ne sçavoit on comment on
s’y avoit à conduire, pour tant qu’il disoient qu’il estoient au Roy des
Romains. Touttefïois, quant il y olrent estés environ VI sepmaignes,
et qu’il olrent fais pour plus de XX mil libvrez de dompmaige, Mertin
d’Inguenhem, alors clerc des Septz de la guerre, revint de devers ledit
seigneur Roy des Romains, qui estoit à Wormes ; et avec luy vint ung
chevalier, appellés seigneur Jaicques, argentiey de la chambre dudit
seigneur Roy des Romains. Et fist ledit seigneur Jacques, par l’ordon­
nance dudit seigneur Roy, despartir lesdit Bourguygnons.
La cité baille argent aux Bourguignon pour desloger du paiis. — Mais,
avent ce fait, il convint que la cité en paiait deux mil florin de Rin
(que alors valloient XXIII sols pièces), desquelx florins les cappitaines
furent paiez. Et en retint ledit seigneur Jaicques quaitre cenc chevaulx
et cenc piétons, desimilleurs et mieulx em point, pour estre aux gaiges
dudit seigneur Roy ; et le résidu fut cassez ; et n’olrent point d’argent.
Dont il furent sy mal contens que, à leur despart, il faisoient maulx et
dompmaiges innumérables aux povres gens où ilz estoient logiez, et lez
ransonnoient et pilloient à leur povoir.
La langue coppée à ung sergent de Mes. —■ Item, en ce meisme tamps,
y oit ung sergent des Trèses, appellé Jehan Ancillon (ou aultrement et
communément dit Jehan le Gaicque), cellui Jehan actandoit pour ce
jour à avoir ung chèral2 de vin, et il y oit aulcuns qui luy dirent que
1. Landrowange dans Aubrion, p. 367. Landrevange, hameau de la commune de
Bousse (Moselle, Thionville, Metzervisse).
2. Charal, en patois chèrau (Zéliqzon). Le charal vaut aujourd’hui onze hottes ou
quatre cent quarante litres.

354

1495. — CHARLES VIII RENTRE EN FRANCE

son chèral vanroit tropt taird et qu’il n’entreroit. point à Mets. Et alors
ledit Jehan, aincy comme il estoit fornaiticque 1 et furieulx, commensa
à despiter les seigneurs de la cité et à dire plusieurs parolles desdit
seigneurs, très mal dictes. Dont il fut accusé à Justice ; et, pour ce fait,
fut prins et mis en l’hostel de la ville. Et, quant le devant dit seigneur
Jaicques, qui estoit venus de par ledit seigneur Roy des Romains, se
volt pertir de Metz, il priait aux seigneurs les commis de la cité que en
son nom il woulcissent prier les seigneurs de la Justice que ledit Jehan
Ancillon heust grâce. Toutteffois, le samedi XVIIe jour d’octobre, il fut
mené au pont dez Mors, et là luy fuit par le bouriaulx la langue coppée
par santence de justice ; et fut son office de sergenterie escheutte aux
seigneurs de la justice : car, alors, l’on lez vandoit bien chier. Et, se ce
ne fût estés pour l’amour dudit seigneur Jaicques et à sa prière, il en
eust receu mort. Et fut depuis toutte sa vie ung homme waulcabondant
par le pays ; et morut pouvre homme.
Cy vous en lairés le parler pour retourner a roy Charles de France et
à la fin de son voyaige de Neaples.

[le ROI CHARLES DE FRANCE, REVENANT DE NAPLES,
RENTRE EN FRANCE].

Vous avés par cy devant oy comment le roy, luy estant en Piémon,
ne faisoit que aller et venir de ville à aultre. Et comment, se tamps
durant, fut envoiez en Allemaigne quérir nouviaulx gens d’arme par
le baillif de Disjon et plusieurs aultres. Lesquelles, durans ce tamps,
amenairent grant quantité de Suisse ; et furent receupt par Pier de
Valleta, grant mareschal des logis du roys. Au comandemant duquelle
ce partit l’armée pour aller donner secour audit duc d’Orléans, qui
ainsy estoit assigiez et encloz.
Le roy à Versay. — Durant ces chose, visitait le roy plusieurs villes
appartenant à ma damme de Sçavoye ; au comendement de laquelle
furent faicte audit roy plusieur belle entrée et gracieux recueil. Et
tellement que, le dimenche XIIIe jour de septembre, ariva le roy à
Versay ; duquel lieu il visitoit bien souvant son campe. Et, durant le
tempts qu’il y fut, vinrent dever luy plusieurs ambassaide vénicyennes
et millanoyse, requérant audit seigneur de avoir tresve. Lesquelle leur
furent renfusée, sinon doncques qu’il souffrissent de évitailler 2 la ville
de Noarre, en laquelle monsseigneur d’Orléans estoit encloz. Corne il fut
fait ; et fut évitaillée la dicte ville à grant abondance, tant pour les

1. Frénétique. Ici : coléreux.
2. Avitailler, ravitailler.

1495, OCTOBRE. — PAIX ENTRE CHARLES VIII ET LES VENITIENS

355

hommes que pour les chevaulx. Puis furent menés lesdit embassaide
vénicienne par tout le campe du roy et grandement festoiez.
Déluge d’yawe. — Le vandredi XVIIIe jour de septembre, furent les
yawe sy grande et hors de rive qu’elle rompirent le pont par lequelle
on alloit de Versay au campe ; et fut force et à toutte diligence de
refïaire ung aultre pont sur des tonneaulx : lequelle fut incontinant fait.
Et, ce jour meisme, arivèrent plusieurs bande des Suysse et Allemans
au service du roy. Tantost ung poc après, creut encor la ripvier, sy
grande et sy hors de rive que de rechief rompit le pont nouvellement
fait et emmena tout à l’avallée, nefz et tonniaulx, et tout ceu qu’i
estoit. Lequel pont fut arrier tantost refait, et mieulx que jamaix.
Et furent prolonguée les tresve et ralongée de plusieurs jours. Durant
lesquelles y oit une merveilleuse allarme à l’occasion de certaine pièce
d’artillerie que les gens du conte Galiach avoient prinse et ostée par
force au gens de monsseigneur d’Orléans ; par quoy tout le campe en
fut ainsy esmeut et en arme : mais tout ce rapaisa, pourtant que ledit
Galiach fit la punicion des malfaicteurs. Tantost après, furent anvoyée
grant ambaissaide et d’ung cousté et d’aultre pour traicter la paix.
La mort monsseigneur de Vendosme et du bailly de Charlre. — Et,
durant ce temps, le deusiesme jour d’octobre, trespassa audit Versay
monsseigneur de Vendosme, nommez Françoy de Bourbon ; duquelle
trespassement fut le roy grandement couroucés et maris. —• Aucy, en
ces jours, y morut le bayelley de Chartres.
Plussieur grant seigneur vers le roy. — Durant ces jours furent devers
le roy plusieurs grant seigneurs, telz comme le duc de Ferrarre et le
bayelley de Mentoue ; lesquellez furent festoyés et recuillis bénigne­
ment. Et donnait le roy audit bailley ung moult biaulx corcier, lequelle
ung peu devent il avoit achetés trois cenc escus a soilleil.
Le mairdi VIe jour du moix d’octobre, fut fait audit Versay le servise
dudit seigneur de Vendosme ; auquelle le roy fist faire autant d’hon­
neur qu’il estoit possible à grant prince de faire. Puis fut son corps
ouvert et ambaulmé, et menez en France, à la conduicte et en grant
lamentacion de ces amis.
Suysse et Alemans aux camp du roy. — Item, le maicredi VIIe jour
d’octoubre, arivairent au campe ung grant nombre d’Allemans Suysses ;
et estoient environ de IX à X mil, tant à chevalx comme à piedz ;
et furent conduit et amenés a roy par l’évesque de Syon.
Paix criée entre les Fransois et Vénitiens. — Puis, au lundemains, qui
fut le jeudi VIIIe jour dudit moix, retournairent errier devers le roy les
ambassaide vénissienne et millannoise. Lesquelles, après plusieurs
langaige que pour abrégiés je laisse, firent tant lesdit ambassaide que
la paix fut faictes et ceellée entre les pertie ; et que, au lundemains, fut
criéez et publiée à son de trompe au campe desdit Vénissien. De quoy
ceulx du pays furent bien joieulx. Et, tantost le samedi ensuyent,
firent les dit Vénissiens lever leur campe, et brûlairent tous leur logis.
Et alors, quant le roy le sceut, il fist aucy publier la dicte paix dedans

356

1495, NOVEMBRE, — CHARLES VIII RENTRE EN FRANCE

Versay. Et furent ordonnés plusieurs grant seigneur de France à
recepvôir le sermans desdit ambaissade de Venise et de Millan. Puis,
ce fait, il prinrent congiez amiablement les ungs des aultres.
Le roy à Tryuc. — Et alors préparait on le pertement du roy. Lequelz
fut tantost au lendemains : car, ledit jour, il s’en alla couchier à Triuc.
Ausquelz lieu il attendist le duc de Millan, qui debvoit venir perler
à luy ; mais il n’y vint pas à cause d’une malladie qui luy sorvint. Par
quoy tantost aprez ce pertist le roy, luy et tout son train.
Le roi aryve à Lyon. — Et tellement ont chevaulchiez par leur jour­
nées, desquelz je ne veult compte tenir, que, le sabmedi VIIe jour du
mois de novembre, en l’an dessus dit, entrait le roy dedans Lion.
Auquelz lieu luy fut faicte une magnificque et triumphantes entrée.
Puis fut menés au logis de l’archevesque dudit lieu, auquelz il trouvait
la royne, avec ma damme de Bourbon et plusieurs aultres grant dammes,
que illec l’atendoient ; et desquelz il fut recueillis en joie et liesse moult
singulièrement.
Le roy à Sainct Deny. — Et, quant le roy eust esté ung petit de tamps
à Lion, il délibéra aller rendre grâces à Dieu et a benoistz martir sainct
Denis. Et y alla sans passer par Paris ; ains lassa la ville à dextre, et,
sen la daigner à visiter, print son chemin par Sainct Anthoine des
Champts. Et la cause de l’indignacion fut pour ce qu’il avoyent refusé
à bailler cenc mil francs pour l’expédicion de la guerre de Neaples.
Le roy à Amboise. — Quant le roy eut visités l’église et qu’il oit, fait ces
offrande et oraison à la manier acoustumée, il reprint son chemin par la
Beaulce et se transporta à Amboise. Auquelle lieu, après ce que touttes
les armée se furent despartie, il ce thint par plusieurs jours sans faire chose
digne de mémoire ; et se donnoit du bon tampts en allant de ville à aultre.
Et ainsy se déduisant fut le roy avec la royne jusques en l’an mil
IIIIC quaitre vingt et XVII. Auquelle ans ce trouva le roy arrier à
Amboise. Et là, estant en une gallerie resgairdant ces mignon juer à la
palme, luy print une subitte malladie, de laquelle, le XIIe jour d’apvril,
il morut, comme vous oyrés ycy après quant tamps serait d’en pairler.
Mais de luy et de touttes aultres chose je vous lairés le pairler quant
à présant, pour retourner aux adventure qui en ce tamps advindrent en
la cité de Mets et és païs joindant.

[événements

divers au pays de metz].

Ung compaignon de Pleppeville pendus. — Or retournons à pairler des
fais advenue en ce tampts en la noble cité de Mets et és pays joindant.
Premier, avint que, le samedi XXIIIIe jour d’octobre, y oit ung
compaignon de Pleppeville qui fut pendu au gibet de Mets, pour tant
que luy et aultres ses compaignons avoient heu corrus après une femme,

1495,

NOVEMBRE. —• BLAIS E TUÉ PAR CEUX DE METZ

357

devers Thiacourt, en ung boix, et avoient fais leur voullunté d’elle, et
puis luy avoient coppé la gorge et ostés ce qu’elle avoit.
Ung Picart pendus à Mets. — Puis advint que, au lendemain, il fut
la teste à Longeville devant Mets ; et en ycelle ce trouvairent plussieur
bélittre 1 et bribeux. Entre lesquelles ce en y trouvait ung josne, de
l’eaige de XXII ans, qui estoit Piccart. Cellui Piccart, pour ce que l’on
ne luy donnoit à sa guise en une taverne où il ce trouvait, il frappait
d’ung copt de couttiaulx entre les coites ung josne fllz de Mets ; de
quoy il morut. Et on corrust après ledit Piccart ; maix à paine le polrent
prendre eulx six, sy fort et sy vite qu’il estoit. Toutefïois il fut prins
et amenés en l’ostel du doyen. Et, le maïrdi tantost après, il fut pendus.
Et, en le menant hault2, il cuydait ruer jeu le bouriaulx des dessus
l’eichelle à l’avallée ; mais il faillit, et en fut faictes l’ecécusion.
En celluy meisme tamps, je, Philippe dessus dit, cheus en une mer­
veilleuse malladie, de laquelle chacun me jugeoit à mort.
Perlie des arche du pont des Mors tumbée. — Aucy, en ce meisme
tamps, fandit en deux deux ou trois airche du pont des Mort, du cousté
devers la croix ; et en cheut la mitté en la ripvier : c’est assavoir la
pertie devers les auniaulx demoura droitte.
Blaize tués par ceulx de Mets, et son serviteur pendus. — Item, ondit
tampts, Biaise de Flocourt, qui par plusieurs fois avoit estés de guerre
à la cité, et tousjours avoit heu sa paix, comme cy devant est dit, derechief ne ce polt tenir. Et acheta le droit d’ung corrier de Mets, qui
s'estoit absentez de la cité et c’en estoit allés demorer à Berescastel
sus Mezelle, de sertaine poursuite que ledit corriez, comme mal con­
seilliez, voulloit faire contre aulcuns de la cité. Et à cest cause estoit
ledit Biaise délibérez de faire la guerre sur lesdit de Mets. Ce venus à la
congnoissance dez seigneurs d’icelle, il solrent par aulcuns qu’il estoit
logiez à Lussey. Par quoy, subit, le thier jour de novembre, il y envoiairent une douzaine de gentilz compaignons soldoieurs. Et illec fut le dit
Biaise trouvé, et tellement assaillis desdits soldoieurs qu’il fut tuez tout
mort en la place. Et fut prins son verlet et amenés à Mets. Et, le sabmedi
aprez, que fut le VIIe jour de novembre, ledit verlet fut pendus au
gibet d’ycelle.
Et, en ce meisme tampts, le XIIIIe jour du moix de novembre, fut
Ysabellin, ma femme, acouchée de ma fille Jaicomette.
Disposition du temps. — Item, à la fin du meisme moix de novembre,
vint la gellée. Et naigeait- par sy grande fasson, par trois jour, qu’on ne
povoit aller ne venir. Puis, le XIIIIe jour de décembre, le tamps se
deffit sy gracieusement que toutte la neige fondoit sans pluie ; et,
toutte ainsy qu’elle estoit venue par trois jours, elle fondit par trois
jours. Et furent les eawe bien grandes.
Grant neige. — Item, la vigille de Noé après ensuyant, la gellée

1. Bèlitre, mendiant. Bribeur, ou brimbeur, a le même sens,
2. Pendant que le bourreau le faisait grimper à l’échelle.

358

1495. — METZ REFUSE UNE SUBVENTION AU ROI DES ROMAINS

revint errier à la nuyt. Et négeait tant et de sy grant valleur que,
a mattin, les gens ne povoient issir de leurs maisons ; et n’estoit rien de
la neige qu’il avoit cheu comme cy dessus est escript au regaird de celle
cy qu’il cheut la nuyt de Noël. Et, tantost le lendemain de Noël, il fist
sy grant froit et sy grant vent qu’à poinne le povoit on endurer ; et
durait le dit froit quaitre jours ; et, après, le temps ce radoulsa ; et
n’estoit point sy froit, non obstant qu’il gelloit tousjours. Et, encor
daventaige, le jour du Novel Ans, il négeait toutte la nuyt ; et cheut
tant de neige que les gens qui alloient par les champs estoient dedens
jusques à la corroie. Et disoient les anciens qu’ilz n’avoient jamaix
veu tant cheoir de nége en cestuy païs pour une année. Puis, le jour des
Roys après ensuyant, le tampts se deffit ; et s’en allait la neige bien doulcettement, sans faire quelque dopmaige au maison ny au bien de terre.
Ordonnances faicte par le Roi des Romains à ceulx de Mets.— Item, en
ce tampts, le Roy des Romains et les princes éliseurs et aultres princes
de l’empire avoient faictes une institucion que, par tout l’empire, tous
ceulx qui avoient vaillant en tous biens et héritaiges et censes Ve florin
debvoient paier demy florin ; et ceulx qui avoient mis florins vaillant
debvoient paier ung florin ; et ceulx qui avoient plus de mil florins, à
leur dévocion ; et ceulx qui avoient au dessoubz de Ve florins et avoient
XV ans d’eaige debvoient paier chacun la XXIIIIe partie d’ung florin.
Et debvoit chacune ville avoir comissaire à ce ordonnez pour lever
lesdit argens. Et en fut envoiés le double aux seigneurs de la cité de
Mets, lequelle double contenoit que ledit Roy espressément leur mandoit qu’il en fissent la diligence dedens le jour de Nostre Damme Chandelleur 1 tantost après venant.
Ceulx de Mets refuse de donner argent aux Roi des Romain. — Pour
laquelle chose lesdit seigneurs et gouverneurs de la chose publicque en
Mets ont mendés devant eulx les gens d’Église, et, de chacune paroche,
deux des parochiens. Et, eulx venus, leur ont desclairés le cas telz que
lavés ouy, affîn que dessus ce il puissent avoir leur advis et en donner
responce au Ve jour après. Mais tout subit les gens d’Esglise firent leur
responce audit seigneurs ; et dirent tout court qu’ilz n’en volloient rien
paier. Et les commis des paroches, pour tout le peuple, firent responce
que les articles contenus en la dicte institucion, avec la lettre que ledit
Roy des Romains avoit escripte à la cité, estoient chose nouvelles, que
on n’avoit jamaix plus veu, et estoient bien pesante, et y avoit bien
à aviser. Ce non obstant que le peuple ne faisoit point de doubte que les
seigneurs n’eussent bien le tout devant les yeulx, et, por tant qu’ilz
avoient bien gouvernés du tamps passé, et qu’il gouvernoient encor
bien, il creoient fermement qu’il gouverneraient bien à l’avenir, par
quoy il remettoient le tout à leur noble discression et bonne voulluntés.
Et ainsy demoura la chose ; et ne fut point levés cest argent. Dont le
Roy fut très malcontant ; et luy en soubvint en tempts et en lieu.
1. Il faut suppléer : qu’on dit la Chandeleur.

1496, MARS. — POISSON BRULÉ PAR ORDRE DE JUSTICE

359

En celle année y oit tant de glandz aux bois que les gras porcs furent
sy gras et à sy bon merchïef que on avoit ung gras porc pour XX sols,
lequelle, és année précédente, l’on ne l’eust pas heu pour LX sols.
Ung frère Jacobin en Mets en grant bruict. — En ycelle meisme année,
vint ung Frère au Grant Prescheur de Mets, appellés maistre Jehan
Cléry, lequelle premièrement preschait permi les Avant de Noël ; et
puis preschait la karesme en leur église. Celluy proichoit tant bien et
sçavoit tant bien dire qu’il n’estoit possible de mieulx ; et tellement que
tout le monde corroit après luy pour oyr ses sermons. Néantmoins qu’il
estoit encor josne homme (en l’eaige de XL ans) ; et croy qu il estoit
saincte personne ; et estoit chacun esmerveilliés de son bien dire. Par
quoy je croy que jamaix homme en Mets n’eust cy grant bruit de cy bien
dire que luy : car il retournoit plus de gens de ces sermons, pour ce qu il
n’estoit possible d’y entrer, qu’il n’en y demouroit. Et pour son grant
bruit fut ledit Frère depuis ce tamps confesseur du roy de France ; et
fut fait général de toutte leur ordre. Et retournoit souvant à Mets pour
preschier ; mais, quant Sa venue estoit manifestée, tout le monde venoit
de dehors pour l’oyr. Toutteffois envie y courrut . car, pour ce qu il
voulloit remformés tout les couvant de leur ordre du royaulme de
France, on voult dire qu’il fut empoisonne. Et morut essés tost après.
Cy vous en lairés le perler pour retourner a maistre eschevins de Mets
et à plusieurs aultre besoingne.

[l’année 1496].
Mil iiijc Hijxx etxvj. — Puis, en l’an après, qui fut de nostre Rédempcion mil quaitre cenc IIIIXX et XVI, et en 1 an dudit Maximilian en son
Royaulme des Romains le XIe, fut fait, créés et essus pour maistre
eschevin de Mets Collignon Roucel, filzà seigneur Wiriat Roucel, che­
valier.
Grant pêcherie brûllée par Justice. — Et en cellui tamps advint,
c’est assavoir le XXIIIIe jour de mars, que aulcuns marchamps fourain
avoient amenez du poisson en Mets pour vendre ; lequel poisson fut
trouvés qu’il estoit laidre et infect ; et, pour celle cause, furent prins
par les maistres et VI dez pescheurs ; et, par l’ordonnance de Justice,
lesdit maistre et VI condampnairent cellui poisson, qui estoit en nom­
bre de quaitre cenc quairpe et plus, à estre ars et brûllés on Saulcis sur
la ripvier. Et y oit biaucopt de gens pour les aller veoir brûller, pour ce
que c’estoit une nouvelle justice, et une chose que on n’avoit jamaix
plus veu faire en Mets.
Grant pluye. — Le prins tamps de cest année fut diverse : car, tout le
mois d’apvril en jusques au VIIe jour de may, il pleut tousjours , et ne
fit oncque depuis challeur, ne ne fist que plouvoir depuis le jour de la.

36G

1496,

mai.

DISPOSITION DU TEMPS

Chandelleur jusques audit jour, VIIe de may. Par quoy le bastialle ce
mouroit de fain ; car rien ne cressoit au champs, et n’y avoit d’aparance
en vignes non plus nez que se fust estés à Noël1. Et disoient les anciens
que jamaïx n’avoient veu tant de pluye ne tant durer l’yver.
Disposition du temps. •— Et puis, quant ce vint ledit jour, VIIe de
may, le biau temps vint. Et furent les Grant Croix le IXe jour de may ;
et alors il acomensait à faire sy chault que on heust bien veu croistre les
biens.
Et avoit on en ce tamps la quairte du milleur vin pour IIII deniers ;
et le fromment pour III sols VI deniers ; et l’avoine pour III sols. Maix
la chair estoit aussy chier qu’elle avoit estez de loing temps : car ung
quairtier de chastron coustoit VI sols, et l’aultre chair à l’advenant ;
et le tout par faulte de pasture, et que le fouraige estoit chier. -— Item,
pour la froidure de la fin du moix d’apvril et du commencement du
may, les fleurs des poiriers et des pomiers furent perduees, et n’y oit
comme nulle poire ne pomme ; ne paireillement nulle serises c’on dit
bracquenade : maix il en y oit des aultres largement.
Menterie inventée d’ung folz Alemant. ■— Aucy avint, en celle année,
qu’il y oit une josne femme qui se bouttait au Carmes, et faisoit sem­
blant qu’elle estoit hors du sens ; et, de fait, la failloit conjurer tous les
jours par ung des religieulx de léans. Et disoit merveille ; et pour la
veoir y alloient tant de gens que c’estoit chose merveilleuse. Et pareille­
ment y oit ung Allemant, appellé Nicquelasse Cocque, lequelle, par sa
follie, le jour de la sainct Mamin, XXIXe jour du moix de may, de
nuyt se boutait et s’enclouit dedans la dicte église des Carmes. Et,
quant ce vint environ la minuit, il emprint tous les cierges de cire qui
alors estoient en grant nombre autour de l’aultel Nostre Damme
d’Espérance ; et puis, ce fait, ce print ledit Niclosse à sonner les cloches ;
et fist tel bruit que tous les relligieulx en furent relevés. Et, quant ilz
vinrent en l’église, ledit Nicquelosse leur dit que yceulx cierges c’estoient emprins tous à par eulx, et que les dicte cloches avoient sonné
par miracle, et que Nottre Damme volloit que ainssy fût : car il y avoit
des traïstres en la cité, que Nottre Damme luy avoit révellé. Et leur
nommait ledit Nicquelosse trois personnaige : c’est assavoir ung soldoieur, appellé Broche, avec deux aultre Allemant qui estoit logiez
chiez ledit Broche. Dont, quant les seigneurs de la justice en furent
advertis, il firent laixier les portes de la cité clozes jusquez ad ce que
ledit Nicquelasse saillît hors de la dicte église des Carmes, et qu’il fût
prins et menés en l’ostel de la ville. Mais, tantost qu’il y fut, il dict et
confessa qu’il avoit mal perlé, et que, ce qu’il avoit dit, c’estoit par hayne
et envie. Car, corne il dit, il cuydoit que l’on deust tantost prandre ledit
Broche et lesdit deux Allemans, et qu’on luy deust donner une grant
somme d’argent pour les avoir accusez. Et en furent à ce jour touttes
les gens de la cité fort troublés. Et tantost, voyant ces follie, on print la

1. Pas plus que si c'eût été à Noël.

1496. — DIVERS ACCIDENTS A METZ

361

dicte josne femme qui faisoit l'enragié, et sa mère avec elle ; et furent
menéez en l’hostel du doien.
Ledi folz condempné à avoir la langue coppée; et une feme les ij oreille.
— Et, le XXVIIIe jour de jung, ledit Nicquelosse fut condempné de
demender pardon audit Broiche ; et puis, par santance de Justice, on
luy coppait la langue au pont des Mors. Et, à la dicte josne femme, on
luy coppoit les deux oreilles ; et, por tant que sa mère luy avoit conseillié de faire ainsy l’anraigée, elle fut menée on pallaix et banye.
Item, on moix de juillet après, quant on debvoit aller en fenal x, force
fut de aller ouvrer en vignez, au reffouir, au renettoier et au relever :
qui estoit une chose fort estrange de ainsy tairt et en ce tampts faire
lesdit ouvraige.
Celle dicte année fut fort périlleuse et dangereuse quant au corps
humains. Car plusieurs esclaindre advindrent à plusieurs personne, qui
en celle année moururent soudainement en diverses fasson et manier.
Ung barbier mort subitement. — Et premièrement, avint, vers la
Pasque, que ung herbier bien renommés, demourant à Mets en la place
devant Sainct Salvour, revenoit d’Anserville ; et, quant il vint au
chemin, il luy print une laichetez 12, tellement que, par dessà la Horgne
à Mescleuve, il cheut de dessus son cheval tout mort.
Une jonne femme tuée à Saint Jullien. — Paireillement, le mardi des
Grant Croix, en allant à Sainct Jullien, il y oit une josne femme, fille
du Contoy d’Oultre Saille, laquelle estoit grosse d’enffant et preste à
geoir 3 ; de plain jour, en entrant en l’aitrie de Sainct Jullien, elle se
laissait cheoir par dessus le passaige dudit aitrie, tellement qu’elle se
tuait toutte royde morte. Et la convint ouvrir pour avoir l’anfïant.
Une jonne femme noiéez. — Puis, le VIIe jour de juillet ensuyant, y
oit une josne femme, marié à ung cordonniet de devant le Heaulme,
qui estoit sus la ripvier de Mezelle, entre le pont des Mors et Wauldrenowe, et lavoit des drappiaulx. Cy luy print une laichettez en ce bais­
sant, et cheute teste devant en la ripvier, et illec fut noiée. Et n’y avoit
point ung piedz d’eawe.
Ung prebslre tués. ■— Item, le XIe jour du meisme moix de juillet,
y oit ung prebstre, qui estoit bien bon home, et réputés de toutte gens,
très dévot et de bonne vie, lequel estoit serviteur et sonneur de la
Grant Église de Mets ; et, pour tant que dessus ycelle église il y venoit
souvant des collons 4, et faisoient leur josne és pertuis des muraille,
puis aulcunefïois venoient à gaister sur les autelz, il délibérait de les
deschasser. Et, de fait, ledit jour, il montait avec une eschielle sur les
elles de la dicte Grant Église pour les cuidier prandre ; maix 1 eschielle

1.
2.
3.
4.

Aller en fenal, faire la fenaison.
Une faiblesse.
Gésir a été corrigé postérieurement sur geoir : accoucher.
Pigeons.

362

1496. — DIVERS ACCIDENTS A METZ

glissa, et se laissait cheoir à l’avallée, par quoy il oit la teste toutte
defïroissée, et ce tuait tout royde mort, sans jamaix remuer.
Les granl perdon à Ays. — Aussy, ycelle année, on moix de juillet,
furent les grant perdons à Nottre Damme d’Airs. Auquelz y oit aultant
de gens, de Mets et d’aultre part, qu’il y avoit oncques heu ; et disoient
ceulx qui en estoient venus que pour ung jour il y avoit heu cenc mil
personnes, et que, de la multitude et presse, il en y avoit heu plusieurs
en dangier d’estre estouffé et mort : car il fai soit sy grant challeur qu’il
failloit monter sur les teil dez maison et gecter yawe à puissance sur les
gens pour les reffréchir.
Ung pointre de Staixon morl subitement. — En ce meisme moix de
juillet, vint encor une esclandre. Car ung pointre de Staixon, nommez
Jehan de Briey, bon ouvriet, en sceant sur son huix et en perlant et
devisant avec sa femme et ses voisin, morut tout subitement ; et ne dit
jamaix ung seul mot.
Ung charelier avec ses chevaulz noyés. — Aussy advint que, le IXe jour
d’aoust, ung charetton que chergeoit du boix aux Roches, comme on en
ont la coustume en Mets, ses chevaulx se bouttairent ung peu tropt
avant en la ripvîer, et ledit chairton courruSt aprez pour les retourner,
et saillis dessus. Maix il ce prindrent à courre au filz de l’yawe, et telle­
ment que l’yawe les enforsa, et passairent par dessoubz le pont là où est
le groz raiz 1 et tumairent cul dessus cul dessoubz. Tellement que le
pouvre homme fut noiez avec tout les chevaulx. Et estoit celluy le
meilleur homme du monde ; car jamaix ne juroit ne ne malgreoit, fore
que tousjours il disoit : « de par Saincl Jacques! », par quoy l’on ne
l’appelloit aultrement que : « de part Saincl Jaicques ».
Procession ordonnée affin d’amodérer le temps. — Aucy, en cest saison,
le tamps se pourtoit diversement. Et fist ung povre temps de pluie et
de froyt environ VIII jour durant : c’est assavoir depuis le XIIIIe jour
d’aoust jusques au XXIIe. Pour laquelle chose les seigneurs de la cité
ordonnairent de faire une porcession généralle à Sainct Arnoult le jour
de la sainct Berthemeu. Et incontinant le biaulx temps et le chault
vint. Tellement que, au jour de la sainct Berthemeu, on ne veoit riens
de tallés en vignes ; et, devant qu’il fût VI jour après, on y trouvait des
résins tout noirs.
Pelitte nouvelletés d’ung chanoingne vendant du vin. — Item, en celluy
tamps, le XIe jour de septembre, qui fut le dimenche, fut faictes une
grande nouvelletés en Mets, et chose pour rire. Car, à cellui jour, yl y oit
ung chainongne de la Grant Église, appellé seigneur Jehan Peltri,
vicaire de Sainct Nicolas, qui volloit vendre vin. Et, pour l’anoncer,
il envoiait demy stier de vin, avec ung jambon sallés et cuyt, et avec
deux pains de chacun ung denier, devant la Grant Église d’icelle cité ;
et là faisoit donner à mengier et à boire à touttes gens qui en avoient
appettit. Laquelle chose fut de grant nouviaultés : car jamaix l’on ne
l’avoit plus veu faire.
1. Le grand courant.

1496.

— DIVERS ACCIDENTS A METZ

363

Journée tenue à Mets en vain entre le duc de Lorenne et le sire Robert
de la Merche. — Or avint aussy, en ce meisme tampts, c’est assavoir
le vendredi XXIIIe jour de septembre, qu’il y oit une journée assignée
en la cité de Mets entre le roy de Secille et entre le seigneur Robert de la
Marche. Car ledit seigneur Robert, je ne sçay à quelle occasion, avoit
heu menés la guerre au dit roy bien demi ans durant ; et avoit heu prms
de bons mairchamps de Loheraine, et fait des mal biaucopt ; dont
c’estoit pitiet et dopmaige. Cy ce thint ledit seigneur Robert lomg
tamps à Mets, luy et sa femme ; au quelle tamps durant ce thint celle
journée, comme dit est. Et à ycelle y furent maistre Hugue Hazart,
doyen de la Grant Église de Mets, et Huyn Roynette, précidant des
Comptes du roy. Et se thint ycelle journée en la chambre des Trèzes
laquelle alors estoit bien parée de tapisserie, et y avoit bon feu (car il
faisoit froit) ; et en celle chambre dez Trèzes estoient les Loherains. Et,
pour la pairt dudit seigneur Robert, y avoit mon seigneur l’abbé de
Mozon et le recepveur de Mozon. Et estoient en la chambre des Septz.
Et alloient les seigneur commis de par la cité parlant aux parties, c est
assavoir aux Loherains en la chambre des Trèzes, et aux gens seigneur
Robert en la chambre des Septz.- Item,ledit jour,les seigneurs de là cité
envoiairent aus dit ambaxadeur, à chacun une bonne escueille de
poisson, de carpes, bachetz et barbelz, et à chacune pertie deux grosse
boutai lies de vin, tenant chacune VII quairtes. Et, le lundi apres, lesdit
ambassaulde se pertirent de Mets, sans rien faire.
Ung potier d’estain mort subitement. — En celle meisme année, e
thier jour d’octobre, y oit ung pottier d’estain, appellé Thirion, que
gairdoit sur la porte du pont Thieïïroy. Sy cheut en maladie subite­
ment, et tellement qu’il le faillit porter en sa maison ; et ne perlit
jamaix plus ; et morut le lundemain.
Ung lonellier noies.— Et, le VIIe jour du meisme moix d’octobre, y oit
ung tonnelliez d’Ayest, appellé DedierNoixe,lequelle alloit abrever ung
chevaulx en Mezelle. Et, par fortune, il cheut en l’eawe, et fuit noiez.
Ung vigneron, de la force de la vendange, mort subitement. —
lundcmains, VIIIe jour d’octobre, y oit ung vigneron en la rue Mabille,
appellé Jehan de la Baire, que voulloit reboutter de la vendange qu U
avoit en une quewe en son cellier ; mais, par la fumée du vin, duquel e
il fut soupprins, il cheut dedans ; et morut subittement. Et alors y oit
ung de ces voisin qui le voult aller secourir ; lequelle fut paireillement
tellement soupprins qu’il fut en grant dangier de monr (et, de tai ,
l’eust estes, c’il ne ce fût bien en haitte retirés).
Et ainsy apert les grant dangiers, comme j’ai dit dessus, qui adviengne
a corps humains plus en une année que en une aultres. Et n’y ait guerre
d’année qu’il n’aviengne tousjour quelquez chose, soit aux corps ou aux
biens de terre, ou paireillement aux bestialle.
En cest présante année avindrent encor plusieurs aultres besoingne,
tant à Mets comme aultre part.

364

1496. — LETTRE DU SULTAN AU ROI DE CHYPRE

Le granl Souldan rescript aux roy de Chippre. — Entre lesquelles je
trouve que en celluy tamps le Grant Souldan de Babïllonne rescript
une lettre au roy de Chippre. De laquelle la teneurs s’ensuyt, translatée
de caldien en françoy :
« Jaicomaich, par la permission et voluntey de Dieu omnipotent,
Grant Souldam de Babillonne et seigneur des deux temples, c’est assa­
voir du sainct temple de Sallomon, de la saincte cité de Jhérusalem, et
du sainct temple de la Mesche, seigneurs et protecteur de tout le peuple
morisque qui est et habite desoubz le ciel célestial, maînteneur et
deffendeur de la saincte foy et saincte doctrine de nottre saint pro­
phète Machomet, laquelle fois à ceulx qui la thiengnent en leur fin
donne salvacion et gloire sans fin, etc., à toy, Jehan, glorieux et grant
roy de Chippre, maînteneur de la foy crestienne, nous te mandons de
nostre part salut, honneur, gloire et estât. Et te faisons sçavoir que,
par le conseil et délibéracion de XII roys à nous subgets perpétuelle­
ment et à nous tous temps obéyssans, pour grande et juste occasion
avons sentencié à estre en nostre yre, desgraice en guerre 1 encontre le
grant maistre de Rodde et toute sa religion, avec disposicion et déli­
béracion de cestuy premier estey, leur manderons sur eulx sy grant
puissance à laquelle tout le monde ne polroit résister. Et les ferons
destruire en corps et en biens, car ainsy le nous ait mis en cuer le Dieu
omnipotent, pour leur démérites. Et après cest délibéracion prinse est
venus ton chevalier Estienne Pignol en nottre présance, lequelle nous
ait présenté tes lettres de crédence, laquelle crédence à grant voix et
discrettement nous ait dit et profféré, laquelle en substance sy est que
de ta part nous ait dit comment la guerre qui est encomencée de nous
avec le grant maistre de Rodde, c’elle va avant, serait occasion de toy
faire perdre ton estât perpétuellement avec tout ton royaulme, par
quoy tu nous supplie et requiers, tant cordiallement et de fin cuer
comme tu puis, que, pour la révérance de Dieu omnipotent, te doions
faire tant de grâce que, par ton moien et t’amour, doions donner la
nostre paix et faire nottre visaige blanc envers le maistre de Rodde en
la forme ancienne ; et moult d’aultre parolles que ledit Estienne, ton
embassadeur, nous ait dit, prudentement et saigement, de ta part,
touchant sur la dicte matière ; par quoy te respondons que vous ne
polriez demander chose on monde sy grande que à nous ne fust plus
plaisantes à faire que cest. Maix, pour ce que Dieu omnipotent, que
nous ait fait et nous gouverne, mande et comande tous temps la paix,
et nous qui sommes tout temps et voulons estre à faire ce que Dieu
commande, à ta requeste et suplicacion, sommes contens que par ton
moien soit faictes paix, comme le comande à faire nottre visaige blanc.
Et que viengne embassade en nostre présance, avec povoir soufïïsant,
et nous conformerons la paix, et ferons sur le grant maistre et sa reli­
gion nostre visaige blanc. Cest lettre te mandons par ton embassadeur
1. Il faut corriger :« à estre en nostre ire, disgrâce et guerre ». La suite de la phrase
est également corrompue.

1496.

•— L’ÉVÊCHÉ DE TOUL EXCOMMUNIÉ

365

dessus dit. De cest lettre 1, qui est de deux l’une, et tu faice que le tien
visaige soit en tout temps blanc sur nous, et nous te deffenderons
contre tous hommes que nuire te vouldroient et faire dompmaige.
Que Dieu soit en ta garde ! Escript en nostre chasteau du Caire, a
XII de la lune de febvrier, de la nativité du sainct et glorieulx pro­
phète Machomet XIIIe et XXXIX.
Maintenent veult retourner au fait advenus en la cité de Mets et on
pays entour.
L’entrée de Vévesques de Liège à Mets. — Et, primier, vous diras
cornent, le VIe jour de novembre, vint en Mets l’évesque de Liège,
acompaigniés de deux cenc chevaulx bien em point et bien accoustrez.
Et avec eulx vinrent VI clérons sonnant à grant triumphe, et que biaulx
les faisoit ouyr. Et entrait en Mets par la porte du pont des Mors.
Celluy évesque c’en alloit en Loheraine pour lever l’efïans du roy de
Secille, qui estoit nez jà y avoit VIII jour. Auquel évesque les seigneurs
de la cité firent présant d’ung gras beuf, XII chattrons, deux cawe de
vin et L quairtes d’awaine. Et, pour baptiser ledit anfïans, mon seigneur
l’abbé de Gorse envoiait emprunter la belle mittre, la crosse, avec ung
livre, en la Grant Église de Mets.
Grant vynée. — La vendange de cest année acomensait VIII jour
devant la sainct Remey. Et durait jusques la vigille de la sainct Mertin :
auquel tampts l’on menoit encor des chairaulz de vin par la cité. Et
oit on une grosse année de vin, mais non pas cy bon que ceulx de l’an
devant. Et, à cest cause, lez viez se vendoient mieulx que l’on n’avoit
fait devant la vendange.
Le cesse mys en l’éveschiés de Toult et à tout leur aydans. — Item, en
celluy tamps, estoit tousjours à Sainct Vincent le prothonotaire qui
poursuyvoit l’éveschié de Toult pour et on non de maistre Marandas.
Et luy vindrent des lettres et mandement de par Nostre Sainct Père le
Pappe, esquelx mandemens estoient desclairiez excommuniez seigneur
Olry de Blamont, qui estoit esleu évesque de Toul, et tous les seigneurs
de chappistre dudit Toul, avec tous leur aidans et favorisans audit
seigneur Olry, et générallement toutte l’éveschié de Toul. Et fut ycelle
sentance attaichée au portai de la Grant Église de Mets. Paireillement
fut le cesse mis par toutte aultre lieu de l’éveschié de Toul, et aucy
par tout les lieu où il estoient veu ne trouvés, et trois jours après leur
despart. Et tellement qu’il fut IX jour en Mets, pour ce que plussieurs
dudit éveschié venolent en Mets. Et, durant ces IX jour, l’on ne chantoit en milles église, fors que à la chappelle devant le Moustier, à Sainct
Jehan en Chambre et en l’Ospital du Neufz Bourgz. Et estoit ce cesse
en novembre ; qui alors venoit en grant desplaisir, pour ce que c’estoient
les dernier jours des espousailles : car, alors, y avoit biaulcopt de
nopces ; dont les aulcuns furent espouser dehors, et, se aulcuns espou-

1. Phrase inintelligible.

366

1496,

DÉCEMBRE. — DIFFICULTÉS ENTRE LORRAINE ET METZ

soient en Mets, il espousoient sans messe et sans bénédiction. — Après
le jour de la saincte Lucie, le roy de Secille envoiait attaichier par ung
de ses procureur au portai de la Grant Église une appellation contre
l’interdit qui estoit en l’éveschié de Toul. Par quoy les chanonnes, qui
estoient prestz pour aller à Sainct Vincent célébrer la teste saincte
Lucie, cessairent ; et fut errier le cesse en la cité par trois jours durans ;
tellement que aulcuns religieulx des Frères Prescheurs, que de ce rien
ne sçavoient, ayans dictz messe jusques à l’évangille, mais, incontinant
luy adverty, se devestit et cessait.
La ripvière grande. — En cest année, le XXIIIe jour de décembre,
la gellée vint, bien apprement ; maix elle ne durait que trois jours, que
la pluye revint. Et tellement qu’il pluit depuis le XXVIe jour de décem­
bre, tous les jours et touttes les nuyt, en jusques a Xe jour de janvier.
Par quoy les yawes furent sy grandes que le Saulcy, en la cité, en estoit
tout plain, par la ripvier qui estoit hors de rive.
Ung jonne guerson noyés. — Et y oit ung jonne guerson noiez en
Remport, par une petitte nacelle qui eschaippait.
Item, ledit jour, morut Jehan Dex, clerc et secrétaire dez Septz de la
guerre, homme bien réputtés et famés. Et estoit merveilleusement
expert en son office ; et fut grant dompmaige de sa mort, car il estoit
fort congnus et amés tant du roy de France comme de Secille et de
plussieur aultres prince et seigneurs.
ta

Le duc de Lorenne veult lever les florins sur aulcuns subjed de Mets. —
Item, en celluy tempts, le roy de Secille, ad cause de ce que ses nobles
luy avoient consentir et acorder de lever sur leur subgectz chacun ung
florin de Rin, il vint arrier ou envoya à demender lesdit florin sur
plusieurs villaiges de la terre et païs de Mets, tant sur ses fiedz et sur les
église comme en franc alluefz. Pour laquelle chose les seigneurs et
gouverneurs d’icelle cité, non voullant souffrir cest chose, envoiairent
conseillier le fait à Francquefort, où la justice impérialle se tenoit.
Et là fut trouvés que, par la prescription de tamps, là où la cité est
d’avoir jurediction sur lesdits villaiges, et de rien payer par les subgectz
desdit lieux au duc de Lorraine du tamps passé, que le droit en estoit
pour la cité. Et vellà ce qu’il en fut dit. Mais ledit de Loherraine, voul­
lant huser de force et de maistrie, pour ce que de ce faire il fut refïusés
et que on ne luy voult paier lesdit florin, il envoiait gaigier ceulx de
Louveney, de Charexey, du ban de Chamenat, et plusieurs aultres.
Les seigneur de Mets présente aux duc René touttes voye de droict;
lesquelle ilz ne veult accepter. — Et alors les seigneurs de la cité, voyant
ce, envoiairent seigneur Michiel le Gournaix et seigneur Andrieu de
Rineck, chevaliers, à Nancey, devers ledit seigneur roy, luy remonstrer
comment de tous temps passés lesdit villaiges sont tousjours estés à la
jurediction de la cité, sans ce que les menans en yceulx heussent jamaix
estez subgectz de contribuer à telle imposition et ayde, ne qu’il fussent
tenus de respondre à aultres que à leurs seigneurs, et à la cité ; luy

1496, DÉCEMBRE . —- DIFFICULTÉS ENTRE LORRAINE ET METZ

367

priant, pour les raison devant dictes, qu’il se volcist desporter, et laixier
la chose où que ces prédécesseurs l’avoient laixiez. De quoy il n’en voult
rien faire. Et les dit seigneurs commis luy présantairent d’en laixier
congnoistre par la justice de Francquefort. Mais il le mist à reffus.
Et alors il luy présantairent de rechief la chambre impérial. Et encor
la mist il à reffus. Puis, ce voiant, il luy présentairent qu’il en volcist
prendre IX de ses hommes nobles, selon l’institucion de Wormes, et
que le IXe pernîst le serment des VIII de s’y conduire leallement. Mais
paireillement tout ce ne voult acorder, et le mist à reffus. Et, sur ce, les
seigneurs commis de la cité retornairent en ycelle,et en firentleurrelacion.
Remonstrances des seigneur de Mets faicte aux bourgeois d icelle.
Et, après le XXIIIIe jour de décembre, lesdit seigneurs firent dire aux
gens d’Esglise et aux commis des paroches qu’ilz venissent le mardi
aprez (qui estoit le XXVIIe jour de décembre) en la chambre des
Trèzes, pour ouyr ce qu’on leur voldroit dire et exposer. Et ainssy en
fut fait. Et à celluy jour, en la présance du maistre eschevin, de seigneur
Régnault le Gournaix, de seigneur Michiel le Gournaix, de seigneur
Andrieu de Rineck, tous trois chevaliers, et de seigneur Conraird de
Serrier, eschevin, commis ad ce de par tout le Conseil, fut préposé
aus dite gens d’Esglise et aus dit commis des paroches, par maistre
Jehan Noël, serchier de la Grant Église, qui alors estoit aux gaiges de
la cité, tout ce dessus dit. Et que, pour obvier, yl convenoit, à résister,
de trois chose l’une : la premier, par guerre ; la seconde, par justice ,
la tierce, par luy donner argent pour demourer en paix. Priant ausdit
clergiés et ausdit commis des paroche d y aviser, et de leur donner
responce cellon leur oppinion, et, avec ce, ayde et confort.
Response dé bourgeois de Mets au seigneur d’icelle. — Et, tantost le
lundemains, lesdit de la clergiez s’asamblairent à part « ; et paireille­
ment les commis des paroches, d’une aultres coustés ; et desbaittoient
chacune partie à part a la dicte matière. Et, 1 aultre londemains après,
lesdictes gens d’Esglise et lesdit commis des paroches se trouvaient
ensemble ; et firent chacune perties relacion de leur oppinion , et fut la
chose sy bien acourdant qu’il se trouvaient tout d’ung commung
accord, dont ilz furent très joieulx. Et, tantost au l’aultre lendemain,
que fut le pénultime jour de décembre, lesdictes gens d’Église et lesdit
commis des paroches firent leur responce, en la chambre des Trèses,
ausdit seigneurs commis, par la bouche de monsseigneur l’abbé de
Sainct Vincent. En disant que, sur les trois point allégués sans lesquelx
on ne povoit résister qu’il ne faillît acompli l’ung d’iceulx, il avoient
avisés. Et que, tout premièrement, quant au fait de la guerre, que on la
debvoit obvier et différer le plus qu’on polroit : car elle n’estoit à nulz
profitable. Et, quant au fait de luy donner argent, que on avoit desjay
aprovés le fait : car par plusieurs fois l’on en avoit donné pour avoir
paix, et jamaix on n’en avoit estez essurez ; maix tousjours on estoit

a.

Appart.

368 1497 N. ST., JANVIER. — DIFFICULTÉS ENTRE LORRAINE ET METZ

au recommencier ; par quoy, tout conclus, il n’estoit licite de luy donner
argent. Et, au fait d’y aller par justice, la chose pouroit estre longue et
de grant despance et grant poursuite ; néantmoins, puis qu’il estait
ainsy que les seigneurs de la cité avoient conseilliez le fait, et qu’ilz
trouvoient que le droit estait pour eulx, et aussy que, selon droit et
équité, cellui qui présente justice il présente raison, ces chose considérée,
l’oppinion du clergié et aussy des commis dez paroches pour le peuple
estait qu’on prenist la voye de justice.
Et, ycelle responce donnée, lesdit seigneurs commis se retirairent en
la chambre des Contes. Et y furent grant pièce ; et puis revindrent en la
chambre des Trèses, et, par la bouche dudit maistre Jehan Noël, remerciairent honorablement et bénignement lesdits seigneurs d’Église et
lesdit commis des paroches du bon volloir qu’ilz veoient avoir en eulx *1,
et aussy de la bonne diligence qu’ilz avoient heu d’expédier leur res­
ponce, en eulx priant de tousjours persévérer en leur bon volloir. Et
ainsy en fut fait corne il avoit estés dit. Et demouray la chose ainsy
jusquez a XXVIe jour de janvier.
Le duc René envoyé gaiger sur le pais de Mets. — La chose demoura
doncque ainsy une espasse de tamps, lequelle durant ledit duc de
Loheraine continuait tousjours en ces demandes. Et, de fait, envoiait
ung de ces sergent gaigier à Fristorff, à Braidi et à Haulte Rive pour
lesdit florins. Pour laquelle chose les seigneurs de la cité en firent gecter
une lettre pour envoier audit roy ; laquelle avent fut monstrée audites
gens d'Églises et aux commis des paroiche, comme cy après serait dit.
Se tamps durant, c’est assavoir le Xe jour de janvier, se chaingeait
fort le tamps : car à celluy jour il négeait continuellement, sans laichier.
Et, environ lez quaitre heures après midi, il eslodait, et fist ung copt
de tonnoire aussy gros que ce fût esté 2 on cuer d’estey. Et pluyt et
négeait fort tous les jours et touttes les nuyt depuis ce jour jusques aux
XVe dudit moix de janvier.
Conseil du commun d’icelle pour chacun dire son opinion sur les demende du duc René. — Item, le XXVIe jour de ce meisme moix de
janvier, les seigneurs et recteur de la cité mandairent arrier les gens
d’Église et les commis des paroches. Et leus monstrairent celle lettres
qu’ilz avoient faicte escripre pour envoier au roy de Cecille ; par laquelle
il luy requéroient de cesser de gaigier les gens des villaige devant dit
pour les florins qu’il demandoit, et, avec ce, qu’il volcist restituer ceulx
qu’ilz en avoient receu, et, on cas qu’il luy volroit sembler qu’il ne
l’averoit à faire a, il luy présentaient les justice ycy devant desclairées ;
— puis, après que le messaigier fut retournés, fut monstrée audit
clergié et commis du puples la responce que le roy avoit faictes ; par
laquelle il ne respondoit point au propos, ne c’il volloit accepter la
a. Affaire.
1. Du bon vouloir qu’ils voyaient qu’il y avait en eux.
2. Que si ce fût été.

1497 N. ST., FÉVRIER. — JOUTE FAITE « EN CHANGE »

369

justice ne s’il la volloit reffuser ; — priant doncque les seigneurs au
devant dit qu’il leur en woulcissent donner conseille de ce qu’on en
avoit à faire a ; et, se il ne volloit venir à justice, comment on luy *1
polroit constraindre. Et, avec ce, leur fut priés que lesdit seigneur de
l’Église volcissent eslire VI d’entre eulx, qui heussent puissance de
besoingnier audit fait ; et paireillement, les commis des paroches, VI.
Sur quoy, le dernier jour de janvier, fut respondu par lesdit seigneurs
d Église et par lesdit commis que, en ensuyant leur premier oppinion,
que on debvoit poursuire ledit roy par justice, et à grant diligence et lé
plus brief que faire se polroit ; et, c il n’y volloit obéir, que après on
aroit conseil comment on en polroit faire ; — et, quant au fait d’en
elüre VI d’entre eulx, qu’il ne leur estoit possible, car les gens d’Église
ne les parochiens ne volloient point mettre le fait sus VI personnes de
chacune pertie , et aussy nulz d eulx n’en volloient pranre la cherge, et
disoient qu’il ne leur apertenoit point, mais disoient que, se lesdit
seigneurs commis les voulloient avoir non point six, maix en quelque
nombre qu’il volroient (et, toutefois, qu’il leur plairait), et qu’ilz
estoient tousjours prest pour y venir et donner conselle, et faire tout ce
que possible leur serait.
Jouste faicte en Chainge. — En celle année, le lundi gras, que fut le
VIe jour de febvrier, y oit une jouste faicte à lisse par V des josnes
seigneurs de la cité en la plasse En Change : c’est assavoir par seigneur
Nicolle Roucel, alors maistre eschevin de Mets, par seigneur Jehan
Xavin, par Philippe Dex, par Régnault le Gournaix, filz seigneur
François le Gournaix, et par Michiel, filz seigneur Jehan Chaversson,
lesquelx, de leur jonesse, firent bien leur debvoir. Et avec eulx y vint
jouster une josne escuier de Loherainne, appellé Philippe de Haracourt,
bien montez et bien armés, qui paireillement y fist bon devoir. Et
acomensairent celle jouste à midi ; et demorairent en la dite place ledit
Régnault, ledit Philippe Dex et ledit Philippe de Haracourt joustant
jusques à quaitre heures aprez midi. Tant que les seigneurs les firent
cesser ; et puis en toute amours ce touchairent les dit trois jousteurs
en la mains l’ung l’aultre. Et, après ce fait, les anffans de Mets condui­
ront, tout ainsy armés qu’il estoient, ledit Philippe de Haracourt
jusques en la place Xappel, en l’ostel seigneur Philippe de Rougecourt,
où il estoit logiez, et acompaigniez des seigneur de la cité et d’aultres
gens, soldoieur et aultres, en grant nombre, avec trompettes, cléron et
taborins. Et plus, aprez 2, les dit seigneurs remenairent lesdit Ré­
gnault et Philippe Dex en leur logis. Et, la nuyt ensuyant, après le
souppés, firent grant testes en dances et en bancquet en la salle c’on dit
la nuefve salle En Chainge ; en laquelles furent festoiés les dammes et
damoiselle de la cité. Et à cest heure fut devisés des mieulx faisant, et
en fut jugiez, tant des dammes comme des seigneurs, chacun cellon
a. Affaire.
1. On l'y pourrait contraindre.
2. Il faut corriger: t Et puis, après ».

370

1497

N. ST., FÉVRIER. — ROBERT DE LA MARCK A METZ

qu’il lui en sambloit, et alors fut donnés le pris à chacun selon qu’il
l’avoient deservis. Mais le peuple estoit esbahis de ce que le maistre
eschevin avoit jousté ; car on n’avoit point acoustumes de ce faire on
tamps passés.
T , resse en Mets. — En ce meisme jour vint à Mets ung appellé Dediet
de Ville dict le Loherains, serviteur du roy de Secille. Et de prime
venue, vint attacher à ung des groz pillez de la Grant Église une
appellation contre Maradas pour le fait de 1 eveschiez de Toul. Et,
incontinant que lé chanones en olrent la congnoissance, il cessaient le
service divin. Et s’en allairent en chappistre ; et illec conclurent qu ilz
ne cesseroient plus ; et prinrent noctaire et tesmomg, et firent protestacion comment le païs de Loheraine estoit proicham de la cité, et que
à chacun jour les Loherains de l’éveschiez de Toul venaient en la cité
et qu’il avoient desjà cessez plusieurs journées de chanter, et que s il
volloient tousjour cesser, qu’il estait possible que tropt souvant les
fauldroit cesser, par quoy lesdit Loherains s’efïorceroient toujours
nlus de venir en la cité. Et aussy qu’ilz estaient bien informes et au
vray que, s’il cessoient plus, leur terre qui estait en Bair et en Loheraine
leur serait saixie. Pour laquelle chose ilz volloient envoier devers Nostre
qainct Père le Pappe luy remonstrer ce dessusdit, et pour en faire ce
luy plairoit qu'il tm* 1 et que leur iuteuciu» «toit de non plue
cesser jusques à ce qu’ilz averoient la responce dudit Samct Pere. Et
de fait, à ce meisme jour firent chanter leur grant messe, qu il estait
nrès de midi quant il olrent faict.
,,
Item, le lendemain, que fut le VII* jour de febvner se partit de Mets
ledit Loherains. Et, en yssant de la porte, il donnait a 1 ung des port
une lettre et luy priait qu’il la volcist pourter au chappistre de la
Grant Église. Laquelle lettre estait une deffiance que ledit Loherains
Lit audit chappistre et à leur subgect pour l’injure qu lUisoit qu i z

Lu

luy avoient fait d’avoir cesser le service divin devant luy. Laque e
lettre estait dactée du V* jour de febvner ; et leur cesse fut le VI jour
dudit moix • par quoy on povoit congnoistre que c estait une chose
faict à la main \ et que la chose estait forgée par quelque subtilhte ou
^Leseianeur Robert de la Mairche aryves à Mets. — Peu de tamps après
C'L asseoir le jour des Bures, que fut le XIL jour d.
à Metz seigneur Robert de la Mairche, acompaigmer de L hommes
à chevaulx8 bien em point. Et fut logiez en l’ostel seigneur Pier Baudoche qui avoit à femme la suer dudit seigneur Robert Et, deux jour
aprez,’ledit seigneur Robert renvoiait de ses gens la plus part , et se
tint Darmv le karesme en la cité.
. .
PuE tantost deux jours après, seigneur Olry de B amont envoiait
ces lettre aux seigneurs de chaipistre de Mets, par lesquelle il leur

1. Faite d’avance.

On dit en ce sens, en ancien français : avant la main.

1497 N. ST., FÉVRIER. — ACCORD ENTRE LORRAINE ET METZ

371

prioit que une journée amiable.se puist panre pour le fait desdit florins
que le roy de Secille demandoit au subgect desdit seigneurs de chappistre. Et, aussy, que celle journée fût prinse pour la deffiance que le
Loherains leur avoit faictes, comme cy devant ait estés dit. A quoy lesdit
seigneurs se consentirent ; et fut la journée prinse et acceptée au pre­
mier jour de mars, l’an dessus dit, au lieu de Nancey.
Journée tenue à Nancei entre le duc de Lorainne et chapislre de la
Grant Église. — Et tellement que, le dernier jour de febvrier, se parti­
rent de Mets V dez principaulx seigneurs de chappistre, c’est assavoir
seigneur Jaicque d’Amange, archediacre de Mets, maistre Jehan Chardelly, chantre, maistre Jehan Noël, serchier, seigneur Jehan Philippe
et seigneur Johannes Peltry ; et ce trouvairent les V devant dit à celle
journée à Nancey. Et là fut mise jeu la guerre du Lorrain, et en fut
chergiez le roy de Cecille. Et, touchant lez florin, il en olrent accort
audit roy.
Accord entre le duc René et messeigneurs de Mets pour les florins. —
Item, pareillement à la dicte journée ce trouvairent aulcuns des sei­
gneurs de la cité : c’est assavoir seigneur Andrieu de Rineck et seigneur
Michielle Gornaix, ambedeux chevalliers, et, avec eulx, maistre Claude
et Mertin, clerc dez Septz de la guerre. Et là firent tant les seigneurs
devant dit que ceulx de la ville de Charexey, appertenant au seigneur
Michiel le Gronaix, et ceulx de Trognuef, appartenant à Sainct Vincent,
auquel on demandoit lesdit florins, furent quicte ; maix, touchant
ceulx des villaige tenus en fiedz dudit seigneur roy, on n’en polt encor
rien faire.
Une noble dame de Mets en grant dangier d’estre noyée. — En celle
présante année, le VIIe jour du moix de mars, advint en Mets une
adventure pour aulcune bien dangereuse ; maix, Dieu mercy !, la chose
se pourtait bien. Car, à ce jour, damme Claude, qui estoit fille a seigneur
Baudoche et femme a seigneur Conraird de Serrier, lavoit pour son
plaisir aulcuns drappellaige en la ripvier de Mezelle, darrier la maison
de son perre, nommée Passe Temps. La dicte damme Claude glissait
et cheut de dessus le port en la ripvier, et tellement que, se ce ne fust
esté à grant diligence des serviteurs le seigneur Robert de la Marche,
qui saillirent tout vestus en l’yawe avec plusieurs aultres, elle fust esté
perrie et noiée en ladicte ripvier. Car c’estoit l’une des puissante jonne
femme et grande qui fût en ung royaulme. .
Le cesse par les paroiche de Mets. — Trois jours après, c’est assavoir le
IXe jour dudit moix de mars, vint en Mets ung noctaire de Toul, appellé
Aulry Briellis. Pour lequel les curez de Metz et aultres gens d’Église
cessairent de chanter, fors quez ceulx de la Grant Église et de Sainct
Saulvour. Car yceulx ne cessairent point : dont plusieurs estoient esbahis.
Messire Robert de la Mairche est pencionaire de la cité. — Item, en ce
meisme tamps et durant que le devant dit seigneur Robert de la Mairche
estoit à Mets, la cité et luy firent apointement ensemble. En fasson
telle qu’il fut retenus et mis au gaiges de la dite cité pour le terme de

372

[1497]. — MORT DE CHARLES VIII, ROI DE FRANCE

XX ans ; et debvoit avoir pour chacun ans VIe frans de pancion ;
en telle condicion que, se l’on avoit affaire de luy, il debvoit servir la
cité avec trois cenc chevaulx, ou plus, et debvoient avoir pour chacun
homme à chevaulx VI libvrez le moix, en ses péril et fortune. Et,
avec ce, debvoit faire ouverture de ces plaice pour et au profïit de la
cité.
Mais de luy et de touttes aultres choses vous lairés le pairler pour le
présant, pour retourner au maistre eschevins de la cité de Mets et à
plusieurs aultres besoingne qui advindrent en l’année après, comme
vous poirés oyr, ce escouter vous voullés.

[l’année

1497]



Mil iiijc iüjxx et xvij. — Après que le milliair courrait par mil quaitre
cenc IIIIXX et XVII, qui estoit en l’an XIIe du royaulme du devant dit
Maximilian, fut fait, créés et essus pour maistre eschevin de Metz le
seigneur Nicolle Rémiat, lequel l’avoit desjà esté en l’an IIIIXX et ung.
Et, peu de tamps après, c’est assavoir le XXIXe jour de mars, revint
en Mets ledit Aubry Brielle, noctaire de Toul, pour prandre la possession
de la princerie pour maistre Jehan Brielle, son frère. Pour lequel de
rechief fut cessé par trois jour de plus chanter par toutes les église de
Mets, réservés en la Grant Église d’icelle et à Sainct Saulveur.
En celle présante année, le jour de Pasques fut le XXVIe jour de mars.
Et pleuit tout le jour. Et, tantost au lundemains, le biaulx temps et
chault vint ; et continuait tous les jours, sans pluie qu’il fist, moult
chault, jusques a IXe jour d’apvril. Tellement que à ce jour les vignes
furent cy avencée et hors que on veoit les raisins en plaine vigne tout
à fait. Et ce avoient tellement haités que l’on n’avoit encor point
labourés la moitiet des vignes : car les terres estoient sy dur, par les
pluies qu’il avoit heu fait en yver, que on n’y povoit entrer ; et convenoit avoir XIIII ou XV ouvriers pour fouyr ung journal de vigne ; et,
avec ce, gaignoient a plus chier, tant à fouyr comme à fichier.
Aussy, en ce tamps, il fut nouvelles que le roy René, duc de Loherairne, avoit en volunté de faire ung très grant desplaisir et grant
dopmaige à la cité et au pais appartenant à ycelle. Mais il y oit aulcuns
bien vueullant et de bon conseil, tel que le conte de Salmes, seigneur de
Viviez et bailly d’Allemaigne, le Pollain de Harouuel, et aultres, qui lui
ostairent son couraige. Et tellement qu’il n’en fist rien.
La mort du roi Charles de France. — Aussy ce fut en ce meisme tamps
que morut le roy Charles de France, comme cy devent ait esté dit.
Car, aïnssy comme ung jour, luy estant à Amboise, il resgairdoit ces
mignon juer à la palme, luy estant avec la royne sa femme dessus une
gallerie, soudainement luy print grant malladie, de laquelles assés

[1497]. — SERVICE A METZ POUR LE ROI CHARLES VIII

373

subitement mourut. Et fut en la dite année, le XIIe jour d’apvril
(et aulcuns mette le VIIe), en l’an XVe de son resgne, et en sa XXVIIe
année. Et voulloit on dire que aulcuns, désirans de régner, luy avoient
fait abrégier sa vie. Touteft'ois, l’une des chose que plus le grevoit en
mourant, c’estoit ce qu’il ne laissoit nul hoirs de son corps : car les
trois anffans qu’il avoit heu de Anne, son espouse, avoit la mort osté de
ce monde. — Item, le dernier jour dudit moix, fut Son corps pourté
en sépulture avec grant sollanités par les princes et officier du royaulme,
avec les Parisiens, et avec touttes la clergie et tous les prebstres et
religieulx, tant de Paris comme de Sainct Denis. Et fut ce fait en très
riche et magnifîcque pompe : car il y avoit plus de XIIe tant prebstres
séculliers comme religieulx de diverse sorte. Et y avoit à la conduitte
d’icelluy corps plus de XX mil personne laye, tant gens de court et
officiés comme des bourjois et du commun. Et tellement que, qui
vouldroit tout dire ou escripre l’honneurs que l’on fist à son corps mort,
il y fauldroit deux ou trois fueille de papier : car je croy que jamaix,
depuis que le monde est monde, à corps mort ne fut fait autant d’onneurs, ne avec cy grand et magnifîcque coustange, tant en luminaire
comme aultrement, comme fut son servise et obsecque fait. Et, qui le
tout sçavoir vouldra, lisse le livre de maistre Robert Gauguin, ou en la
Mer des Isloire ; et illec le trouvanra.
Loys d’Orléans créés roy de France. — Et, dès incontinent après sa
mort, fut fait roy et elleus de tous les prince du royaulme Loys d’Or­
léans, XIIe de ce non. Mais ne fut pas courronnés à Rains, ne ne fist son
antrée à Paris, jusques a XXVIIe jour du moix de may en l’an après,
comme il vous serait dit quant tamps serait.
Service fait à la Grant Église pour le roy Charles. — Puis, tantost
après et que les sertaine nouvelle de la mort du roy Charles furent
apourtée à Mets, fut ordonnés de luy faire en la Grant Église d’icelle cité
son service, comme a cas apartenoit. Et tellement que,le XVe jour de may
en ensuiant, fut ledit service fait. Auquelle furent touttes les Ordres men­
diantes, avec les Frères de l’Observance, et touttes les relligions et
moinne, avec touttes les nonnains et les curés ; et y furent touttes gens de
linaige. Et fut ledit service bien sollennel : car il y eust, de chacune paro­
dies, deux torches, et trois chappellains qui dirent messe audit service ; et
chantait la grant messe le souffragant. Auquel service y eust moult grant
luminaire, dont la plus part estoient armoiez des armes dudit seigneur.
Intelligence publiée entre l’archeduc d’Ostriche, et aultre prince, avec
la cité de Mets. — Item, en celle meisme année, fut faicte une intelli­
gence entre Phelippe, archeduc d’Octhriche, duc de Bourguongne, et
les seigneurs et recteurs de Lucembourg ét le merquis de Baude, d’une
part, et le maistre eschevin, trèses jurés, Conseil et touttes la commu­
nautés de la cité de Mets, d’aultre part, contre touttes gens, de quel
nacion qu’il soient, pour le terme de X ans, saulz et réservés contre
Nottre Sainct Perre le Pappe, contre l’empereur, contre le roy de

374

1497,

JUIN. — BOURGUIGNONS ÀU PAYS DE METZ

France, contre le Roy des Romains et contre l’évesque de Mets. Et, en
l’an après, mil quaitre cenc IIIIXX et XVIII, le maicredi XXVIIIe jour
de mars, fut cest édit criez à son de trompe par les carrefors de la dite
cité, tout cellon le contenus de là dite intelligence, et telz comme plus
à plain il est escript és lettres sur ce faictes.
Eésislance faicle par ceulx de Mets et aultre contre ceulx qui a voulloient
passer par le paiis de Mets. — Tantost après, en celle meisme année
IIIIXX et XVII, et on meisme moy de may, vindrent en ce païs grant
quantitté de Bourguygnons, en nombre de Ve chevaulx et VIIe piettons,
qui venoient de la Haulte Bourgoingne, desquelx y avoit environ cenc
chevaulx bardés. Et, pour les destourner d’entrer en Loheraine, le roy
René fist grant assamblée de gens ; et mandait ses fidvez de Mets.
Touttefïois il oit acort à eulx, et les laissait passer païs, bien hastivement. Et alors, le VIe jour de jung, vinrent logier à Folville, et à Juville,
et en plusieurs aultres villaiges autour de la terre de Mets. Et, pour tant
que l’on s’en doubtoit bien, les seigneurs et gouverneurs de la cité
avoient, le dimenche devant, que fut le 1111e jour de jung, fait comender
tous ceulx des paroches de Metz qui estoient pour pourter bastons de ce
trouver en l’isle du pont des Mors. Et ainsy en fut fait ; et ce y trouvairent, de la dicte cité, environ trois mil hommes de piedz, gentilz
compaignons. Et, afïin que nulz n’eust escuse, la cité presta à plussieurs
desdit compaignons plusieurs harnaix de piéton, avec des picques et
hallebairde, apertenant à la cité ; lesquelles furent mises en escript
par les eschevins et baneret des paroches, afïin de sçavoir à qui on les
avoit chairgiés. Et pareillement firent les seigneurs à ce commis assambler les gens du païs et terre de Mets, et les firent embastonner. Et,
avec ce, leur firent fouyr le milleur de leurs biens. Car on estoit prest
et délibérés de les assaillir et de les deschassier, s’on veoit qu’ilz se
volcissent tenir tropt longuement en la terre de Mets. Et, ainssy comme
on estoit prest (et le pain cuyt) et appérilliés de ce faire, les nobles de la
duchié de Lucembourgz, qui paireillement se doubtoient de leur terre
et païs, à l’ocasion de celle alliance faictes entre les pertie, comme dit
est, vinrent en l’ayde de la cité avec VIXX chevaulx, bien am point, qui
furent logiez à Mets, et environ VIIe piéton, qui furent logiés dehors,
à Longeville et à Mollin. Et fut ce fait le XIIe jour de jung. Et, le lende­
main, en vint encor bien XL chevaulx et cenc piettons des gens de
monsseigneur du Fayt. Et alors les cappitaïnes desdit Bourguygnons,
quant il furent advertis de celle entreprinse, envoiairent prier aux sei­
gneurs de la cité de Mets qu’ilz puissent avoir assurément pour parler
à eulx à Sainct Arnoul. Et il l’acourdirent.
Accord aux Bourguignon. — Et, incontinant que ceulx de Lucem­
bourgz furent venus, il y oit trois des seigneurs de la cité, acompaigniez
de messire Robert de la Mairche, du mairéchault de Lucembourgz et du
maistre d’ostel du mairquis de Baude, gouverneur de Lucembourgz,

a. Qui qui.

1497,

JUIN. — GROSSE ALARME A METZ

375

lesquelles tous ensambles s’en, allirent perler audit cappitaines des
Bourguignons à Sainct Arnoul. Entre lesquelles cappitaïne estoit
Alveraulde l’Espaignol, duquel j’ay par cy devant perlés, qui estoit
l’ung des cappitaine à la guerre de Mets. Et, à ce jour, olrent telz acord
et cy bon apointement que lesdit Bourguignon debvoient tantost
a lendemain aller logier tout dehors de la terre de Mets. Car alors chacun
les deschaissoit ; et n’y avoit païs qui ne les craindît, pour ce que entre
yceulx Bourguignons plusieurs estoient mallaide de la gourre *1 et de
plusieurs aultres infection.
Une maison brûllée. — Or advint, pour celle premier nuit que lesdit
de Lucembourgz estoient à Mets, que a le feu se bouttait en une maison
on Wai de Beilley, oultre Saille, apertenant à ung maire du Hault Che­
min ; lequelle fut en grant dangier d’estre airs en ycelle, et luy fut force
de saillir dehors par une fenestre en la rue. Par quoy on en fut fort
esmeu en la cité. Et fut la dicte maison, avec les biens de dedans,
tout airs ; maix il n’y oit aultre dopmaige, sinon que tout chacun fut
relevés, doubtant traïson. Et ne vis jamaix le peuple estre mis en
milleur ordonnance comme alors fut, ne cy à copt2, tant on Champaissaille, En Chambre, aux portes, sur les muraille, et à Porsailhs.
Item, le lundemains, les gens d’armes qui estoient venus de Lucem­
bourgz, et aussy les piettons, s’en volrent retourner en leur païs. Et se
assamblairent les gens à chevaulx au piedz du pont Thieffroy , et, là,
firent venir les piettons à passer par devant eulx, et les mirent on grant
chemin de Laiduchamps.
Mutation en la ville de Mets. — Et, en ces entrefaites, en­
viron deux heure après midi, il avint une grosse alairme. Car,
à cest heure, plusieurs des seigneurs de la cité, avec plusieurs
bourgeois, s’en estoient allés pour leur plaisir jusquez à Mollin, pour
veoir passer lesdit Bourguignons, qui debvoient par là passer, à piedz
et à chevaulx. Mais, je ne sçay à quelle occasion, yceulx Bourguignon
craindirent, et olrent aultre conclusion, et ne passairent pas par ce lieu,
ains s’en sont tournés devers Joiey, Corney, Airs et Aincy, et par sus les
couste le chemin de Verdun. Et alors la gairde de Loheraine, doubtant
qu’il ne retournaissent en leur païs, les coustoioit et contrechevaulchoit.
Alors ceulx de Chaitel Sainct Germains et de Rouserieulle, cuydant que
yceulx Loherains ce fussent joing avec les Bourguignon, et qu ilz
woulcissent dessandre on Vault, ce prindrent à sonner alairme. Et
incontinant, de l’ung en l’aultre, fut tout le Vaulx esmeus jusques à
Longeville ; et, cen sçavoir que c’estoit, couroient l’ung sçay 3 et
l’aultre là. Entre lesquelles aulcuns menteurs et rapourteur de nouvelle
s’en vinrent jusques au portes, criant alairme ; et dirent que l’on
emmenoit les seigneurs qui estoient allés à Mollin, avec plusieurs aultres,
a. Que a été rayé par Philippe.
1. Lagourre,ou la grande gourre : la syphilis, alors nouvelle en Europe(cf. Mémoires,
p. 137).
2. À coup, rapidement.
3. Çà.

376

1497, JUIN, — LES BOURGUIGNONS QUITTENT LE PAYS DE METZ

tant de Mets que du Vault. Par quoy pour ces nouvelles fut toutte
esmeutte la cité de l’ung des bout jusques à l’aultres. Et courrait
chacun au baiton ; et ne sçavoient la plus pairt que c’estoit, for que
on disoit que tout estoit perdus, et que on en menoit les seigneurs qui
estoient à Mollin, et qu’il estoient trahis. Là eussiés veu la cité aussy
esmeute en peu d’eure c’on la vît oncque. Et courraient gens ambaittonnés et de touttes sortes par les rue, et gectoient en terre femme et
enfïans quant il les rancontroient. Là eussiez aucy veu les sergent et les
baneret des paroiche courir par les rue et commender, on non de Justice,
aux femmes de pourter pier et sandre sur les maison, et mettre plaine
queuue d’yauue aux huys en la rue, et aussy de mettre les anfïans à
l’ostel. Et menoit on sy grant bruit par la ville c’on n’y eust pas oy
Dieu tonnant. Mais, quant la multitude des gens vinrent à la porte,
on ne les laissoit pas aller dehors, tant que tout y fût ;puis onchairgeait
bien XII ou XIII, piesse d’artillerie en la grainge de la ville ; et, alors,
l’on fîst ouvrir la porte, et en belle ordonnance s’an saillirent tous dehors.
Ceulx de Lucembourg suspicionés de trahison, sans cause. — Et cou­
raient les nouvelle que ceulx de Lucembourgz avoient fait la traïson,
pour tant que cy tost c’en estoient retournés en leur païs. Mais c’estoient
bourde ; et ce monstrait bien le contraire : car alors n’estoiént point
plus loing que Laiduchamps, et, incontinant qu’il en solrent les nou­
velle et qu’il oyrent le bruit et l’effroy, il retournairent arrier bien
hastivement en l’isle du pont des Mors ; et vinrent veoir que c’estoit
et quel bruit l’on menoit. Et alors tous les seigneurs de la cité, et le
peuple paireillement, ce mirent tous en armes ; et courrurent tous là où
chacun sçavoit qu’il devoit aller, lé ungs en leur tours, cellon leur mestiers, les aultres aux portes, et les aultres en l’isle du pont des Mors,
corne dit est. Tellement que de la cité y avoit environ V mil hommes
aux champs bien em point, comme on disoit.
Toutteffois nouvelles vinrent que se n’estoit rien, et que lesdit Bour­
guignons estoient logiez à Nouviant et en la terre de Gourse. Et fut
trouvés que lesdit de Chastel sç’avoient esmeu pour néant. Et, ainsy,
lesdit de Lucembourgz s’en retournirent arrier, et ceulx de Mets pai­
reillement. Et fut dit par tous les ansiens, et paireillement de tous
estraingiers, que jamais n’avoient veu ung puple sy bien assamblés ne
sy bien ordonné en peu d’heure, sans avoir comandemant de Justice,
for que chacun y alloit de bonne voulluntés. Et aussy furent tout pour
l’eur et tout souldainement formes touttes les tours de tous les mestier
de ceulx à qui aperthenoit de y estre ; et aussy furent touttes les porte ;
tellement qu’on en fut louués et prisiez.
Libéralité de ceulx de Mets. — Le compromis entre la cité et ceulx de
Lucembourgz estoit telz que lesdit de Lucembourgz debvoient venir
à leur despens, par vertus d’icelle alliances. Et, néantmoins, les seigneurs
et gouverneur de la cité envoiairent par touttes les hostelleries aval la
cité par où il estoient logiez, et firent paier tous leur escotz. Par quoy il
s’en retournirent fort contens de la ville.

1497, 14 SEPTEMBRE. — VIOLENT COUP DE VENT

377

Puis, tantost après, le XVIIe jour du meisme moix de jung, ceulx de
Lucembourgz, dobtant que lesdit Bourguignons ne deussent entrer en
leur païs, mandatent a seigneurs de la cité de Mets qu’il leur woulcissent
envoier jusques à XXV chevaulx. Et incontinant lesdit de Mets y
envoiairent à grant dilligeance ; et y fut le seigneur Jehan Chaverson,
et Michiel, son filz, bien montés et armés, et moult bien en point.
Et firent tant lesdit de Lucembourgz que, paireillement comme avoient
fait leur voisin, il les deschaissairent tout hors de leur païs.
La croix c’on dit la Belle Croix édifiée, que ciel en Desriemont. — Le
premier jour de septambre de cest présante année, ung AUemans,
nommés Zayer, hoste des Trois Roys, en la rue des Allemans, oultre
Saille, fist dresser et eslever on hault de Desirmont l’ymaige du Crucifis
pandant en crois, avec le bon lairon et le malvais à destre et à senestre,
et aucy l’imaige de Nostre Dame et celle de sainct Jehan qui sont
toutte droitte devant ledit crucifis, telz que on lez peult veoir ; avec
aussy la lanterne, le troncque, et ce qui en despant. Et fist ledit Zayer
tout faire de ces denier et de ces maille, sauf et réservés la maison, que le
seigneur Françoy le Gournaix, chevalier, ait puis fait faire. — Item, le
XVIIIe jour de ce meisme moix, ledit Zayer fist encor dresser et ellever
V aultre croix de bois, avec les taubliaulx auquelle est en pointure le
mistère de la Passion, et qui sont depuis le cimetier de Saint Eukaire
jusques au piedz des degrés devant le pont Remon ; et monstre lesdictes
croix le chemin avec les stacion.
En celle année y oit biaucopt de tanre fruyt, comme je dirés ycy
après. Et tellement que, le XIIe jour de ce meisme moix, pour la grant
planté qui estoit, on amenait devant la Grant Église de Mets une chairette toutte plaine de poire mottées 1 et cuyte.
Merveilleux vent soubdainement advenus, et de grant dopmaige. •—
Item, le XIIIIe jour de ce meisme mois de septambre, jour de la sainte
Crois, qui est alors la foire à Thionville, environ les quaitre heure après
midi, il fist soudainement ung estourbillon de vant, qui ne durait pas
plus de ung quairt d’heure, sans tonnoire, sans esloide, et avec bien peu
de pluye. Et fut celluy estorbillon sy soudains, sy impétueulx, sy cruel,
qu’il n’y avoit home vivant que jamaix oyt perler d’ung péreille vent.
Car il abattit tours, clochiez, grainge, maison en plusieurs lieu permi le
monde. Et fist seullement 2 ce vant pour plus de mil florin d’or de
dopmaige d’airbre rayés et rompus on païs de Mets : qui furent gectés
les ung dessus les aultres, la rassine en hault, que c’estoit merveille de
lez veoir. Et ne fut pas seullement en ce pays, mais par tout le monde.
Ce vant ycy empourta et rompist ung grant pans du teys de la Court
Lévesque, et y fist grant dopmaige. Paireillement, a Prescheurs à Mets,
rompist deux grosses bouttées de l’église ; et fist plusieurs aultre

1. Poire moustée, poire cuite au vin ?
2. Seulement porte à la fois sur les dégâts causés aux arbres et sur le pays de Metz.

378

1497,

SEPTEMBRE. — TRAVAUX A LA CATHÉDRALE DE METZ

dopmaige aval le couvant, montant à la somme de plus de deux cenc
libvrez. Item, rompist ce vent lez grant wairier de dessus le pourtal de
Sainct Siphorien, avec le woire et les pier. Paireïllement raya pertie dez
groz orme de dessus Sainct Hillaire. Et abaitist plusieurs chaminée
permi la cité. Aussy abatit le teys du clochiez de Sainct Farroy ; et
descouvrit plusieurs tours dez muraille de la ville ; et rompist plusieurs
wairiers, et descouvrit plusieurs clochiet et plusieurs maisons. Et
sambloit que lez dyables emportaissent les escailles et lé tuylle en l’air.
Tellement que les gens ne ce sçavoient où boutter, et pansoient à cest
heure que le monde deust fîner. Et fist ce tamps du dompmaige innumérables. Et n’y avoit homme cy anciens que jamaix oyt perler d’ung
cy grant vent, et venus cy soudainement. Et fut trouvés que par tout
le monde il avoit fait ung paireille temps.'— Et moy, l’escripvain de ces
présante, estoient à celluy jour à Thionville. Je vis par la force du vent
renverser une nefz dedans Mezelle, toutte chairgée de gens ; toutteffois,
la Dieu mercy !, il n’y oit personne noié : car bien en haitte furent
secourus. Et fist ce vent grant dompmaige aux pelletiers, et encor plus
aux merciers et aultres gens estant et vandant leur merchandise à la
foire, hors de la porte, sur les foussés : car ledit vent leur lanssait la
plus païrt de leur pouldres et espice et aultres merchandises dedens
lesdit foussés de la ville.
xviijc homme noyés par fortune. — Et fut sceu a vray que celluy
torbillon de vent fist ce jour sur la mer ung dompmaige incompréhen­
sible : car, seullement de la ville de Lubech, il y oit plus de XVIIIe hom­
mes noiez ; et tant d’aultre, de tout pays, qu’il en fut trouvés en ung
trahin*1 , sur la rive de la mer, plus de trois mil personnes noiez, que la
mer avoit gestés dehors. Par quoy il est à croire qu’il en pouvoit encor
bien avoir aultre part. Car jamaix d’hommes vivent ne fut veu ung telz
vent par tout le monde, ne sy souldain ; et ne sceussiez aller en nulz
païs que vous ne trouvissiez tour, clochiez et maison abattue, et airbes
rayez. — Et fut aussy rapourtés que de devers le royaulme de Dainemarch y oit plusieurs naviers périees, qui flottoient à cest heure tout
d’ung train dessus la mer ; auquelles y avoit des merchandises pour
plus de cenc mil a florin, tant en cire, en tapisserie, en draps, en pelle­
terie et en plussieurs aultres merchandises, que tout furent péries et
perdues en mer ; dont ce fut pitié et dopmaige. — Aussy, le lundemains
et deux jours après, vinrent nouvelles à Metz que le dit vent avoit fait
plus grant dopmaige à Trièves et à l’environ, et bien X luez delay Vi,
qu’il n’avoit fait à Mets. Maix, corne j’ai dit devant, ce ne fut pas en ung
lieu, ains fut par tout le monde.
Une des tour de Charlemaingne abatue, pour édifier d’aultre. — Item,
en ce meisme moix de septembre fut abbaitue une des tour de Chairle-

a. Cenc VI mil. Philippe a rayé VI d’une encre plus pâle.
1. En un seul train, en une seule file.

1497, OCTOBRE. — DISPOSITION DU TEMPS

379

maigne en la Grant Église de Mets. Et fut ce fait pour acomencier à faire
une bouttée contre l’ouvraige du cuer Nottre Damme la Tierce, que e
vicaire faisoit faire ; car, aultrement, on n’eust peu perfaire ledit cuer
de Nottre Damme, se les seigneurs de chappistre n’eussent fait faire la
dicte bouttée.
. .
Pétillé vynée. — En celle année, le tamps fut fort muable. Car, a
l’acommencement de Testés, il fist sy grant challeur que Ion ne le
povoit endurer ; maix, tout sodain, il revenoit sy grant froidure que
c’estoit pitiet. Et tellement que, à celle occasion, la vandange fut fort
tardive ; et ne ce trouvoit encor nul verjus à la Magdellamne ; et, avec
ce, il avoient fort collés, et n’y avoït guerre de résms. Et ce cilloient
em prime les soille à la Magdellaine. Puis, après, revint la challeur,
cy grande que ce poc de résins qui estoit demourés ne povoient amen­
der ; maix devenoient tout crétis 1 aux sappes ; par quoy on n oit pas
grant vinée. - Néanmoins qu’il eust fait ung merveilleux vent, corne
dit est, et qui abattit biaucopt d’airbe et de fruit, il en y oit encor tan :
de rest qu’il en y oit plus des perdus qu’il n’en y oit des mangiez, especiallement de serise et de prunes : car il en y oit tant que on n en
tenoit compte ; et avoit on la livre de serize pour une engevigne. Et en
y avoit encor à la Notre Dame au mey aoust. Puis vint une p uye, qui
durait depuis cellui tamps en jusques a XIIIe jour de septembre ; par
quoy les rasins ne polrent murer.
. ,
Paix du tout traiclée entre le duc de Lorenne et seigneur Robert de la
Mairche. — Item, en celluy temps fut faictes la paix entre le roy enc
de Secille et le cappitainne seigneur Robert de la Mairche. Et e ement que ledit seigneur Robert quictait toutte 1 action qu i aisoi
audit roy touchant les place qu’il luy demendoit, permy la somme de
X mil florin de Rïn, que ledit roy luy donnait pour une fois ; et permi
qu’il luy donnoit encor, toutte sa vie durant, chacun ans X I trans
monnaie de Loheraine, de pencion ; et encor permi ce qu il debvoit
ravoir Jennon, le bastard, franc et quicte, lequel de loing temps estoi
és prison dudit roy. Et, tantost au bout de deux jours apres cest acord
fait, ledit seigneur Robert, luy estant à Florhenge, fut advertis que
lesdit Loherains le volloient lever et l’emmener ; par quoy il s en ai a
mettre à sûrté à son fort chaistiaulx de Esdan. Et n’olt jamaix plus
tropt de fiance en eulx ; et fut le huttin errier esmus, jusques ung jour
que la paix s’en refist, corne cy après serait dit.
Trois chairette plainne d’aubesson on merchiés de Mets. — En ce
meisme tamps, pour l’abondance des pluye qu’il faisoit, il y oit tant
d’aubesson 2 que on n’en vit oncques autant pour une saison. Et telle­
ment que, pour ung jour, on en amenait pour vendre permi la cite
trois grosse chairette toutte plaines. Et moy, je les vis, 1 une devant la
Grant Église, une en Staison, et 1 aultre à Pourcellis.
1. Craiti, séché sur pied.
2. Champignon blanc (pratelle des champs)
Patois Romans de la Moselle de Zéliqzon.

aubeusson dans le Dictionnaire des

380

1498 N. ST. — PONTS DE METZ ENLEVÉS PAR LES GLAÇONS

Marguerite, seur aux duc René, espouze du lantzegrawe de Hesse. —
Aussy en celle année, le XXVIIe jour d’octobre, vint en Mets damme
Mergueritte, suer au roy René de Secille, laquelle on menoit à Ciercque
pour esposer le lantgrève de Hesse. Et ledit roy, son frère, couchait à
Gorse, et la royne à Bollay. Laquelle dicte damme Mergueritte vint
par yawe. Et c’en alla descendre en la maison c’on dit Vuyde Boutaille,
appertenant a seigneur Philippe de Raigecourt a, seigneur d’Ancerville ; et s en alla soupper en la maison de Passe Temps, appertenant au
seigneur PierBaudoche. Et messeigneurs de la cité luy firent présent d’ung
beaulx bechey d’argent, waillant environ IIIIXX frans.Et, au lendemains,
elle s en pertit ; et s’en allit couchier à Thionville. — Puis, après le Xe
jour de novembre, revinrent en Mets le Bastart de Callabre et les aultres
seigneurs etdammes qui avoientestés à conduire la dicte dame Mergueritte.
En celluy temps, fut refaicte nouvelle paix entre René, roy de Secille,
et le devant dit seigneur Robert de la Mairche. Et permi celle paix
faisant lui donnait ledit roy les X mil florins cy devant dit, avec les
XII cenc frans de pancion, par tel que ledit seigneur Robert renonçoit
aux gaiges de la cité de Mets. Et par ainsy les XX ans qu’il debvoit
servir la cité furent tost faillis.
En cellui tamps, l’on faisoit groz gait en la cité de Mets, pour l’amour
d’aulcunes pérolle que l’on avoit rapourté au seigneurs d’icelle.
Grant pluye. — Or estoit en celle saison le tamps fort pluvieulx ; car
incessanment il ne faisoit que plevoyr ; et tellement estoient les che­
min fangeux à l’ocasion de celle pluye que l’on ne povoit aller ne venir.
Et ne gellait ne négeait qu’il ne fût le Noël. Par quoy l’on disoit que le
tamps estoit dangereulx pour les corps humains et pour les biens de
terre. Puis, aprez le Noël, il gellait très bien.
Les arches estouppée de force des glaçons. — Et, quant ce vint la vigille
de la Chandelleur, par nuyt, lez glaisse de la ripvier de Mezelle se rom­
pirent ; et vinrent à l’avallée par cy grant habondance devant les baires
du Moyen Pont qu’il convint rellever plusieurs personnes pour ayder
à haussier les baires, et, à force de gens, d’estrapper *1 les glaces qui là
c’estoient enmoncellées, afïîn que celle qui venoit après peust passer
par dessoubz lesdicte baires : ou aultrement elle estrangloit et estouppoit
les arches. Car les glassons estoient deux grant piedz d’espesseur, et
encor plus. Et, par la force qu’elle courrait à l’avallée, elle rompit le
pont de boix par où l’on soilloit aller on petit Saulcy du mollin à vent ;
et emmena celle glace dudit pont plus de IIIIXX piedz de loing.
Item, le VIIIe jour après la Chandelleur, la gellée revint ; et durait
jusques au dernier jour de febvrier, qui fut le premier jour de karesme.
Et n’avoit on encor point peu labourer les terre ne aller à la charue
jusques au thiers jour de mars. Et estoit le tamps tant biaulx et tant
cler que les gens s’en resjoyssoient.
a. Raigecourt est corrigé sur Rougecourt.
1. Estreper, enlever (exactement : extirper).

1498 N. ST. — RÉJOUISSANCES DU CARNAVAL A METZ

381

Joyeusetés des seigneur de la ville durant le Gray Temps. — Par quoy,
on Gras Tamps, il se desguisoient à grant troupiaulx et s’en alloient
raver *1 par la ville à grant compaignie, seigneurs et dammes, bourgeois
et bourgeoises, gens d’Églises et aultres manier de gens, chacun cellon
sa sorte. Et y fist on plusieurs bonne fairse et morallités. Entre lesquelle
fut fait par les seigneurs une chose bien à prisiez et de grant renommée :
car il fut fait ung géans, dont le corps estoit fait et tissus d’ossier, en
manier de chairpaigne. Et estoit celluy géans vestus et couvers d ung
riche abit troussés et traynant jusque en piedz. Et sortit de la maison
seigneur Régnault le Gournaix l’eschevin, demourant on Neuf Boujrjgz.
Et estoit celluy joiant environ de XY piedz de hault et puissant à
l’avenant, avec une grosse teste, ung nef camus, les cheveulx crappe 2
et rentourtilliez ; et pourtoit cruelle chier, avec de groz ainyaulx aux
oreille. Et alloit et mairchoit par la ville, avec ung gros bai ton en sa
mains, comme se ce fût estés ung propre géans ; car par airt il estoit
pourté d’ung fort homme, duquelle on ne veoit rien que les piedz , et
lu y faisoit celluy homme par angiens tourner la teste sà et là, et royller
les yeulx. Et estoit moult cruel à veoir. Puis, quant il eust estez menés
par toutte la cité avec belle compaignie de desguisés, ung aultre jour
après, luy fut faictes une géande, tout de paireille airt et estouffe a ;
laquelle fut mise en l’hostel du seigneur Nicolle de Heu. Et, le jour du
Gras Mairdi, saillit arrier ledit géans de l’ostel dudit seigneur Régnault ;
et fut menés avec trompette, ménestré et tanbourin en la maison
dudit seigneur Nicolle de Heu ; et là l’on luy fist fiancer la dicte joiande ,
et en fist on ung mariaige ; puis leur fut donnés une dance. Et après
sortirent de léans, et furent en grant triumphe permi la cité. Et pourtoit
la géande l’ung des serviteur dudit seigneur Nicolle : c’est assavoir il
estoit dedant qui mairchoit, et la faisoit tourner et virer et saulter
comme il voulloit : mais il estoient cy bien couvers, et leur abbit cy bien
fait, que l’on ne veoit que les piedz de celluy qui la pourtoit. Et ainssy
furent menés par la ville, le géans devent et la géande après, acompaigniez dudit seigneur Nicolle de Heu, dudit seigneur Régnault, de
seigneur Nicolle Rémiat, alors maistre eschevin de Mets. — Puis, en ce
tamps, y avoit à Porcellis une grosse compaignie dez voisins, lesquelles
entre eulx avoient fait ung abbé ; et estoit celluy abbé cotturier 3,
jonne hommes, et le milleur compaignons du monde. Celluy abbé, avec
touttes son abbaye, femme et hommes, furent mendés pour aydier à
conduyre le géans et la géande, et furent priés aux nopces. Et il y
vinrent tous, femmes et hommes, josne et vieulx, cy richement abilliés
et desguissés qu’il n’estoit possible de mieulx. Et estoit chose honnorable et merveilleusement joyeuse. Et fut lis ung dictier devent la

a. Le ms. porte estousse, qui réoffre aucun sens.
1. Resver (rêver) signifie en ancien français* se promener en bande joyeuse , et se
dit en particulier des masques au moment du Carnaval.
2. Crespe, frisés.
3. Couturier, tailleur.

1498. — TRAVAUX A LA CATHÉDRALE DE METZ

Grant Église par ung prebstre, abilliez en folz, nommé messire Hugo
Hairan, lequel estoit montés sus ung chevaulx, et disoit chose pour rire
touchant le mariaige du géans et de la géandes. Et courrait tout le
puple après pour les veoir. Et, au retour, furent remenés en la court
dudit seigneur Nicolle de Heu, seigneur d’Ainery. Et là fut juée une
très bonne et joyeuse fairce. Et puis, ce fait, on remenait ledit géans et
la dicte géande en l’hostel dudit seigneur Régnault ; et les mist on
couchier ensemble pour faire dez josne.
Cy lairons à perler de leur fait pour retourner a maistre eschevin
de Mets.

[l’année

1498].

Mil iiijc iiijxx et xviij.— Qant ce vint en l’an après et que le milliair
courrait par mil quaitre cenc IIIIXX et XVIII, qui estoit la XIIIe année
du royaulme du devant dit Maximilian, fut alors fait, créés et essus
pour maistre eschevin de Mets le seigneur Wyriat Roucel, chevalier.
Et à l’acompaignier y fut le devant dit seigneur Robert de la Mairche,
avec ung seigneur de Bourguogne, qui estoit cappitaine de Bruges ;
lesquelx deux seigneurs furent elleus pour le mener et l’acompaignier.
La maison de la Joieuse Garde achetée par seigneur Robert. — Et fut
en celluy temps que le devant [dit] seigneur Robert de la Marche
achetait à Pier Coppat, le mairchant, citains de Mets, la maison appellée
la Joieuse Gairde, scituée on Tomboy. Et en paiait XV cenc libvrez de
Mets, après XIII libvrez VIII sols qu’elle debvoit chac’an. Et tantost
après il y vint demorer, luy, sa femme et ses anffans.
Et oit encor ledit Pier Coppat une aultre belle maison aperdevant,
scituée devant la maison du doien de la cité.
La paix faide ad cause de l’éveschiés de Touït. — Et aussy environ
celluy temps fut faicte la paix et l’acort entre Nostre Sainct Père le
Pape et Maradas, d’une part, et le duc René de Loheraine et seigneur
Olri de Blamont, ad cause de l’éveschiez de Toul, d’aultre part.
Le ceur de la Grant Église de Mets commencés. — Item, aussy en celle
année, environ le moix d’apvril, encomansairent messeigneurs de
chappistre de la Grant Église de Mets à ouvrer pour le cuer de la dite
Grant Église. Et, quant il heurent cauvés bien parfon en la terre pour
faire la seconde bouttée, la terre cheut, par ung jour de la dédicaisse
sainct Estienne. Toutteffois, la Dieu mercy !, il n’y oit personne afïoullés;
car on n’y ouvrait point pour cellui jour.
Aussy, en cellui tamps, je, l’escripvains de ces présante, oit de Ysabellin, ma femme, ung filz nommés Jehan. Lequelle, c’il eust vescus
longuement, je croy qu’il eust estés clerc et bon estudians : car, à l’eur
qu’il morut, de son eaige n’en avoit point en la cité de Mets du plus

,

1498 27

MAI. — LOUIS XII SACRÉ ROI DE FRANCE

383

ardant à l’estude, ne qui sceût mieulx de sa jonnesse. Mais Dieu le
m’ousta, par une mortallité, essez subittement ; dont j en fut grande­
ment couroussés et desplaisant.
.
En celluy tampts, il n’estoit nouvelle de guerre, famine ne mortallité ,
et ne perloit on à Mets que de faire la bonne chier. Le prins.tamps
acomensait à venir, de grant chailleur ; et durait celle challeur jusques
à la fin de jullet. Mais jà pour ce ne laissoient à le croistre les vigne et
tous les aultres biens, fort que les herbes.
Mais de ces chose je vous lairés ung peu le pairler pour vous dire
comment en celluy tampts fut corronnés le roy Loys à Rams.
Le rou Loys sacré roy de France. — Comme par cy devant aves oy»
après que le roy Charles VIIIe fust décédé, sans délaisser hoirs de son
corps et qu’il fut mis en sépulture en la manier que cy devant aves oy,
le très nobles prince Loys, duc d’Orléans, filz du très illustrissime prince
et vaillant seigneur Charles, duc de Orléans, et de damme Marie de
Clèves, sa mère, fut magnificquement et en moult grant honneur sacre
roy de France en la ville et cité de Reins, luy en grant triump e e
honneur, acompaignié des principaulx princes et seigneurs de son sang,
et de plusieurs aultres grans seigneurs et prélatz de 1 Église, représen­
tai» les XII perre de France, et servant chascun a leur office, amsy
comme en tel cas est acoustumé de faire aux très chrestiens roy de
France. Lequel sacre et divine unction d’icellui très crestiens roy Loys,
XIIe de ce non, fut fait le XXVIIe jour du moys de may.
_
Plussieur gentilz hommes créés chevalier aux sacre du loi.
_ ®
vcelluy sacre y oit tant de noblesse comme d’aultre gens qu il estoient
estimés à cenc et L mil personne. Entre lesquelles y furent aulcuns des
seigneurs de la cité de Mets, qui à celluy sacre furent fait chevaliers
c’est assavoir seigneur Conraird de Semer, seigneur Françoi ; le Gournaix seigneur Nicolle de Fieu et seigneur Claude Baudoche, fUz a
seigneur Pier Baudoche, amant et eschevm. Et retournaient en Me s
lesdit seigneur Conrard et Claude avec le seigneur Robert de la Marche
le premier jour de jung ; et lesdit seigneur François et seigneur Nicolle
de Heu revindrent le second jour de jung.
Ledi roy Loys coronnés à Saint Deny. - Et puis, apres ce ait et qu e le
roy Loys fut corrongnés, le dimenche premier jour de juiellet, fut enledit Loys très honnorablement et en toutte excellente g oire corronn n
l’esglise de Sainct Denis en France, présent aucy les très nobles princes et
seigneurs de sonsang, c’est assavoir le duc de Alenxon,le
^oh^ramne,
le duc de Bourbon, le duc de Nemours, le conte deDunoys.leconte deFoix,
le conte deNevers,AngelebertdeClèves,le conte de Naussault.le seigneur
de Cse, le noble seigneur de Ravastam, et aultres plusieurs grant
^Entée du roi à Paris. - Et, le lundi deuxiesme jour dudit moix de
juillet après ensuyant, le prénommé Loys douziesme de ce nom fut
son entrée et joieux advènement moult solemnel en sa ville et cité de

384

1498, 2 JUILLET. — ENTRÉE DE LOUIS XII A PARIS

Paris. Là où il fut, très raagnificquement receu, et en grant triumphe
et honneur, des seigneurs de l’Esglise et Université de Paris, des nobles
et de tous estas. Les processions de toutes et chascune des paroisses
d icelle ville et cité de Paris luy furent au devant : c’est assavoir les
prestres, tous honnorablement revestus de riches chappes de draps
d’or, velours et aultres drap de soye, pourtant joyaulx et reliquères,
avec leurs croix et bannières. Et paireillement furent en procession
ceulx des Religions et les Mendîans, avecques leur croix et joiaulx de
l’esglise. Et ainsy furent tous jusques à La Chappelle, distant environ
demi lieux de Paris, là où estoit le roy, et plusieurs princes avec luy.
Et ainssy furent au devant dudit seigneurs en celluy lieu de La Chap­
pelle les seigneurs présidens et conseillers de la court de parlement,
avecques leurs huyssiers, les présidans et maistres des contes, accompaigniés des seigneurs trésoriers de Frances, généraul des finances,
ensembles les généraulx et conseilliers de la justice, les présidans et
seigneurs des requestes et du trésor, avec les généralx des monnoys et
elleuz de Paris, les lieutenans du prévost de Paris, acompaigniés des
chevaliers et gens du guet, commissaires, notaires, advocatz et procu­
reurs du Chastellet, le prévost des merchans et eschevins de la ville,
archiers, arbalestriers, et aultres plusieurs officiers et citoyens d’icelle
ville, en ung très grant nombre, tous et chascun d’eux singulièrement
vestus et habitués 1 selon leur estât. Lesquelz firent tous leur debvoir
envers le très chrestien roy, qui bénignement les receut.
Et, après tous debvoirs faitz d’une part et d’aultre, le très noble roy
Loys, douziesme de ce nom, avecques tous les grans seigneurs estans
avecques luy, et tous aultres générallement, se mirent moult triumphamment a chemin pour venir entrer à Paris. Le très chrestien roy
estoit armé d’ung beau harnoys 2, reluissant comme une escarboucle,
et dessus une hucque 3 (ou autrement dit jacquette) de fin drap d’or,
garnyes de toutes fines pierres précieuses, et moult richement acoustré
sur son chef et par tout le corps ; il estoit triumphamment monté sur ung
bon cheval, couvert et bardé de drap d’or honnorable et riche à mer­
veille. Devant luy estoit son grant escuyer, qui portoit son heaulme et
plaisant armet 4, dessus lequel avoit une riche corronne de fin or, garnie
de fines pierres précieuses ; et au dessus du heaulme, au millieu d’icelle
corronne, avoit une fleur de lys d’or, comme la manier de empereur. Et à
l’entour d’icelluy roy estoient quaïtre laquetz de pied, richement vestus
de draps d’or, les aultres princes et grans seigneurs triumphamment
vestus. Et se monstroient chacun à merveille en toutte joye et exultacion.
1. Habitué, habillé. Singulièrement signifie qu’ils étaient revêtus chacun de leurs
uniformes particuliers.
2. Harnais, armure.
3. Huque, casaque sans manches, fendue devant, derrière et sur les côtés, qui se
portait sur l’armure. La jaquette descendait habituellement jusqu’aux genoux et même
plus bas.
4. Il semble que heaume et armet signifient ici la même chose : casque. A la fin du
xvie siècle, Pasquier écrivait :« ce que nos anciens appelaient heaume, on l’appela sous
François Ier armet ». Il en était donc ainsi dès Louis XII.

1498.

— LE MYSTÈRE DE SAINT ALEXIS JOUÉ A METZ

385

Et, bref, fut l’antrée solennelle et de moult grande renommée : car les
rue de Paris estoîent tendue et richement parées de tapisserie. Plusieurs
biaulx mistère y furent fait et démonstrez sur beaulx escheffaulx, au
grant honneur et louenge du très noble prince. Partout y avoit feux de
joie, criant chascung : « Vive le roy ! » Et en telz honneurs fut le roy
moult honnorablement mené, et à grande compaignie et en bel ordre
conduict jusques à la grande esglise de Nostre Damme, là où il fist sa
dévocion et les Sermens acoustumez. Et, au partir d’icelle esglise, fut
ainsy tousjours triumphamment conduict jusques à son palays royal,
là où il fut faict ung grant soupper, et tenue plaine court royalle. Et puis
chascun se retira.
Le roy Loys délaisse] sa femme. — Le roy séjourna à Paris, par certainnes journées après, pour les affaires du royaulmes. Ce tamps durant,
fut advisés (et fut ce fait par le conseil de l’Église) que ledit roy Loys
laisserait Jehanne, sa femme, laquelles estoit touttes contrefaites
(car par crainte du roy Loys XIe il l’avoit prinse et apousés) ; mais,
par le conseil de tous, il la laissa, et espouza Anne, veusve du roy
Charles trespassés. En quoy faisant, pour sa part de succession, donna
à la dicte Jehanne la duché de Berry.
Cy vous lairés du roy quelque peu le perler, pour vous dire d’aultres
besoingne, et de la disposicion du tamps qu’il fist en cest année.
Grosse challeur. ■— Vous avés par cy devant oy cornent en cest année
le prin tamps fut chault. Et encor plus fort ce renforsa : car, à la Pantecouste, le chault vint par sy grant force et vertus que l’on ne povoit
durer ; et tellement que les prey furent tous brûllés de chault, et n’y
oit quaisy nulz foingz. Et vendoit on l’erbe d’une faulcié de prey
XXII sols ou XXIIII sols : car les herbes permi les champs estoient
tellement brûllée que les beste se mouraient de fain, parce qu’elle ne
trouvoient rien à pasturer. Mais, Dieu mercy !, les verjus des vignes
amandoient sy fort que, a XVIIe jour de jung, on en trouvait essés qui
estoit bon pour piller.
Une bonne nourice. — A celluy jour de Pantecouste vint à Mets ung
homme d’estrainge nacion, avec une chairette chergée de jonneenffans qui
estoient à luy.Etdessusla chairetteestoitsafemme,mèreàyceulxanlïans,
laquelle, Dieu mercy !, avoit le ventre plain. Et se pourchassoient permi
la cité,et disoit qu’il avoit heu d’icelle femme XVIenffans, desquelles il en
avoit heu IX en quaitre ans, et estoit femme pour en porter encor autant.
Le jeux saint Alexis jués En Chambre. — Durant les testez de la
Pantecouste, fut jués en la plaïce En Chambre le jeux saincte Alexis.
Procession généralle. — Aussy, durant ycelle Testes, c’est assavoir
le mècredi, par l’ordonnance de l’Église et de Justice, fut faictes en
Mets une porcession généralle. Laquelle ce fist pour prier à Dieu qu’il
voulcist garder et préserver les biens de terre ; et aussy pour prier pour
la paix ; mais principalement c’estoit pour une malladie qui alors
régnoit, appellée proprieulle et rogérieulle : car alors on ne veoit que
26

386

1498, SEPTEMBRE. — MAXIMILIEN A METZ

anffans mallades de la dicte malladie ; et d’ycelle en morut biaucoupt.
Item, comme j’ay dit devant, il y oit sy poc de foing en celle année
qu’il convint à plussieurs povres gens vendre leurs bestes : car il ne les
heussent sceu governer, pour tant que on vendoit une bonne charée de
foin LXX sols ou LXXII sols.
Armée en la duché de Bourgongne, envoiez par Maximilian. — Aussy,
en celluy tamps ou poc après, l’ampereurs Maximilian fist et levait une
grosse armée, laquelles il envoya en la haulte Bourgongne. Mais il fut
envoyés de part le roy Loys pour résister contre ces entreprinses. Et y
oit quelque baitailles faictes, non sans le dopmaiges de l’une et de
l’aultre armée.
Ordonnances de pari le roi par tout le royaulme de France sur le fait des
judicature. — Aussy en celluy tamps, par la remonstrance d’aulcuns,
le roy Loys voult faire reformacion sur le fait de la justice. Et interposa
son décret et exposicion sur tous les jugemens et offices de judicature,
semblablement sur les scièges conservatoires des universités, générales
protecteurs et gardiens d’aulcuns previlèges. Et commanda ses ordon­
nances sur ce faictes et1 publiées en la court de parlement et aultres
scièges de son royaulme.
L’Universités de Paris veult entretenir ses libertés. — Touttefîoix,
l’Université des escolliers de Paris s’efïorcea de defîandre sa liberté, et
des ordonnances royaulx distraire ce que sembloit estre contraire à ses
previlèges et anciennes coustumes. Pour raison de quoy, après plusieurs
parolles, que je laisse, ce esmeut ung grant huttin en l’Universitez de
Paris. Et tellement que, le jour de la Feste Dieu, plusieurs prédicateur
dirent et prescheirent publicquement plusieurs parolles difïamatoir
contre la parsonne du roy. Et defîandirent les recteur de non plus
preschier dedans Paris jusques à ce que le roy les averoit remis en leurs
premier libertés. De quoy grant mal en cuyda venir. Et en furent
aulcuns des plus grand clerc banis et deschessé de Paris et de tout le
royaulme de France.
Mais de cecy je n’en dirés plus, et le coupperés là : car aultre livres
sont qui plus au loing en font mencion ; par quoy je m’en tais, et vous
dirés comment en celle année l’amperur vint en Mets.

[LE ROI DES ROMAINS, MAXIMILIEN, A METZ].

Maximilian à Tout — Le XXIIIR jour de septembre en ensuyent,
le Roy des Romains, en retournant de la Haulte Bourgongne, là où il
avoit menés la guerre aux François, comme dit est, vint et ariva en la
cité de Toul. Et n’y demorait que une nuyt.
1. Être publiées.

,

1498 27 SEPTEMBRE. — ENTRÉE DE MAXIMILIEN A METZ

387

Maximilian à Mets. — Et, le XXVIIe dudit mois, qui estoit la
feste sainct Golme et sainct Damien, vint ledit seigneur à Mets. De quoy
on fut bien empeschié de ainsy subitement préparer son logis. Toutefïois, on print tant de gens par les paroches, avec charpantiers et
vaireniers *1, que la Court l’évesque fut tout à cop préparée, et forme
de foin, d’estrain, de bois, de charbon. Et avec ce y furent préparés
XXIII lictz estouffés 2, que furent prins en POspital. Et luy furent les
seigneurs de la cité au devant jusques à Mollin, et avec eulx le maire de
Portemezelle : car, pour celle nuyt, il avoit couchiez à Corse. Et, eulx
venus, luy présentairent les clef de la ville : mais incontinant il les
randit ; et dist que, ce on avoit bien gouvernés on tamps passé, que on
gouvernait 3 encor aussy bien, ou mieulx, à l’advenir. Et, après ce dit,
ce mirent en chemin ; et entrirent à Mets par porte Serpenoise. Et illec
il fit lez serment acoustumez en la main du maistre eschevin de la cité,
qui alors estoit seigneur Wyriat Roucel, chevalier. Et en ce lieu ce
trouvaient les gens d’Esglise, avec les quaitre Ordes Mendians ; et
pourtoit monsseigneur le vicaire la vraye Croix de la Grant Église.
Et y avoit environ quaitre cenc pillez de cire, que la cité y avoit ordonné,
et ung ciel de drap d’or, avec des franges entour de soie blanche et
noire, maix ledit seigneur ne volt point estre dessoubz pour celle fois.
Et alors entraient en la cité, chevaulchant par la Grant Rue jusques
sur le tour de Fornerue ; et, là, priment leur chemin en la Grant Église.
Et estoit ledit seigneur vestus d’une courte robe de noir velour à la
fasson a d’Allemaigne ; et estoit montez sur ung cheval grison qui estoit
de grant pris. Et, quant il vint en la place devant la Grant Église, il
mist pied à terre. Et alors entrait desoubz le ciel, lequelle fut porté par
quaitre chevaliers des plus noble de la cité. Et, en entrant a portai de
la dicte Grant Église, monsseigneur le vicaire ce arestait en ce lieu, et luy
donnait à baisier la vraie Croix. Et là fist encor le dit seigneur Roy
aulcuns serment ; et puis entrait en ycelle esglise, de laquelle les cloches
sonèrent, et les orgues juoyent, et, avec ce, les chantres estant on cuer
d’icelle esglise chantoient en chant mélodieulx Te Deum laudamus.
Et y avoit ung grant et merveilleux luminaire on cuer d’icelle église.
Maximilian logiés aprez de Sainct Vincent, en Passe Temps. — Et
puis, après son oreson faictes, il partit ; et s’en alla logiez devant
Sainct Vincent, oultre Mezelle, en l’ostel seigneur Pier Baudoche,
c’on dit en Passe Temps. Et son escuerie fut logées en la Court l’éves­
que : en laquelle avoit bien XL personnes, XL chevalx de scelle et
XX chevalx de hernex. Et sognairent4 les seigneur de la cité à la dicte
escuyerie de foing, de litière, de bois, de faixins et de charbons , et

a. Laffasson.
1.
2.
3.
4.

Verrinier, vitrier.
Un lit estoffé est un lit garni, un lit complet.
C’est un subjonctif : gouvernât.
Soigner de signifie fournir de.

1498, 1er

OCTOBRE. — SÉJOUR DE MAXIMILIEN A METZ

pareillement firent en l’hostel dudit seigneur Pier pour la cuysine du
Roy et de ses gens.
Les présent fait de p[art] la cité à Maximil[ian] et à ses prince esl[anl]
avec luy. — Puis, aux jour ensuyant, messeigneurs de la cité firent
plusieurs présent, tant au Roy que aux princes qui estoient avec luy :
c’est assavoir, audit seigneur Roy, VIII cowe de vin, L quairtes
d’avoinne, VIII buefz, XXXII châtrons gras ; et XII grant tasses
d’argent pesant XXXVI marcz, deux once moins. — Item, au duc de
Zacse et au duc de Clereberch *1, VI cowes de vin, VI beufz, XIX chattrons et XL quairtes d’avoines, pour eulx ensembles (car il estoient
logiez ensembles en l’ostel du vicaire monsseigneur l’évesque). —Paireillement, au conte Henry de Furstembourg, ung beufz, une cowe
de vin, VI chastrons et XII quairtes d’avoines. — Puis, au seigneur
Phelippe de Naussowe, ung beufz, une cowe de vin, VIII chastrons et
X quairtes d’avoines. — Item, au riche duc George de Bauvier, deux
cowes de vin, deux beufz, XII chastrons et XXV quairtes d’avoinne. —
Et pour les dit présant à faire a furent commis le seigneur Michiel le
Gournaix, le seigneur Régnault le Gournaix, le seigneur Andrieu de
Rinecque et le seigneur François le Gournaix, tous quaitre chevaliers.
Au lundemain, qui fut le XXVIIIe jour dudit mois de septembre,
ledit seigneur Roy vint oyr la grant messe en la Grant Église. En laquelle
il y oit une merveilleuse feste de chantre et d’orgues. Et estoient avec
luy tous ses princes, avec aucy tous les seigneurs de la cité. Et, le
XXIXe jour et dernier de ce moix, ledit seigneur Roy oyt sa messe à
Sainct Vincent.
Maximilian et le duc René à Mollin. — Durant ces jours, c’est assavoir
le premier jour d’octobre, vint le roy de Secilie, duc de Bar et de Loherainne, à Mollin, pour parler audit seigneur Roy des Romains. Lequel,
après disner, montait à chevalx, accompaignié de ses princes et des
seigneurs de la cité ; et tous ensemble se transportairent à Mollin. Et
disoit on que là se debvoit trouver l’ambaisaulde du roy Loys de France,
et qu’il volloient traicter de faire paix et alliance entre yceulx deux
prince, le Roy des Romains et le roy de France. Et, à ce jour, les sei­
gneurs de la cité envoiairent à Mollin deux cowes de vin, et VII quairtes
de pain cuit, avec des fruit, pour bancqueter ceulx qui en avoient
besoing.
Plussieur embassadeurs à Mets vers Maximilian. — Et, aussy à ce
meisme jour, vint à Metz l’ambaxade du roy d’Espaigne, et paireille­
ment l’ambaxade au duc de Millan, pour besoingnier devers ledit Roy
des Romains.
La garde quon faisoil à Mets. — Or, pour vous dire et donner à enten­
dre quel guet l’on faisoït, tant de nuyt que de jour, à la cité de Mets,

a. Affaire.
1, Chelbech (Aubrion, p. 408).

1498,

OCTOBRE. — SÉJOUR DE MAXIMILIEN A METZ

389

vous debvés sçavoir que sus les haultes portes estoient les quaitre
bourjois gairdains acoustumés, sans en pertir ; et, aux porteries bassez
y avoit à chacune porte VI hommes des bourjois de la ville : c’est
assavoir de ceulx qui ne faïsoient point la haulte porte , sans les baix
gairde acoustumée, et sans les collevreniés et arbolletriés. Et estoient
les rues barrées en plussieurs lieux parmi la cité : les unes Festoient de
gros mariens, et les aultres de grosses chaînnes de fers. Et faisoit on de
nuyt le gayt à piedz et à chevaulx parmy la ville, et autour des murailles
toucte la nuyt. Et, avec ce, estoit ordonnés de avoir à chacuns quarefors
des grans feux toucte nuit, et à chacun desdit feu VIII ou X hommes
qui veilloient pour et afïin de veoir les allant et les venant, et pour
escouter se on faisoit noize ne huttin permy la cité. Et avoit on fait dire
par les baneret dez paroches que chacun heust en son hostel une cuve
plaine d’eawe et des pierres en leurs grenières. Et ne ce ouvraient des
portes de la cité que quaitre : c’est assavoir le pont des Mors, la porte
des Allemans, le pont Renmont et la porte Serpenoize.
Maximilian demande les florin aux gens d’Esglise. — Durant ces jour
que le Roy estoit à Mets, il demandait aux gens d’Église quaitre mil
florins de Rins pour les florins qu’il avoit pïeça demandez, comme cy
devant est dit, lesquelles levées par son ampire il avoit piessa estés
estaubley par le perlement de Wormes 1. De la responce, je n en sçay
rien, mais je croy qu’il s’en sceurent sy bien escuser qu il n en oit riens.
Maximilian fait desloger ses gens affin qu’ilz ne grè[vent] le paiis de
Mets. ■— Pour sçavoir quel nombre qu’il estoient en la cité, on y estimoit VIIIe chevaulx et plus. Et y avoit au pays entour environ deux
mil piettons ; lesquelx piettons n’y furent que deux jour, qu il lez fit
deslogier et merchier avant.-— Item, en ces meismes jour, il vint nou­
velle audit roy qu’il venoit encor bien XV mil piettons de ces gens.
Mais, incontinant, il demandait à avoir ung messagier de la cité (car les
siens estoient empeschiez) ; et alors mandait par celluy messagier au
cappitaine desdit piettons qu’il ne venissent ne n’entrassent point par la
terre de Mets. Par quoy, a comendement de leur seigneur, il s en allèrent
par la duchié de Rar et de Loheraine.
Florhange rendue à Jehan de Vy, Bourguygnons. —- Item, pour tant
que le seigneur Robert de la Merche, seigneur de Frorhenge, estoit
devenus françois, et que le cappitaine Jehan de Vy avoit fait plusieurs
services au dit seigneur Roy des Romains, en récompance des bénéfice,
ledit seigneur Roy donnait audit Jehan de Vy Florhange, qui appertenoit audit seigneur Robert. Et incontinant ledit Jehan de Vy print
cent chevaulx des gens dudit seigneur Roy et quaitre cenc piéton ; et
avec yceulx s’en allait à Florhenge. Et demandait ouverture ; et
tantost on luy rendit : car il n’y avoit que deux hommes dedans le
chaisteau. Et n’y avoit nulz biens quelconcques : car ledit seigneur
Robert l’avoit tout fait wuydier. Par quoy on disoit qu’il se dobtoit
bien qu’il ne deust advenir comme il advint.
1. Voyez p. 358. Corriger Aubkion, p. 410 (pièce à : piéça).

390

1498,

OCTOBRE. — VENDANGE EXCEPTIONNELLE AU PAYS DE METZ

Maximilian s'en va à Thionville. ■— Item, le quatriesme jour d’octobre,
l’an, dessus dit, se partit de Mets le dit seigneur Roy. Et s’en allait
couchier à Thionville.
La ville preste à Maximilian vj mil florin de Mets. — Et, avant son
despairt, il avoit demandez argent à messeigneurs de la cité ; tellement
qu’il fut accordez de luy prester la somme de VI mil florins de Rin.
Lesquelx yceulx les gouverneurs de la cité empruntairent à leur bour­
geois ; et leur promirent de leur rendre en temps deheu, et brief. Et,
pour les paier, on mist en vendaige les blefz des greniers de la ville : le
froment fut mis à X sols, le moitange à VIII sols, et le soille à VI sols la
quaîrte. Et fist on commendement que nulz ne vendit bledz jusquez
que tout les dit bledz seroient vendus, et les bourjois paiés de leur
emprunte.

[ÉVÈNEMENTS DIVERS EN EUROPE ET AU PAYS DE METZ].

En celle année, il fist merveilleusement une belle saison, espéciallement durant le cours de vendenge.
Robert de la Merche contre la duchiés de Lucembourgz. ■— Et, en ycelluy
temps, le seigneur Robert de la Mairche, à cause de ce que Jehan de Vy
tenoit Florhenge, comme dit est, print guere en la duchié de Lucem­
bourgz. Et fist une course autour de Bastonne ; et y fist ung grant
dompmaige.
Trêves entre Maximilian et le roy de France. — En ce meisme temps,
fut faicte trêve entre le devent dit Roy des Romains et Loys, roy de
France, jusques à la Chandelleur après venant.
Maximilian en la duchiés de Gueldre. — Item, en celle année, en la
sepmaine de la sainct Mertin, se vinrent logier on païs de Mets environ
deux cenc chevaulx et deux cenc piettons Bourguignons ; et estoient
leur cappitaines Jennat des Prey, Jehan de Stepple et Andrieu le
Mainbour. Maix on les fist wuyder bien tost dehors ; et ne geurent que
une nuyt en ung lieu. Et incontinant il vint ung messaigier du Roy des
Romains, qui alors estoit en Flandres, qui les vint quérir pour bien
hastivement en aller : car il fut dit que le Roy des Romains volloit
mettre le sciège devant Longne ; en laquelle place estoit Jennot le
bastaird, cappitaine pour ledit seigneur Robert de la Marche. Maix il n’y
fut point ; ains s’en allait en la duchié de Gueldres.
En la vandange de celle année, il y oit des vins assés compétemment ;
et furent très bons : par quoy les merchamps de dehors les venoient fort
quérir, pour tant que, en ce tamps, les vins d’Aussay et ceulx d’Hamme
n’estoient pas fort bon. — Paireillement, les bledz avoient mal creus on
Païs Bas, tellement que les merchans les venoient quérir en la terre de

1499 N. ST., FÉVRIER. — DIVERS ESCLANDRES A METZ

391

Mets ; et achetoient le maldre 1 de soïlle XXIIII sols, qui est VIII sols
En celle meïsme année, le premier jour de janvier, le maire de Vüler
vint nuytanment en la ville de Fayt ; et là acommensa, luy et ses gens,
qui estoient environ une douzenne, à pillier et à prandre les biens des
pouvres gens. Alors ceulx de la dicte Fayt se mirent ensemble, et prmdrent corraige ; tellement qu’il frappairent sur ledit maire de Vil er e
sur ses gens. Et en y oit aulcuns des fort bleciez ; et les aultres s en
fuiairent. Mais ledit maire fut prïns et amenés à Mets, environ les deux
heures après mynuit. Et fut tout à l’eur mis en l’ostel de la ville, onquelle
il morut dedans VIII jours.
. , .
Deux pescheurs noyés. - Le VIIIe jours de ce meïsme moix de jan­
vier, y oit deux pescheur de Mets qui estoient en une petitte nasse e
en la ripvier devant la Cornue Gelline ; mais, par fortune, la nasselle
espuisait2, et cheurent tous deux en l’yawe ; et furent noyés.
Unq ionne gentilzhome tués par ung soldarl de Mets; et ledi soldaitdécapité. — D’aultre fortune de gens qui furent péris avmdrent asses
en cest année ; desquelles d’une pertie je me despourte, fort que je vous
dirés comment, entre ycelle fortune, le jour du karesme entrant c on dit
le Gray Mairdi, en avint une bien grande, et une grosse esclandre en
cité de Mets. Et, jay ce que au grays temps devant y avoit. heu autan
de joieusetés et de desguiserie permi la cité que jamaix fut pou ^
année, touttefïois tout ne ce pourtait pas bien. Car audit jour, apres
bonne chère faicte, et à IX heure de nuyt,en l’ostel Broiche le soldoxeura,
en Ramport, fut faictes cest esclandre. Et, pour vous dire la man
comment, vous devés sçavoir que en l’ostel dudit.Broiche .esto^p^
y avoit X sepmaigne 3, 4logiez ung gentil homme d Allemagne , leque e
estoit ung des très biaulx homme, hault, droit et eslevés, et en
g
XXXVI ans ; et se disoit parans au seigneur Andneu de Rineck,
chevalier et seigneur de Laiduchamps. Cellui gentilz home et^Broiche
son hoste, avoient fait la bonne chier au souppés. Et avoit ledit gent
homme comptez à luy ; et luy avoit paiés pour ses despens
^
XXXVI libvrez de messins. Et se debvoit partir le lendemain pour
s’en aller aux ordonnances du roy de France, en la conipaigme e
messire Robert de la Mairche, qui avoit cenc lances ^ordonnance ,
comme on disoit. Mais, par temptacion diabolicque, ledit Broche entra t
en jallosie de la femme de léans, à qui la maison apertenoit (laqueHe
ledit Broiche entretenoit comme sa femme ; et ne 1 avoit pas esp
) >
et tellement que, avec une grande daigue à la fasson de uisse
subittement à donner dessus ce gentil homme, qui se sceoit a la tab
devent luy. Et ung tel* cop luy donna et sy grant * le frappa, entre le
1. Maldre, mesure de céréales. A Hargnies (Ardennes), la maldére est encore connue ;
C’Î Tpu,t

Aubrion, p. 414) signifie ici : taire eau.

3. Depuis dix semaines.
4. L’adjectif grand a ici la valeur d un adverbe : si fort.

392 1499 N.

ST., FÉVRIER. — LES GRANDES ORGUES DE LA CATHÉDRALE

col et 1 espalle, qu il 1 abbattït du premier cop mort à terre. Et, incon­
tinent ce fait, ledit Broiche s’en fuit aux Carmes en franchise. Maix il
ne se tint gaire en l’église : car, le jeudi après, qu’il cstoit en la chambre
d’ung des religieulx, tout hors de l’esglise et du cloistre, on en fut
advertis : par quoy incontinant aulcuns de messigneurs de la justice
y allèrent, c est assavoir seigneur Michîel le Gournaix, chevalier, et
Jehan Laiey, l’amant ; et, avec plusieurs sergens, ont encor emmenés
quaitre gros compaignons, fort et puissant ; et là fut prins et menés
en 1 ostel du doien. Et, tantost le samedi après, ledit Broiche fut comdampné à estre décapitez ; mais on luy fît la grâce qu’il ne fut point
on pillory : car il avoit servy la cité environ XXIIII ans, tousjours à
trois ou à quaitre chevaulx, gaingnant ses gaiges. Et estoit bien amés
d aulcuns des Seigneurs ; maix il estoit treffort hays du peuple. Et estoit
celluy Broiche duquel par cy devant je vous ay heu perlés *, qui combatit on Champs Paissaille à oultrance. Et, audit jour de sabmedi,au
deux heure après midi, il fut mené entre les deux Pont sur une brouuette,
comme 1 on fait aux aultres malfaicteurs ; maix, pour luy tenir compaignie, d une des partie de la brouuette estoit seigneur François le
Gournaix, chevalier, et de l’aultre part seigneur Jehan Chaverson,
amant et eschevin, tout de piedz, pour le réconforter. Et ainssy Font
acompaigniez jusques au lieu de la justice. Et là fut ledit Broche escécutés et décapités. Et fraippait le bouriaulx VI ou VII copt a dessus
avant qu il luy peûlt tranchier le col ; car il estoit cy très gros et gras
qu il ne pouvoit entrer dedans le bloicquez. Et encor luy fîst on plus
grant grâce et honneur : car, à la prière et requeste desdit seigneur
Michiel, seigneur François et de seigneur Jehan Chaversson, les sei­
gneurs de la justice consentirent et octroyrent que le corps dudit
Broiche fût mis et pourtés en saincte terre. Et incontinant il fut mis et
cousus en Hncieulx 2* que
1 on fut bien hastivement quérir à la porte, et
fut porté ensevellir en l’église des Frères Preschoir, derrier l’autel
sainct Pier le mertir. Et ses biens furent confisqués à Justice, mais non
pas les biens de la dicte femme qu’il entretenoit.
Disposition du temps. •— En cest yver ne fist pas grant froidures de
nèges ne de gellée ; tellement que, à la fin de janvier, le tamps estoit
sy doulx et sy chault que l’on ouvrait à force en vignes et en jardins.
Maix, environ le XIIe jour de febvrier, vint une gellée par sy grant
force qu il convint tout lessier ; et négeait ung piedz d’espès. Et durait
la froidure et le tamps longuement, tant de gellée comme de neige ; de
quoy l’on estoit tous esbahis.
Les grosse orgues de la Grant Esglise commencée. ■— Item, en celle
année, furent acommencée les grosses orgues de la Grande Église de
Mets.

a. Après copt, le ms. porte un mot que nous ne pouvons expliquer : destenne.
1. P. 87. Cf. aussi p. 360.
2. Dans des draps de lit.

1499, MARS. — GUERRES DANS L’EMPIRE

393

Et furent encor plusieurs aultres choses faictes et accomplie ; desquelle je me desporte, et en lairés le perler, pour revenir a maistre eschevin de Mets et à plusieurs aultres besoingne.

[l’année

1499].

Mil iiijc iiijxx et xix. — Puis, quant ce vint en l’an après, que le
milliair courrait par mil quaitre cenc IIIIXX et XIX, qui fut l’an du
devant dit Maximilian en son Royaulme des Romains le XIIIIe, fut
alors fait, créés et essus pour maistre eschevin de Mets seigneur Ré­
gnault le Gournaix l’eschevîn, filz au seigneur François le Gournaix,
chevalier.
Guerre en la duchés de Gueldres. —Et, en celluy meisme jour, vinrent
nouvelles à Mets qu’il y avoit grant guerre en la duchié de Gueldre ;
et que le Roy des Romains avoit asségiez Nimègue a, et que ceulx de
dedens avoient saillis dehors, desquelle en y avoit bien XXII cenc que
prins que mors.
Aussy en ce meisme tamps, le quaitriesme jour d’apvril, jour saint
Ambroise, évesque, fut Ysabellin, ma femme, délivrée d’ung filz nom­
més Arnoul. Et trespassa cest anffant le XIXe jour dudit moix.
Et, durant cellui temps que le sciège estoit devant Nimègue
comme dit est, se vindrent logier en la terre de Mets environ quaitre
cenc Bourguignons ; dont il y en avoit bien trois cenc à chevaulx et cenc
à piedz. Maix ilz n’y demorairent que environ V jours par tout*1 ; car
l’on les fist deslogier. Et estoit Loys de Waldrez leur cappitainne ; et
disoient qu’ilz s’en alloient en Gueldres.
Guerre entre les Suysse et Alemans. -— Aussy, en ces meisme jours,
se ellevait une guerre des Allemans en l’encontre des Suisses. Et advint
ce desbat pour le différent d’ung évesque. Et tellement se esmeut cellui
desbat que les Suisses et les Allemans vinrent à ce combaitre ensemble ;
et tellement se battirent que desdit Suisses en y oit bien VI mil des
mors, et des Allemans deux mil.
Aliance entre le roy de France et les Suysse. — Et alors fut faictes
alliance entre le roy de France et lesdit Suisses. Mais, quant le Roy des
Romains le soit, il laissait sa guerre en Gueldres, et s’en vint en la conté
de Bourgongne pour secorir lesdit Allemans. Car yceulx Suisses luy
estoient rebelle, et ne le voulloient en rien congnoistre, ne tenir de
l’empire. Dont plusieurs mal en advindrent. Et b y alla ledit roy en

a. Mimègue. Aubrion {p. 416) a Nimègue.
b. Nous comblons ici une lacune du ms. M (un feuillet enlevé) au moyen du ms. A

1. En tout.

394

1499, MAI. — FAITS DIVERS A METZ

propre personne avec grosse puissance. De quoy il y oit plusieurs ren­
contres et escarmouches faictes.
Item, en ce temps, il fist tousjours froit, et négeait et gelait et greslait,
jusques au XIIe jour d’apvril que le beau temps vint. Mais il faisoit
encor froit, jusques au XXIIIe jour dudit mois. Tellement que en les
vignes ni en les arbres on n’y veoit de verdeur ne d’apparence non plus
que à Noël. Et ne croissoient point les bledz ne les avoines ne les herbes.
Par quoy les bestes n’avoient point de paisturaige ; et en y oit plusieurs
qui morurent de fain : car, l’année devant, l’on n’avoit heu nulz foingz.
Mais, tantost après le XXIIIIe jour d’apvril, le chault vint ; et durait
tellement que, en VI jours, les bledz, les vignes et les fleurs des arbres
commençairent si fort à croistre que c’estoit belle chose de les veoir.
Et couvint xawoutrer le 1111e jour de may.
Item, le XXVe jour d’apvril, revindrent les dits Loys de Waldrez
avec ces Bourguygnons, acompaignié de plusieurs aultres cappitaines,
telz que le cappitaine Alverade, le bastard Cordon, Jennot des Prey,
Jehan de la Stepple et Andrieu le Mainbour. Et estoient bien en nombre
de XVI cent chevaulx et trois cent piettons. Et furent logiés V jours
en la terre de Mets. Et s’en alloient vers ledit Roy des Romains, qui
alors estoit à Besansson pour faire la guerre au Suysses, comme dit est
devant.
Aussy, en celle année, le jour de la Penthecouste, advint une grande
esclandre en Mets. Car, à celluy jour, le sire Pierre de Husage, chainoine de la Grant Église de Mets et curés de Saincte Seguelline, disoit
la grant messe en sa dicte église ; et, ainsy comme il faisoit les commandemans acoustumés à chacun dimenche, et tout ainsy qu’il estoit au
loitrier et qu’il vint à dire ces motz : « Vous prierés pour tous bons
laboureurs de terre », tout souldain, en disant ces motz, luy print ung
cattaire x, et cheut arrier dos, et morut tout subitement, sans jamais
renoncier 12. De quoy on fut moult esbahis. Et, pour eschevir la dicte
messe, on allait quérir ung cordellier, lequel, par licence du vicaire, fit
et acheva l’office du rest de la messe. Et fut ledit curé enterré bien
honnorablement.
Moult de choses se firent pour celle année tant à 3 Mets comme
dehors, et tant en guerre comme aultrement, desquelles je vous [en]
dirai une partie.
Et, premier, de ce qui [fut] faict de nouveaulx et qui advint pour
celle année en Mets. En ladicte cité y avoit ung couvent de dames
(et y est encor) nommés les Seurs des Repanties ou de la Magdelaine.
Lequel cou[vent] enciennement souloit estre là où à présent est l’église
1. Un catarrhe. Le mot est nouveau à cette époque. Il est difficile d’identifier cette
maladie ; d’après J. Bouchet (cité par Edmond Huguet, Dictionnaire... du XVIe siè­
cle), le caterre « met (les gens) du premier coup à terre ».
2. Sans recouvrer l’usage de la parole ?
3. A est corrigé sur en.

1499.

— LES SŒURS DES REPENTIES CONSTRUISENT A METZ

395

collégialle de Sainct Thiébault. Mais, comme par cy devant ait estés
dict, du[rant] la guerre des Roys la dicte église Sainct Thiébault, qui
alors estoit hors des murs, fut abbatue ; et fut faicte et mise dedans la
cité, là où les dicte Seurs souloient estre, et là où encor à présent elle est.
Et ausdictes seurs fut donnés assés près de là une vielle tours és murs
de la cité ; en laquelle fut faict et édif[fié] ung petit oratoire ; et, avec
ung peu d’habitacle, là auprès se sont les dictes Seurs tousjours tenues
jusques à ceste présente année. En laquelle elles ont estés bien refformée,
et, par bonnes religieuses qui leur ont estés envoyées d’aultrepaïs, leur ait
esté donnée une aultre manière de vivre ; par quoy on leur ait faict des
biens. Et, premier, leur ait estés donnée une vielle grange qui estoit au
maistre de TOspital ; là où elle acommancirent à faire et édifier leur
cloistre par l’aulmosne des bonnes gens. Et, alors et tout premier que
achevir leur dict cloistre, firent abattre les arbres de leurs jardins et
rayer ; et là firent acommencer le cueur de leur église. Et je, Phelipe,
escripvain de ces présentes, je vis rayer ung gros pommier là où à pré­
sent est le grant aultelz. Et vis encor rayer plusieurs aultres arbres, qui
alors estoient là où est le cueur et la nef d’icelle église. Et fut la pre­
mière pierre de cest édifice mise et essutte en l’an devant, le a jour
sainct Grégoire, XIIe jour de mars (et le milliair ce chainge *1 tantost
à la Nonciatte après). Puis l’on leur donnait encor plusieurs vielle
maison estant là entour, desquelles elle se sont tousjours renlairgies.
Et, par loing tamps après, on fait petit à petit édiffier. Mais touttelïois,
en celle présante année IIIIXX et XIX fut leur église faictes et eschevies,
avec pertie de leur couvant.
Différent entre les jonne fdz de la ville. — En celle meisme anné,
advint aulcuns desbat en Mets entre aulcuns du puple, à poc d’ocasion
eSmeus. Car, pour tant que les josne filz de la paroiche Sainct Gegoulz
avoyent pourtez dez pampes de vignes le jour de leur feste, ceulx de la
paroiche Saint Mamin, par grant fureur, leur volrent oster. Et à celle
occasion y oit grant noize et grant desbat, et plusieurs pérolles mal
dictes. Et comme ceulx d’Oultresaille volcissent dire que nulz ne
debvoit porter les pampes au jour de leur festeS que ceulx de la paroche
Sainct Mamin, et tellement que le fait en fut mis en justice 2 : et fut
comendé à ceulx de Sainct Mamin, à qui le fait touchoit, et aussy à
ceulx de Sainct Gegoulx, qu’il fissent leur mostrance 3 tout en plaine
chambre des Trèzes. Car les seigneurs de justice en volloient de tout le
fait avoir la vraie congnoissance. Et, pour éviter aultrez discencion,
lesdit seigneurs de justice defîendirent à ceulx de Sainct Mamin que,
pour celle année, il ne feissent point de feste 4.
En cest année, avint que, le jour du Sainct Sacrement, il pleut causy
a.
1.
2.
3.
4.

ici nous reprenons le ms. M.
Se changea.
La phrase n’est pas construite régulièrement ; le sens est bien clair toutefois.
Monstrance, démonstration.
Les seigneurs défendirent de faire une fête.

396.

1499

— GRANDE MORTALITÉ EN METZ

tout le jour, et par espécial du mattin, quant on debvoit faire les porcession ; et tellement que par force de pluye l’on ne lez polt faire. Et,
pour celle cause, il fut ordonnés par la cité que, le dimanche après, l’on
les feroit tout ainssy que se fust*1 esté le jour de la Feste Dieu. Et fut
porté le corpus Domini et le ciel, et furent les aultez parés, et le may 2 3
parmi la rue, tout en la manier corne se fût1 estez le propre jour. Et
alors, à ce dimanche, ce mist le tamps au biaulx ; et vint le chault par
grant fasson, tellement que trois jours après les résins commensairent
à florir.
Grant mortalité en Mets. ■— Item, en ycelle saixon, por tant que l’on ce
moroit fort en la cité, tous les seigneurs de la cité, ou la plus pairt,
estoient dehors en leurs forteresses ; et n’y avoit demorés que cinq
Trèzes. Et, à celle occasion, furent les adjournés et les entrées 8 cessées,
et aussy les plaitz de la court des clercz.
Les audiances des procès se thiennent devent Saint Gergonne. —Toutteffoix, pour tant que plussieurs complaintes venoient journellement
à messeigneurs les Trèzes de plusieurs querelles, ilz ordonnaient de
donner audiances tous les jours pour choses nécessaires. Et tenoient
leurs audiences et leurs entrées au simetier Sainct Gergonne ; et ne
laissoient venir devant eulx à la foy que deux parties, et les déterminoient incontinant. Et y avoit tousjours deux ou trois sergens pour faire
tirer les gens arrier et pour les faire taire, affin de mieulx ouyr et enten­
dre ceulx qui estoient devant Justice.
Aussy, ad cause d’icelle mortalité, affin que les gens ne s’éfremissent 4,
fut ordonnés par mes dit seigneurs de justice que, quant il y avoit
aulcune personne morte en la cité, que on ne mist nulle torches aux
huys devant les maisons.
Ung bourgeois pugnis pour avoir fait appellation à Wormes. — Item,
au comencement du moix de juillet, advint que ung merchamps,
appellé Dediet Collât, demourant en Staixon, sur le quairt5 de Fornelrue, pour ung différant qu’il avoit encontre la femme du maire le
Loupz d’Augondange (desquelles je, l’escripvain, oit leur fille en mariaige) et encontre Jehan de Haitange, le merchamps, demourant en
Franconrue, leur aultre genre, pour certains a héritaiges gisant à la fin 6
de la dicte Agondange, ledit Dediet Collât gectait une appellacion à
Wormes en Allemaigne encontre ladicte mairesse et ledit Jehan, son
genre. Pour laquelle chose les seigneurs de la justice envoiairent après
ledit Dedier, que s’en alloit relever sa dicte appellacion. Et estoit desjay
hors des portes ; et le firent prandre et mettre en l’ostel de la ville ;

a : cetains.
1. Se ce fust, si ç’avait été.
2. Branches vertes épandues par terre ou placées contre les maisons.
3. Les assignations en justice, etc.
4. S’esfremir, s’effrayer.
5. Au coin de Fournirue (Zéliqzon, Dictionnaire, art. quâr).
6. Sur le territoire.

1499,

OCTOBRE. — MERVEILLEUSE ABONDANCE DE VIN

397

et fut condempnez à X libvrez d’amende et à deffaire la dite appellacion.
Et, sur ce, ledit Dediet Collât trouvait fasson d’eschapper ; et s’en
allait en franchise aux Cordelliers Sur le Murs. Et, pour la malle garde
que le doien en fist, il s’en fuyt en franchise en la Grant Église. Et en
fut jugiez à XX libvrez d’amende, et banny demi ans.
En cellui tamps, et durant tousjours celle mortallités, moy estant en
semaigne de gairder à la portes dez Allemains, par ung merdi XXIIIe
jour de juillet, jour de sainct Appolïnaire, évesque, et lundemain de la
Madellaine, je, Philippe dessus dit, escripvain de ces présante, estoient
sur le tairt et après le souppés sur la muraille de la ville de Mets, endroit
le lieu c’on dit la Grève, et là je vis en l’air une escumette 1 de feu grosse
et longue, en samblance d’ung dragon ; et sortit de devers la montaigne
de Désirremont, s’en allant par dessus la faulce porte des Allemans et
dellà par sus les bourgz de Maizelle ; et durait essez longuement. Et
furent plusieurs qui la virent, tant de dehors comme de dedans ; et
disoit on que ce estoit aulcuns signe de guerres ou des mortallités qui
alors resgnoient en diverse contrée et région parmi le monde.
Dispositions du temps. — Item, en celle année, depuis Paicques
jusques au mey septembre, fut le tamps variable : car il n’estoit point
VI jour en ung tenant sans pleuvoir, espéciallement depuis le moix
d’aoust ; et pluvoit aulcune fois jour et nuyt sans cesser. Et aussy les
herbes cressoient fort ; et y avoit sy grant pasture et sy drue qu’elie ne
proffîtoit de rien au bestes. Et y oit en cest année beaucop de bledz,
d’avoine, d’orge, de poix, de febves et de tous biens. Dieu en soit louués
et bény !
La mortalités cesse; environ iiij mil personne mort en Mets. — Item,
à la fin d’octobre, entre la Toussaincts et la sainct Mertin, la mortallitez
commensait à cesser ; et retombent à Mets la pluspart dez seigneurs
et dammes qui estoient dehors. Et fut estimés que, d’icelle mortallités,
en morurent en Mets environ quaitre mil, que grans que petit.
Merveilleuse habundance de vin. — La vandange de celle année durait
longuement : car on acommensait VIII jour devant la sainct Remy, et,
encor à la Toussaincts, on n’avoît point fait, pour tant que on avoit
tant de vin que l’on ne lez sçavoit espuissier ; et estoient à peu près
les tonniaulx aussy chier que le vin ; et en fut donnés à 1 astèpe 2 pour
XXX sols la cowe, et encor pour moins.
Ung moynne mys sus l’eschielle. — En cellui tamps, la vigille de la
Toussains, fut mis sus l’achielle 3 en la Court l’évesque ung blan moyne,
pour ces desméritte ; et y fut environ V heure, et y alloit pour le veoir
qui voulloit.
Cy lairés de ces chose le perler pour venir à dire les grans et mortelle
guerre que en celle année furent faictez par le roy Loys en la duchiez
de Millan.
1. Une comète.
2. Estaple, marché, place où l’on vend les marchandises.
3. Échelle, pilori.

398

1499. — LOUIS XII EN ITALIE

[le ROI DE FRANGE LOUIS XII EN ITALIE].

Le roy Loys en la duchés de Millan. — Durant que ces chose advindrent en la cité de Mets et au pays joindant, et à l’acomencement
du prinstamps de celle présente année, vint en mémoire a roy Loys les
injures que, depuis le despairt du roy Chairles à Neaples, il avoit receu
par Loys Fforce, c’on disoit le Moure, duc de Millan, tant à Navarre
comme aultre pairt. Et pour ce, dès cest heure délibéra de recouvrer la
duchié de Millan, comme à soy appartenir *1.
Le roy à Lyon. — Et, pour ce faire, leva une grosse armée. Et envoia
devant ses gens d’armes passer les monts ; lequel 2, après que en passant
chemin eust le roy visité son espouse, pour ce qu’elle estoit ensaincte,
les consuit à Lion, où il fist son antrée. En laquelle les ordres des juges,
officiers et appareil du clergié, préparez et acoustrez par honorable
estât, et à la joie publicque de tous fut receu 3 ; adoncque le roy entrait
en la cité. Et, à sa venue, tout le monde se resjoyssoit ; et estoient les
citaudins de tous cousté plains de liesse pour sa magnificque entrée : car
des instrumens et chans armonieulx le ciel résonoit, pour cause principallement que les Lyonnois désiraient à faire feste et sollempnité au
nouviaulx roy. Et se efïorceoient luy signifier l’heureuse fortune au
voyaige qu’il faisoit contre les Lombars ; car, remémorans en leur couraige les insidiations 4 et traïstres ambusches par lesquelles ilz avoient
assailly le roy Charles huitiesme à Fournoue, et en quelle détresse et
angoisse cellui Loys, à présent leur roy, avoit estés à Novare, nulz
n’estoit “ qui tropt joieulx ne fust de veoir le roy marcher en telle
guerre, lequel ilz espéraient venger ses ennemis et recouvrer ce qui
estoit sien.
L’armée du roy d Ast. ■— Et ainsy doncques, en celle année, au moix
d’aoust, furent les mons passés. Et, tout incontinant qu’il furent
arrivez en Ast, furent deux ville prinses de forces et pillées : l’une est
nommée Non et l’autre la Rocque ; et furent rasée à fleur de terre.
Alexandrie prime. — On alla tantost en Alexandrie, soubz la conduicte du seigneur Jehan Jaques, lequel, voient le malvais gouverne­
ment du tirant Loys Fforce, c’estoit vers le roy Loys retraict. Les
Alexandrins furent diffîcil à prandre ; et résistoient fort, et asprement
se deffandoient contre les assault des François. Et à grant difficulté
purent estre vaincuz jusques à ce que le seigneur Galeace, qui estoit
a : nulz estoit.
1. Phrase aujourd’hui incorrecte.
2. Lequel désigne le roi Louis XII. Il suit (consuit) ses gens d’armes à Lyon.
3. Phrase informe. Le roi est reçu par tous les ordres en grand costume.
4. Insidiation, piège, tromperie.

1499. — CONQUÊTE DU MILANAIS PAR LOUIS XII

399

capitaine de la ville, se desroba de nuit par dessus la muraille et s’enfouyt vers ledit Loys Fforce, nommés le Maure. Et, pour en brief temps
les subjuguer, fut faictes grande occision, non sans le dommaige des
François ; et fut pertie de la ville abbatue a.
Pavie rendue. — Quant les habitans de Pavie entendirent l’expugnacion *1 et la prinze des Alexandrins, tantost 2 soubz la puissance du roy
Loys ce rendirent. Au moyens de quoy Loys Fforce, du cuer failly,
troublé en son couraige 3, et doubteux de la foy des siens envers soy,
par quoy il se pansa de se absantir, pour le dangier de sa personne.
Et mist gens d’armes en garnison au chasteau de Millan,' et donna
grande pécune au capitainne, pensant que le chasteau, qui est trefïort,
pourrait par ung ans entier contre les François résister. Puis, ce fait, se
retirait vers Maximilian, Roy des Romains, à qui il avoit baillé sa
niepce en mariaige, et pansant qu’il amènerait en ce faisant une armée
des Allemans. Et, par ainsy, laichement, avec son fdz et peu de ses
gens, s’en fouyt à Maximilian, Roy des Romains, et a princes de Germanye ; auquelles il demanda secours pour la duché recouvrer.
Le roy d Millan. — Mais, peu de tamps après qu’il c’en fut fouys, les
Milannoys receurent le très chrestiens roy Loys en la ville.
Le chasteau de Millan rendus par composition. — Et, alors, le capi­
tainne du chasteau fut par deux foyx admonnestés et requis de ainsy
faire. Mais il résista, comme en loyalle foy, voullant gairder le chasteau
à Loys Fforce, son seigneur. Toutefïois, servante 4 à Avarice, qui se
engendre avecques les Lombars dès leur naissance, promist ledit capi­
taine de randre et livrer le chasteau se le roy luy donnoit les meubles et
ustensilles que Loys Fforce, son seigneur, y avoit laissé à l’heure de
son partement. La condicion fut en partie au roy agréable ; et eust
le eappitaine la moitiet de ces meubles ; et, oultra, le roy luy donna
X mil escus d’or. Et fist le roy cest chose affin que par loing assiègement
le chasteau rompu et adommaigé n’eust indigence de réparacion, dont
les fraictz eussent cousté le double : car il consiste à six puissantes tours,
encloses de larges fossés, combles d’eaue permanable. Semblablement,
dedens le circuit de ce chasteau, y a une aultre tour, dicte la Roquette,
formant 5 imprenable et invincible c’elle est de defïendeur garnie. De
laquelle tour y a trois conviviers 6 voultées dessoubz terres jusques à la
tierce piere, par où l’on peult franchement issir és champs en libertés.
En ce chasteau y avoit provision de vivres pour deux ans, et armures
souffîsans pour armer deux mil hommes. Davantaiges, y avoit deux mil
pièces de machines de guerres, que nous disons artillerie ; oultre, quaitre
très grosse bombardes. Toutes lesquelles municions trouvées furent,
а.
1.
2.
3.
4.
5.
б.

Albatue.
Irise d’assaut.
Immédiatement.
Nous traduirions ces deux expressions par le mot démoralise.
Servant à, étant serviteur d’Avarice (qui signifie ici avidité au gain).
Fortement, ici : absolument.
Convivier, passage souterrain.

400

1499. — LOUIS XII MAITRE DU MILANAIS

tant au premier chasteau comme en cest Rocquette, vainnes et inutilles
en une telle forteresse, que le craintif et pusillanime prince délaissa
avant que veoir son annemy, et que l’avaricîeux cappitainne délivra.
A ceste cause le roy émerveillant : « Ces munirions facilement », dit il,
« eussent deffendu celle place l’espace de plusieurs ans ».
Le nom du fondateur du chasteaux de Millan. — Françoy Fforce fut
édifficateur de ce chasteau.
Après la récepcion de Millan avec le chasteau, toutes les aultres villes
et chasteau du païs, peu après, par franche délivrance, furent réduictes
en la puissance du roys Loys.
Les Véniciens et Génevois se rende aux roy. — Vindrent aussy les
Génevoys, ausquelz il bailla une capitainne, nommé Phelippe Ravastin.
Aux Vénissiens, selon l’apoinctement qui dès le commencement fut
fait avec eulx, demoura Crémone, avecques quelques nobles places de la
principaulté de Millan.
Les gallée des Turcqz desiruicle. — Soubz ce meisme temps, les gallées
et nefz des Turcs, que Loys Fforce avoit appellé en son ayde, furent
destruicte, ou la plus part, par les Vénissiens et François. Le capitainnes des gallées Vénissiennes estoit Anthonne Grimau, moult riche
et opulent entre les Vénissiens, qui, comme il eût forment gaignié la
victoire, néantmoins, par sa pusillanimité, ne résista contre les Turcs,
qui entrèrent à Lempate, et la razèrent à fleur de terre. Mais les Fran­
çois, tousjours nègeans x, occupèrent les Salamines, mettans toutes
choses à feu et à sang. Les Vénissiens aussy assaillirent et prindrent
Céphalone ; d’aultre part, les Turcs assaillirent Forgouse, cruellement 0
pillant touttes choses. Touteffois les annemys, assiégez des Hongres et
de Bernardin, conte de Francpain, languissant par famine, prindrent
leur chevaulx és lieux inacessible et eschapèrent, gripans 2* aux
1 sommetz
des montaignes où il n’eussent peu cheminer ; en quoy faisant occirent
plusieurs chrestiens prisonniers qu’il amenoient avec eulx.
Les embassade d’Italie vienne aux roi. — Les cités ytaliennes, voyant
que le roy Loys avoit acquis en peu de temps tant heureuse victoire,
luy envoyèrent chacun d’eulx leur embassade pour luy faire feste et
congratulacion de son bon eur. Et, davantaige, luy offrirent leur ayde,
sy son bon plaisir estoit d’en user. Avec ce, les poètes de ce païs honorrablement escripvirent et offrirent plusieurs dictz et chansonnettes,
mettres 3 et joyeulx libelles à la louenge et axaltacion du très chrestien
roy Loys.
Mais de la guerre de Millan me tairés aulcuns peu, pour vous dire
aulcune aultrez adventure que durant ce temps advindrent.

a : cruellelment.
1. Nageant, naviguant.
2. Griper, qui est alors un mot nouveau, est la forme normale, pour l’époque, du
verbe grimper.
3. Mètres, vers.

1499.

— EFFONDREMENT DU PONT NOTRE-DAME, A PARIS

401

[l'EFFONDREMENT DU PONT NOTRE-DAME, A PARIS],

Mortalité à Paris. — Le tamps durant que le roy Loys faisoit ces
conquestes en la duchié de Millan en la manier que avés oy, l’on ce
mouroit treffort en sa cité de Paris.
Le pont Nostre Dame de Paris tumbés en la ripvière. — Et y pleuyt
tellement, durant le moix de septemble et durant la vandange, que leur
résin ne peurent bonnement meurir. Mais ce ne fut pas tout : car il leur
advint une aultre fortune etung dopmaige merveilleux et inestimable ;
ce fut que le pont Nostre Damme d’icelle cité, qui estoit le plus biaulx
du monde, avec LX maison qui estoient dessus, tresbucha en la ripvier
de Saine. Et advint cest incovéniant et dopmaige environ une heure
devent midi ; et fut l’an après ce qu’il avoit estez édifiez IIIIXX et deux.
Les maison d’icelluy pont estoient en très belle ordre à l’ung et à l’aultre
costé, et touttes d’une meisme forme et haulteur, et estoient sy très
égalle que rien n’y avoit à dire. Et donnoit on la coulpe de celle mescheute *1 et dopmaige inrécuparable a prévost et eschevins de la ville :
car, combiens que tous les ans il receussent VIIIe libvrez de revenue
d’icelluy pont, touteffois néglîgentement y resgairdoient, et peu employoient “ à la réparacion d’icelluy. Meismes, l’an précédant, les maistres des ouvres 2 leur annoncèrent que les grant paulz 3 de boys, dessus
lesquelz estoit le pont apuyé, estoient usez de vieillesse et tout pourry,
par quoy besoîng seroit de les oster et d’en y remestre dez neufz ; mais
de ce furent négligens, et mirent l’ouvraige en dellay. Tellement que,
quant il vouldrent, il ne peurent : car alors il n’y avoit plus d’espérance
de le restablir. Et tellement que, ung jour, c’en vint ung charpentier
perler a lieutenant criminel : auquel constamment 4 afferma que ledit
pont, lequel alors, comme dit est, estoit le plus biaulx du monde,
tumberoit avant qu’il fût le midi de ce jour ; pour raison de quoy le
charpentier fut prins et mis en garde. Et dès incontinant c’en vay ledit
lieutenant en la court de perlement pour anoncer cest chose, et le dist
à ung des présidans de la court ; lequelle, en plain sénat, leur exposa ces
piteuses nouvelles. Et alors fut ordonnés et comandé que les habitans
d’icelluy pont vuydassent promptement ; et furent mis et ordonnés
aulcuns sergens royaulx aux deux boutz du pont pour empêchier et
defîandre que aulcuns n’y passast ; et cy, comme chascun estoit efïroyé
et, de paour, se hastoient d’emporter leur meubles et ustansille, ceux

a : emploient.
1.
2.
3.
4.

Mescheute, accident, catastrophe.
Maître des œuvres, architecte. Le titre existait encore au xvn» siècle (Furetière).
Pal, pieu.
Avec assurance, d’une manière très formelle.

402

1499. — EFFONDREMENT DU PONT NOTRE-DAME, A PARIS

qui furent à ce faire plus tardifz trébuchèrent avec le pont. Cest ruyne
fut moult griefve, tant aux habitans comme à la chose publicque des
Parisiens : car les privés de leurs maisons, et qui estoient en nécessité
de prandre aultres domicilies à louaige, faisoient complaintes de leur
dommaiges et intérest. Et a craignoientb sy que, pour aaoir receu se
grant dommaige, se engendrast a peuple fureur et mutinerie contre les
gouverneurs de la chose publicque ; pour à quoy obvier la court de
Parlement hastivement commenda que Jacque Piedz de Fer, prévost
des marchans, et les eschevîns, fussent appellés et gardés en prison
au palais royal. Contre lesquelz ne voulut prenuncier jugement jusques
ad ce qu’elle eust enquis l’oppinion du roy sur la présente fortune.
Car, jà çoy que dessus ycelluy estoient construicte et édifiées les plus
belles maisons que l’on sceût trouver, et avec ce ne sembloit pas à ceulx
que y passoient qu’il y eust point de pont, ains, à cause que l’on ne
veoit pas l’eaue, cuydoient estre en une rue à terre ferme, touteffois,
plus d’ung an devant ce dommaige advenus, se monstroit évidantement
qu’il déclinoit et...

a. le manuscrit est ici interrompu. Il était deià incomplet au début du XVIIe siècle :
c est au bas de cette page que se trouve la m ntion Lesquelz cronnicques ont estez retirez
des mains de Monsieur de Marescot par la delligencee de Philippe de Vigneulle, amant,
estant à Paris, le 12e mars 1624, qui se trouve à la fin des trois volumes de la Chronique
(voyez t. II, p. 189, note a).
b. Nous empruntons les lignes qui suivent au ms. A. Ce ms. finit brusquement au bas
d'un feuillet.
Il nous manque donc toute la fin de Vannée 1499. En ce qui concerne Metz et le pays
messin, la lacune est assez grave. Elle commence, dans Aubrion , à la page 421 : « Item,
en ycelluy temps, fut décapit é le président de Lorenn en la ville de Nancey », pour se
continuer jusqu’à a page 424.
Le manuscrit A, qui comprend des fragments du brouillon de Philippe pour les quatre
premiers livres de la Chronique, se termine définitivement ici.

TABLE DES MATIERES

Pages
Introduction

........................................................................................................

i

Livre IV

Entreprinse du duc Nicolas de Lorainne pour avoir Mets par emblée
[avril 1473].............................................................................................
Evénements divers au pays de Metz, en France et à l’étranger....
Visite de l’empereur à Metz.................................................................
L’année 1474 .........................................................................................
L’année 1475 .........................................................................................
L’année 1476.Mort deCharles
leTéméraire.......................................
L’année 1477 .........................................................................................
L’année 1478 .........................................................................................
L’année 1479 ........................................................................................
L’année 1480 ; le siège de Rhodes par les Turcs ; inondations en
Lorraine et dans la vallée du Rhin.................................................
L’année 1481 .........................................................................................
L’année 1482 .........................................................................................
L’année 1483 ;siège deRichemont et de Rodemack.........................
L’année 1484 .........................................................................................
L’année 1485 ; couronnement, à Francfort, de Maximilien d’Au­
triche comme Roi des Romains...........................................................
L’année 1486 .........................................................................................
L’année 1487 .........................................................................................
L’année 1488 .........................................................................................
L’année 1489 ; guerre entre la ville de Metz et le duc René de Lor­
raine ......................................................................................................
L’année 1490 : continuation de la guerre entre la ville de Metz et le
duc René de Lorraine.........................................................................
Philippe de Vigneulles et son père sont enlevés et séquestrés par des
brigands ..............................................................................................
L’année 1491 : captivité de Philippe de Vigneulles au château de
Chauvency ...........................................................................................
La trahison de Jean de Landremont...................................................
Suite de l’année 1491 ; paix avec l’évêque de Metz ; paix avec le duc
René de Lorraine, etc.........................................................................
L’année 1492 ...........................................................................................
Maximilien, Roi des Romains, à Metz...............................................
L’année 1493 ..........................................................................................
L’année 1494 ..........................................................................................
La duchesse de Lorraine, reine de Sicile, reçue à Metz....................

1
9
15
32
37
49
61
66
69
73
81
86
98
106
113
123
127
130
135
153
194
223
255
267
272
288
296
307
309

TABLE DES MATIÈRES

Pages
L’année 1494 (suite)..............................................................................
Le roi Charles de France conquiert le royaume de Naples...............
Evénements divers au pays de Metz.................................................
Le roi Charles de France conquiert le royaume de Naples (suite)...
Evénements divers au pays de Metz...............................................
Le roi Charles de France conquiert le royaume de Naples (suite)...
L’année 1495 ........................................................................................
Le roi Charles de France conquiert le royaume de Naples (suite)....
Evénements divers au pays de Metz................................................
Le roi Charles de France visite le royaume de Naples......................
Evénements divers au pays de Metz................................................
Le roi Charles de France, à son retour de Naples, traverse les Apen­
nins ...................................................................................................
Cy acomence la journée de Fornouue..............................................
Evénements divers au pays de Metz.................................................
Le roi Charles de France, revenant de Naples, rentre en France...
Evénements divers au pays de Metz................................................
L’année 1496 ........................................................................................
L’année 1497 ........................................................................................
L’année 1498 .......................................................................................
L’empereur Maximilien à Metz.........................................................
Evénements divers en Europe et au pays de Metz...........................
L’année 1499 ........................................................................................
Le roi de France Louis XII en Italie................................................
L’effondrement du pont Notre-Dame, à Paris................................

Besançon. — Imp. Jacques

bt

Demontrond.

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312
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330
337

338
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341
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347
348
352
354
356
359
372
382
386
390
393
398
401

Collections

[L] Vigneulles 3.pdf